Clausewitz. De la guerre. VI. La défense. (NDL)

Livre VI. La défense.

 

 

Chapitre I. Attaque et défense.

 

1. Le concept de défense.

 

« Qu'est ce que le concept de défense ? Parer un coup. Quel est alors sont signe caractéristique ? L'attente de ce coup. C'est ce signe qui donne à toute chose un caractère définitif, et seul ce signe peut en guerre distinguer la défense de l'attaque. Mais dans la mesure où une défense absolue contredit entièrement le concept de la guerre, car la guerre serait alors menée que d'un seul côté, il en découle qu'en guerre la défense ne peut être que relative. »

 

« La forme défensive de la guerre n'est donc pas un simple bouclier, mais un bouclier formé de coups habilement donnés. »

 

2. Avantages de la défensive.

 

L'objet de la défense est de conserver. « Il est plus facile de conserver que d'acquérir ; d'où il suit immédiatement que les moyens étant supposés égaux des deux côtés, la défense est plus facile que l'attaque. »

 

« La forme défensive de guerre est en soi plus forte que l'offensive. »

 

Chapitre II. Rapports mutuels de l'attaque et de la défense en tactique.

 

Les circonstances qui donnent la victoire au cours d'un engagement :

 

- La surprise qui produit son effet quand on oppose à l'ennemi sur un point particulier beaucoup plus de troupes qu'il en attendait.

 

- L'avantage du terrain. Il y a avantage si le terrain nous permet d'y mettre des troupes en ligne sans être vus.

 

- L'attaque par plusieurs côtés, comprend tous les mouvements tactiques petits et grands et ses effets découlent en partie de l'efficacité doublée du feu, et en partie de la crainte qu'à l'ennemi d'être coupé.

 

« Comment l'offensive et la défensive sont elles alors en rapport mutuels avec ces choses ? »

 

- « L'assaillant n'a que l'avantage de l'attaque par surprise de l'ensemble par l'ensemble, tandis que le défenseur est en état de surprendre à tout moment, pendant tout le cours de l'engagement, par la force et la forme qu'il donne à ses attaques. »

 

- « L'assaillant a plus de facilités que la défense pour encercler et couper le tout, car celui ci est sur une position fixe, tandis que le premier est en mouvement par rapport à cette position. Mais ce mouvement enveloppant ne peut s'appliquer qu'à l'ensemble, car au cours de l'engagement et pour des parties séparées, une attaque de plusieurs côtés est plus facile pour le défenseur que pour l'assaillant, parce que, comme nous venons de le dire le défenseur est dans une meilleure position pour surprendre par la force et la forme de ses attaques. »

 

- Le défenseur est favorisé par le terrain car il peut cacher sa position et rester presque invisible à l'assaillant jusqu'au moment décisif.

 

Chapitre III. Rapports mutuels de l'attaque et de la défense en stratégie.

 

Les principes directeurs de l'efficacité stratégique.

 

1. L'avantage du terrain.

 

2. La surprise, que ce soit sous forme d'un assaut par surprise réelle ou par la mise en place inattendue de forces supérieures sur certains points.

 

3. L'attaque à partir de plusieurs bases.

 

4. Le soutien du théâtre de guerre par des forteresses et tout ce qui en dépend.

 

5. Le soutien de la population.

 

6. L'usage de grandes forces morales.

 

Les rapports de l'attaque et de la défense en fonction de ces principes.

 

Le défenseur à l'avantage du terrain et l'assaillant celui de l'attaque par surprise, mais la surprise est un moyen beaucoup plus effectif et important en stratégie qu'en tactique.

 

En stratégie, les attaques de flanc et d'arrière qui concernent alors les côtés et le revers du théâtre de guerre changent profondément de nature.

 

1. On ne peut pas prendre l'ennemi entre deux feux, car on ne peut tirer d'une extrémité du théâtre de guerre sur l'autre.

 

2. La crainte de perdre sa ligne de retraite est beaucoup plus faible, car en stratégie les espaces sont si grands qu'ils ne peuvent être barrés comme en tactique.

 

3. En stratégie étant donné la grandeur des espaces considérés, l'efficacité des lignes intérieures, qui sont plus courtes, est bien plus considérable ; c'est une grande compensation aux attaques venant de plusieurs côtés.

 

4. Un nouveau principe apparaît : la sensibilité des lignes de communication, c'est-à-dire l'effet produit par leur simple interruption.

 

« On ne peut lancer une attaque enveloppante en stratégie avec la probabilité d'un succès quelconque si l'on ne tient pas compte de son effet sur les lignes de communication. »

 

« Le soutien fourni par le théâtre de guerre est naturellement un avantage à l'actif de la défensive. Si l'armée assaillante ouvre la campagne, elle perce loin de son propre théâtre et s'affaiblit, c'est-à-dire qu'elle laisse derrière elle ses forteresses et ses dépôts en tous genres. Plus est étendue la sphère des opérations qu'elle doit traverser, plus l'armée assaillante sera affaiblie. »

 

Chapitre IV. Caractère concentrique de l'attaque et excentrique de la défense.

 

« En tactique comme en stratégie on considère que le défenseur attend l'ennemi et cela en se tenant sur place, tandis que l'assaillant est en mouvement et en mouvement relatif à cette station sur place. Il en découle nécessairement que l'assaillant est tout à fait libre de tourner et d'envelopper, du moins tant qu'il continue à se mouvoir alors que le défenseur ne bouge pas. »

 

« L'un des principaux avantages que l'on acquiert en donnant une direction convergente aux forces, c'est à dire en opérant de la circonférence d'un cercle vers son centre est que plus les forces progressent, plus elles se concentrent. » Autre avantage : En se déplaçant sur des lignes convergentes, elles opèrent sur un point commun.

 

Avantages de ces modes d'opération en tactique :

 

1. Un effet du feu doublé ou en tout cas augmenté du moins dès que la concentration atteint un certain point.

 

2. Attaque d'une seule et même partie en partant de plusieurs côtés.

 

3. Coupure de la retraite.

 

« Une fois que le défenseur a adopté le principe de mouvement (….) l'avantage d'une plus grande concentration et des lignes intérieures devient tout à fait décisif, et en général plus efficace que la forme convergente d'attaque pour conduire à la victoire. »

 

« L'avantage des lignes intérieures s’accroît avec les espaces où figurent ces lignes » (plus l'espace est grand, plus l'avantage est important).

 

Chapitre V. Caractère de la défense stratégique.

 

« La défense n'est rien d'autre qu'une forme plus forte de la conduite de la guerre grâce à laquelle nous cherchons à atteindre la victoire, pour passer à l'attaque, c'est-à-dire l'objectif positif de la guerre, dès que nous aurons conquis la supériorité. »

 

« Si le défenseur a emporté un avantage important, la défense a joué son rôle ; il doit alors rendre le coup sous la protection de cet avantage s'il ne veut pas s’exposer à quelque défaite. »

 

« Un conquérant est toujours ami de la paix. Il voudrait bien faire son entrée dans notre Etat sans opposition. Pour l'en empêcher, nous devons choisir la guerre et par conséquent faire à l'avance nos préparatifs. En d'autres termes, c'est justement le camp le plus faible celui qui doit se défendre qui doit toujours être armé pour ne pas être surpris. »

 

Chapitre VI. Etendue des moyens de la guerre.

 

1. Landwehr (réserve).

 

« Les avantages d'une vraie landwehr, qui est un réservoir de forces beaucoup plus vaste, beaucoup moins limité dans son domaine, est que l'on peut grossir avec bien plus de facilité par des appels à l'esprit national et au patriotisme. »

 

2. Forteresses.

 

« Une forteresse soumise au siège et capable d'y résister jette naturellement un plus grand poids dans la balance de la guerre que celle dont la force des défenses interdit même l'idée de sa capture et qui par conséquent n'occupe ni ne détruit aucune force ennemie. »

 

3. Le peuple.

 

« L'influence totale des habitants d'un pays sur la guerre est cependant loin d'être insignifiante, même s'il ne se produit pas un vrai soulèvement général du peuple. »

 

4. Le soulèvement national.

 

« Un appel national aux armes peut-être cité comme un moyen particulier de défense. »

 

5. Les alliés.

 

« Les alliés sont le dernier soutien du défenseur » (ceux qui sont par essence intéressés au maintien de l'intégrité d'un pays).

 

Chapitre VII. Action réciproque de l'attaque et de la défense.

 

 

« Le concept de guerre n'apparaît pas proprement avec l'attaque car celle ci n'a pas tant pour objectif absolu le combat que la prise de possession de quelque chose. Ce concept apparaît d'abord avec la défense, car celle ci a pour objectif direct le combat, parer et combattre n'étant évidemment qu'une seule et même chose. »

 

Chapitre VIII. Méthodes de résistance.

 

 

La défense se compose de deux parties : l'attente et l'action.

 

« Une action de défense (…) ne sera pas formée, en ce qui concerne le temps, de deux moitiés, (….) mais d'une alternance de ces deux états ou l'attente court comme un fil continu à travers l'action défensive entière. »

 

« La défense est la forme la plus forte de la guerre, qui nous permet de dominer l'ennemi plus aisément, et que nous laissons aux circonstances le soin de décider si cette victoire doit ou ne doit pas aller au delà de l'objectif que se fixait la défense. Mais comme la défense est inséparable de l'idée de l'attente, l'objectif de la défaite de l'ennemi ne peut exister que conditionnellement, c'est à dire seulement si l'attaque fait suite à l'attente (…). Si cette attaque n'a pas lieu, la défense se contentera de maintenir ce qu'elle possède. »

 

« Si nous supposons une armée dont le théâtre de guerre est disposé pour la défense, la défense pourrait avoir lieu de la façon suivante. »

 

En attaquant l'armée ennemie dès qu'elle pénètre sur le théâtre de guerre.

 

En prenant position tout près de la frontière et en attendant que l'ennemi paraisse avec l'intention de s'y attaquer afin de l'attaquer alors.

 

L'armée prenant position de façon à attendre non seulement que l'ennemi se prépare à livrer bataille, c'est-à-dire qu'il apparaisse sur le front de notre position, mais aussi qu'il attaque réellement. Dans ce cas, il faudra livrer une vraie bataille défensive qui pourra cependant impliquer (…) un mouvement offensif d'une ou de plusieurs parties de l'armée.

 

En transférant la résistance de l'ennemi au cœur du pays. L'objectif de cette retraite est de causer ou d'attendre un affaiblissement de l'ennemi, tel qu'il doive arrêter de lui même son avance, ou se montre au moins incapable de dominer la résistance que nous opposons finalement à son progrès. Ce cas se présente sous sa forme la plus simple et la plus claire si le défenseur peut laisser derrière lui une ou plusieurs de ses forteresses que l’assaillant est obligé d'assiéger ou de bloquer (ce qui provoque un affaiblissement des forces de l'assaillant) (….) Mais même si l'on n'a pas de forteresses, cette retraite à l'intérieur peut donner graduellement au défenseur l'égalité ou la supériorité dont il a besoin. »

 

On peut penser qu'une défense plus forte est possible sur une position plus forte et convenablement retranchée. Si les forces ennemies sont à demi épuisées, le contre coup consécutif sera lui aussi plus efficace.

 

Mais ces avantages de la force croissante de la force défensive sont obtenus avec des sacrifices qui augmentent dans la même proportion.

 

« Par conséquent dans les trois premiers types de défense, c'est à dire si celle ci a lieu à la frontière, la non décision est en elle même un succès pour la défense. Mais il n'en n'est pas ainsi avec le quatrième type. Si l'ennemi assiège nos forteresses, nous devrons les dégager à temps ; c'est à nous qu'il reviendra de chercher la décision par une action positive. C'est aussi le cas si l'ennemi nous a suivi à l'intérieur du pays sans assiéger aucune de nos places. »

 

« Tant que le défenseur se renforce chaque jour et que l'assaillant s'affaiblit, l'absence de décision est favorable au premier. Cependant dès que le point culminant est atteint (…..) c'est au défenseur de prendre l’initiative et à forcer la décision. »

 

Qu'est ce que la décision en général ? « On peut la concevoir comme un certain nombre de combinaisons d'engagements de corps séparés, qui mènent à une transformation de toute l'affaire, soit en donnant lieu réellement à une opération sanglante, soit en rendant la retraite de l'ennemi nécessaire par suite des effets probables de cette opération. »

 

« Il existe dans la défense deux sortes de décision et, par conséquent, deux sortes de réaction selon que l'assaillant sera épuisé par l'épée du défenseur ou par ses propres efforts (…) Le premier genre de décision prédomine dans les trois premières formes de défense, et le second genre dans la quatrième forme. »

 

« Partout où la stratégie n'a pas dirigé tout son effort vers l'écrasement de l'adversaire dans ce combat grâce à une force supérieure, partout où elle s'est aventurée dans des expédients plus subtils (et plus faibles), elle a été déchirée en tout sens comme une toile d'araignée. »

 

« Toute combinaison stratégique repose seulement sur les résultats tactiques et ceux ci, acquis par le sang ou non, sont les causes fondamentales et réelles de la décision dans tous les cas. »

 

« L'inefficacité de la plupart des attaques à sa cause dans les conditions suprêmes de la guerre, celles de la politique. »

 

« La cause des fréquents succès que le défenseur obtient sans effusion de sang réside dans la faiblesse de la volonté avec laquelle l'assaillant avance un pied hésitant. »

 

Chapitre IX. La bataille défensive.

 

Conception de la bataille défensive. « Le défenseur attend l'attaque sur sa position ; dans ce but il a choisi et aménagé un terrain convenable, c'est-à-dire qu'il s'est bien familiarisé avec le lieu, qu'il a construit des retranchements solides sur quelques uns des points les plus importants (….) Pendant que les forces antagonistes se consument mutuellement aux points où elles entrent en contact, un front plus ou moins fort dont l'approche est rendue difficile par une ou plusieurs tranchées parallèles et autres obstacles, ou par la présence de quelques forts points dominants, lui permet de détruire un grand nombre d'ennemis avec une petite partie de ses forces, aux différents stades de la défense jusqu'au cœur de la position. Les points d'appui qu'il a fourni à ses ailes le protègent contre une attaque brusque venant de plusieurs directions ; le terrain couvert qu'il a choisi pour sa position incite l'ennemi à la prudence, et même à la timidité, et donne à la défense les moyens de diminuer par des attaques partielles et concentrées le mouvement général de retraite qui débute dès que l'engagement se concentre peu à peu dans des bornes plus étroites. »

 

Organisation de la position. « La position est établie en profondeur, car chaque partie de l'échelle graduée de l'ordre de bataille, de la division au bataillon, a une réserve en vue d’événements imprévisibles et d'une reprise de l'engagement. En même temps il conserve une masse importante, un quart à un tiers de l'ensemble, à l'arrière, loin de la bataille, assez loin pour qu'il ne puisse être question de pertes dues au feu de l'ennemi et si possible assez loin pour ne pas risquer d'être encerclé par l'ennemi. (...)

Au tiers (le dernier) lorsque le plan de l'assaillant est pleinement développé et qu'il a usé la plupart de ses troupes, le défenseur jette cette masse sur une partie de l'armée ennemie et prononce contre elle sa propre offensive plus réduite, en usant de toutes les ressources de l'attaque (….) et grâce à cette pression contre le centre de gravité de la bataille, qui est encore en balance, il force une retraite générale (….)

Dans cette bataille, le mouvement tournant général par lequel l'assaillant prétend donner la meilleure chance à son attaque tout en rendant son succès plus complet, trouvera sa riposte dans un mouvement tournant subordonné du défenseur contre la partie des forces assaillantes qui opère son propre mouvement tournant. »

 

« Dans une bataille offensive, l'armée ennemie est encerclée et l'action est orientée vers son centre, tandis que dans une bataille défensive l'action va plus ou moins du centre à la circonférence dans le sens des rayons. »

 

« Si l'assaillant a le moyen d'accroître sa victoire grâce aux lignes convergentes qui lui sont plus naturelles, le défenseur acquiert aussi grâce à la forme divergente qui lui est naturelle un moyen de faire produire à sa victoire de plus grands effets qu'il n'en attendrait sur une simple position parallèle et par une attaque frontale. »

 

Un faux axiome. « Les batailles défensives devraient en réalité se borner à parer les attaques, et non chercher la destruction de l'ennemi. »

« Nous maintenons sans réserve que dans la forme de guerre que nous appelons défense, la victoire n'est pas seulement plus probable mais qu'elle doit aussi atteindre la même ampleur et la même efficacité que dans l'attaque. »

 

Chapitre X. Les forteresses.

 

L'efficacité d'une forteresse tient à deux éléments différents :

 

« Un élément actif qui protège la place et tout ce qu'elle contient. Cet élément actif réside dans les assauts livrés par la garnison à tout ennemi qui dépasse une certaine limite. Plus la garnison est importante, plus les détachements appelés à se battre seront numériquement forts ; et plus ils seront forts, plus ils iront loin en général. D'où il faut conclure que la sphère d'action d'une grande forteresse est non seulement plus intense, mais plus étendue que celle des petites. »

 

« Un élément passif qui exerce une certaine influence sur les environs situés au delà de la portée de ses canons. »

 

Les forteresses sont les premiers et principaux soutiens de la défense.

 

1. Comme dépôts de provisions bien protégés.

 

2. Comme protection des richesses d'une grande ville.

 

3. Comme verrou proprement dit. Elles barrent les routes et très souvent aussi les fleuves sur lesquels elles sont situées.

 

4. Comme points d'appuis tactiques. Les forteresses sont toujours les meilleurs points d'appuis de l'aile d'une position.

 

5. Comme étape, pour tout ce qui circule sur les lignes de communication du défenseur.

 

6. Comme refuge de corps de troupes faibles ou défaits. La forteresse peut souvent assurer quelques jours de répit sans interdire toute retraite.

 

7. Comme véritable bouclier contre l'attaque ennemie. Les forteresses que le défenseur laisse devant lui brisent l'assaut ennemi. Celui ci doit les entourer, ce qui exige, si la garnison est brave presque deux fois plus de troupes.

 

8. Comme protection de quartiers très étendus :

 

a) La place elle même verrouille une des routes principales et couvre réellement une largeur de 3 à 4 milles.

 

b) Il faut la considérer comme un avant poste de force exceptionnelle qui permet d'observer le territoire à la perfection.

 

c) Les petits corps qui s'appuient sur elle, et y trouvent protection et sûreté peuvent faire de temps en temps des sorties pour rapporter des informations ou pour opérer sur les arrières de l'ennemi.

 

d) Après avoir rassemblé ses troupes, le défenseur peut prendre position directement derrière la forteresse, si bien que l'assaillant ne peut pénétrer jusqu'à cette position sans que la forteresse menace ses arrières.

 

9. Comme couverture d'un territoire non occupé, car si l'ennemi n'enlève pas la forteresse, il ne dominera pas la province, ce qui donnera le temps de venir la défendre.

 

10. Comme centre d'une insurrection nationale. Une importante forteresse rend toute résistance plus solide, plus cohérente et plus continue.

 

11. Pour la défense des fleuves et des montagnes. C'est au bord d'un fleuve qu'une forteresse répond aux besoins les plus nombreux et qu'elle tient la place la plus importante. En montagne l'importance des forteresses est à peu près la même. Elles ouvrent et ferment des voies de communication

 

Chapitre XI. Les forteresses (suite).

 

Des questions importantes :

 

Quelle route principale faut-il choisir quand les voies qui relient les deux pays excèdent le nombre de celles qu'on veut fortifier ?

L'endroit qui marquera le point d'attaque le plus naturel sera aussi celui que nous choisirons pour organiser notre défense. « Parmi les grandes routes qui conduisent du pays ennemi au no^tre, nous fortifierons donc de préférence celle qui mène en ligne droite au cœur de notre pays, ou celle qui, en raison de la richesse des provinces, d'un fleuve navigable etc.. facilite le plus l'entreprise de l'ennemi. »

 

Les forteresses ne doivent elles être placées que le long de la frontière, ou doivent elles être réparties dans tout le pays ?

« Cette question est superflue pour les petits Etats, car ce qui s'appelle frontière en stratégie coïncide à peu près chez eux à l'ensemble du territoire. Plus l'Etat est grand, plus la nécessité de répondre à cette question est impérieuse. La réponse la plus naturelle est que les forteresses étant destinées à défendre le pays leur place est à la frontière, et que le pays est défendu tant que les frontières le sont. »

Mais des limites. « Toute défense qui dépend surtout de l’assistance étrangère accorde plus de valeur au gain de temps. Il faut plus de temps pour s'emparer de forteresses dispersées sur tout le territoire et comprenant de vastes surfaces, que de celles qui se suivent de près le long d'une frontière. La fortification de la capitale est essentielle si les circonstances le permettent. Les centres commerciaux, les fleuves, les montagnes et autres accidents de terrain offrent l'avantage de nouvelles lignes de défense ; maintes villes, en raison de leur situation naturellement forte se prêtent particulièrement bien à la fortification. Certains établissements comme les fabriques de munitions méritent la protection d'un ouvrage fortifié. Tout cela démontre qu'il y a toujours des raisons plus ou moins valables de construire des forteresses à l'intérieur du pays. »

 

Quelles sont les conditions géographiques du pays qui méritent de retenir l'attention ?

« Un groupe de deux, trois ou quatre forteresses à quelques jours de marche d'un centre commun, confère à ce point et à l'armée qui s'y trouve une telle force qu'un bastion stratégique de ce genre ne laisse pas de nous tenter. »

 

Chapitre XII. La position défensive.

 

« Toute position sur laquelle on accepte de livrer bataille, en se servant du terrain comme moyen de protection, est une position défensive ; peu importe que notre attitude soit passive ou plutôt offensive. »

 

Sur une position ordinaire, c'est le concept de temps qui intervient. Les armées avancent pour se rencontrer et le lieu est une chose secondaire, auquel on demande seulement de ne pas être inadéquat. Pour une véritable position défensive, c'est le concept de lieu qui domine. La décision doit être obtenue en tel lieu, ou plutôt grâce à ce lieu.

 

« Or le lieu à une double fonction : d'abord une force armée placée à cet endroit exerce une certaine influence sur l'ensemble ; ensuite le lieu sert à cette force armée de protection et de moyen de renforcement. »

 

Deux conceptions différentes.

 

Contournement d'une position. Il se rapporte à ses fronts et se fait soit en vue d'une attaque de flanc ou même sur ses arrières, soit pour couper ses lignes de retraite et de communication. L'attaque de flanc ou sur les arrières est de nature tactique. Toute position doit être prête à y parer, et pour mériter le qualificatif de position forte, non seulement son front devra être fort, mais ses flancs et ses arrières, dans la mesure où ils seront menacés, devront permettre de bonnes combinaisons d'engagements. Si l'assaillant tourne la position dans l'intention de couper les lignes de retraite et de communication, nous avons à une opération stratégique ; il s'agit alors de savoir combien de temps la position pourra résister et s'il n'est pas possible de battre l’ennemi sur son propre terrain.

 

Débordement d'une position. Si l'assaillant sans se soucier de la force armée défensive qui l'attend fait avancer sa force principale sur une autre voie, tout en poursuivant son objectif, il déborde la position. S'il réalise ce débordement, il nous oblige à quitter instantanément la position devenue inutile.

 

Pour une position défensive, deux nécessités stratégiques en résultent.

 

Qu'elle ne soit pas débordée et que les relations entre les lignes de communication favorisent la forme de l'engagement. Car les lignes de communication ont une influence non seulement sur la possibilité ou l'impossibilité de déborder une position, de lui couper les vivres ou non, mais encore sur toute l'évolution de la bataille.

 

Qu'elle présente un avantage pour le défenseur dans la lutte pour les lignes de communication et que la configuration générale du terrain soit avantageuse. Le défenseur devra tenter avant tout d’avoir une vue d'ensemble sur son adversaire, de façon à pouvoir rapidement se jeter sur lui à l'intérieur de sa position. Lui sont donc défavorables :

Les points dominés par un terrain.

Toutes ou la plupart des positions de montagne.

Toutes les positions dont un des flancs s'appuie sur une montagne, car celle ci facilite à l'assaillant l'enveloppement (mais rend le débordement plus difficile).

 

Lorsque la nature n'est pas favorable, il faut l'améliorer par des retranchements.

 

« L'idéal d'une position défensive est celle qui dissimule le mieux sa force et nous fournit la meilleure occasion de surprendre l'ennemi par nos combinaisons. »

 

Chapitre XIII. Positions fortifiées et camps retranchés.

 

Position fortifiée. « Position que la nature et l'art rendent si forte qu'il faut la considérer comme imprenable. »

 

« Une position fortifiée a donc pour but de rendre la force militaire qui y stationne pratiquement inattaquable et de protéger en fait un secteur donné ou la force armée qui y stationne, directement, afin d'utiliser ces forces pour protéger ensuite indirectement le pays d'une autre manière. »

 

« S'il faut tenir le territoire avec une force armée bien retranchée, celle ci dot se protéger contre enveloppement en établissant des fronts en toutes directions, pour elle même et sa position. »

 

3 moyens de défense différents.

 

1. Les lignes fortifiées. L'obstacle qu'elles présentent à l'attaquant n'a aucune valeur, à moins qu'il soit défendu par un feu puissant. Comme les lignes de ce genre lient les forces qui les occupent à la défense locale et les privent de toute mobilité, l'idée de vouloir s'en servir contre un ennemi entreprenant n'est pas une bonne idée.

 

2. Les positions fortifiées. Le seul moyen de maintenir une force dans un pays attaqué par un adversaire très supérieur est de la protéger par une position inattaquable, un espace réduit.

 

3. Les camps retranchés de forteresses. Ils présentent les particularités suivantes :

 

- Ces camps peuvent rendre le siège de la forteresse impossible ou très difficile.

- Aux abords d'une forteresse, ils peuvent être établis pour de plus petits corps de troupes qu'en rase campagne.

- Ils peuvent servir au rassemblement et à l'entraînement de forces armées qui ne sont pas encore assez solides pour être mises en contact avec l'ennemi.

- L'inconvénient qu'ils présentent est de nuire plus ou moins à la forteresse quand celle ci ne peut être garnie.

 

En résumé : Les positions fortifiées et retranchées sont :

1. D'autant plus indispensables que le pays est petit, qu'il y a moins de place pour échapper à l'ennemi.

2. D'autant moins dangereuses que l'on peut compter avec certitude sur un secours ou une relève provenant d'autres forces armées, ou sur l'arrivée de la mauvaise saison, sur une insurrection populaire, une pénurie etc..

3. D'autant plus efficaces que la violence élémentaire de la poussée ennemie est faible.

 

Chapitre XIV. La position de flanc.

 

« Toute position qu'il faut tenir même quand l'ennemi la déborde est une position de flanc car, dès qu'elle est débordée, elle ne peut avoir d'action que sur le flanc stratégique de l'ennemi. Toutes les positions fortifiées sont donc forcément des positions de flanc, car du moment que l'ennemi ne peut les attaquer, il est donc obligé de les déborder. »

 

« Il serait encore plus erroné de nommer positions de flanc les positions qui ne supportent pas d'être débordées, et à partir desquelles le défenseur tente d'attaquer l'assaillant de flanc (….) Car cette attaque de flanc n'a rien à voir avec la position elle même. »

 

« Une position de flanc qui n'est pas inattaquable est un instrument extrêmement efficace, mais par la même fort dangereux. En tenant l'assaillant en échec, on obtient un résultat important avec une dépense de force insignifiante (…..) Mais si l'effet est trop faible, si l'assaillant n'est pas arrêté, le défenseur aura plus ou moins sacrifié sa retraite. »

 

Chapitre XV. La défense en montagne.

 

Importance énorme des chaînes de montagne sur la conduite de la guerre, surtout pour la défense.

 

Les deux raisons de cette importance.

 

- La difficulté d'une marche par grandes colonnes.

 

- L'efficacité des petits postes défendus par la pente et les gorges (surtout si le choix est judicieux)

 

« La principale question qui se pose (…) c'est de savoir si la résistance qu'oppose la défense en montagne doit être relative ou absolue ; si elle est destinée à durer quelque temps seulement ou doit aboutir à une victoire décisive. Dans le premier cas, le territoire montagneux est excellent ; il introduit dans la résistance un principe de force très puissant ; dans le second cas il est en général tout à fait inopérant et n'a d'efficacité qu'en certaines circonstances. En montagne tous les monuments sont plus lents et plus difficiles ; ils exigent par conséquent plus de temps (….) Tant que l'assaillant, et lui seul, est en mouvement, le défenseur possède un avantage très net, mais dès que le défenseur doit appliquer lui aussi le principe du mouvement, cet avantage disparaît. »

 

« On confond souvent terrain impraticable et terrain inaccessible. Là où une colonne, où l'artillerie et la cavalerie sont incapables de marcher, l'infanterie peut encore avancer. »

 

Le but véritable des grands engagements généraux, la victoire positive, doit aussi être le but de la défense en montagne. Le terrain montagneux convient-il ?

« Le terrain montagneux est un principe meurtrier (pour) deux raisons (….) L'absence de routes offrant les moyens de se mouvoir rapidement en toutes directions d'arrière en avant. Même l'attaque tactique par surprise est amortie par l'inégalité du terrain, ensuite l'impossibilité d'avoir une vision d'ensemble du territoire et des mouvements de l'ennemi. »

 

Ajout d'une troisième raisons. « Le danger d'être coupé. La montagne favorise la retraite effectuée sous la pression qui s'exerce tout le long du front et l'ennemi obligé de nous tourner perd beaucoup de temps, mais ces avantages ne comptent pourtant qu'en cas de défense relative, et nullement en cas de bataille décisive (….) L'ennemi mettra un peu plus de temps à atteindre avec ses colonnes de flanc les points menaçants ou ceux qui nous coupent la retraite. Mais une fois qu'il les aura atteints, il n'y aura plus de secours possible. »

 

Chapitre XVI. La défense en montagne (suite).

 

1. La montagne comme champ de bataille.

 

« Bien loin de voir dans le terrain montagneux un refuge pour le défenseur en cas de bataille décisive, nous conseillons donc plutôt au général de s'en abstenir coûte que coûte (…) La bataille prend un tour nettement différent de la bataille en plaine ; la position est plus étendue, presque toujours deux ou trois fois plus, la résistance est beaucoup plus passive et la riposte plus faible. »

 

« Pour des engagements de signification et d'importance mineure la montagne peut au contraire être infiniment utile car il ne s'agit pas alors d'une résistance absolue entraînant des conséquences décisives. » Les buts de cette réaction.

a) Le simple gain de temps.

b) La riposte à une simple démonstration ou à entreprise accessoire de l'ennemi.

c) Une démonstration de notre part.

d) En général la montagne convient à toutes les positions sur lesquelles on ne veut pas accepter de bataille principale.

e) La montagne est enfin le véritable élément de l’insurrection populaire. Mais celle ci exige toujours l'appui de petits corps appartenant à l'armée régulière.

 

2. L'influence de la montagne sur d'autres parties du territoire.

 

Une fois occupée par l'ennemi la montagne ralentit l'avance beaucoup plus que la plaine. Pour la montagne importance de connaître son appartenance. « La possession d'un terrain peut changer du jour au lendemain (….) En montagne, il n'en n'est pas de même. Des forces mêmes inférieures, peuvent résister efficacement ; c'est pourquoi si l'on veut s'assurer un secteur qui comprend des montagnes, les opérations nécessaires pour s'en emparer exigent de grands sacrifices de temps et d'efforts. »

 

« Toute la montagne exerce une influence sur les environs qu'elle surplombe. Cette influence peut être instantanée dans une bataille, ou se faire sentir après un certain temps seulement sur les lignes de communication. »

 

3. La montagne considérée comme barrière stratégique.

 

Deux éléments à prendre en compte.

 

Dans une bataille décisive car la montagne qui constitue une barrière munie de quelques ouvertures oblige les forces ennemies à se diviser dans leur avance, ce qui permet aux forces amies concentrées derrière la montagne d'attaquer certaines forces ennemies isolées et de les vaincre. « L'assaillant ne peut avancer sur une seule colonne sans risquer une bataille décisive qui ne lui laisse qu'une seule ligne de retraite. »

 

La montagne peut jouer un rôle contre les lignes de communication ennemies lorsqu'elle les coupe. « Compte non tenu de la fortification des passages au moyen de fortins, ni de ce qui peut se produire en cas d'insurrection nationale, de mauvaises routes de montagne en mauvaise saison peuvent faire le désespoir d'une armée. »

 

4. La montagne et le ravitaillement des troupes.

 

« En tactique autant qu'en stratégie la montagne est ordinairement défavorable à la défense, étant bien entendu que cette défense est décisive (…) Elle obstrue la vue et empêche les mouvements en toute direction ; elle impose la passivité et nous force à boucher tous les accès, ce qui mène toujours plus ou moins à une guerre de cordons (…..) Mais lorsqu'elle est destinée à remplir des buts et à tenir un rôle secondaire, nous pensons que la montagne contient au contraire un principe de force (…) Elle est le véritable refuge des faibles, c'est-à-dire de ceux qui ne sont plus en mesure de rechercher une décision absolue. »

 

Chapitre XVII. La défense en montagne (suite).

 

Lorsque la montagne est parallèle au front défensif, la défense doit avoir lieu « en haut de ce rempart, c'est-à-dire sur le plateau qui couronne la montagne. »

 

Si la chaîne est plus perpendiculaire au front de défense, « un de des bras principaux formerait une défense orientée parallèlement à une vallée principale jusqu'au sommet séparateur qui en serait le point terminal. »

 

Tactiquement deux éléments :

 

- La défense des pentes raides.

 

- La défense des vallées étroites. C'est dans ce cas que la résistance est presque toujours la plus efficace. Elle permet de défendre la montagne, même lorsqu'il n'y a pas de moyen de prendre position au sommet. 

 

« L'idée d'une ligne de défense plus ou moins régulière, coïncidant avec l'une des lignes géologiques fondamentale, doit être entièrement abandonnée. Une chaîne de montagne ne doit être considérée que comme une surface traversée d'inégalités et d'obstacles de toutes sortes qui la divisent en parties dont on cherche à faire le meilleur usage possible. »

 

Si l'on veut à tout prix disposer des forces armées en montagne, c'est dans les vallées qu'il faut les mettre, car les sommets ne sont accessibles que par quelques sentiers et généralement les distances sont trop grandes pour que les fusils soient efficaces.

 

Chapitre XVIII. La défense des rivières et des fleuves.

 

Rivières et fleuves appartiennent aussi à la catégorie des barrières stratégiques. Mais deux particularités.

 

Si la défense d'un fleuve est forcée en un point quelconque, il ne peut y avoir de défense ultérieure durable.

 

Les combinaisons qu'ils permettent en vue d'une bataille décisive sont en certains cas excellentes et en général meilleures qu'en montagne.

 

Trois formes ou degrés de défense.

 

1. Une défense directe qui interdit le passage. « Le temps nécessaire pour jeter un pont détermine la distance à laquelle les corps appelés à défendre le fleuve doivent être disposés les uns par rapport aux autres. La longueur totale de la ligne de défense divisée par ces distances donnera le nombre de corps nécessaires ; si l'on divise la masse de troupes disponibles par ce nombre on obtient la force de chaque détachement. En comparant la force de chaque corps au nombre de troupes que l'ennemi aura pu faire passer pendant la construction du pont, et en usant d'autres moyens, on pourra juger si la résistance peut être envisagée avec quelque chance de succès ou non. »

 

3 circonstances décisives :

La largeur du fleuve.

Les moyens de traverser.

La force du défenseur.

 

Les détachements chargés de la défense du fleuve devront prendre position au bord même du fleuve. « Considéré comme une ligne de défense, le fleuve doit disposer à ses extrémités de droite et de gauche de points d'appuis tels que la mer, un territoire neutre, ou bien quel qu’autre obstacle de nature à empêcher l'ennemi de traverser la ligne de défense à son point extrême. Or comme ces points d'appui et ces obstacles sont très éloignés les uns des autres (….) toute défense fluviale directe revient toujours à un système de cordon (….) Lorsqu'un contournement est possible, la défense directe du fleuve (…..) est toujours une entreprise extrêmement dangereuse. » Les fleuves sont plus faciles à traverser là où les routes y mènent et des affluents s'y jettent, dans les grandes villes qu'ils traversent et surtout grâce aux îles. Les corps stationnés près des fleuves doivent pouvoir circuler le long des rives (aménagement de chemins parallèles) »

 

Les forteresses « servent non seulement à empêcher le passage dans leur voisinage en amont ou en aval, mais à barrer les affluents et à intercepter rapidement les moyens de passage. »

 

Mais cette défense ne peut aboutir à une victoire décisive « d'une part parce qu'elle ne vise pas à interdire le passage à l'ennemi, mais à écraser les premières troupes massives qu'il aura réussi à faire passer de notre côté ; d'autre part parce que le fleuve nous empêche de transformer les premiers avantages acquis en une victoire complète grâce à une sortie vigoureuse. »

 

Par contre cette défense peut faire gagner du temps (le temps de rassembler les moyens de passage) et lorsque les intentions de l'ennemi ne sont pas sérieuses, le fleuve représente une protection efficace.

 

2. Une défense plutôt indirecte, le fleuve et sa vallée servant seulement de moyen à une meilleure combinaison de la bataille.

 

« Elle consiste à prendre position plus en retrait et à une distance qui nous laisse la possibilité de rencontrer l'armée ennemie soit divisée au moment de sa traversée si elle la fait simultanément en plusieurs points, soit près du fleuve, resserrée sur un pont ou sur une route si elle l'a franchi à une seul endroit. L'armée dont les arrières sont comprimés au bord d'un fleuve important ou dans une vallée profonde, se trouve en très mauvaise position de bataille. »

 

« Si les circonstances ne sont pas assez avantageuses à la défense, si l'ennemi dispose déjà de moyens de traversée trop nombreux, si le fleuve a beaucoup d'îles voire d'endroits guéables, s'il n'est pas assez large, si nous sommes trop faible (….) en ce cas le fleuve (ou la vallée) doit être surveillé et faiblement défendu par une chaîne d'avant-poste, tandis que l'armée sera disposée par corps aux bons endroits à quelque distance du fleuve (généralement à quelques heures). » L'obstacle qui peut faire échouer le défenseur c'est l'allongement excessif de sa ligne.

 

3. Une défense tout à fait directe, par occupation d'une position inattaquable sur la rive ennemie du fleuve.

 

Elle se fonde sur la menace qu'elle fait peser sur l'ennemi. Il ne peut s'agir que de grandes rivières et la position du défenseur doit être extrêmement bien fortifiée, presqu'inattaquable, sinon nous irions à la rencontre de l'ennemi en renonçant à nos avantages. Cette forme de défense a donné naissance à un moyen de défense particulier, applicable aux deux autres. « L'occupation d'un pont et d'une tête de pont, destinés à faire subsister la menace d'une traversée. »

 

Chapitre XIX. La défense des rivières et des fleuves (suite).

 

Quand une rivière coule à une faible distance derrière une armée défensive cela permet d'assurer la sécurité de ses arrières.

 

Par contre « quand l'armée offensive, doit en avançant laisser une rivière dans son dos, celle ci ne fera que gêner ses mouvements, car elle limite les communications de l'armée à quelques points de passage. »

 

Chapitre XX. A. La défense des marais.

 

Les mesures à prendre sont à peu près les mêmes que pour les rivières, mais des particularités :

 

- A l'exception de ses digues, un marais est tout à fait impraticable à l'infanterie et il est donc beaucoup plus difficile à traverser que n'importe quelle rivière.

 

- On ne peut y abandonner complètement les moyens de passage, car on peut complètement les détruire.

 

« Mais ces marais et terrains en contre bas sont généralement infiniment plus larges que les plus grands fleuves. Par conséquent un poste établi pour en défendre le passage ne risque jamais d'être anéanti par le feu de l'autre côté. »

 

Il est extrêmement dangereux de s'aventurer dans la défense de ces marais quand en dehors des digues, ils ne sont pas absolument impraticables. Il suffit du moindre moyen de passage pour que l'ennemi ouvre une brèche dans notre ligne de défense. »

 

B. Les inondations.

 

Avantages des inondations volontaires des terrains :

 

- « L'assaillant est limité à un petit nombre de voies d'approche qui longent des digues assez étroites et qui par surcroît, sont souvent bordées à droite et à gauche de fossés remplis d'eau, formant ainsi un défilé infiniment long et dangereux. »

 

- Sur une pareille digue n'importe quelle mesure de défense peut très facilement entraîner une invincibilité complète.

 

- Le défenseur, limité comme il l'est, s'en tient à la défense la plus passive, même pour un point isolé, et n'attend son salut que de cette résistance passive.

 

- Il ne saurait être question d'une seule ligne de défense fermant le pays comme une simple barrière : l'obstacle à l'approche destiné à protéger les flancs étant partout le même, on peut sans cesse établir de nouveaux postes de sorte, que si une partie de la première ligne de défense s'effondre, on peut la remplacer par une autre.

 

Chapitre XXI. La défense des forêts.

 

« Dès qu'il s'agit d'une ligne de défense, il faut laisser les forêts derrière soi ou les éviter à tout prix. Plus que l'assaillant, le défenseur a besoin d'une vue libre. »

 

« Un terrain boisé ne peut donc jamais se présenter sous un jour favorable aux engagements défensifs, sauf s'il se trouve sur les arrières du défenseur et dissimule ainsi à l'ennemi ce qui se passe dans le dos du défenseur tout en couvrant et en facilitant la retraite de celui ci. »

 

« Les forêts impraticables que l'on ne peut traverser que par certaines voies, offrent à la défense indirecte les mêmes possibilités que la montagne d'engager la bataille dans de bonnes conditions. Derrière une forêt, l'armée en position plus ou moins concentrée, peut attendre l'ennemi pour se jeter sur lui au moment où il débouche des défilés (….). Mais la défense directe des forêts mêmes impénétrables, est une entreprise hasardeuse. Car les abatis ne sont que des barrières imaginaires et aucune forêt n'est si impraticable que de petits détachements ne puissent y pénétrer par cent endroits. »

 

Chapitre XXII. Le cordon.

 

Le terme de cordon « s'applique à toute mesure de défense destinée à protéger directement tout un secteur au moyen d'une ligne continue de postes. »

 

« Une ligne de défense assez longue pour couvrir directement un vaste secteur ne peut avoir qu'une très faible capacité de résistance (…) Un cordon ne peut donc servir qu'à protéger une position contre un assaut assez faible, que cette faiblesse soit due à une volonté déficiente ou à l'insuffisance des forces de combat. »

 

« On peut considérer comme de véritables cordons toutes les lignes d'avant-postes très étendues qui couvrent les quartiers d'une armée et qui doivent offrir une certaine résistance en cas de besoin. Cette sorte de résistance est souvent destinée à prévenir des incursions et autres petites opérations menaçant la sécurité de certains quartiers ; si le terrain s'y prête, elle peut y suffire. En cas d'avance de la force principale de l'ennemi, cette résistance ne peut être que relative, c'est à dire destinée à gagner du temps. »

 

« En montagne, toute possession de terrain dépend de sa défense locale ; un point menacé ne peut pas être atteint très vite, et une fois que l'ennemi l'a occupé, celui ci n'est pas facile à déloger au moyen d'une force supérieure. En montagne on sera donc toujours amené à établir une position qui, sans être un véritable cordon, s'en rapproche du fait qu'elle forme une file de postes de défense. »

 

« Une guerre de cordon, engagée avec la force principale ne doit donc pas être considérée comme une forme de guerre délibérément choisie pour arrêter tout assaut des forces ennemies, mais comme une situation dans laquelle l'armée est tombée sans le vouloir en poursuivant un tout autre but : l'occupation et la protection du pays contre un ennemi qui n'a pas l'intention d'entamer une action décisive. »

 

Chapitre XXIII. Clé de pays.

 

« S'il existe une contrée sans la possession de laquelle on ne commettra jamais l'imprudence de pénétrer dans le pays, c'est elle que l'on pourra désigner à juste titre comme la clé du pays. »

 

« La meilleure clé de pays se trouve entre les mains de l'armée ennemie et, pour que le concept de terrain domine celui de la force ennemie, il faut que les conditions soient exceptionnellement favorables. » Deux effets principaux :

 

- L'armée établie sur un terrain acquiert grâce à l’assistance de ce terrain une force de résistance tactique considérable.

 

- La position doit menacer efficacement les lignes de communications de l'ennemi avant qu'il ne puisse menacer les nôtres.

 

Chapitre XXIV. Action contre un flanc.

 

Le flanc stratégique est la partie latérale du théâtre de guerre.

 

« Bien que l'opération de flanc stratégique se conçoive dans l'attaque comme dans la défense, il a pourtant beaucoup plus d'analogie avec la seconde, et se range donc parmi les moyens de défense. »

 

« Dans l'action contre un flanc stratégique, il faut distinguer l’opération dirigée uniquement contre les lignes de communication de celle qui vise la ligne de retraite, qui, elle peut impliquer une action contre les lignes de communications. »

 

L'action engagée contre les lignes de communication l'est contre tous les moyens qui sont nécessaires à la vigueur et au bon état de l'armée ennemie. Elle vise donc à affaiblir cette armée et à la contraindre à la retraite.

 

L'action engagée contre la ligne de retraite ennemie a pour but de couper cette retraite à l'armée ennemie. Mais deux conditions capitales.

 

- Utilisation de faibles moyens pour qu'il n'y ait pas de répercussion sur le front.

 

- « Que l'armée ennemie ait atteint le terme de son avance, qu'une nouvelle victoire sur nous ne présente donc aucun intérêt pour elle, ou quelle soit incapable de nous poursuivre si nous rompions le contact pour éviter un engagement. »

 

« La longueur considérable, la direction oblique et le territoire ennemi sont les circonstances principales dans lesquelles les lignes de communication d'une armée peuvent être interrompues par une force ennemie relativement faible. »

 

« Quand l'avance ennemie est interrompue pour une autre raison que la résistance de notre armée, quelle que soit cette raison, notre armée ne devra plus craindre de s'affaiblir par des expéditions et des détachements importants. »

 

L'opération contre un flanc est surtout efficace :

 

1. Dans la défense.

 

2. Au moment où la campagne touche à sa fin.

 

3. Quand la retraite a lieu vers l'intérieur du pays.

 

4. En cas de levée en masse.

 

Ces actions doivent être exécutées par des partisans habiles, par de faibles détachements qui prennent hardiment l'initiative, s'attaquant à de faibles garnisons et convois ennemis, aux groupes égaillés. »

 

« Quand l'action qui consiste à couper la retraite ennemie n'est pas une pure démonstration mais répond à des intentions sérieuses, elle ne peut aboutir qu'à une bataille décisive, ou du moins à des conditions qui permettent une bataille décisive. »

 

« Quand toutes nos forces sont employées à tourner l'ennemi, le danger consiste à exposer nos propres arrières. »

 

Chapitre XXV. Retraite à l'intérieur d'un pays.

 

« Les forces militaires d'un assaillant sont toujours affaiblies par l'avance elle même (…..) Cet affaiblissement de l'avance s'accentue quand l'adversaire n'a pas été battu, quand il se retire de plein gré avec l'ensemble de ses forces intactes, quand il oppose une résistance constante et bien mesurée et que chaque pouce de terrain n'est cédé qu'au prix du sang, de sorte que l'avance ressemble plutôt à une pénétration incessante qu'à une simple poursuite. »

 

« Quand une armée, fut elle la meilleure du monde est obligée de se retirer jusqu'au cœur du pays, après une bataille perdu, elle subit de ce fait des pertes disproportionnées ; quand l'ennemi jouit d'une supériorité considérable (…..) et que sa poursuite est très vigoureuse (….) on assiste très vraisemblablement à une véritable débandade ce qui équivaut généralement à l'effondrement total de l'armée entière. Une résistance quotidienne bien calculée, c'est-à-dire une résistance qui ne dure chaque fois que le temps nécessaire pour maintenir le combat en état d'équilibre, et où l'on évite la défaite en cédant au bon moment le terrain contesté, un tel combat coûtera au moins autant d'hommes à l'assaillant qu'au défenseur. »

 

« L'armée en retraite à la possibilité de stocker à l'avance ses vivres dans tous les endroits qu'elle traverse tandis que celle qui la poursuit doit tout faire suivre par convois (….). Il est donc hors de doute que dans un grand pays et quand l'inégalité entre les deux belligérants n'est pas trop importante, il s'établit un rapport de force où les chances de succès sont infiniment plus grande pour le défenseur qu'en cas de bataille décisive à la frontière du pays (….) Au terme de son avance, la situation de l'assaillant est en effet souvent telle que même une bataille gagnée peut l'obliger à se retirer parce qu'il manque d'élan pour parfaire et exploiter sa victoire, et qu'il n'est pas en mesure de remplacer les troupes perdues. »

 

Mais ce mode de défense possède aussi deux grands inconvénients :

 

Les pertes que l'avance ennemie fait subir au pays.

 

Le moral (impression morale provoquée par la retraite).

 

« Empêcher que le pays subisse des pertes, voilà qui ne doit jamais constituer un des objectifs généraux de la défense. Une paix avantageuse, voilà l'objectif. »

 

Si le général doit poursuivre son plan, il ne doit jamais sous estimer l'impression morale provoquée par une retraite.

 

« Une grande étendue de terrain ou du moins une longue ligne de retraite, est la condition essentielle et fondamentale ; car une avance de quelques journées de marche ne suffit pas à affaiblir totalement l'ennemi. »

 

Les circonstances les plus favorables :

 

- Un terrain peu cultivé.

 

- Un peuple loyal et combatif.

 

- La mauvaise saison.

 

« L'affaiblissement de l'ennemi causé par notre retraite augmentera proportionnellement à la masse de nos troupes. »

 

1. L'entretien et l'hébergement de l'ennemi deviennent plus difficiles.

 

2. L'avance se ralentit à mesure que les masses augmentent ; par conséquent il faut plus de temps pour parcourir le chemin de l'agression, ce qui accroît la somme des pertes quotidiennes.

 

3. Plus les masses s'accroissent, plus les efforts que les tâches et stratégiques exigent quotidiennement deviennent pénibles.

 

Le mode d'exécution d'une retraite.

 

- Vers l'intérieur du pays et aboutir si possible à un point où nos provinces encadreront l'ennemi.

 

- En cas de position latérale, la capitale ou tout autre lieu que l'on tient à préserver du conflit doit être capable d'un minimum de résistance, pour ne pas se voir investir et pillé par la moindre bande de partisans.

 

Une fois fixée la direction dans laquelle l'ennemi doit être attiré vers l'intérieur du pays, l'armée principale devra être orientée dans cette même direction. Il ne faudra pas expédier de forts contingents en direction latérale :

 

1. Parce que cela divise les forces.

 

2. Parce que l'adversaire dispose alors de l'avantage d’opérer sur des lignes intérieures. Il pourra mieux se concentrer que nous.

 

3. Parce qu'en règle générale l'action convergente contre l'ennemi ne convient pas au plus faible.

 

4. Parce qu'une pareille position a pour effet d'éliminer complètement certaines faiblesses de l'assaillant.

 

« Il n'y a qu'une seule raison qui puisse justifier une retraite excentrique : la protection de territoires qui en cas contraire tomberaient sous la coupe de l'ennemi. »

 

« En règle générale, le repli vers l'intérieur du pays doit donc s'opérer sous les yeux de l'ennemi avec le maximum de lenteur, au moment où nos forces ne sont pas encore divisées ni vaincues ; leur résistance constante impose à l'ennemi un état d'alerte permanent ainsi que des mesures de précaution stratégiques et tactiques d'une ampleur ruineuse. »

 

Chapitre XXVI. L’armement du peuple.

 

« La guerre du peuple est, dans l'Europe civilisée, un phénomène apparu au XIXe siècle (….) Ses adversaires (….) la considèrent d'un point de vue politique comme un moyen révolutionnaire, un état d'anarchie légalisée, aussi dangereux pour l'ordre social à l'intérieur que pour l'ennemi, ou estiment du point de vue militaire que ses succès ne sont pas proportionnés à la dépense de force. »

 

« Il faut observer qu'une guerre du peuple en général doit être considérée (…..) comme une extension et un renforcement de toute cette fermentation que nous appelons la guerre (….) dans la plupart des cas, la nation qui fait un usage judicieux de ces moyens acquerra une supériorité sur ceux qui négligent de s'en servir. »

 

Les conditions qui rendent efficaces une guerre populaire.

 

1. La guerre doit être drainée vers l'intérieur du pays.

 

2. Une catastrophe unique ne doit pas suffire à trancher son sort.

 

3. Le théâtre de la guerre doit embraser une étendue considérable du territoire

 

4. Les mesures prises doivent correspondre au caractère national.

 

5. Le pays doit être d'un genre coupé ou inaccessible, qu'il soit montagneux, boisé ou marécageux, ou en raison du mode particulier de culture.

 

Mais « les masses populaires armées ne peuvent ni ne doivent être employées contre le corps principal de l'ennemi, ni même contre des corps importants quelconques. »

 

« La guerre populaire, comme quelque chose de vaporeux et de fluide, ne doit se condenser nulle part en un corps solide ; sinon l'ennemi envoie une force adéquate contre ce noyau, le brise et fait de nombreux prisonniers (….) (elle) sert à créer un état de malaise et de crainte et augmente l'impression morale de l'ensemble (….) Les meilleures conditions et la forme la plus efficace d'armement du peuple consistent en petits détachements prélevés sur l'armée. »

 

« Aucun Etat ne doit admettre que son destin, c'est-à-dire son existence même dépende d'une seule bataille, aussi décisive puisse t-elle être. S'il a été battu, l'appel de forces fraîches et l'affaiblissement naturel que toute offensive entraîne à la longue peuvent produire un retour de fortune, ou bien l'aide peut venir de l'extérieur (…) Si petit et faible que soit un Etat comparé à son ennemi, on peut dire qu'il aura perdu toute son âme s'il renonce à un dernier et suprême effort. Cela n'exclut pas la possibilité d'échapper à la destruction complète par une paix qui impose des sacrifices ; mais cette tentative n'écarte pas l'utilité de nouvelles mesures de défense et celles ci ne rendront pas la paix plus difficile ni pire, mais plus aisée et meilleure. Elles sont encore plus nécessaires si l'on peut s'attendre à une aide de la part de ceux qui sont intéressés au maintien de notre existence politique.

Par conséquent tout gouvernement qui ne songera après la perte d'une grande bataille, qu'à permettre rapidement au peuple de jouir des avantages de la paix, et, dominé par le sentiment de l'espoir déçu, ne trouve plus en lui le courage et le désir d'aiguillonner la moindre de ses forces, commet en tout cas par faiblesse une incohérence grossière ; il montre qu'il ne mérite pas la victoire, et que peut-être son attitude le rendait tout à fait incapable de l'emporter. »

 

Chapitre XXVII. Défense d'un théâtre de guerre.

 

« D'après notre conception, la défense n'est que la forme la plus forte du combat. La préservation de nos propres forces et l’anéantissement de celles de l'ennemi, en un mot la victoire, sont l'objet de ce combat ; toutefois celle ci n'est pas son but final.

Ce but est la préservation de notre propre état et le renversement de celui de l'ennemi ; c'est à dire en un mot, la paix recherchée, car ce n'est que par elle que le conflit se règle et se conclut par un résultat commun. »

 

L'Etat ennemi est représenté avant tout par sa force militaire. Ensuite il s'agit de son territoire.

 

« Il n'est pas besoin de l'écrasement complet de l’armée pour trancher le sort du pays ; un affaiblissement considérable de sa force militaire suffit ordinairement à entraîner une perte de territoire. D'un autre côté, toute perte considérable de territoire n'entraîne pas une diminution proportionnelle de la force militaire. Elle y parviendra sans doute à la longue, mais pas toujours dans l'intervalle de temps où la décision de la guerre se produira.

Il suit de là que la préservation de notre propre puissance militaire et l'affaiblissement ou la destruction de celle de l'ennemi ont plus d'importance que la possession du territoire, et qu'ils sont donc l'objet primordial pour lequel doit lutter le général en chef. »

 

« Toute victoire engendre sa sphère d'influence ; si celle ci s'étend à la totalité de l'Etat ennemi et par conséquent à l'ensemble de sa force militaire (…..) Cette victoire est tout ce que nous cherchons et la division de nos forces n'aurait aucune justification. Mais si notre victoire n'a aucun effet sur certaines parties de la force militaire de l'ennemi et du pays qui appartient à l'un ou l'autre camp, il faudra accorder une attention particulière à ces parties (…...) Il faudra donc diviser nos forces pour attaquer ou défendre ces parties. »

 

La sphère d'influence d'une victoire dépendra de l'ampleur de celle ci, qui à son tour dépend du nombre de troupes conquis. Le coup qui produira le plus grand effet doit être porté contre la partie du pays où les unités les plus nombreuses de l'ennemi sont concentrées.

 

« Reconnaître les centres de gravité de la force militaire ennemie, discerner leurs sphères d'action, est donc l'une des fonctions principales du jugement stratégique. Nous devons sans cesse nous demander quel effet l'avance ou la retraite d'une partie de nos forces produira sur les autres parties. »

 

Chapitre XXVIII. Défense d'un théâtre de guerre (suite).

 

La défense consiste en deux éléments différents :

 

La décision.

 

L'attente.

 

« La défense d'un théâtre de guerre consistera pour le défenseur à se placer de telle façon qu'il puisse offrir avantageusement la décision à tout moment, que cette décision soit recherchée par lui ou par l'assaillant. Cette solution exige la plus grande concentration de nos forces, mais aussi l'occupation d'une position qui permette de livrer bataille dans des conditions favorables. »

 

« Si le défenseur a pris la bonne position, il peut être à peu près certain que l'assaillant marchera à sa rencontre. »

 

Si l'assaillant passe à côté de la position du défenseur, ce dernier peut :

 

1. « Diviser ses forces dès le début, pour être sur d'atteindre l'assaillant avec une partie d'entre elles, puis de courir soutenir cette partie avec l'autre. Mais sur une position où nos forces sont divisées, il y a toujours danger d'être entraîné à une guerre de postes, d'où ne peut découler, si l'adversaire est résolu qu'une forte défense relative et jamais la décision que nous souhaitons. »

 

2. « Etablir sa position avec sa force réunie et si l'assaillant la dépasse pousser rapidement sur son front par un mouvement latéral. On aura rarement le temps de faire ce mouvement directement contre un flanc ; il faudra donc établir la nouvelle position un peu plus en arrière ; Mais cette manœuvre implique le risque d'arriver trop tard et d'être coincé entre deux mesures. De plus une bataille défensive exige du calme et de l'examen et l'on ne peut guère attendre de tout cela un hâtif mouvement oblique contre un flanc. »

 

3. « Attaquer l'ennemi de flanc avec toute sa force. »

 

4. « Opérer contre ses lignes de communication. Mais si l'on opère contre les communications de l'ennemi, il faut que les nôtres soient supérieures. De plus les dimensions d'un seul théâtre de guerre sont rarement assez grandes pour que les lignes de communication de l'assaillant soient exposées par leur longueur à un grand danger. »

 

5. Faire exactement à l'ennemi ce qu'il nous a fait en contre-attaquant sur son théâtre de guerre.

« Tout assaillant qui tente de dépasser son adversaire est pris entre deux tendances complètement opposées. Son premier désir est d'avancer pour saisir l'objet de son attaque ; mais la possibilité d'être attaqué de flanc à tout moment suscite le désir de porter à tout moment un coup dans cette direction. Ceux deux tendances se contredisent et engendrent la confusion. »

 

« Nous pensons par conséquent qu'un défenseur établi sur une position bien choisie, avec ses forces réunies, peut tranquillement attendre que l'ennemi le dépasse. Si l'ennemi ne l'attaque pas sur sa position et si les circonstances ne favorisent pas une opération contre les communications de l’ennemi, le défenseur conserve encore un excellent moyen de forcer la décision par une attaque de flanc. »

 

Les éléments les plus importants dans chacun des éléments de la défense.

 

1. Les raisons de marcher contre l'ennemi dans dans l'intention de livrer une bataille offensive peuvent être les suivantes.

 

a) Si nous savons que l'assaillant avance avec ses forces très divisées et que par conséquent nous avons encore une perspective même atténuée de victoire.

 

b) Si nous sommes en général assez forts pour livrer bataille.

 

c) Si un adversaire hésitant, irrésolu, invite spécialement à l'attaque.Dans ce cas, l’effet de surprise peut avoir plus de valeur que toute l'aide offerte par le terrain. Mais il faut que ces présuppositions aient un fondement objectif.

 

d) Si la composition de notre armée la rend particulièrement propre à l'offensive.

 

e) Quand nous ne trouvons nulle part de bonne position.

 

f) Quand il nous faut hâter la décision.

 

g) L'influence combinée de plusieurs et de toutes ces raisons.

 

2. L'attente de l'ennemi en un lieu où nous avons nous même l'intention d'attaquer découle tout naturellement du fait :

 

a) Qu'il n'y ait pas de disproportion des forces si désavantageuse pour que nous ayons besoin d'une position forte et retranchée.

 

b) Que l'on trouve un terrain qui convienne spécialement à l'intention. Ce terrain doit surtout consister en approches faciles du côté du défenseur, et en obstacles de tous genres du côté de l'ennemi.

 

3. On établira une position dans l'intention expresse d'y attendre réellement l'attaque de l'ennemi.

 

a) Si la méconnaissance des forces nous oblige à nous couvrir par des obstacles naturels ou des retranchements.

 

b) Si le territoire offre une position de ce genre particulièrement bonne.

 

« Les deux formes de résistance 2° et 3° seront plus indiquées si nous ne cherchons pas la décision mais nous contentons d'un résultat négatif et nous pouvons espérer que notre adversaire hésitera, restera indécis et finalement abandonnera son plan. »

 

4. Une position retranchée, inattaquable, n'atteint son but que

 

a) Si elle est située en un point stratégique de premier ordre. La caractéristique de cette position est qu'elle est invincible. L'ennemi est donc obligé de tenter tous les autres moyens, c'est-à-dire de poursuivre son objet sans s'occuper de la position ou de la bloquer et de la réduire par la famine.

 

b) Si l'on prévoit une aide de l'extérieur.

 

Mais les cas a et b se produisent très rarement.

 

5. S'il y a une ou plusieurs forteresses près de la frontière, la grande question qui se pose est de savoir si le défenseur doit chercher la décision devant ou derrière elles. Le premier cas se recommande.

 

a) Par la supériorité de l'ennemi qui nous oblige à briser sa force avant d'en venir aux mains avec lui.

 

b) Par les forteresses proches, de sorte que le sacrifice de territoire n'est pas supérieur à ce qu'on est contraint de céder.

 

c) Par l'aptitude des forteresses à servir de défense.

 

Si une forteresse est à portée de main et capable de résistance, le défenseur devrait se retirer derrière elle par tous les moyens, dès le début, et chercher la décision en deçà, et par suite avec son appui. S'il prend position si près de la forteresse que l'assaillant ne peut ni assiéger ni bloquer la place sans l'en chasser d'abord, il force en outre l'assaillant à l'attaquer sur sa positions.

 

6. Finalement la retraite à l'intérieur du pays n'est un expédient normal que dans les circonstances suivantes

 

a) Si l'on ne peut songer à une résistance victorieuse à la frontière, ou dans son voisinage, étant donné nos forces physiques et morales par rapport à celles de l'ennemi.

 

b) Si l'objet principal est de gagner du temps.

 

c) Si la situation du pays est favorable à ce moyen.

 

Chapitre XXIX. Défense d'un théâtre de guerre. La résistance échelonnée.

 

Les forces immobiles d'un théâtre de guerre : Ses obstacles, ses forteresses, la simple étendue de la surface du terrain.

 

Si le défenseur veut retarder la décision, il a le moyen de faire entrer en jeu toutes ces forces immobiles à la fois.

 

« Si le défenseur perd une bataille à la frontière sans que ce soit une défaite complète, on peut très bien imaginer qu'en se plaçant derrière sa forteresse la plus proche il redevienne capable de livrer sur le champ une deuxième bataille. Et si son adversaire est peu résolu, quelques sérieux obstacles de terrain suffiront peut-être à l'arrêter. »

 

« Il y a par conséquent dans l'utilisation stratégique du théâtre de guerre une économie des forces. »

 

Chapitre XXX. La défense du théâtre de guerre quand on ne cherche pas de décision.

 

« L'histoire est riche de campagnes où ce n'est pas l'assaillant c'est à dire la volonté positive de l'un des camps qui fait défaut, mais où cette volonté est si faible qu'au lieu de poursuivre son but avec acharnement et de provoquer la décision nécessaire, l'assaillant se contente des avantages qu'offrent les circonstances (….). Les campagnes de ce genre sont très nombreuses, et même si nombreuses que les autres sont plutôt une exception à la règle. »

 

Les objectifs d'un assaillant.

 

1. L'occupation d'un vaste secteur, dans la mesure où cette occupation peut s'effectuer sans bataille.

 

2. La conquête d'un magasin important, entreprise dans les mêmes conditions.

 

3. La conquête d'une forteresse non couverte.

 

4. Un heureux engagement d'une certaine importance, mais sans grand risque et par conséquent sans grand bénéfice.

 

Ces quatre objectifs d'attaque motivent les mouvements suivants du défenseur.

 

1. Couvrir les forteresses en les laissant sur ses arrières.

 

2. Couvrir le pays en y disposant des troupes.

 

3. Jeter l'armée rapidement en avant, par des marches de flanc, si la disposition des troupes n'est pas assez étendue.

 

4. S'abstenir d'engager des combats défavorables au cours de cette opération.

 

Les trois premières mesures visent à provoquer une initiative de l'adversaire en tirant le maximum de profit de l'expectative.

 

« A première vue il semble illogique de protéger une forteresse en plaçant une armée devant elle. Si nous prenons position devant notre forteresse, l'ennemi ne pourra pas attaquer celle ci sans livrer bataille. Mais une bataille est une décision ; si celle ci n'entre pas dans les vues de l'ennemi, il ne se battra pas.

En prenant position derrière la forteresse nous offrons à l'assaillant une proie facile. Si la forteresse n'est pas trop importante il finira par l’assiéger ; si nous ne voulons pas la voir tomber entre ses mains, nous serons obligés de la débloquer. C'est donc à nous que revient alors l'initiative, l'action positive, et c'est l'adversaire pour qui le siège est un progrès vers un but qui défend sa possession. »

 

« Autre motif de placer ses troupes devant la forteresse. Celle ci peut alors servir de dépôt de provision pour l'armée. Ce moyen est si pratique et présente tant d'avantages qu'un général se décide difficilement à faire venir son ravitaillement de plus loin ou à l'entreposer dans des villes ouvertes. »

 

« La conquête d'une ou de plusieurs forteresses sans risque de bataille est un but si naturel à toutes les attaques qui ne visent pas aux grandes décisions que le défenseur n'a souvent pas d'autre tâche que de faire échec à cette tentative. Voilà pourquoi dans les zones de guerre où les forteresses abondent, nous voyons que l'une ou l'autre devient le pivot de presque tous les mouvements de l'assaillant, qui essaye de s'en approcher à l'improviste et une de nombreuses feintes dans ce dessein. »

 

« La couverture du pays par une disposition très allongée des forces militaires n'est concevable qu'en combinaison avec de grands obstacles du terrain. Mais la force de résistance ainsi obtenue sur un seul point déterminé est toujours relative et ne peut être considérée comme absolue. Quand le dispositif est si étendu, on ne peut donc compter que sur une résistance relativement longue, mais non sur une victoire proprement dite. »

 

« Au pire cas, si le système de défense tout entier devait être désorganisé par la perte d'un poste isolé, le défenseur aura toujours le temps de rassembler son corps de troupes et de proposer avec l'ensemble de ses forces une bataille décisive que l'assaillant ne cherche pas. »

 

« Tout cela montre qu'une vigoureuse résistance relative ainsi opposée par de nombreux postes disposés côte à côte sur une vaste étendue peut fournir au défenseur un résultat qui pèsera d'un poids suffisant dans la balance générale de la campagne. »

 

« Pour protéger certaines voies d'accès principales trop éloignées, mais plus ou moins menacées, on établit ensuite des centres spéciaux, des sortes de petits théâtres de guerre à l'intérieur du théâtre principal. Plus ce système diffère de la couverture directe, plus il faut avoir recours au mouvement, à la défense active, voire à des moyens offensifs. »

 

les défenses qui passent pour les meilleures sont celles qui utilisent le plus de moyens actifs, voire offensifs.

 

« En matière stratégique la signification d'un engagement est l'âme même de cet engagement. Dans ce domaine l'élément essentiel résulte toujours de l'intention foncière des deux parties en présence, qui donne en quelque sorte sa tonalité au système de pensée tout entier. »

 

« Toutes les mesures destinées à protéger la zone de guerre proprement dite doivent évidemment servir en même temps à couvrir les lignes de communication. »

 

Les moyens offensifs qui peuvent être utilisés dans une défense.

 

1. Les opérations dirigées contre les lignes de communication ennemies qui comprennent les actions menées contre son ravitaillement.

 

2. Les diversions et incursions en territoire ennemie.

 

3. Les attaques contre les corps, les postes, voire contre l'armée principale de l'ennemi, dans de bonnes conditions, ou la seule menace de telles attaques.

 

L'efficacité d'une bonne position défensive tient essentiellement aux inquiétudes qu'éprouve l'assaillant pour sa ligne de communication.



11/08/2014
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