Coutau-Bégarie. Traité de stratégie. I. La stratégie en tant que concept. (NDL)

Chapitre 1. La stratégie en tant que concept.

 

17. Etymologie de la stratégie.

 

Du grec stratos agein, armée qu’on pousse en avant. La stratégie c’est l’art de conduire une armée et plus généralement l’art du commandement. Mais cette origine suggère que la stratégie n’est pas statique, qu’elle intrinsèquement liée au mouvement.

 

Section I. La constitution de la stratégie.

 

18. La naissance de la stratégie chez les anciens.

 

La fonction de stratège apparaît à Athènes au Ve siècle avant Jésus Christ. Peu à peu on assiste à une spécialisation parmi le collège des 10 stratèges. A partir de Polybe on distingue entre stratagema lié à l’idée de ruse et de tromperie et strategika relatif à l’office du général.

 

Les Romains latinisent les deux concepts, mais ont une approche organique et concrète. La stratégia est la préfecture militaire et le strategus le chef d’armée.

 

A Byzance, le stratège est avant tout un chef militaire, territorial avant de céder la place au duc. L’art militaire est désigné par la taktika.

 

19. La stratégie chez les Chinois.

 

Hors du monde gréco-romain, il n’y a pas d’équivalent à part en Chine. Mais la notion développée par Sun Zi est beaucoup plus large que l’on pourrait rendre par méthode militaire, voire par art de la guerre.

 

20. La renaissance de la stratégie au XVIIIe siècle.

 

Le mot stratège réapparaît en 1721 dans le dictionnaire de Trévoux (pour commander les troupes).

 

Le mot stratégie est introduit en 1777 par Joly de Maizeroy dans sa « théorie de la guerre ». C’est probablement lui qui inspire ceux qui reprendront le terme.

 

Stratégie et tactique sont définis en 1799 par le prussien Dietrich Von Bülow.

« J’appelle stratégie les mouvements de guerre de deux armées hors du cercle visuel réciproque ou, si l’on veut, hors de l’effet du canon (…) La science des mouvements qui se font en présence de l’ennemi de manière à pouvoir en être vu et atteint par son artillerie, cette science est la tactique. »

 

En 1831 apparaît en France le mot stratégiste.

 

21. L’art de la guerre au siècle des Lumières.

 

Au XVIIIe siècle les progrès de l’Etat permettent l’organisation d’armées plus nombreuses donc plus complexes. L’un des problèmes essentiels de l’art de la guerre devient alors la conciliation de la dispersion, imposée par le ravitaillement, avec la concentration en vue de la bataille. D’autre part les progrès de l’armement suscitent des débats entre les partisans de la colonne (choc) et les partisans de la ligne (feu).

 

C’est en Allemagne que se développent la réflexion théorique et la publication de revues ou d’ouvrages de stratégie. En 1780 à la cour de Brunswick apparition du kriegspiel et en 1803 formation du premier Etat major général.

 

22. Le modèle prussien.

 

A la suite de la défaite militaire de 1806, la Prusse sous l’égide de Scharnhorst entreprend des réformes. Une section chargée de l’instruction, de la mobilisation, du renseignement et de la préparation des plans d’opérations est créée.

 

1808. Fondation d’une école de guerre.

 

1809. Premières manœuvres grandeur nature sur le terrain.

 

1810. Ouverture d’une école d’officiers.

 

1816. Création d’une section cartographique et topographique.

 

23. La généralisation du modèle.

 

En France il faut attendre la défaite de 1870 pour que l’on se préoccupe de la formation militaire. En 1870 les officiers français n’ont pas de cartes d’état-major.

 

Les victoires prussiennes sur l’Autriche et la France poussent tous les pays d’Europe à se doter d’un Etat-major général, d’un enseignement militaire supérieur et d’instruments de réflexion.

 

Les années 1880-1914 constituent l’age d’or de la pensée militaire.

 

24. Premier essai de définition : la stratégie comme art du commandement.

 

Les nombreuses définitions de la stratégie sont d’accord sur un point. « La stratégie est d’ordre militaire et relative au commandement en temps de guerre. » le contrepoint de la stratégie est la diplomatie.

 

Section II. L’extension de la stratégie.

 

25. Première extension. La permanence de la stratégie.

 

Aux USA, au début du XXe siècle, apparition de la notion de stratégie du temps de paix, en particulier dans le domaine naval. Progressivement la stratégie ne va plus se concevoir comme le bras séculier de la politique mais comme se concurrente.

 

26. Deuxième extension. Les stratégies non militaires.

 

Pendant et après la 1ere Guerre mondiale, la stratégie militaire n’apparaît plus que comme une composante parmi d’autres. On parle désormais de stratégies non militaires. Les pionniers dans ce domaine sont les soviétiques.

 

Dans les années 1920, Liddle Hart parle de grande stratégie dont la fonction est « d’évaluer et développer les ressources économiques et démographiques de la nation pour soutenir ses forces armées. »

 

Puis apparaissent les termes de stratégie économique, stratégie générale, stratégie élargie et stratégie globale.

 

27. Troisième extension. La généralisation de la stratégie.

 

A la fin de la IIe Guerre mondiale, la stratégie quitte la sphère étatique et guerrière pour s’appliquer dorénavant à n’importe quelle activité sociale. Désormais la stratégie n’est plus « qu’un ensemble d’actions coordonnées, d’opérations habiles, de manœuvres en vue d’atteindre un but précis. »

 

L’élargissement du concept a abouti à une dissolution pour aboutir à l’idée de « sécurité globale » qui s’efforce de répondre à des menaces de tous ordres, y compris écologiques.

 

Section III. L’essence de la stratégie.

 

29. Deuxième essai de définition. La stratégie comme dialectique.

 

« La stratégie est la dialectique des intelligences, dans un milieu conflictuel fondé sur l’utilisation ou la menace d’utilisation de moyens violents à des fins politiques. »

 

30. Dialectique des intelligences.

 

La guerre est fondamentalement un phénomène action/réaction. Tout mouvement de l’un des protagonistes doit susciter une riposte de son adversaire. On ne peut nier la volonté de l’ennemi.

 

31. Les lois d’action réciproque de Clausewitz.

 

Il en énonce trois :

 

- Chacun des adversaires fait la loi de l’autre, d’où résulte une action réciproque, qui en tant que concept, doit aller aux extrêmes.

 

- La guerre n’est pas l’action d’une force vive sur une masse (…) Elle est toujours la collision de deux forces vives.

 

- Si l’on veut abattre un adversaire, il faut proportionner l’effort à sa force de résistance.

 

32. Dans un milieu conflictuel.

 

Le conflit commandé par la stratégie a une fin qui est la victoire. Mais ce n’est pas un jeu à sommes nulles (ce que l’un perd, l’autre le gagne). L’épuisement des belligérants peut entraîner un résultat négatif global.

 

Le conflit fondamental c’est le duel théorisé par Gabriel Tarde. « Lorsqu’il existe plusieurs thèses ou plusieurs tendances divergentes, cette variété dure tant que les relations sont pacifiques. Mais lorsque les hostilités éclatent, il ne peut exister que deux camps dans lesquels les tendances les plus diverses se groupent suivant leurs affinités. Il en résulte ainsi durant le conflit une extrême simplification de la situation. »

 

33. Théorie du conflit et théorie des jeux.

 

Cette vision a été contestée par des sociologues qui ont développé la théorie des jeux. « La meilleure décision de chacun des joueurs dépend de l’idée qu’il se fait du choix éventuel de son vis-à-vis. » mais cette théorie est conduite à minorer l’aspect violent pour mettre en valeur l’aspect communication. D’autre part le jeu répond à des règles fixées à l’avance, alors que le conflit développe ses propres normes au fur et à mesure » de son développement.

 

* C’est même parfois le changement de règle qui permet de surprendre l’adversaire et de gagner (ex Leuthen, guerre asymétrique où il n’y a pas de règles).

 

34. Différence avec l’économie.

 

Une différence fondamentale avec l’économie : celle-ci n’a pas pour objectif de détruire un ennemi, mais de supplanter un concurrent. Dans l’économie, l’augmentation des parts de marché d’une entreprise ne signifie pas nécessairement la ruine de ses concurrents. En stratégie, la situation est inverse, la victoire de l’un des acteurs ne peut être acquise qu’au détriment de l’autre.

 

35. Stratégie militaire et stratégie d’entreprise.

 

Cette différence fondamentale (34) est niée par les tenants de la stratégie d’entreprise. Or cette « stratégie d’entreprise » se caractérise par un fonctionnement plus statique que la stratégie militaire. Alors que la seconde doit constamment s’adapter aux réactions de l’ennemi, la première dispose d’une marge de liberté plus grande.

 

36. Fondées sur des moyens violents.

 

La stratégie doit reposer sur l’utilisation (stratégie d’action) ou au moins sur la menace (stratégie de dissuasion) de la force.

 

37. A des fins politiques.

 

La stratégie convertit l’action propre de la force en action instrumentale au service de la politique.

 

38. Différence avec la diplomatie.

 

La stratégie raisonne en termes de puissance alors que la diplomatie raisonne en termes d’influence, laquelle résulte moins de la force que de l’habileté de l’acteur.

 

39. Pertinence de la stratégie classique.

 

Si la stratégie a débordé du cadre de la guerre à l’époque contemporaine, elle doit toujours s’inscrire dans le conflit, lequel se distingue de la rivalité ou de la concurrence par le « recours à la violence, laquelle, peut le cas échéant tendre à l’anéantissement physique de l’autre. »

 

La stratégie traditionnelle, soumise à des contraintes inédites du fait de l’apparition de la bombe et de la transformation profonde des sociétés sous l’impact de la révolution technicienne, n’est pas nécessairement caduque. Elle continue simplement à évoluer. »

 

Section IV. L’épistémologie de la stratégie.

 

40. Guerre et stratégie.

 

Si la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, il ne faut jamais oublier que la politique, même en temps de guerre, est toujours l’enjeu de luttes pour le pouvoir. D’autre part, la peur du césarisme peut souvent expliquer le contrôle du politique sur le militaire (parfois au détriment de la conduite des opérations). « L’étude de la guerre en tant que fait social (…) permet d’éclairer des comportements qui, du point de vue stratégique, ne peuvent qu’aberrants. »

 

41. Unité de la stratégie.

 

La question d’une stratégie unique ou de stratégies (stratégie maritime et stratégie aérienne) reçoit des réponses différentes suivant les pays.

 

42. Logique de la stratégie.

 

La principale caractéristique de la logique de la stratégie est une logique probabiliste dans laquelle l’information n’est jamais complète. « Chacune des deux parties tachera de prévoir l’action de l’autre en tirant ses conclusions du caractère, des institutions, de la situation et des conditions où se trouve l’adversaire et y accordera la sienne propre en se servant des lois du calcul des probabilités » (Clausewitz)

 

43. Dimension psychologique de la stratégie.

 

Importance du facteur psychologique qui intervient en dernier dans la prise de décision, qui doit suppléer au manque d’information. « on est vaincu lorsque l’on se reconnaît vaincu » (général Beaufre).

 

Cette dimension psychologique est décisive dans la dissuasion dont l’effectivité résulte plus d’une perception des risques encourus et des réactions possibles de l’adversaire que de la réalité du rapport des forces matérielles.

 

Fin

 

 



09/06/2021
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 978 autres membres