1914-1918. Un exemple d'archéologie de la Grande Guerre. La mort et la "résurrection" d'Alain Fournier. (Article)

UN EXEMPLE D'ARCHEOLOGIE DE LA GRANDE GUERRE :

LA MORT ET LA « RESURRECTION » D'ALAIN FOURNIER 

 

 

 

            Henri Alban Fournier dit Alain Fournier est né le 3 octobre 1886 à La Chapelle d'Angillon (Cher). En 1913 il accède à la célébrité en publiant le Grand Meaulnes qui manque de peu le prix Goncourt.

 

            Mobilisé le 2 août 1914 avec le grade de lieutenant, il est affecté au 288e Régiment d'Infanterie (67e Division de Réserve)   

 

I/ Le contexte 

           

 

            Après les pertes des premières semaines de combat, le capitaine Boubée de Gramont qui commande la 23e compagnie prend le commandement du 6e bataillon. Il est remplacé à la tête de la 23e compagnie par Alain Fournier qui dispose de 150 hommes.

 

            Le 21 septembre 1914, le général allemand Von Stranz ordonne à ses troupes une progression sur les côtes de Meuse (Meuse) afin de pouvoir mettre en place l'artillerie chargée de bombarder les forts de Troyon, des Paroches et du Camp des Romains qui protègent Saint Mihiel et l'accès à la vallée de la Meuse.

 

            Au sud des Eparges, la 75e DR submergée par 3 divisions allemandes doit se replier ouvrant une brèche dans le dispositif français. C'est pour essayer de fermer cette brèche que la 67e DR est engagée dans le secteur de la tranchée de Calonne[1]. 

 

            C'est dans ce secteur (bois de Saint Rémy, tranchée de Calonne) que lors d'un combat de rencontre contre des éléments du 6e Grenadier Regiment prussien  qu' Alain Fournier va disparaître.

 

II/ La mort d'Alain Fournier.

 

            Au milieu de la journée du 22 septembre 1914, alors que les combats font rage à l'Olivette, au nord du bois de Saint Remy, les 22e et 23e compagnies du 288e RI sont envoyées en reconnaissance au sud est du bois, au-delà de la Calonne, vers le chemin Mouilly – Dommartin.

 

            Parties à 12h30 de Vaux les Palameix, les compagnies empruntent le ravin au sud de la route Vaux – Saint Remy et atteignent le chemin de Vaux à Dommartin vers 14h.

 

            Le capitaine Boubée de Gramont fait passer par ce chemin la 22e Compagnie (lieutenant Marien), la 23e compagnie (lieutenant Fournier) franchissant la côte des Bœufs pour rejoindre la tranchée[2] des Hautes Ornières qui jouxte la Fourmilière d'Herbeuville.

 

            Vers 15h, Fournier atteint la Calonne. Une patrouille constate l'absence d'Allemands vers le bois Chanot. La 23e compagnie rentre vers Vaux.

 

            Au même moment la 22e compagnie qui traverse la Calonne deux cents mètres plus loin, mais sans éclaireur,  se fait surprendre à la croisée d'un layon forestier. Elle subit de lourdes pertes (une dizaine d'hommes) et se replie derrière la Calonne où elle attend des renforts.

 

            A 15h30, l'estafette envoyée par Marien au PC du capitaine Boubée annonce l'embuscade. Vers 15h45, Alain Fournier arrive à son tour au PC et fait le point avec le capitaine qui décide d'emmener la compagnie de Fournier en renfort.

 

            Le rassemblement des deux compagnies dans une zone hostile fait monter la tension.

 

            A 16h30, les deux compagnies franchissent à nouveau la Calonne dans le ravin nord de la Côte des Bœufs et s'engagent dans deux chemins distants l'un de l'autre de 150 m, Alain Fournier par le layon qui monte rejoindre le ravin de la Haye le Loup, Marien par le chemin déjà emprunté en début d'après midi. Mais cette fois la 22e compagnie est commandée par le capitaine Boubée.

 

            Le capitaine oblique alors sur la gauche dans un chemin parallèle à celui de Fournier (à 200 mètres) afin de conserver les deux compagnies groupées. Brusquement la 22e compagnie débouche dans les champs sur une tranchée allemande à proximité d'un poste de secours (2e compagnie sanitaire du 5e Corps d'Armée allemand). Le combat s'engage immédiatement et s'avère tout de suite très meurtrier pour les Allemands qui sont surpris et dont les troupes sont essentiellement constituées de personnels sanitaires dispersés et peu armés. Les Français qui veulent venger leurs morts du début de l'après midi ne font pas de prisonniers.

 

            Pendant ce temps la 23e compagnie aborde à son tour la lisière des champs et engage elle aussi le combat. Elle capture la dernière civière allemande avec ses brancardiers. Lorsque Fournier rejoint la 22e compagnie, le combat s'achève.

 

            Mais à ce moment là, des tirs éclatent venant des sapins Godfrin et bloquent le retour vers la Calonne. Les restes des deux compagnies (il y a de nombreux fuyards) s'installent dans le fossé entre les deux sentiers et les officiers se concertent.

 

            En face à 90 m, une patrouille allemande de la 4e compagnie (capitaine Nicolay) du 6e Grenadier Regiment tire sur les Français et leurs prisonniers. Le capitaine Boubée décide de franchir l'obstacle et fait mettre baïonnette au canon. L'assaut s'arrête 50 mètres plus loin, mais a provoqué de nombreuses pertes.

 

            A ce moment là, la 11e compagnie allemande du capitaine Kleist arrive en renfort par le fossé et prend les Français à revers. Le capitaine Boubée de Gramont est tué. Fournier et Marien se consultent. Fournier charge la tranchée où se trouve la 4e Cie du capitaine Nicolay et Marien attaque à droite de cette tranchée. Fournier tombe durant l'assaut, Marien réussit à passer à rejoindre la Calonne et à s'accrocher.

 

            Mais Nicolay s'aperçoit qu'en tirant sur les Français il est dans l'axe des sanitaires et de la 11e Compagnie kleist installée dans les sapins Godfrin. Il cesse donc le tir en dégageant sur la droite, ce qui facilitera le retrait de la 22e Compagnie de Marien et sa fuite. Le combat se termine vers 17h15. Nicolay recueille les dernières paroles de Fournier qui est ensuite enterré avec ses hommes dans une fosse commune. Toute trace du drame disparaît. Les Français sont portés disparus.

 

            Les pertes pour cette journée s'établissent à 21 morts Allemands dont 8 à la Compagnie sanitaire et 6 blessés du 50e IR achevés par les Français. Les Français comptent 21 disparus au 288e RI dont Alain Fournier et le capitaine Boubée de Gramont.

 

            A la suite de ces évènements le sort d'Alain Fournier étant incertain[3], il est déclaré disparu puis officiellement mort le 26 septembre 1914[4] par un jugement du tribunal civil du département de la Seine du 2 août 1920.

           

            Français et Allemands avaient intérêt à oublier cet épisode.

-          En tirant sur une ambulance et  en massacrant des prisonniers, les Français se rendent coupables de crime de guerre.

-          En se tirant dessus les Allemands sont en partie responsables de leurs propres pertes, et personne ne tient à se vanter de ce genre d'exploit. 

 

III/ La « résurrection » d'Alain Fournier

 

            A partir de 1977, un groupe de passionnés de l'œuvre d'Alain Fournier décide de faire des recherches pour percer le mystère de sa disparition (recherches de témoignages français et allemands, recherches topographiques précises, puis recherches sur le terrain)

 

            Elles aboutissent le 2 mai 1991 lorsque l'un des membres de cette équipe Mr Jean LOUIS découvre la fosse. Mais laissons lui la parole.

 

            2 mai 1991.

 

            « Arrivé aux sapins Godfrin je prends mon détecteur de métaux et, après environ une demie heure de prospection je découvre dans le fossé de limite, non loin du point J[5], un étui de Lebel, puis un deuxième, puis un troisième, en tout une vingtaine d'étuis français. (…)

 

            Je me mets alors à la place du sergent Baquè[6] en revivant son récit (…). Avec mon détecteur je fais le même parcours et trouve toujours des étuis français épars, souvent près d'une ancienne souche d'arbre. De chaque étui retrouvé je balise l'endroit pour retrouver la trajectoire, ou plus exactement l'angle de progression pris par les Français lors de leur contre attaque en direction de la tranchée de Calonne.

 

            D'après les tirs effectués la direction s'incline vers la gauche. Tout à coup je découvre des munitions françaises non tirées, ce qui signifie la présence de tués dans ce secteur. (…) Avec mon détecteur je continue à progresser sur la gauche et à une quarantaine de mètres du fossé de limite, je découvre tout à coup 8 cartouches françaises non percutées, donc tout un paquet. Quelques mètres plus loin j'en découvre un deuxième, puis d'autres. Je me dis que les corps doivent être proches car pour enterrer un soldat il faut le transporter de la manière suivante : se mettre entre ses jambes et le tirer par les chevilles jusqu'à sa sépulture. Pendant le combat les cartouchières sont ouvertes, au cours du déplacement des corps les paquets de cartouches tombent sur le sol et se dispersent. Ces paquets de munitions restés dans le sol après les combats m'indiquent la direction d'enfouissement des corps par les Allemands. Je continue à trouver des paquets de cartouches quand tout à coup, j'aperçois sur ma droite une légère excavation de forme rectangulaire sur le sol. Je me dis aussitôt. Ils sont là.  Je continue donc à prospecter autour du « trou » et mets au  jour 3 étuis de révolver du modèle français 1873 positionnés à 4 ou 5 mètres de cette excavation rectangulaire. Je décide enfin d'aller prospecter dans celle-ci. Dès que je me positionne dans ce « trou » mon détecteur sonne sans arrêt. Je fais donc un sondage au centre de celui-ci et sors du sol une attache de bretelle de suspension de cartouchière française accompagnée d'une vertèbre humaine ainsi que des fragments de tissu de pantalon rouge garance. Je vois aussi nettement la présence d'autres ossements humains dans mon sondage (…) Je fais un second sondage sur la gauche, prenant de multiples précautions pour ne pas toucher ou déplacer objets ou ossements et découvre sur le bas d'un bras droit la présence de galons de lieutenant. A ce moment je suis sûr que je viens de trouver le corps de l'écrivain que nous recherchons. Je remets le terrain en état, et repars avec mon véhicule pour en informer Mr  Algrain[7]. »

 

            4 novembre 1991

 

            Début des travaux de fouille de la sépulture. Elle correspond à une fosse de 5,20 m sur 2,60 m et contient 21 corps disposés en deux rangées tête bêche de 10 corps chacune. Le vingt et unième soldat recouvre en travers 5 de ses camarades.

 

            19 des 21 soldats seront identifiés. Ils appartiennent tous au 288e RI. Tous sont morts des suites de blessures par balles. Six d'entre eux grièvement blessés ont été achevés, dont un directement dans la fosse.

 

            Alain Fournier porte la trace de 3 blessures (thoracique, sternum et côtes) dont deux de face et une de direction ignorée. Il n'a pas été achevé.

 

            1er décembre 1991

 

            Fin de la fouille de la tombe. Les corps sont dirigés pour autopsie au service régional de l'archéologie à Metz.

 

            17 juin 1992.

 

            A la sous préfecture de Verdun, 12 familles des soldats identifiées décident que les « 21 corps seront réinhumés dans la nécropole nationale de Saint  Rémy la Calonne dans 21 tombes individuelles.

 

            10 novembre 1992 

 

            Cérémonie d'inhumation des corps dans la nécropole nationale de Saint Rémy la Calonne en présence des familles et du secrétaire d'Etat aux Anciens combattants Louis Mexandeau. Les objets personnels des défunts sont rendus aux familles, les objets militaires rendus à l'armée.

 

            26 septembre 1993.

 

            Inauguration d'un monument commémoratif érigé par le Souvenir français sur la fosse.

 

Si cet article vous a plu je ne peux que vous recommander la lecture ou relecture du Grand Meaulnes



[1]  La tranchée de Calonne est une ancienne voie romaine reliant Verdun à Hattonchâtel. Elle porte ce nom depuis que Calonne ministre de Louis XVI avait fait border cette route de rosiers jusqu'à son château d'Hannonville pour y accueillir le roi.

[2] Dans ce cas le terme de tranchée désigne un chemin ou une route dans une forêt. Nous sommes encore dans la guerre de mouvement.

[3]  Les témoignages français sont confus et contradictoires, les témoignages allemands ne sont pas disponibles.

[4]  Les combats se sont poursuivis dans le secteur sans interruption jusqu'au 26 septembre. Ils contribueront à la formation du saillant de Saint Mihiel  

[5]  Point d'entrée supposé de la compagnie d'Alain Fournier dans les bois.

[6]  Un des survivants de la 23e compagnie.

[7] Un des membres du groupe de recherche



28/09/2018
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