20. Chronique histoire des Vosges et d'Alsace : 1915 (Avril - Juin)

Chronique histoire des Vosges et d’Alsace.

1915 (Avril - Juin)

 

 

Pour avoir de plus amples informations sur les sources utilisées pour rédiger cette chronique, vous pouvez retrouver les références des ouvrages dans la bibliographie publiée dans cette même catégorie.

 

2 avril 1915

 

11e BCA. Aux tranchées près de Sulzern.

« Tout à l’heure, un homme de ma compagnie a été blessé d’une balle dans le flanc, en passant dans un boyau que domine la crête occupée, vis-à-vis de nous, par les Allemands. Il est grièvement atteint. Je viens d’aller le voir et le panser. Ce soir, les brancardiers viendront l’emporter à la nuit, mais je ne sais s’il pourra s’en tirer. (…)

Cette position que nous occupons depuis quelques jours pour la deuxième fois, et qui est encore insuffisamment organisée, a le désavantage d’être complètement dominée par la position de l’ennemi, qui occupe la lisière d’un bois et une crête plus élevée ; jour et nuit, les balles viennent de là-haut cingler nos tranchées, et nous ne pouvons guère répondre, ne voyant des tranchées ennemies que les parapets et les étroits créneaux blindés de boucliers. Au cours des nuits dernières, avec la neige et le clair de lune qui nous rendaient presque aussi visibles qu’en plein jour, j’ai eu un homme tué et trois blessés, dont deux sous-officiers. » (Belmont 1916)

 

4 avril 1915

 

11e BCA. Col de Bischstein.

« Nous habitons, dans les bois, des abris plus ou moins souterrains, aménagés avec les ressources limitées de l’endroit. (…)

La journée s’est passée très calme. Nos canons qui sont plutôt silencieux à l’ordinaire, ont tonné presque tout le jour. En ce moment, sans doute pour riposter, quelques marmites tombent près d’ici. » (Belmont 1916)

 

5 avril 1915

 

11e BCA. Col de Bischstein.

« Demain matin le général de division vient ici pour décorer le commandant Foret et un capitaine d’artillerie de montagne. Grand branle-bas : astiquage, revue, fanfare. La 6eme sera là pour rendre les honneurs. » (Belmont 1916)

 

9 avril 1915

 

11e BCA. Avant-postes de Bischstein.

« Que d’eau ! Que d’eau ! Dessous, dans l’air, sur le sol, il y en a partout et il en tombe toujours. En ce moment, il fait une vraie tempête de neige et de pluie. (….)

C’est à travers des océans de boue et par une nuit noire que nous sommes descendus hier soir des bois de Bischstein pour venir relever une compagnie dans les avant-postes. Le mauvais temps, et ce qu’il comporte, est un des grands ennemis du soldat en campagne Pour moi, j’en suis quitte pour avoir les pieds mouillés et les vêtements crottés ; mais je pense à mes hommes qui, eux, ne quittent pas la tranchée et doivent à cette heure s’y blottir sous leurs toiles de tente en laissant stoïquement passer l’averse. » (Belmont 1916)

 

13 avril 1915

 

11e BCA. « La garde prussienne, dont on nous avait annoncé la présence en Alsace, s’y trouve effectivement puisqu’on a fait à l’Hartman des prisonniers appartenant au bataillon des chasseurs de la Garde. Mais il semble qu’elle soit plus au sud, et c’est peut-être pour essayer de reprendre ce fameux sommet qu’elle a été amenée. » (Belmont 1916)

 

19 avril 1915

 

Hartmannswillerkopf.. Attaque allemande sur le Vieil Armand avec 3 bataillons répartis en 3 colonnes. L'assaut est repoussé par les Français. (Guelton in 14-18 n°34)

 

25 avril 1915

 

11e BCA. « Tandis que dans ce vallon, tout égayé de sève nouvelle, nous passons une journée tiède et calme, les grondements ininterrompus qui nous viennent de par delà les montagnes prochaines, nous révèlent que la bataille dure toujours là-bas, et que l’action doit être chaude. Il est probable que c’est autour de l’Hartmannswillerkopf que se livrent les combats dont les échos nous arrivent.

Vous devez savoir que le détachement d’armée des Vosges, auquel nous appartenions, a cessé d’exister depuis que son chef, le général Putz, a quitté la région. Nous appartenons depuis à la VIIe armée, commandée par un homme que la guerre a tout à fait mis en vue, le général de Maud’huy, qui était simple brigadier au début de la campagne. C’est encore un ancien chasseur (…) C’est, en tout cas, un homme très actif, et je crois qu’à lui, aussi bien qu’à notre nouveau divisionnaire, de Pouydraguin, on ne pourra pas faire le reproche de ménager les obus. » (Belmont 1916)

 

Hartmannswillerkopf.. Nouvelle attaque allemande sur le Vieil Armand qui est précédée d'une intense préparation d'artillerie. Elle cause de lourdes pertes au 152e RI. L'attaque allemande commence à 17 heures et progresse rapidement.

En début de soirée la situation des Français devient difficile et ils sont finalement encerclés. Les Allemands s'emparent du sommet. Le 152e RI a perdu 14 officiers et 811 hommes. (Guelton in 14-18 n°34)

 

26 avril 1915

 

Hartmannswillerkopf.. Contre-attaque française menée par le 7e BCA et le 152e RI qui permet de reprendre le sommet vers 18h. (Guelton in 14-18 n°34)

 

 

28 avril 1915

 

11e BCA. « La journée d’aujourd’hui a été calme, mais les balles qui descendent des tranchées boches tapent rageusement sur les parapets de nos tranchées. Hier soir, j’ai eu encore un homme tué net d’une balle dans la tête. Is visent bien par ces temps clairs ! » (Belmont 1916)

 

30 avril 1915

 

11e BCA. Col de Bischstein.

« Des abris de toutes sortes, de toutes dimensions, de tus genres s’offrent à ceux qui viennent d’en bas après un séjour plus ou moins long dans la terre des tranchées.

ici, on n’a plus cette tension morale continuelle de la tranchée, cette préoccupation du danger qui nous menace toujours, cette sensation atténuée, mais toujours vivante, d’un oeil ennemi qui nous guette pour nous envoyer de loin la balle qui surprend et qui tue quelquefois.

ici on se repose la nuit sans songer à surveiller autour du trou qui vous abrite ; et si les hommes creusent et piochent, c’est avec la liberté de leurs gestes, sans avoir à se garder de l’Allemand tout proche. De vraies petites maisons se sont créées qui ne différent des habitations civilisées qu’e ce qu’elles sont sous la terre au feu de s’élever au-dessus du sol.

L’abri du commandant est un chef d’oeuvre : un gourbi rectangulaire protégé par un blindage de deux mètres d’épaisseur en troncs de sapons, alternant avec de la terre et des cailloux. Là dedans, un intérieur boisé, un plancher sous les pieds, un lit avec de vrais draps, une table, des chaises, etc.. Il n’y manque rien : peut-être un piano ! L’entrée a été ornée d’un vrai petit jardin clos de grillage dont le clou est un grand corps de chasse dessiné avec des mousses et portant le numéro 11 dans son cercle.

Il y a encore d’autres abris pour les médecins, les sapeurs, les agents de liaison, les brancardiers, les entrepôts, le magasin à vivre, le bureau. Il y a une salle à manger de fantaisie pour les beaux jours , sur la lisière, avec une large baie vitrée par laquelle on voit le Honeck, l’Altenberg. (Belmont 1916)

 

4 mai 1915

 

11e BCA. Villa Carency.

« C’est un poste de commandement à la côte … C’est un abri dans le genre de tous ceux que cette guerre de renards nous a appris à construire : un grand trou dans l terre qu’on recouvre d’un blindage d’un mètre ou deux fait de couches alternées de rondins et de terre. (…) L’endroit est parfaitement à l’abri de l’oeil gênant des Boches, et de là on peut admirer tout le cirque des hauteurs qui enferment la vallée. (Belmont 1916)

 

10 mai 1915

 

11e BCA. « Je viens d’éprouver une des plus jolies émotions de cette guerre dont la brutalité et la violence sont les modes habituels : vous savez sans doute le succès important que nos troupes ont remporté près d’Arras. On nous l’a communiqué ce matin par télégramme et par une petite note du colonel nous invitant à chanter ce soir, à 17h30, sur tout le front de la brigade, la Marseillaise et la Sidi-Brahim.(…)

Vers 7 heures, avant que la nuit fût tout à fait venue, des fusées ont commencé à s’élever de tous les points de la ligne : des lisières des villages au fond de la vallée, des tranchées accrochées à mi-pente, des crêtes dénudées ou des hauteurs boisées de tous les coins de cette vallée d’Alsace où s’abritent des Alpins, on voyait monter, en longues trainées lumineuses, les paraboles entre-croisées s’achevant en autant de globes étincelants qui descendaient lentement en tournoyant. C’était le signal. Quelques minutes après, toutes les voix entonnaient les chansons de guerre, l’hymne national et la Sidi-Brahim. (…..)

Mais à peine ce concert avait-il commencé que les cloches des villages en ruines, ces cloches qui se taisaient depuis plus de deux mois et qu’on croyait détruites, s’ébranlaient elles-mêmes et mêlaient leurs voix joyeuses aux nôtres. Cette fois, les Boches n’étaient pas contents ! Et sans doute, irrités d’entendre encore carillonner dans ces pauvres clochers qu’ils croyaient bien avoir réduits pour toujours au silence, ils ouvraient sur les villages un feu d’artillerie (….)

Nous-mêmes n’avons pas été épargnés : les Boches, pour nous prouver qu’ils avaient bien entendu, nous ont envoyé par trois fois des salves de shrapnells. Personne n’a été touché ! » (Belmont 1916)

 

11 mai 1915

 

11e BCA. En parlant de son séjour dans la région de Bischstein. « Les débuts ont été durs à cause des combats, de la neige, du froid, du manque d’abris, des difficultés de ravitaillement. Peu à peu, tout cela s’est amélioré : les attaques allemandes se sont calmées ; le froid, plus tenace, a fini lui aussi par céder ; on s’est installé, on a construit des abris, on s’est creusé des trous ; on s’est adapté à cette vie. Puis les habitants civils ont été évacués et nous avons bénéficié de leurs maisons ; même nous avons acquis, avant leur départ, plusieurs bêtes qu’ils ne pouvaient emmener. La 6e compagnie s’est trouvée un moment en possession de deux ânes, trois chèvres et trois veaux. Les veaux ont été mangés à l’ordinaire pour lequel je les avais achetés (…) Les chiens nous suivent dans nos allées et venues. Des deux ânes, l’un est réservé au service des cuisines, il transporte les chaudrons et la batterie de cuisine hétéroclite qui nous suit dans nos déplacements ; l’autre est la propriété exclusive des officiers. Enfin les deux chèvres sont également notre bien propre et nous assurent des ressources en lait, car nous ne buvons guère autre chose à nos repas. » (…)

On s’habitue à tout même à la guerre. On finit même par oublier les Boches parfois complètement malgré les quelques marmites qui grincent de-ci de-là, ou les balles qui cinglent par moments. Ces bruits finissent par devenir familiers. (Belmont 1916)

 

Remiremont. La mairie vend directement à la population des œufs frais à 1,15 F la douzaine et du beurre extra fin à 1,75 F la livre. (14-18 dans le pays de Remiremont 1999)

 

15 mai 1915

 

11e BCA. « Depuis quatre jours, nous sommes dans les bois, sur les pentes qui s’abaissent, de la haute barrière qui nous sépare de la France, vers le fond de la vallée où se rencontrent les premiers villages : Sulzern, Stosswihr, devenus des entassements de ruines et des logis déserts. Nous habitons le Mulwen-Wald, une large tache de sapins rectangulaire appliquée sur le versant abrité d’un vallon secondaire. » (Belmont 1916)

 

25 mai 1915

 

11e BCA. « Ce soir, nous quittons les bois de Bischstein et nos abris dans les sapins pour aller relever une compagnie à Eck, sur cette énorme croupe dont la base, encadrée à l’est par la rivière de Sulzern, le Kleinthal, au sud par la Fecht d’Ampferbach, vient mourir sur le temple et les premières maisons de Stosswihr. » (Belmont 1916)

 

27 mai 1915

 

11e BCA.« Depuis deux jours nous sommes aux avant-postes d’Eck petit hameau étagé sur la pente d’une énorme croupe qui descend de la saillie boisée de Bischstein sur Stosswihr. De là on domine la vallée où s’étalent les maisons pittoresques de Stosswihr d’abord et un peu plus loin de Munster dont les deux clochers de brique pointent au-dessus des pignons. » (Belmont 1916)

 

28 mai 1915

 

11e BCA. Eck

« La guerre a passé ! Eck est devenu, comme tous ces hameaux d’Alsace, un entassement de ruines, un coin de désolation et d’abandon, un charnier et une tombe.

Un jour, les paysans restés enracinés à leurs demeures ont été surpris par l’avalanche des obus allemands, comme jadis les Pompéiens paisibles par les laves du Vésuve. Une à une, les maisons ont été visées, atteintes par la mitraille ; les unes ont brûlé au premier obus ; d’autres ont résisté plus longtemps et ne se sont écroulées qu’après plusieurs bombardements ; quelques unes sont restées debout portant seulement les balafres et les écornifleurs de leurs murailles ou de leurs toits. Ceux qui n’ont pas été tués sont partis, sans rien emporter de leurs biens ; plusieurs ont été brûlés vifs ou ensevelis sous les décombres. Du bétail a été assommé dans les étables. (….)

J’habite une de ces maisons qui ont le moins souffert, son toit a reçu trois ou quatre obus, mais il reste encore beaucoup de tuiles intactes. Je suis installé au Rez-de-chaussée, dans une pièce que nous avons fait nettoyer tant bien que mal, mais où il reste des qualités de cafards qui courent à toute vitesse et en tout sens sur le plancher. La maison possède une bonne cave voûtée où est installé le téléphone et où nous pouvons nous réfugier en cas de bombardement. Les agents de liaison occupent une cave voisine.

Les deux compagnies qui gardent ce secteur sont un peu plus bas, dans des tranchées accrochées aux pentes qui dominent directement Stosswihr. (….)

Ici toujours des préparatifs de tous côtés. Des canons nouveaux s’installent chaque jour. On prépare des organisations qui, certainement visent une offensive importante. » (Belmont 1916)

 

Juin 1915

 

Remiremont. L’autorité militaire de la ville interdit la sortie des fromages hors de la zone des armées. (14-18 dans le pays de Remiremont)

 

3 juin 1915

 

11e BCA. Eck

« Nous attendons la pluie, le tonnerre, l’orage, une décharge de ce ciel plombé qui pèse comme un joug écrasant. L’air est somnolent, épais, et dans cette atmosphère d’étuve, les mouches obstinées et innombrables s’agitent en tourbillons agaçants. (….)

Dans cette chaleur inerte, les décombres d’Eck dégagent des odeurs de charognes, des relents immondes qui s’élèvent par bouffées de la terre jetée sur les carcasses de bêtes crevées. Pour échapper à ces émanations, nous restons dans la pièce encore respectée par les obus de cette maison dont nous sommes depuis hier les habitants.

Tout à l’heure nous regardions par la lucarne du toit qui sert d’observatoire aux artilleurs. Mais les Boches, que nous ne pouvions arriver à voir, ont dû nous apercevoir, car un shrapnell de 77 est venu éclater à côté de nous et nous a obligés à quitter notre poste. (…)

Dans les tranchées sinueuses et compliquées que les Boches ont creusées en face des nôtres, in ne semble pas se trouver grand monde ; elles doivent être gardées seulement par un mince cordon de guetteurs. Je pense qu’ayant solidement établi leurs retranchements et s’étant couverts par des fils de fer à profusion, ils laissent en première ligne de petits éléments de surveillance et tiennent un peu en arrière, à Munster par exemple, des compagnies de réserve susceptibles d’être portées rapidement sur un point ou sur un autre, suivant les besoins.

Il n’est pas discutable qu’ils aient une science consommée de l’organisation du terrain et du rendement de leurs moyens d’action. Le tracé de leurs tranchées est dessiné selon des principes étudiés ; et le flanquement par des mitrailleuses, si important actuellement, est toujours assuré à merveille chez eux. » (Belmont 1916)

 

5 juin 1915

 

11e BCA. « Nous quittons Eck ce soir. Le bataillon tout entier doit se rassembler ces jours-ci dans les bois, quelque part. (…) Il est très probable que d’ici quelques jours, une action importante se produira dans notre région. » (Belmont 1916)

 

12 juin 1915

 

11e BCA. Camp de Haeslen.

« Nous sommes dans les sapins, au creux d’un ravin qui nous abrite plus ou moins contre les marmites éventuelles. Nous nous entraînons en vue des fatigues prochaines, car le bruit continue à courir que nous allons prendre part à une action importante autour de Metzeral. » (Belmont 1916)

 

15 juin 1915

 

11e BCA. Metzeral.

« Depuis hier les canons tonnent sans arrêt de tous côtés. Le concert est infernal. Des mitrailleuses, des fusillades, crépitent par intervalles. Les avions ronronnent en tournoyant dans un ciel bleu inondé de soleil. (…)

Nous sommes dans les bois, les faisceaux formés, prêts à marcher au premier signal. » (Belmont 1916)

 

17 juin 1915

 

11e BCA. Metzeral.

« Depuis ce matin les marmites pleuvent et éclatent en tonnerre autour de nous ! Le bataillon est venu relever en première ligne les unités, assez fort éprouvées, qui ont enlevé aux Boches ces derniers jours le Braun-Kopf.

Le Braun-kopf est une grosse bosse rocailleuse et peu boisée qui domine Metzeral au sud, et qui est dominée elle-même par une autre bosse plus haute et plus importante : l’Alttmatt-kopf. Ces deux kopf se rattachent l’un à l’autre par une sorte de seuil. Les tranchées boches, formidables et bordées de fils de fer, sillonnaient en plusieurs lignes tortueuses la croupe du Braun-Kopf.

La première attaque, partie le 15 a réussi à enlever le sommet du Braun-kopf après une préparation d’artillerie formidable.

Le même bataillon, le 6e, a pris, le 16, de nouvelles tranchées ; aujourd’hui tout le Braun-kopf est à nous.

Le 11 bataillon est venu relever le 6e, qui a eu pas mal de pertes. Ma compagnie n’est pas la plus en avant ; nous sommes dans la parallèle de départ, en un point où l’attaque n’a pas pu progresser, à une centaine de mètres d’un petit bois appelé le Bois noir, et que les Boches tiennent.

Le spectacle n’est pas délicat : la croupe du Braun-kopf est complètement ravagée par l’artillerie ; il n’est guère d’endroit où la terre n’ait pas été bouleversée : là dedans, là-dessus, c’est un entassement, un enchevêtrement inimaginable de fils de fer, de chevaux de frise tordus, broyés, arrachés, un entassement de débris, de sacs de terre éventrés, de cadavres de chasseurs et d’Allemands ; les uns à demi-ensevelis, les autres mutilés par les obus - parfois Boches et Français côte à côte, tous dans des positions bizarres, tels que la mort les a saisis. Des fusils, dont les baïonnettes brillent au soleil, gisent à côté des corps….(…)

Maintenant, trois compagnies du 11e, disposées en demi-couronne sur le penchant de la croupe, occupent les tranchées conquises et subissent stoïquement cette avalanche infernale de ferraille. Les obus énormes de 210 et de 150 qu’on entend venir de loin, lentement, avec un susurrement sournois, pulvérisent la croupe ronde qui, par moment, disparaît sous des nuages de fumée noire et de poussière rousse. Au-dessus, les flottements bleus des shrapnells de 77 s’éparpillent sans interruption. Là où nous sommes, quelques marmites arrivent de temps en temps ; jusqu’à présent elles sont tombées en dehors de la tranchée et n’ont blessé qu’un homme de la compagnie.

Devant nous s’ouvre la vallée de la Fecht ; au bas des pentes, le village de Metzeral, que nos artilleurs écrasent depuis deux jours, brûle, maison par maison. Une grande partie est déjà en ruines ; sur les maisons intactes, les obus pleuvent, effondrant tout et allumant de nouveaux incendies. (…)

De l’autre côté de la vallée, on se bat aussi : c’est la division voisine, la 66e, qui prend en même temps que la nôtre l’offensive. Ces deux mouvements doivent sans doute converger vers le fond de la vallée, en aval de Metzeral.

Sur la crête en face, on voit nettement les éclatements noirs des gros obus. Hier, dans l’après-midi, nous avons vu à la jumelle un assaut livré là-bas par une compagnie de chasseurs : on a suivi très bien les deux vagues successives de petites taches noires s’avançant à travers les prés et sautant dans la tranchée boche où le combat s’est continué à coups de grenades.

Tout cela est dur : sur des positions organisées comme les Allemands savent le faire, le rôle de l’infanterie n’est pas facile, même après l’artillerie. Il faut une préparation intense et prolongée, une concentration puissante de feux qui anéantisse presque les ouvrages à prendre et leur garnison.

ici, la préparation de l’artillerie avait été soigneusement faite : avant la première attaque, le tir d’artillerie a duré quatre heures pendant lesquelles l’arrosage des positions ennemies n’a pas cessé. On a pris des points avantageux, mais cela coûte cher ! Heureusement, les Boches aussi perdent du monde.

Dans les deux journées d’hier et d’avant-hier on a fait 450 prisonniers environ. Nous en avons vu passer hier soir un détachement pour Gérardmer ; ils étaient tous très sales et très contents d’être désormais sains et saufs. » (Belmont 1916)

 

18 juin 1915

 

Hilsenfirst. Deux compagnies du 5e BCP participent à l’attaque du sommet de l’Hilsenfirst. Les opérations se poursuivent le jour suivant. (14-18 dans le pays de Remiremont)

 

19 juin 1915

 

11e BCA. Metzeral.

« Le vacarme continue, ou plutôt, il recommence après une matinée calme. L’artillerie prépare l’attaque qui doit reprendre ce soir. Il est probable que nous serons engagés avant la nuit. Pour le moment ma compagnie est sur le Braun-Kopf. Les Boches sont chassés jusqu’au bas des pentes et nous nous sommes avancés jusqu’aux lisières de Metzeral. Ce soir, nous devons continuer à progresser et tâcher d’enlever le village et le « Bois Noir » qui a résisté jusqu’à présent. Les deux compagnies qui ont avancé ont été assez éprouvées : un capitaine et un sous-lieutenant sont tués. Le commandant Foret est blessé gravement à la main. » (Belmont 1916)

 

20 juin 1915

 

11e BCA. Metzeral

« Au moment même où je vous écris, les obus de 130 éclatent tout près de note tranchée et leurs éclats passent en miaulant au-dessus de nos têtes. Qu’une de ces marmites tombe sur l’abri où je me trouve, et ce ne serait pas long. (….)

Hier soir, nous avons ébauché une attaque sur le « Bois Noir », un méchant bois de pins d’où les Boches ne veulent pas décamper et d’où il est difficile de les déloger, car ils ont partout des fis de fer et des mitrailleuses. Les Boches, voyant que nous menacions de déboucher sur les pentes du Braun-Kopf, ont aussitôt ouvert un feu de barrage intense avec des batteries de 77, des obusiers de 105 et une grosse pièce de 130 qui tire depuis Munster.

La première section de ma compagnie avait à peine commencé son mouvement hors de la tranchée que les rafales s’abattaient sans interruption. Trois hommes ont été tués, une douzaine blessés.

Les Boches ont perdu plusieurs positions importantes ; nous les avons chassés jusqu’au bas de la vallée. Ils s’accrochent dans Metzeral, sur les lisières de ce village en ruines où se cachent encore leurs mitrailleuses.

Le généra de Pouydraguin, qui commande notre division vient d’être cité à l’ordre de l’armée de Maud’huy pour les brillants résultats obtenus ces derniers jours.

Pour le moment, nous devons, avant tout, conserver à tout prix, ce Braun-Kopf que le 6e bataillon a pris. Pauvre 6e ! Le terrain est jonché de ses cadavres qu’on trouve partout, dans l’herbe, dans les tranchées boches, dans les trous d’obus et dans la parallèle d’attaque où les batteries allemandes ont tapé furieusement quand l’offensive s’est déclenchée.

Quand au Braun-Kopf, c’est un charnier épouvantable. » (Belmont 1916)

 

 

21 juin 1915

 

Hilsenfirst. Le commandant COLARDEL chef de corps du 5e BCP est tué à la tête de ses troupes en montant à l’assaut. (14-18 dans le pays de Remiremont)

 

11e BCA. Metzeral.

« Dure journée ! Jamais encore la 6e compagnie n’avait été à aussi dure épreuve !

Engagés ce matin avec une autre compagnie, nous avons gagné rapidement un bon morceau de terrain en progressant sur les pentes inférieures du Braun-Kopf, en liaison avec le 22e bataillon qui attaquait, dans le fond de la vallée, Metzeral. Ce village, qui venait d’être écrasé sous une avalanche de nos gros obus, a été occupé en quelques instants et facilement par le 22e.

Nous avons avancé en même temps et délogé les Boches des tranchées où ils s’étaient accrochés, au bas du Braun-Kopf. Mais soit par les balles, soit surtout par les obus qui pleuvaient pour barrer notre mouvement, beaucoup de nos braves chasseurs sont tombés. Je n’ai plus de chefs de section (…) Je ne sais pas au juste combien il me reste de monde. Triste soir !Les dernières maisons de Metzeral brûlent. » (Belmont 1916)

 

22 juin 1915

 

11e BCA. Metzeral.

« Les Allemands, sans doute épuisés, n’ont manifesté aujourd’hui aucune velléité de contre-attaque. (…)

Avant-hier soir, nous avions relevé sur les positions avancées du Braun-Kopf une autre compagnie du bataillon. Hier matin vers 9 heures est arrivé l’ordre de se tenir prêt à marcher et à progresser en liaison avec le 22e bataillon qui faisait l’attaque de Metzeral. Depuis plus de deux heures notre grosse artillerie écrasait littéralement ce malheureux village. A 10 heures le mouvement a commencé. Ma compagnie était la primée engagée, immédiatement à la gauche du 22e qui pénétrait déjà dans les ruines de Metzeral.

Le terrain sur lequel nous avions à manoeuvrer était très coupé et accidenté, de sorte que les vues y étaient très courtes. Pour me conformer au mouvement du 22e que j’avais l’ordre d’appuyer, j’ai engagé les quatre sections de ma compagnie en lignes de petites colonnes par un, prêtes à se déployer. Et on a marché, et très bien marché. (….) Des shrapnells sifflaient sans interruption sur nos têtes, tandis que les éclatements assourdissants des grosses marmites nous environnaient de tous côtés ; si bien que c’est surtout par les obus que nous avons eu des pertes.

Nous sommes arrivés ici au contact des Boches qui, mal retranchés et déjà ébranlés, ont cédé devant nous. Mais avant de se retirer vers les buissons du bas de la vallée, ils ont tiré quelques coups de fusil presque à bout portant : c’est ainsi que deux sous-lieutenants sont tombés à la tête de leur section. (…). Capdepon est l’un deux. (…) Les trois autres chefs de section de la compagnie sont tombés, eux aussi, dont l’un était un très jeune adjudant (il n’avait pas 18 ans) (….) très brillant et qui devait faire bientôt un excellent officier. » (Belmont 1916)

 

23 juin 1915

 

11e BCA. Metzeral.

« Les Boches sont décidément aplatis ; ils ne donnent plus guère signe de vie depuis hier. Inutile d’ajouter que les cadavres qu’ils ont laissés devant nous donnent d’évidents signes de mort. En patrouillant la nuit dans les buissons, on trouve un peu partout des sacs, des fusils abandonnés et un tas d’objets de toutes sortes : casques, équipements, capotes, outils et jusqu’à des bouteilles de vieux bordeaux, les unes vides, les autres non encore débouchées ; ils n’ont pas eu le temps de tout boire avant de se sauver. Du moins, ils ont trinqué autrement qu’avec du bordeaux. Pour se venger, leur artillerie nous arrose de marmites ; mais maintenant que nous sommes terrés, elle ne nous fait pas grand mal : beaucoup de bruit pour pas grand’chose. » (Belmont 1916)

 

26 juin 1915

 

11e BCA. Metzeral.

« Décidément, il parait que les Boches n’ont pas bien envie de venir se frotter à nous. Depuis que notre mouvement s’est arrêté, on ne les voit ni ne les entend ; on croirait qu’ils sont partis à l’anglaise, n’étaient leurs canons qui, jour et nuit, nous distribuent quelques ferrailles, ou leurs fusées lumineuses qui jaillissent du soir au matin des lisières du Bois Noir, dont on ne tardera peut-être pas à les déloger. » (Belmont 1916)

 

 

Date de création : 11 septembre 2023

2e modification : 26 décembre 2023



01/11/2023
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