Clausewitz. De la guerre. IV. L'engagement (NDL)

Livre IV. L'engagement.

 

Chapitre I. Aperçu général.

 

La constitution de l'engagement est de nature tactique.

 

Chapitre II. Caractère de la bataille moderne.

 

« Que se passe t-il actuellement dans une grande bataille ? On prend tranquillement position par grosses masses rangées les unes à côté des autres et les unes derrière les autres. On ne déploie qu'une partie relativement faible de l'ensemble, que l'on laisse s'exténuer durant de longues heures au feu du combat. Celui ci étant interrompu de temps en temps par quelques petits ébranlements consistants en pas de charge, en assauts de cavalerie, ou à la baïonnette qui le déplacent légèrement ici ou là. Lorsque cette partie a peu à peu épuisé de la sorte sa flamme guerrière et qu'il n'en reste que des scories, on la retire et on la remplace par une autre (…). Lorsque la nuit impose le repos (…) on fait le bilan des effectifs (…..) de part et d'autre (…) On tient compte du terrain qui a pu être gagné ou perdu et de la sécurité des arrières ; ces résultats joints aux marques de courage et de lâcheté, de perspicacité ou de sottise que l'on croit avoir discernées chez soi et chez l'adversaire, se résument, ensuite en une seule impression d'ensemble qui nous dicte alors la décision d’abandonner le champ de bataille ou de reprendre l'engagement le lendemain matin. »

 

Chapitre III. L'engagement en général.

 

« Engagement signifie combat, et le véritable but du combat est d'anéantir ou de vaincre l'adversaire. »

 

« Tout engagement petit ou grand, a son objectif propre, subordonné à l'ensemble. »

 

Dominer l'ennemi. « Ce n'est que toujours que la destruction de sa force militaire par mort ou blessure, ou par tout autre moyen, que la destruction soit intégrale ou seulement suffisante pour lui interdire de continuer à combattre. (…..) Il faut considérer la destruction de l'ennemi comme la chose principale non seulement de toute la guerre, mais encore de chaque engagement. »

 

« La question de savoir si une attaque simple sera plus efficace qu'une attaque complexe savante peut être tranchée en faveur de cette dernière tant que l'adversaire est censé rester parfaitement passif. Mais toute attaque complexe exige plus de temps dont il faut pouvoir disposer sans qu'une contre-attaque dirigée contre l'une des parties ne compromette ensemble au cours de la préparation de l'effet escompté. Or si l'adversaire se décide à une attaque simplifiée, exécutée en peu de temps, il nous gagnera de vitesse et bousculera nos plans. En examinant la valeur d'une attaque compliquée, il faut donc tenir compte des périls auxquels on s'expose durant sa préparation et ne l'adopter qu'à condition de ne pas courir le risque de voir l’adversaire bouleverser nos plans par une attaque plus prompte. »

 

Chapitre IV. L'engagement en général (suite).

 

La différence des pertes humaines subies au cours de l'engagement par le vainqueur et le vaincu est rarement très grande. Les pertes les plus importantes pour le vaincu surviennent souvent au cours de la retraite. « C'est ainsi que le plus souvent la victoire ne prend corps qu’après coups. »

 

Les deux principales causes de retraite sont la perte de terrain et le manque de réserves fraîches. Mais il ne faut pas aussi négliger le manque de cohésion entre les ensembles qui manœuvrent.

 

« Tout engagement est donc une compétition sanglante et destructrice des forces, aussi bien physiques que morales. Est vainqueur celui qui, à la fin, dispose encore de la plus grande somme des unes et des autres. Dans l'engagement, les pertes morales sont la cause principale de la décision. »

 

Mais les pertes morales peuvent se reconstituer après coups, alors que les pertes humaines et matérielles sont définitivement perdues.

 

Un élément fondamental à prendre en compte dans un engagement est la sécurité de notre ligne de retraite et la mainmise sur celle de l'ennemi.

 

3 éléments concourent à l'idée de victoire.

 

- L'ennemi a subi de plus grandes pertes d'ordre physique (humaines et matérielles)

 

- L'ennemi a subi de plus grandes pertes d'ordre moral.

 

- L'ennemi le reconnaît ouvertement et renonce à ses intentions.

 

Chapitre V. Signification de l'engagement.

 

Engagement offensif. Il a pour but.

 

- Destruction des forces armées de l'ennemi.

 

- Conquête d'un lieu

 

- Conquête d'un objet.

 

Engagement défensif. Il a pour but.

 

- Destruction des forces armées de l'ennemi.

 

- Défense d'un lieu.

 

- Défense d'un objet.

 

D'autres formes d'engagement.

 

- Dans les reconnaissances où l'on cherche à obtenir que l'ennemi se découvre.

 

- Dans les alertes où l'on cherche à le fatiguer.

 

- Dans les démonstrations destinées à empêcher de quitter une position ou de se porter sur une autre.

 

Chapitre VI. Durée de l'engagement.

 

La durée d'un engagement est nécessairement liée à ses principaux éléments constitutifs.

 

- Quantité absolue des forces.

 

- Rapport réciproque des forces et des armes.

 

- Nature du terrain.

 

« Il s'ensuit que la force, le rapport entre les armes employées et la position doivent être pris en considération si l'engagement doit remplir un but par sa durée. »

 

Chapitre VII. La décision de l'engagement.

 

« Tout engagement est un tout dans lequel les engagements partiels se combinent en un résultat global. C'est dans ce résultat global que réside la décision de l'engagement. »

 

« Même lorsque l'on détient une supériorité très nette et que l'on pourrait prendre sa revanche sur la victoire ennemie par une plus grande, il est toujours préférable de prévenir la fin d'un mauvais engagement, pour peu qu'il ait quelque importance, afin de provoquer un revirement, plutôt que d'en livrer un second. »

 

« Le résultat d'un engagement ne doit pas constituer le motif d'un autre. Ce nouvel engagement doit être déterminé par de nouvelles conditions. Mais à cette conclusion s'opposent d'autres forces morales dont il faut tenir compte : c'est le sentiment de vengeance et de représailles. Du commandant en chef au moindre tambour, ce sentiment existe, et c'est pourquoi une troupe n'est jamais animée d'un meilleur esprit que lorsqu’il s’agit de régler un compte. A condition toutefois que la partie vaincue ne constitue pas une partie trop considérable de l’ensemble sinon ce sentiment se perdrait dans celui de l'impuissance. »

 

Chapitre VIII. Consentement des deux parties à l’engagement.

 

Aucun engagement ne peut avoir lieu sans consentement mutuel et il est difficile d’imposer l'engagement à un adversaire qui veut et qui peut s'y dérober. Les deux seuls moyens de l’imposer sont l'encerclement qui permet de couper la retraite et l'effet de surprise.

 

Chapitre IX. La bataille principale. Sa décision.

 

Définition. C'est une lutte du corps principal engagé avec le maximum d'efforts pour une victoire réelle. Il faut toujours considérer celle ci comme le centre de gravité de la guerre, et dans l'ensemble son caractère distinctif est que, plus que tout autre engagement elle existe par elle même.

 

L'ordre de bataille « n'est que la disposition des forces en vue de faciliter leur emploi, et le déroulement de la bataille est une lente usure mutuelle de ces forces qui révélera quel est celui des deux adversaires qui s'épuisera le premier. »

 

La proportion de réserves fraîches est le facteur déterminant de la décision finale. Mais à partir du moment où ces réserves commencent à devenir plus faibles que celles de l'ennemi, la décision doit être considérée comme acquise.

 

Chapitre X. La bataille principale. Les effets de la victoire.

 

L'issue d'un grand engagement exerce des effets moraux plus considérables sur le vaincu que sur le vainqueur. Elle mine les forces du vaincu et stimule la vigueur et l'activité du vainqueur.

 

« Avant la bataille, il y avait un équilibre réel ou imaginaire entre les deux camps ; cet équilibre est rompu, et pour le rétablir il faut une cause extérieure. En l'absence de cet appoint extérieur tout nouvel effort n'engendrera que de nouvelles pertes. Ainsi la moindre victoire de l'armée principale fera constamment pencher la balance en sa faveur jusqu’au moment où de nouvelles conditions extérieures entraîneront un revirement (….) Cependant ces conséquences de la victoire sur la marche de la guerre elle même dépendent en partie du caractère et du talent du commandant victorieux (…) Si le commandant manque d'audace et d'esprit d'entreprise, la victoire la plus éclatante restera sans grand résultat. »

 

Chapitre XI. La bataille principale. L'usage de la bataille.

 

Définition de la guerre.

 

1. « La destruction des forces armées de l'ennemi est le principe suprême de la guerre et la voie principale vers le but pour tout ce qui concerne l'action positive. »

 

2. Cette destruction s'effectue principalement par l'engagement.

 

3. Seuls de grands engagements généraux produisent de grands résultats.

 

4. C'est la fusion des engagements en une seule grande bataille qui donne les plus grands résultats.

 

5. Seules les batailles principales sont commandées par le général en chef, et il est naturel qu'il préfère en assumer la direction lui même.

 

« La bataille principale doit donc être considérée comme une guerre concentrée, comme le centre de gravité de toute guerre et de toute campagne. »

 

Plus la guerre prend figure de véritable guerre où l'animosité et la haine se donnent libre cours, plus elle devient une lutte pour la suprématie de l'un ou de l'autre, plus toute l'activité se concentre dans le combat sanglant et d'autant plus grande est l'importance que prend la bataille principale. »

 

« La bataille principale est donc la solution la plus sanglante. » C'est pour cela que les généraux et les gouvernements se sont efforcés de tout temps d'éviter ce type de bataille et qu'ils ont essayé d'atteindre leur but par d'autres moyens.

 

L'intensité de la victoire dépend de 4 éléments :

 

- De la forme tactique sous laquelle la bataille est livrée.

 

- De la nature du terrain.

 

- Du rapport proportionnel entre les 3 armes (infanterie, cavalerie, artillerie).

 

- Du rapport de force.

 

« C'est donc dans la manière de se procurer les moyens de la livre, dans l'habileté avec laquelle on en détermine le temps et le lieu, dans l'orientation des troupes, dans l'usage que l'on fait de son succès, c’est dans tout cela que réside la sagesse stratégique suprême. »

 

Chapitre XII. Moyens stratégiques d’utiliser la victoire.

 

« Quelles que soient les circonstances, jamais une victoire ne peut avoir de grandes répercussions si elle n'est pas exploitée (…) La poursuite d'un adversaire battu commence dès l'instant où celui ci, abandonnant la lutte, quitte la place. »

 

Au moment où les deux camps s'affrontent dans la bataille, leurs forces physiques se trouvent généralement très affaiblies. La partie victorieuse est presque aussi désorganisée que la partie vaincue. Or si la force vaincue ne représente qu'une fraction secondaire, que d'autres fractions peuvent récupérer, ou si elle peut espérer recevoir des renforts importants, le vainqueur peut se voir frustré de sa victoire.

 

La poursuite de l'ennemi comporte plusieurs stades :

 

- Poursuite de cavalerie qui agit plutôt pour intimider et observer l'ennemi. Efficace contre des petits groupes ou des groupes désorganisés, elle l'est beaucoup moins contre l'ensemble d'une armée.

 

- Poursuite avec une forte avant-garde composée de toutes les armes.

 

- Avance de l'armée victorieuse jusqu'à épuisement de ses forces.

 

Au moindre danger d'attaque ou d'encerclement, l'armée vaincue abandonne alors la plupart des positions qu'elle occupait et l'arrière garde s'abstiendra bien plus encore de tenter une résistance à outrance.

 

Dans les 3 cas, la nuit met généralement fin à l'acte, car dans un engagement de nuit, tout est plus ou moins livré au hasard.

 

La nuit accorde au vaincu un temps de répit et la possibilité immédiate de se regrouper, ou une étape d'avance s'il poursuit sa retraite durant la nuit. Par conséquent si le vainqueur peut continuer à poursuivre l'adversaire pendant la nuit, fut ce au moyen d'une forte avant garde de toutes armes, la victoire aura des effets bien plus considérables (le prestige de la victoire ne doit jamais faire publier la destruction de l'ennemi qui est le but ultime).

 

« L'énergie avec laquelle la poursuite est effectuée détermine essentiellement la valeur de la victoire, que cette poursuite soit un deuxième acte de la victoire plus important en bien des cas que le premier. »

 

Dans la poursuite ultérieure on distingue 3 stades :

 

- Une simple avance à la suite de l'ennemi. Celle ci n'augmente pas le degré de désorganisation de l'ennemi et peut l'inciter à contre-attaquer lorsqu'il aura réuni de nouvelles forces.

 

- Une véritable pression exercée sur lui, c'est dire attaquer son arrière-garde avec notre avant-garde chaque fois que cela est possible. Ces actions peuvent dégénérer en panique. Ce harcèlement atteint son maximum d'effet lorsqu'il oblige l'adversaire à effectuer des marches de nuit.

 

- Une marche parallèle en vue de lui couper la retraite. Toute armée battue garde derrière elle un point qu'elle essayera d'atteindre. Si le vainqueur se dirige vers ce point par une voie de traverse, cela peut inciter le vaincu à accélérer sa retraite qui peut se transformer en précipitation voire en fuite. Dans ce dernier cas le vaincu n'a que trois solutions.

 

- Faire front et tenter d'obtenir un succès inattendu.

 

- Accélérer la retraite, mais aussi accélérer la décomposition et l'épuisement de l'armée.

 

- Contourner les points d'interception, mais cela créé généralement un surcroît d'embarras.

 

« Chaque fois que l'on peut se permettre d'adopter ce moyen (la poursuite de l'ennemi), il agit comme une machine très puissante. Il fait perdre à l'armée vaincue une quantité si disproportionnée de malades et d'hommes exténués, la crainte constante d'une ruine imminente dégrade et use son moral à tel point qu'à la fin, il n'est même plus question de résistance en règle. »

 

Chapitre XIII. Retraite après une bataille perdue.

 

« La perte d'une bataille brise le ressort moral de l'armée plus encore que son ressort physique. Sauf changement favorable des circonstances, une seconde bataille se solderait par une défaite complète, voire l'anéantissement (….) La retraite se poursuit jusqu'au moment ou l'équilibre des forces se rétablit, que cet équilibre soit dû à un renfort, à la protection de forteresses importantes, à un terrain fortement accidenté ou à la dispersion ds forces ennemies. »

 

« Il est indispensable de reculer avec une lenteur toujours réticente et de s'opposer avec vaillance et courage à toute tentative du poursuivant et tirer profit excessif de ses avantages. »

 

« Toute bataille perdue est un facteur d'affaiblissement et de désagrégation et le besoin le plus urgent est de ses concentrer, et de retrouver dans cette concentration, de l'ordre ainsi qu'un regain de courage et de confiance. L'idée de harceler l'ennemi sur ses deux flancs par des corps séparés au moment où il exploite sa victoire est une véritable hérésie. »

 

Chapitre XIV. L'engagement de nuit.

 

« Fondamentalement, toute attaque de nuit n'est qu'un assaut par surprise au second degré. »

 

« Ce que l'assaillant connaît du défenseur en cas d'attaque de nuit suffit rarement, sinon jamais, à remplacer l'absence d'observation directe. Le défenseur possède même un petit avantage sur l'assaillant dans le fait qu'il se sent plutôt chez lui sur le terrain qui constitue sa position (….) Il sait comment trouver chaque partie de ses forces et peut les atteindre plus facilement que l'assaillant ne peut trouver les siennes (…..) On ne doit recourir à l'attaque de nuit que pour des motifs particuliers (…) en règle générale, l'attaque de nuit se produit seulement dans des engagements de second ordre et rarement dans une grande bataille. »

 

Les motifs d'un engagement de nuit :

 

1. Une imprudence ou une audace tout à fait extraordinaire de l'ennemi, fait très rare généralement compensé par une supériorité morale considérable lorsqu'il se produit.

 

2. La panique dans l'armée ennemie ou plus généralement une telle supériorité morale de la nôtre qu'elle suffit à elle seule à remplacer la direction des opérations.

 

3. Quand il s'agit de percer les lignes d'une armée ennemi de force supérieure qui nous enveloppe. A ce moment là tout dépend de la surprise et la seule idée d'échapper permet une concentration de forces bien plus grande.

 

4. Dans des cas désespérés, lorsque la disproportion de nos forces avec celles de l'ennemi est telle que seul un coup d'audace extraordinaire nous permet d'entrevoir la possibilité d'un succès.

 

« La plupart des engagements de nuit sont d'ailleurs préparés de façon à s'achever à la levée du jour, de sorte que seuls l'approche et le premier assaut se font souvent sous le couvert de la nuit.

 



04/07/2014
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