Histoire du christianisme. 1ere partie. Naissance du christianisme.

1ere partie. Naissance du christianisme.

 

 

Chapitre I. Les premières communautés : De Jérusalem à Antioche. (Étienne Trocmé).

 

Après l’exécution de Jésus effectuée rapidement on pouvait penser que le problème Jésus était réglé pour de bon. Mais dans les jours, les mois et années suivants, quelques épisodes marquent un essai de rebondissement du mouvement lancé par Jésus (phénomène de la résurrection et de l’apparition de Jésus à plusieurs adeptes).

 

« Cette série d’apparitions et d’envois en mission avait aux yeux des disciples, une telle importance que l’énumération de cet événement avait été intégrée à une confession de foi citée par Paul peu après 50 et remontant surtout aux années 30. Par contre, les récits relatant telle ou telle de ces apparitions sont tous des récits légendaires un peu tardifs. »

 

De fait on ne peut utiliser ces récits pour dater ou localiser les apparitions. « Reste toutefois l’affirmation très vigoureuse de leur réalité et de leur caractère fondateur. »

 

« Quoi qu’en dise Matthieu, il est peu probable que les autorités juives et romaines se soient inquiétées de ces rumeurs. Nous n’avons aucune raison de penser qu’elles se sont fait plus de soucis lorsque les disciples éparpillés ont commencé à se regrouper et ont même décidé (…) de s’établir ensemble à Jérusalem. (…) Ils s’étaient d’ailleurs montrés si peu combatifs lorsque Jésus était à leur tête qu’ils ne seraient sûrement pas une menace pour l’ordre public, maintenant qu’ils n’avaient plus de chef. Si ce sentiment correspondait bien à la réalité, l’installation des disciples à Jérusalem était pourtant un événement très important. »

 

I. La communauté de Jérusalem jusqu’à la mort de Jacques.

 

Pourquoi cette décision de revenir à Jérusalem ? « La raison essentielle était sans doute la conviction que le Christ allait revenir très vite sur la terre pour y triompher de toutes les oppositions et y établir le Règne de Dieu. Ce retour ne pouvait se faire que dans le Temple de Jérusalem auprès duquel les disciples devaient donc se poster pour l’attendre. Un autre motif de ce choix était que la ville sainte attirait pour les fêtes de très nombreux pèlerins venus de toute la Palestine (…) C’était donc l’endroit idéal pour prêcher un message qui atteindrait très rapidement les « extrémités du monde. » »

 

Pour s’installer à Jérusalem, tous les disciples avaient vendu leurs biens immobiliers, avaient créé une caisse commune et menaient une vie communautaire. « Ils résidaient dans des maisons particulières sans doute par petits groupes, y prenaient des repas ensemble et se réunissaient aux heures de la prière dans les parvis du Temple, où leurs dirigeants donnaient un enseignement et faisaient des guérisons. »

 

« La première communauté de Jérusalem aurait donc eu une structure à trois étages »

 

  • Une base relativement large se comportant comme une sorte de tiers ordre vivant dans dans le siècle, mais se soumettant à des exercices de piété passablement astreignants.

 

  • Un groupe de quelques dizaines à quelques centaines de « saints » ayant renoncé à toute autonomie financière et se consacrant à peu près entièrement à la prière.

 

  • Un groupe dirigeant, celui des Douze, aussi qualifiés d’apôtres par l’auteur des Actes, à la fois maîtres de la caisse commune et chargés des relations extérieures, sous la conduite de Pierre.

 

« Ce dernier groupe, à peu près certainement constitué par Jésus pour représenter les Douze tribus d’Israël, se trouvait réduit à onze personnes du fait de la trahison et de la mort de Judas. Il est frappant que la première décision de la communauté des disciples regroupés à Jérusalem ait eu pour but de compléter l’effectif des Douze, comme ci ceux-ci ne pouvaient jouer leur rôle que collectivement et en étant au complet. On peut noter d’ailleurs que, une fois Jacques, frère de Jean, mis à mort et Pierre chassé de Jérusalem, ni les Douze, ni les apôtres ne jouent plus le moindre rôle dans la vie intérieure de la communauté,. »

 

1). Une influence essénienne ?

 

« Cet attachement de la première communauté de Jérusalem au maintien des Douze à leur effectif complet et le recours au tirage au sort pour désigner le remplaçant de Judas, font un peu penser à la communauté de Qumram, dont la direction était assurée par un groupe de douze frères et trois prêtres et où le tirage au sort était utilisé pour les décisions importantes, entres autres pour la désignation des frères chargés de fonctions particulières. Comme la structure à trois étages, avec un noyau de saints mettant tout en commun et une sorte de tiers Ordre, n’est pas non plus sans rappeler Qumran. On peut se demander si l’organisation de la première Église de Jérusalem n’a pas subi une influence essénienne. La probable existence à Jérusalem (d’un quartier essénien) expliquerait aisément l’établissement de contacts entre les deux groupes. »

 

2). Vie de la communauté.

 

«Nous ignorons si les Douze menaient une vie complètement cénobitique, ce qui semble pourtant probable, et si les saints du groupe, faisant caisse commune, résidaient auprès d’eux, comme il est possible. Les autres fidèles habitaient des maisons particulières, où ils se réunissaient pour « rompre le pain » chaque jour. »

 

Les périodes de fêtes juives attirant beaucoup de monde àJérusalem, les apôtres cherchaient à transmettre leur message. On peut penser qu’au bout de quelques années un certain nombre de ces pèlerins avaient accepté le message de Jésus.

 

Les apôtres voulaient tout naturellement célébrer les fêtes avec ces nouveaux convertis et « on est donc amené à supposer qu’une célébration en plein air, sans doute sur les lieux supposés du martyre de Jésus, avait lieu avec lecture ou récitation d’un récit de la Passion du Maître. »

 

La pratique du baptême comme rite d’initiation propose à tous ceux qui reconnaissaient en Jésus le Messie attendu a existé dès que la communauté s’est constituée et tournée vers l’extérieur. Ce baptême dérive sans doute de Jean-Baptiste.

 

« Simon, surnommé « Pierre » par Jésus était le porte parole et l’animateur du groupe des Douze, parfois en compagnie de Jean, il apparaît comme le chef de la communauté et son autorité s’étend aux petites communautés fondées en Palestine : la ville de Samarie, Lydda, Joppé …. Cette primauté de Pierre semble avoir duré une bonne dizaine d’années. »

 

3). Des groupes particularistes.

 

« Malgré la très haute idée qu’elle avait ainsi d’elle-même et les solides structures qui la soumettaient à l’autorité de Pierre et des Douze, la toute première communauté jérusalémite n’était pas complètement unitaire. »

 

Existence de plusieurs groupes particularistes au sein de cette communauté.

 

Dès le début, présence de Jacques et des « autres frères de Jésus ». Accompagnés de Marie, mère de Jésus, ils ne se sont sûrement pas contenté d’un rôle effacé. »

 

Jacques était reconnu comme un personnage important de la communauté. Il avait lui même un groupe de fidèles qui sans refuser l’autorité de Pierre avaient leurs propres idées.

 

Après le départ de Pierre, pour échapper à une mort certaine, c’est Jacques qui prend la tête de la communauté.

 

Un autre groupe s’est formé qui aurait pu être dirigé par Jean fils de Zébédé (mais sans certitudes). « Sans doute s’agissait-il d’un cercle orienté vers la méditation et la réflexion christologique. Il peut avoir été en conflit avec le groupe de Jacques. »

 

Existence d’un troisième groupe appelé « les hellénistes ». « Séparés du reste de la communauté par leur langue, qui était le grec, ces hellénistes se sont dotés très tôt d’un groupe dirigeant de sept personnes, toutes juives, même si un prosélyte figurait parmi elles. »

 

« Il s’agit d’une sécession plus ou moins complète, qui n’est pas due seulement à des motifs culturels ou diaconaux. Il y avait de toute évidence une divergence théologique sérieuse entre la communauté dirigée par les Douze et celle des Sept (….) Les hellénistes ne partageaient pas le point de vue conciliant des Douze sur le Temple de Jérusalem, qui restait pour ce groupe au moins le lieu privilégié de la prière publique. Aux yeux de hellénistes, le sanctuaire était l’expression de la révolte d’Israel contre son Dieu et le retour du Christ serait marqué par la destruction de ce monument impie (….) Les autorités sacerdotales ne pouvaient pas tolérer une prédication aussi agressive. »

 

Arrestation du principal porte-parole des hellénistes, Étienne, qui est lynché. Ensuite violente répression qui force les survivants à fuir Jérusalem (vers 35 peut-être).

 

4). Jacques prend la tête de la communauté.

 

La communauté fondée à Jérusalem après la mort de Jésus réussit en une douzaine d’années à poser les bases de l’avenir du christianisme :

 

  • Élaboration d’une christologie (étude de la personne et de la doctrine du Christ) et d’une herméneutique (science de l’interprétation des textes) biblique.

 

  • Reprise de la mission amorcée par Jésus auprès de tout le peuple juif.

 

  • Création d’une Église (ekklesia) fortement centralisée et préfigurant le rassemblement eschatologique d’Israel.

 

  • Vigilance et tolérance à l’égard des tendances divergentes.

 

  • Constitution d’une tradition des paroles de Jésus et d’un récit liturgique de la Passion.

 

  • Institution du baptême et de l’eucharistie.

 

41 ap J-C. Hérode Agrippa Ier devient roi de Judée et de Samarie. Il développe une politique très favorable aux pharisiens. Il fait exécuter Jacques fils de Zébédee. Pierre qui doit être lui aussi exécute réussit à s’évader de prison et prend la fuite. C’est la fin de la communauté dirigée par Pierre et les Douze. Il est remplacé par Jacques frère de Jésus.

 

« Jacques apparaît non seulement comme le chef de l’Eglise de Jérusalem, mais comme l’autorité suprême au sein de l’Eglise universelle et même comme un docteur de la Loi respecté par les Juifs du monde entier. »

 

Jacques sera lui-même exécuté en 62 par le grand prêtre Anan pour la transgression de la Loi. Cette exécution provoqua l’indignation de nombreux habitants qui réussirent à obtenir le renvoi d’Anan.

 

« Que Jacques ait été l’un des frères de Jésus ne peut faire aucun doute (…) et c’est grâce à ce lien que Jacques a eu, dès la constitution de la communauté primitive, un prestige particulier . » il prend la tête de la communauté au plus tard en 44.

 

Par contre peu d’informations sur les transformations qu’il a pu effectuer.

 

« Sous la direction du frère du seigneur, la communauté jérusalémite comptait en son sein des « apôtres », dont la fonction reste un peu incertaine. Sans doute ces gens sont-ils des mandataires de Jacques - et donc de son frère le Christ - conformément aux sens juridique de ce terme. De tels mandataires n’avaient sans doute pas de fonction à l’intérieur de la communauté de Jérusalem, dont Jacques et les anciens prenaient soin. Mais on peut penser que Jacques ne se déplaçant guère, ils étaient chargés de le représenter au loin, tant auprès des synagogues qu’il fallait évangéliser qu’auprès des petites communautés chrétiennes qui devaient être encouragées à persévérer dans ou à revenir à des pratiques conformes à la Loi. »

 

Jacques semblait assez proche des pharisiens, « dont la préoccupation principale était de faire de la Loi de Moise une règle de vie applicable par chacun des membres du peuple d’Israel dans sa vie quotidienne et de faciliter à tous l’obéissance à la volonté divine en leur proposant des fraternités ou l’on pratiquait l’entraide morale et matérielle. »

 

Par contre :

  • Il met fin à l’existence du noyau cénobitique.

  • Accepte d’encourager des pratiques de piété dans le Temple.

 

5). Jacques, chef de l’Eglise universelle.

 

Dès le début la communauté de Jérusalem se considère comme responsable des groupes chrétiens disséminés en divers lieux (Samarie, Joppé, Lydda, Antioche de Syrie).

 

Dès que des pratiques incompatibles avec les usages jérusalémites se développaient, on se tournait vers Jérusalem pour trancher les différends.

 

C’est Jacques « qui définira à une occasion postérieure, semble-t-il des règles à imposer aux convertis d’origine païenne pour permettre leur coexistence avec les Juifs ralliés à Jésus Christ en Syrie et en Cilicie. »

 

« La primauté de Jacques vis à vis de toutes les Églises locales n’est nulle part plus visible que dans les efforts faits par Paul pour rentrer en grâce auprès de lui lorsqu’il constata que son entreprise missionnaire indépendante se heurtait partout à l’hostilité des envoyés du chef de l’Eglise de Jérusalem. »

 

« Toutes les actions missionnaires en direction des Juifs, à l’exception de celles du rebelle Paul, étaient donc placées sous l’autorité de Jacques, dont il n’est par conséquent pas excessif de dire qu’il a été un véritable « pape » de l’Eglise universelle pendant les vingt dernières années de sa vie. »

 

«  En matière de christologie, tous les traits qui insistent sur la descendance davidique de Jésus pourraient avoir leur origine chez Jacques ou dans son entourage (…) L’existence d’un lien étroit entre Jésus et le roi David renforçait l’autorité de Jacques, lui aussi descendant du glorieux souverain d’Israël. »

 

Dans l’évangile de Marc, des passages traduisent une grande hostilité contre Jacques et toute la famille de Jésus dont la position dominante au sein de l’Eglise provoque des oppositions en particulier de la part des hellénistes.

 

Les frères de Jésus : Jacques, Josés, Jude, Simon.

 

« Jacques avait un tel prestige dans la communauté de Jérusalem et dans la plupart des autres Églises locales que les opposants étaient réduits à la condition de schismatiques, qu’il s’agisse des hellénistes ou de Paul (…) On a par conséquent le sentiment que Jacques tenait l’Eglise en main d’une façon plus ferme que Pierre ne l’avait fait durant les premières années de son existence, et cela en dépit de son expansion rapide, bien au-delà des limites de la Palestine. Au gourou d’une petite secte en voie de formation avait succédé le pape d’une Église fortement centralisée. »

 

Peu d’informations sur l’entreprise missionnaire de Pierre parmi les circoncis après son départ de Jérusalem. On sait qu’il s’est rendu dans plusieurs grandes synagogues de la Diaspora pour y prêcher l’Evangile (Antioche de Syrie, Corinthe puis à Rome où il subit le Martyre vers le milieu des années 60).

 

L’Eglise de Jacques a été autant missionnaire que le groupe de Paul, mais elle s’est tournée vers les synagogues de la Diaspora « au sein desquelles les apôtres jérusalémites cherchaient à faire naître des noyaux chrétiens capables de rappeler sans cesse à tous les circoncis que Jésus était le messie annoncé par les prophètes. »

 

6). Martyre de Jacques et déclin de l’Eglise de Jérusalem.

 

On peut dater la mort de Jacques en 62 durant les quelques mois qui séparent le décès imprévu du procurateur romain Festus et l’arrivée de son successeur Albinus. Le grand prêtre Aman profite de cette vacance du pouvoir romain pour éliminer un certain nombre de personnes dont il estimaient qu’elles transgressaient la Loi d’une façon intolérable. Jacques est lapidé. Mais ces exécutions provoquent la colère des habitants qui réussissent à obtenir la révocation du grand prêtre.

 

« Jacques (….) a été victime des intrigues d’un sadducéen rigide désireux d’utiliser son pouvoir tout neuf pour imposer son interprétation de la Loi. »

 

Cette disparition va avoir de graves conséquences pour l’Eglise de Jérusalem. La succession semble avoir été faite selon un principe dynastique. Élection de Syméon fils de Clopas, cousin germain de Jésus. D’après la tradition il serait mort martyre sous Trajan à l’âge de 120 ans.

 

« Il s’agit de traditions fort confuses, qui suggèrent presque la prise en main de l’Eglise de Jérusalem par une sorte de conseil de famille, aucun des successeurs de Jacques n’ayant eu une autorité personnelle comparable à la sienne. »

 

A cela il faut ajouter les conséquences de la prise de Jérusalem avec destruction du Temple et d’une partie de la ville. « Les Zélotes avaient imposé une véritable dictature dans la cité avant même le début du siège. C’est sans doute pour fuir ce régime de terreur que les Chrétiens de la capitale se réfugièrent à Pella, ville hellénistique de Transjordanie. »

 

Après ce siège, la communauté se trouve réduite en nombre, matériellement appauvrie et privée de beaucoup de ses éléments les plus dynamiques. « Elle s’enfonça peu à peu dans un provincialisme sans éclat qui lui interdisait désormais toute autorité à l’égard d’Eglises de la Diaspora fort peu affectées par la guerre. »

 

II. Les hellénistes et leurs entreprises missionnaires jusqu’à Antioche.

 

Ce groupe qui était beaucoup plus agressif que les Douze envers le Temple avait suscité l’opposition de la majorité des Juifs de langue grecque. Son porte-parole Étienne avait été lynché et la répression avait touché d’autres membres du groupe, les survivants obligés de fuir Jérusalem, sans pour autant renoncer à leurs idées qu’ils diffusent au travers la Judée et la Samarie.

 

Parmi eux se trouve Philippe qui est présente comme un exorciste, un guérisseur, un prédicateur.

 

« Rien ne permet de penser que les communautés nées de la prédication de Philippe et des siens s’étaient ouvertes à des païens (….) C’est Pierre, agissant comme apôtre de l’Eglise de Jérusalem qui a franchi à Césarée, la barrière entre Juifs et païens et fondé un groupe de disciples incirconcis autour du centurion Corneille, ami du peuple juif. »

 

« Sans doute, dans cette grande ville (Césarée), y eut-il très tôt deux Eglises chrétiennes, dont une seule était en communion avec la communauté mère de Jérusalem, tandis que l’autre restait attachée u message plus radical des hellénistes. »

 

D’autres hellénistes se rendent dans les régions extérieures à la Palestine (Phénicie, Chypre, Antioche de Syrie) où is fondent certainement des communautés.

 

1). L’Eglise d’Antioche.

 

Peu après leur arrivée à Antioche, les hellénistes réussissent à annoncer l’évangile, Ave succès, à des Grec.

 

« Il s’agissait donc d’une première, dont le caractère audacieux suscita une réaction de la part de l’Eglise de Jérusalem. Barnabas, un lévite d’origine chypriote qui s’était acquis une place enviable dans la communauté mère, fut dépêché à Antioche, où il constata l’authenticité de la foi des nouveaux convertis et s’associa à l’entreprise missionnaire novatrice des prédicateurs hellénistes, dont il accrut encore le succès. »

 

Barnabas s’intègre tellement bien, qu’un an ou deux plus tard, il est membre des dirigeants de la communauté.

 

Une forme d’amalgame va se réaliser et « l’Eglise ainsi conduite avait une physionomie originale où se mêlaient des traits « hellénistes », des caractéristiques jérusalémites et des nouveautés résultant de la participation d’un nombre appréciable d’incirconcis. »

 

L’autorité qu’il faut commenter est la Bible grecque :

 

  • Large place à l’Esprit saint.

 

  • Pratique du jeûne pour préparer les interventions de l’Esprit et le recours à la prière.

 

  • Imposition des mains, geste liturgique destiné à manifester l’accord de la communauté à la désignation de frères pour certaines fonctions.

 

C’est à Antioche que les disciples furent appelés pour la première fois « chrétiens ».

 

Autre particularité. Jusqu’à la conférence de Jérusalem, réunion autour de la même table pour le repas de circoncis et de non circoncis. La conférence de Jérusalem ayant confirmé l’existence d’une oeuvre missionnaire pour les Juifs et une autre pour les païens, cette pratique est abandonnée.

 

Malgré toutes ces différences, l’Eglise d’Antioche attachait du prix au maintien de bonnes relations avec la communauté de Jérusalem. « Il n’est donc pas excessif de dire que l’Eglise d’Antioche ne relevait plus de la mouvance « helléniste » et avait renoncé, sous l’influence de Barnabas et de Paul, à sa position schismatique, qui restait celle des autres communautés fondées par les frères chassés de la ville sainte après le martyre d’Etienne. »

 

Si l’Eglise d’Antioche a été l’extrême pointe de l’activité évangélisatrice des hellénistes, elle a été récupérée par les jérusalémites. « Dans ces conditions, l’orientation de cette communauté aura été judéo-chrétienne, à la façon de Jacques, même si son milieu était cosmopolite. »

 

2). L’apport des hellénistes.

 

Nous ignorons si leurs Eglises ont survécu à la guerre juive.

 

En particulier, la disparition du Temple en 70 et l’abaissement de la communauté de Jérusalem, prive les hellénistes de leur principal adversaire et de leur raison d’exister (refus du sanctuaire de Jérusalem et des compromis qui avaient permis à l’Eglise primitive de s’installer à Jérusalem).

 

« La question qui reste posée est de savoir si les « hellénistes » ont laissé derrière eux un héritage intellectuel et spirituel dont le reste des Chrétiens ont tiré profit. »

 

L’Evangile selon Marc, est un document qui permet de mieux saisir leur pensée. Contrairement à ce que l’on pense, il n’a pas été écrit par un compagnon de Pierre après son martyre. « L’Evangile selon Marc est un écrit qui s’enracine à la fois à Jérusalem et en Galilée, qui conçoit « l’Evangile » comme un vaste mouvement d’émancipation du peuple juif par rapport à ses institutions et à ses dirigeants et qui en même temps s’exprime en grec et préconise une action missionnaire mobile. Où situer un tel document ? On a pris l’habitude de situer sa rédaction à Rome, en raison de quelques détails du texte, mais ceux-ci peuvent très bien être des notes marginales postérieures. Il est bien plus vraisemblable que cet écrit ait été rédigé dans une localité hellénophone de Palestine, comme par exemple Césarée, ce qui expliquerait sa perspective entièrement palestinienne. Une seconde édition, comportant l’addition du récit de la Passion et quelques retouches rédactionnelles, peut parfaitement avoir été réalisée à Rome, ce qui expliquerait la diffusion assez rapide du livre et le lien établi dans la tradition entre la capitale impériale et cet Evangile. »

 

Deux autres documents peuvent donner des indications sir cet héritage :

 

  • Le discours attribué à Etienne par l’auteur des Actes des Apôtres.

 

  • L’interprétation par Philippe de la prophétie d’Isaïe (53-78) lors de sa rencontre avec l’eunuque éthiopien.

 

« On pourrait même penser supposer que Philippe « l’évangéliste » renommé pour son ardeur missionnaire et établi à Césarée de Palestine avant la fin des années 30 de notre ère, est l’auteur de la première édition de l’Evangile « selon Marc », auquel ce nom n’aurait été donné que lors de l’établissement de la seconde édition. Ainsi, le plus ancien des Evangiles, sans doute rédigé peu avant ou peu après la fin des années 40 de notre ère, serait l’expression de la pensée des hellénistes. »

 

On note par ailleurs dans l’Evangile selon Marc, une forte hostilité pour tout ce qui est en rapport avec Jérusalem, en particulier le dédain contre la famille de Jésus plus précisément contre Jacques qui n’est pas nommé mais fait l’objet d’attaques.

 

La pensée théologiques exprimée dans cet évangile peut donc être considérée comme celle des hellénistes. Dieu est le maître absolu du monde, créateur tout puissant, bon, législateur et père du peuple d’Israël, résidant dans les cieux, du haut desquels il se révèle parfois et fait don de son Esprit saint. La grande différence acec le judaïsme est que Dieu ne réside pas dans le Temple, qui n’a pas d’autre fonction que celle de Maison de prière qui est vouée à la destruction t à la profanation et dont la reconstruction ne fait pas partie du plan divin. Mais aussi quasi absence de l’idée de Jugement dernier, qui cède la place à l’idée de proximité immédiate du Règne de Dieu, que l’on doit saisir tout de suite.

 

« L’Evangile selon Marc nous révèle le mouvement « helléniste » comme un revitalisée populiste solidement enraciné dans le judaïsme, mais vigoureusement contestataire envers toutes les institutions juives. Sa christologie reste flottante même si elle fait une place privilégiée à l’idée de rédemption par la mort de Jésus. Quant à son ecclésiologie, elle se limite à un zèle missionnaire ardent et à un appel à de grands rassemblements occasionnels au « désert ». Son anti-intellectualisme lui permettra de résister un certain temps à l’attrait de la sophistication théologique de l’Eglise de Jérusalem, mais lui interdira la longue durée. Après la grande crise traversée par le judaïsme et le christianisme dans les années 60 de notre ère, les « hellénistes » ne joueront plus aucun rôle au sein du mouvement chrétien que les héritiers de Jacques et de Pierre, d’une part, et ceux de Paul, de l’autre, prendront en charge, effaçant presque entièrement le souvenir d’une dissidence dont le principal mérite est d’avoir doté le christianisme de deux de ses caractéristiques essentielles : la mobilité missionnaire et le modèle littéraire de l’Evangile. »

 

Chapitre II. Paul et l’universalisme chrétien. Simon Légasse.

 

« Paul est entré tôt Das l’histoire du christianisme. Il a été mêlé directement à la tension initiale qui devait se résoudre en donnant naissance à une religion entièrement détachée du judaïsme au sein duquel elle avait pourtant recruté ses premiers adeptes. Le rôle de Paul en cette phase ne fut pas mince. Mais il n’a ni déclenché la crise, ni contribué à son évolution, de sorte qu’on aurait tort de le considérer, à la suite de certains historiens comme le second fondateur du christianisme au détriment de Jésus lui même. »

 

I. Les sources.

 

Elles sont relativement abondantes.

 

  • Lettres de Paul.

 

  • Actes des Apôtres.

 

Les lettres, en particulier, témoignent directement de Paul et de ses aspirations, projets, luttes, tensions, voire ses contradictions.

 

II. Le converti.

 

1). Paul préchrétien.

 

Naissance à Tarse en Cilicie à une date proche de celle de Jésus. Il est de citoyenneté romaine, ce que dans le cas contraire, aurait empêché son procès à Rome devant l’empereur.

 

Paul se retrouve très rapidement à Jérusalem (dès sa prime enfance), bien que beaucoup d’éléments militent pour une éducation en diaspora grecque (sa langue est le grec). A cette époque, Jérusalem comptait beaucoup de Juifs de la diaspora possédant leurs propres synagogues et parlant le grec.

 

Après avoir reçu une éducation à la juive dans une école où s’enseignaient les disciplines religieuses et la connaissance approfondie de la Bible, il aborde le niveau supérieur des études rabbiniques.

 

Paul serait issu d’un milieu d’artisans entrepreneurs du textile, il est fabriquant de tentes. Par contre peu d’informations sur son niveau de fortune.

 

Il est de santé fragile. « C’est bien à une maladie qu’il dut d’avoir évangélisé les Galates. »

 

Il y a de fortes chances qu’il ait été marié et se soit retrouvé veuf.

 

« Paul s’attribue la dernière place dans l’apostolat, parce que dit-il, il a « persécuté l’Eglise de Dieu. » Cette persécution, si elle fut violente, n’alla tout de même pas jusqu’à la mort des victimes. Elle s’est déroulée essentiellement à Jérusalem. Ce qu’il est possible de concevoir, c’est que Paul a contribué à traduire les chrétiens devant des tribunaux rabbiniques : son rôle d’espion ou de mouchard qui devait aboutir à faire administrer aux inculpés les châtiments réglementaires dans le cadre des synagogues. »

 

L’expédition de Damas racontée dans les Actes n’est pas conforme à la réalité. « Il est inconcevable que le grand prêtre ou le Sanhédrin aient autorisé Paul à pratiquer des arrestations à Damas et à transférer les chrétiens appréhendés à Jérusalem, car la juridiction du grand prêtre et du Sanhédrin était limitée aux onze toparchies de la province de Judée. »

 

2). Vocation apostolique et conversion de Paul : la vision de Damas.

 

Dans ses lettres, Paul ne raconte jamais l’évènement qui a transformé son existence.

 

Les théologiens n’ont pas tous la même analyse de cet évènement :

 

  • Il aurait acquis la certitude que Jésus perçu dans la gloire du ciel est le Messie.

 

  • C’est son rôle de sauveur unique avec comme contrepartie la fin de la Loi juive en tant que voie de salut qui lui aurait été révélée.

 

  • C’est une mission que Paul aurait reçue : mission de prêcher le Christ aux païens.

 

« Expérience forte mais aussi subite, car un évènement déterminé et inattendu non une évolution spirituelle fit d’un persécuteur des chrétiens un disciple et un apôtre de Jésus. L’évènement est couramment désigné du nom de « conversion ». Si l’on entend par le passage d’une religion à une autre, la dénomination est sans doute adéquate pour l’observateur extérieur et l’historien. Mais ce n’est pas le cas d’après le témoignage de Paul. Car pour lui, Jésus est et demeure le Messie d’Israël, comme il l’était déjà pour les chrétiens avant que Paul ne rejoigne leurs rangs. Plus tard, il définira sa propre mission comme l’annonce à tous les peuples de l’extension des promesses faites à Abraham. En acceptant les châtiments juifs sans faire acte d’apostasie, il montre qu’il ne désirait pas rompre avec ceux qu’il nomme ses « frères », ses « parents selon la chair. »

 

Cet évènement de Damas est difficile à dater mais aurait pu survenir deux à trois ans après la mort de Jésus.

 

III. Le missionnaire.

 

1). De la conversion à la première visite à Jérusalem.

 

Aussitôt après sa conversion, Paul se rend en Arabie, sans qu’il soit possible de dire combien de temps à duré cette mission.

 

Paul quitte Damas avant 39. « Quant à savoir la raison de l’hostilité qui l’obligea à décamper, on ne peut à ce sujet qu’émettre des suppositions, par exemple en admettant que Paul s’est livré à une activité de propagande dans la partie de l’Arabie sous contrôle nabatéen : une telle activité de la part d’un prédicateur juif à une époque où l’entente ne régnait pas entre Arétas et les princes hérodiens était pour le moins risquée. »

 

Paul se rend ensuite à Jérusalem pour rencontrer Pierre chef de la communauté chrétienne. Il rencontre aussi Jacques frère de Jésus qui gouvernera la communauté après le départ de Pierre.

 

2). Question de chronologie.

 

Après une deuxième visite de Paul à Jérusalem, Paul se fixe la mission d’organiser une « vaste collecte dans les Eglises d’Asie Mineure, de Macédoine et de Grèce, à l’intention des pauvres de la communauté de Jérusalem. »

 

« Si l’on se réfère avant tout aux lettres, on admettra que Paul ayant quitté Jérusalem après sa première visite, s’est rendu d’abord « en Syrie et en Cilicie », mais ensuite il s’est lancé dans une entreprise de propagande vers l’ouest. Le tout étant supposé avoir duré treize ou quatorze ans. »

 

3). Paul en Syrie et en Cilicie, puis à Antioche.

 

La présence de Paul à Antioche est confirmée par Barnabé.

 

« On peut être sûr, en tout cas, que Paul est entré dans une communauté de type expansionniste et qui déjà s’activait auprès des non-juifs. Paul n’eut pas de peine à s’y adapter, lui dont la vocation allait dans ce sens. »

 

4). Deux expéditions missionnaires.

 

  • A Chypre et en Asie Mineure.

 

Sous les ordres de Barnabé, Paul effectue un voyage qui le conduit à Chypre, en Asie Mineure, dans les régions de Pamphylie, Pisidie et Lyaconie. Considéré comme une fiction, ce voyage est pourtant plausible.

 

« Il nous est impossible de connaître avec certitude les motifs qui ont décidé Paul et son compagnon à diriger leurs pas et leur propagande dans ces contrées et dans les villes au rayonnement avant tout régional, de préférence à des centres plus importants et plus peuplés tels qu’Ephèse, Smyrne, ou Pergame. Les missionnaires ont pu effectuer, eu égard aux routes d’Asie Mineure, des calculs stratégiques : ceux-ci, toutefois, relèvent de la simple conjecture.

 

  • A travers l’Asie Mineure jusqu’à Corinthe.

 

Paul et Barnabé décident un deuxième voyage pour visiter les communautés déjà fondées. Mais ce voyage ne se déroulera pas comme prévu car les deux hommes se séparent après une altercation et Paul part avec un nouveau compagnon : Silas.

 

Au cours d’un arrêt à Lystres Paul convertit et prend comme adjoint quelqu’un qui deviendra un de ses plus fidèles compagnons : Timothée.

 

Ils se rendent ensuite en Macédoine à Philippes (ex Krénides). « La ville peu peuplée, avait néanmoins son importance, vu sa position géographique sur la grande route, ce qui justifie déjà le choix de Paul. Ajouter que sa qualité de colonie et sa population, qui faisaient de Philippes une manière de « petite Rome » ouvraient aux missionnaires une porte sur le monde romain. »

 

Fondation d’une communauté dans la cité, mais ils en sont chassés après que Paul eut exorcisé une jeune esclave qui était douée de voyance ce qui prive son maître de revenus. Ils sont accusés de trouble à l’ordre public et sont jugés, battus avec des verges avant d’être mis en prison. Mais « l’accusation porte en seconde lieu sur le fait que ceux que l’on considère comme des Juifs prêchent des « coutumes inacceptables pour des Romains. » »

 

Ensuite, ils se rendent à Thessalonique en passant par Amphipolis et Apollonie.

 

A Thessalonique, Paul consacre la première partie de son séjour à la prédication mais ensuite doit faire face à des troubles fomentés par les Juifs de la ville. Lui et ses collaborateurs sont accusés d’avoir semé le trouble dans la cité, mais plus grave, de commenter un crime de lèse majesté en « affirmant qu’il y a un autre roi, Jésus. »

 

Mais « on peut douter que les faits se soient réellement passés pendant le séjour de Paul à Thessalonique : c’est Jason qui est au centre du récit. Paul et ses compagnons, introuvables, avaient sans doute déjà repris leur route. Il est peu probable en outre, que les Juifs, ont été les instigateurs de cette affaire. » Par contre leur séjour ne s’est pas passé sans incident.

 

Après un passage par Pella, Bérée, Athènes où son séjour est un échec du fait du peu de conversion, Paul se rend à Corinthe où il demeure un an. C’est durant ce séjour que se déroule le soulèvement des Juifs contre lui et sa mise en accusation devant le proconsul Gallion.

 

Comparaissant devant Gallion, celui-ci estime que Paul n’est coupable d’aucun délit ce qui lui permet de rester un peu plus à Corinthe d’où il rédige la première Epitre aux Thessaloniciens « qui est le premier écrit chrétien dont nous ayons connaissance. »

 

5). L’accord de Jérusalem.

 

De Corinthe, Paul doit se rendre à Antioche, mais il fait un détour par Jérusalem.

 

« Un débat naquit à Antioche qui se prolongea à Jérusalem, autour de la question suivante : la pratique, déjà répandue, d’agréger les non-juifs au christianisme sans soumettre les hommes à la circoncision était-elle légitime ? (…) La délégation de Paul et de quelques autres membres de la communauté d’Antioche auprès des autorités de l’Eglise de Jérusalem eut pour but de trancher le débat, ce qui suppose qu’un poids tout particulier était accordé à ces autorités, y compris par Paul lui-même. »

 

Malgré une certaine opposition, l’entrevue se conclut en faveur de la thèse libérale. Mais outre cet accord, une répartition des champs d’évangélisation est effectuée : Barnabé et Paul s’adresseraient aux païens, les apôtres de Jérusalem aux Juifs. « Paul et les Antiochiens ont tout le loisir de gagner les païens sans leur imposer la circoncision : les apôtres de Jérusalem devaient eux s’occuper des Juifs sans toucher à la Loi que ces derniers continuaient à pratiquer. »

 

Dernier élément de cette rencontre : penser aux pauvres de la communauté en train de se marginaliser et de ce fait échapper à la charité publique.

 

6). Crise à Antioche.

 

A Antioche, les communautés chrétiennes se rassemblaient dans des maisons ou chrétiens venus du paganisme et judéo-chrétiens partageaient des repas communautaires. « Il est possible, et même vraisemblable, que, par délicatesse, les premiers aient accepté certaines concessions envers les seconds, mais le rapport de Paul laisse plutôt entendre que les règles alimentaires juives étaient dans ces reps, passablement négligées. »

 

Arrivée à Antioche d’un groupe de chrétiens de Jérusalem envoyé par Jacques. Ils interviennent explicitement ou refusent de s’associer aux pratiques mangeant à part, Pierre lui même donnant l’exemple. Son attitude fait tâche d’huile et bientôt tous les judéo-chrétiens l’imitent.

 

« Pour Paul, l’attitude de Pierre en la circonstance est motivée par le respect humain. Pierre tenait à passer auprès des « circoncis » de Jérusalem pour un fidèle observateur de la Loi mosaïque. Mais c’était la trahir ses propres convictions, ce qui lui vaut, ainsi que ses suiveurs, l’étiquette « d’hypocrite » de la part de Paul. Ce blâme est encore peu de chose car, en se comportant de la sorte, Pierre déviait, selon Paul, de la « vérité de l’Evangile », laquelle supprime toute distinction entre juifs et païens unis dans la foi au Christ, seule condition du salut pour l’homme. »

 

« Si Pierre avait été seul à se montrer lâche, Paul l’aurait sans doute réprimandé en tête à tête. Mais du moment qu’il créait une scission dans la communauté, une semonce publique s’imposait (…) La nouvelle conduite de Pierre était interprétée comme une incitation à suivre certains judéo-chrétiens, les « faux frères » auxquels Paul s’était affronté à Jérusalem et qui réclamaient la judaisation des païens avant de les introduire dans l’Eglise. »

 

On peut penser que l’intervention de Paul fut un échec et qu’il « a jugé utile de prendre le large pour une nouvelle campagne, cette fois-ci sans délégation de l’Eglise qu’i quittait et suivant la seule inspiration qui l’avait déjà guidé et le guidera désormais. »

 

7). Le voyage de la collecte et le combat pour l’Evangile.

 

« En quittant Antioche, Paul inaugurait la tranche de vie et de sa carrière la plus semée d’embûches et la plus douloureuse : l’incompréhension au sein de la communauté d’Antioche qui, on peut le supposer, l’incita à s’en séparer, marque le début d’une période que non seulement l’hostilité extérieure mais encore celle des chrétiens eux-mêmes rendront particulièrement difficile. »

 

Dans un premier temps, Paul se rend à Ephèse mais en passant par les communautés précédemment fondées afin de les engager dans la collecte pour Rome. La communauté chrétienne d’Ephèse est antérieure au passage de Paul dans la ville. C’est dans cette ville qu’il aurait été prisonnier et qu’il aurait rédigé les Epitres aux Philippins, aux Colossiens et à Philémon.

 

Durant ce séjour, une crise se développe à Corinthe où des divisions règnent « causés par l’engouement de plusieurs pour l’éclat d’une « sagesse  » faite surtout de beaux discours. La diversité sociologique de la communauté se traduisait en abus lors des repas qui la réunissaient et de l’eucharistie qu’on y célébrait. »

 

La communauté corinthienne est pénétrée par quelques chrétiens venus de l’extérieur munis de lettres de recommandation. Paul les accuse d’altérer la parole de Dieu, de parler d’un « autre Jésus », d’un « esprit différent » et de proclamer un « Evangile différent ».

 

Paul se rend donc à Corinthe pour régler le problème, mais c’est un échec et il revient à Ephèse.

 

Paul se rend ensuite à Troas puis gagne la Macédoine.

 

« La révélation et la vocation de Paul à Damas, l’entrainaient vers une situation de rupture avec le judaïsme dans lequel la loi mosaïque édicte l’ordre divin et trace le chemin du salut (…) Paul n’est pas parvenu, sans quelque lenteur, à se poser en contestataire d’une permanence de la Torah, permanence qui rendait vaine la rédemption dont Jésus a été l’instrument choisi par Dieu. »

 

« L’accord de Jérusalem n’avait manifestement pas obtenu un soutien unanime : la résistance qui s’était alors exprimée parmi les judéo-chrétiens annonçait une entreprise, cette fois de propagande, dans le même esprit. »

 

« Après la seconde visite de Paul en Galatie, des prédicateurs chrétiens surviennent dans la région qui s’opposent à la pratique missionnaire de Paul et contestent son autorité apostolique. Selon eux, il faut circoncire les païens qui répondent à l’appel de l’Evangile et leur imposer les préceptes de la Loi juive. Paul devait sa mission non au Christ mais aux grands et véritables apôtres de Jérusalem qu’il aurait trahis en transgressant leurs consignes. »

 

L’opposition qu’il rencontre est l’occasion pour Paul d’élaborer une théologie qu’il élabore dans l’épître aux Romains.

 

« Paul expose les deux phases de sa lecture de l’histoire des rapports de Dieu avec les hommes. La phase négative de l’échec est d’abord accentuée pour que ressorte la puissance de Dieu qui relève le monde de sa déchéance ; le péché est généralisé pour que la grâce donne tout son éclat ; la Loi mosaïque, inobéie et, par là, cause indirecte de prévarication, est reléguée parmi les réalités désormais révolues, au bénéfice de la foi qui est un oui reconnaissant à Dieu qui sauve. La « justice de Dieu » qui s’exerce en absolution a mis un terme à l’aliénation de l’homme par le mal : il peut désormais ne plus être celui qui fait le mal en voulant faire le bien, il accède à la liberté de servir Dieu dans la paix d’un être réconcilié, Israël, incrédule, sera finalement sauvé, car la miséricorde de Dieu est universelle. »

 

De Corinthe, Paul retourne à Jérusalem pour accompagner les porteurs de la collecte, « preuve qu’il tient par dessus tout à maintenir le lien entre les Eglises de la gentilité et celle de Jérusalem. »

 

IV. La fin d’une carrière.

 

1). Essai de chronologie.

 

Retracer la chronologie après le départ de Corinthe est impossible sans une part notable d’hypothèses.

 

« On peut admettre que Paul ayant quitté Corinthe au printemps 58, s’est trouvé captif à Césarée dans les derniers mois de la même année et était encore en prison en 59 lors du changement de procurateur. »

 

2). Paul à Jérusalem.

 

Lors du séjour de Paul à Jérusalem, Pierre ne s’y trouve plus et la communauté est dirigée par Jacques assisté d’un conseil des anciens. Il est précédé de rumeurs l’accusant d’avoir poussé les Juifs de la diaspora à abandonner la circoncision et leurs coutumes ancestrales. « Une réputation d’anti-légalisme précédant Paul, les membres les plus stricts de la communauté n’étaient pas enclins à accepter un don de sa part. »

 

Afin qu’il se réhabilite on lui propose d’effectuer une démarche rituelle de purification et l’acquittement d’une redevance et de sacrifices.

 

Paul est ensuite accusé d’avoir introduit un païen dans le Temple. « Lui même étant juif, pouvait être traduit devant un tribunal de sa propre nation. Ce n’est pas ce qui se passa, mais il y eut un amendement populaire et un début de lynchage. Seule l’intervention rapide de la troupe romaine (…) sauva Paul d’une mort à peu près certaine. Il fut porté à l’intérieur de la forteresse romaine et traité en prisonnier signe que l’on considérait qu’il était la cause du tumulte. »

 

3). Le procès à Césarée.

 

Après sont arrestation, Paul est emmené à Césarée pour y être jugé. Une fois sur place, il est rejoint par une délégation juive accompagnée par un avocat pour l’accuser devant le tribunal romain. Paul est laissé en prison, mais fait appel à l’empereur ce qui est son droit car utilisant le droit de cité.

 

4). Vers Rome.

 

Le récit du voyage dans les Actes des Apôtres « nous instruit plus sur la façon dont l’auteur voit son héros que sur Paul lui-même et sa carrière. »

 

5). Dernières années et mort.

 

« Paul a bénéficié à Rome, du régime de la custodia militaris, moins rude que la prison : gardé par deux soldats, le captif attendait son jugement dans un logis qu’il pouvait choisir et où il pouvait s’occuper de son procès ou d’autres affaires. »

 

« Paul aurait été libéré, puis, revenu à Rome après son voyage en Espagne, aurait été de nouveau arrêté, incarcéré, et son procès se serait alors terminé par une exécution. Cette version des faits, présentée pour la première fois par Eusèbe de Césarée, est retenue aujourd’hui par plusieurs auteurs. Comment rendre compte de cette seconde et dernière arrestation ? On peut supposer que Paul avait contribué par son prestige apostolique à un accroissement important de la communauté chrétienne de Rome. (…) Désormais distincte des Juifs et soustraite à leurs privilèges, cette communauté faisait acte de rébellion en refusant les cultes de la cité et celui de l’empereur. Qu’un citoyen romain tel que Paul ait contribué, par son action à briser ainsi l’ordre social et politique, cela le désignait plus que tout autre à la justice impériale. »

 

Paul est exécuté par décapitation comme Jean-Baptiste. Mais il n’est pas certain que cette exécution soit en rapport avec la répression menée par Néron en 64. Il pourrait avoir été exécuté en 65.

 

V. Les Eglises pauliniennes.

 

« En devenant chrétien, Paul est entré dans une ekklesia, non dans une école ou une religion dont le but aurait été de guider leurs membres vers une connaissance, une renaissance ou un statut individuel. Les chrétiens prolongent, en l’adaptant, la ligne tracée par Jésus qui, avec le symbole des « Douze », signifiait le rassemblement eschatologique d’Israël. Par là l’idée d’un reste ou d’une élite est bannie. Il ne s’agissait pas non plus « d’instaurer » une nouvelle organisation concurrente ou de remplacement au sein du judaïsme, mais de révéler l’accomplissement des promesses de Dieu en faveur du peuple élu. »

 

« Le mot ekklesia est repris de l’Ancien Testament grec par les chrétiens pour désigner ce peuple convoqué par Dieu à travers la prédication missionnaire. Avant de désigner l’assemblée ou la communauté locale, le mot embrasse le peuple lui-même, auquel appartient la communauté locale. »

 

Ce concept est antérieur à Paul bien qu’il soit le premier à l’utiliser par écrit.

 

Au cours de ses missions, Paul créé plusieurs communautés : Galatie, Philippes, Thessalonique, Corinthe, Troas. Il oeuvre aussi à Ephèse.

 

« Ne disposant ni d’un temple, ni d’une synagogue, les communautés pauliniennes se réunissent dans des maisons privées où elles célébraient leur culte. Sans cérémonial détaillé, celui-ci comprenait deux rites essentiels : le baptême et le repas eucharistique, complétés par l’écoute de la parole, les hymnes et les prières. On a pu, au cours de ces assemblées, traiter de questions particulières et prendre des dispositions jugées opportunes. »

 

VI. L’écrivain.

 

« Paul n’est devenu écrivain que parce qu’il était apôtre. Il est probable que s’il était resté dans le judaïsme, il n’aurait pas laissé d’oeuvre littéraire, car il n’était pas préparé à en produire. »

 

« Variées quant à leur contenu en raison des circonstances qui ont motivé leur rédaction, les lettres de Paul obéissent néanmoins à un schéma régulier comprenant successivement l’adresse, une action de grâces, le corps de l’épitre et la conclusion. »

 

« Le corps de l’épitre offre parfois l’occasion d’y reconnaître l’influence d’un modèle emprunté à l’art oratoire. Mais la plupart des lettres de Paul ne sont pas faites pour entrer dans cette catégorie. »

 

VII. L’influence.

 

« L’importance des lettres de Paul dans la théologie, la liturgie et la piété chrétienne est notoire. En était-il ainsi dès le début ? Du vivant de Paul, il est clair que l’opposition à sa personne et à sa prédication s’est manifestée autrement que du côté païen et juif. Les Actes des Apôtres laissent à peine entrevoir les difficultés voire la guerre ouvert que Paul a dû subir de la part des chrétiens eux-mêmes. »

 

« Mais le courant paulinien se manifeste, aux origines, surtout, dans les épitres qui, après la mort de Paul, se réclament de son patronage, attestent la vénération de leurs auteurs à son égard et, dans une certaine mesure, prolongent sa pensée. »

 

Chapitre III. Les autres voies de la mission (de l’Orient jusqu’à Rome). Simon Legasse.

 

I. Chypre, Asie mineure et Grèce.

 

1). Première évangélisation : les Eglises pauliniennes.

 

Les voyages missionnaires de Paul et de ses compagnons permettent l’implantation de communautés chrétiennes dans plusieurs centres urbains d’Asie Mineure, Macédoine et Grèce. Mais les récits de ces fondations sont lacunaires et nous ignorons souvent le destin immédiat de ces communautés.

 

La première étape de ces campagnes est Chypre visitée par Paul et Barnabé. Mais ensuite il n’y a plus d’informations jusqu’au IVe siècle.

 

En Asie Mineure, création de communautés à Antioche, Pisidie, Iconium, Lystre, Derbé.

 

2). Un christianisme Johannique à Ephèse ?

 

Un texte d’Irènée (rapport sur les Evangiles) rapporte que l’Evangile de Jean aurait été composé à Ephèse. On situerait même son tombeau à Ephèse.

 

Mais possible confusion entre Jean l’apôtre de Jésus et Jean l’Ancien qui reste mystérieux bien qu’il ait été considéré et se soit considéré lui même comme un « disciple du seigneur. »

 

Concernant le rapport de Jean l’Ancien avec les écrits du corpus johannique : Evangile, lettres, Apocalypse, « malgré les contacts indéniables entre les deux écrits, l’Apocalypse et l’Evangile ne peuvent être l’oeuvre du même auteur. Les épitres témoignent d’un contexte ecclésial différent de celui que l’on devine à travers l’Evangile. Il est bien difficile de ne pas reconnaître dans l’Evangile l’oeuvre de plusieurs mains successives et non simplement le produit d’un enseignement dispensé des années durant et soumis à des variations, inconsistantes et gloses. »

 

Une explication qui est assez courante aujourd’hui. « Ephèse et ses alentours seraient le cadre géographique de la production de l’Evangile et des épitres. Le conflit avec les « Juifs » dont témoigne l’Evangile s’accorde avec cette localisation, de même que l’allusion à des crypto-chrétiens cachés dans les synagogues. »

 

3). Les Eglises d’Asie au temps de l’Apocalypse.

 

« Les lettres aux sept Eglises qui occupent les chapitres 2 et 3 de l’Apocalypse de Jean » ne sont pas des lettres séparées qui auraient d’abord été envoyées à ces communautés « mais le tout a été composé ensemble pour leur parvenir avec le livre entier. Elles concernent les villes d’Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée (province proconsulaire d’Asie, ancien royaume de Pergame). Mais cela ne veut pas dire que seules ces villes aient été évangélisées.

 

Trois éléments susceptibles d’éclairer la situation des chrétiens de ces régions à la fin du Ier siècle.

 

Les persécutions. « La persécution romaine est l’arrière plan de tout le livre de l’Apocalypse et il faut supposer, vu ses destinataires, qu’elle affectait spécialement la province d’Asie (….) Quand on sait que Domitien (81-96) a nettement favorisé le culte impérial, on n’hésite pas à voir dans les malheurs des chrétiens recensés dans l’Apocalypse l’effet des mesures prises sous le règne de cet empereur. »

 

Entre 113 et 116, Pline le Jeune qui dirige la Bithynie écrit une lettre à Trajan concernant les chrétiens. La réponse de Trajan fera jurisprudence. Elle tient en 4 points :

 

  • L’autorité ne doit pas prendre l’initiative des poursuites.

 

  • Les Chrétiens qui, arrêtés sur dénonciation, auront renié leur foi par un geste manifestant leur adhésion au culte païen seront relâchés.

 

  • Les opiniâtres seront condamnés.

 

  • Il ne faut pas tenir copte des dénonciations anonymes « car c’est une chose d’un détestable exemple et qui n’est plus de notre temps. »

 

Les hérésies. Dans l’Apocalypse mention des « nicolaïtes » considérés comme une menace pour les Eglises d’Ephèse et de Pergame. L’Eglise de Thyatire tolère en son sein, sous le chiffre de Jezabel, une prophétesse qui égare la communauté. Tous ces cas sont internes à la société chrétienne.

 

« Les nicolaïtes renouvellent l’exemple et la doctrine de Balaam qui, d’après le livre des Nombres et la tradition juive, incitait Israël à se compromettre avec les autres idolâtriques. »

 

Le montanisme de Montan est plus un schisme qu’une hérésie. En effet « si elle ne touchait pas aux croyances fondamentales de l’Eglise, elle se soustrayait à toute autorité hiérarchique pour se soumettre aux seuls oracles de l’Esprit Paraclet. »

 

Tout commence en Phrygie avec un certain Montan, converti probablement du culte de Cybèle qui est saisi de transports extatiques et se met à prophétiser. Il est suivi par deux femmes puis une secte s’organise autour d’eux. La population environnante se converti.

 

Une morale rigoureuse se met en place :

  • Interdiction des secondes noces.

  • Jeûne.

  • Aumônes.

  • Encouragement du martyre et rejet de la fuite des persécutions.

 

Des synodes prononcent des excommunications, des écrits se multiplient (traité d’Apollinaire, évêque de Hiérapolis).

 

Le montanisme et ses idées se répandent en Occident sans qu’au début on y voit un danger. Mais au début du IIe siècle effritement de la communauté locale.

 

Des rapports difficiles avec les Juifs. « On est encore au temps de la séparation douloureuse et de l’exclusion des synagogues des Juifs christianisés, qui ne sont plus que pour leurs anciens coreligionnaires, que des hérétiques et des blasphémateurs, puisqu’ils croient que le Christ est Dieu (…) A cette haute époque, la haine juive contre les chrétiens, spécialement ceux issus de la synagogue, est un phénomène attesté. »

 

Un écrivain phrygien avant 150 : l’évêque Papias. A part les écrits johanniques, le premier écrit chrétien connu d’Asie Mineure est « l’explication des paroles du seigneur » de l’évêque de Hiérapolis Papias. Mais il ne reste que 13 fragments de cet écrit.

 

« L’influence considérable de cet auteur sur les anciens Pères de l’Eglise n’est due ni à son génie personnel (Eusèbe le tenait pour un « petit esprit »), ni à sa doctrine spécifique (Papias était millénariste), mais au fait que l’évêque était un témoin de la plus ancienne tradition ; il a été disciple de Jean et contemporain de Polycarpe. »

 

« Ses notices sont plus une source de problèmes qu’un éclairage utilisable sur l’origine des Evangiles, en particulier parce qu’elles ne s’accordent pas avec leur réalité. »

 

Polycarpe de Smyrne, évêque et martyr est connu par plusieurs sources dignes de foi. Il fut en contact avec Jean et les « autres disciples qui avaient vu le seigneur. » Après 150, il se rend à Rome pour rencontrer l’évêque Anicet, et c’est là qu’il rencontre Marcion. Il aurait été martyrisé la septième année du règne de Marc Aurèle (161-180)

 

Se sentant menacé, il se cache dans une première maison, puis une deuxième . Mais un esclave parle sous la torture et il est arrêté. Sur l’insistance des Juifs, il est brûlé vif, mais devant la lenteur du brasier, un bourreau l’achève d’un coup de poignard. « Les Juifs craignant que son corps ne soit l’objet d’un culte, font tout pour qu’il soit pleinement consumé. Les Chrétiens en recueillent les seuls ossements. »

 

« Polycarpe est un pasteur zélé, ferme dans la foi (…) mais plus moraliste que docteur. »

 

II. Egypte.

 

« La naissance du christianisme en Egypte baigne dans une obscurité quasi totale. On ne possède aucun témoignage direct. »

 

1). Documentation directe.

 

Eusèbe de Césarée dans son « histoire ecclésiastique » cite une série de 10 personnages ayant présidé la communauté d’Alexandrie à partir de Marc et jusqu’au règne de Commode (180-192)

 

« Si toutefois l’on admet l’historicité foncière de la tradition alexandrine sur Marc et si l’on fixe la composition de son Evangile peu avant 70, on conclura qu’il y avait des Chrétiens en Egypte vers la fin du Ier siècle. »

 

2). Données papyrologiques.

 

« Les pièces qui portent des traces indubitables de christianisme ne sont pas nombreuses ; mais elles attestent désormais une présence chrétienne en Egypte dès le début du IIe siècle. »

 

Le plus ancien fragment connu est daté de 125 par les spécialistes. Il s’agit d’un extrait de l’Evngile de Jean.

 

D’autres documents montrent une prolifération chrétienne en Moyenne et Haute Egypte dès le IIe siècle.

 

Conclusions.

 

1. « De la documentation dont on dispose, en l’espèce des fragments de textes scripturaires ou parascriptuaires sur papyrus, on peut conclure que le christianisme a été implanté en Egypte dès le Ier siècle. »

 

2. « Il est impossible d’acquérir des certitudes touchant le mode d’implantation du christianisme en Egypte. Que Marc autour de l’Evangile qui porte son nom, y ait participé peut-être tenu pour probable, mais ce ne peut-être, en toute hypothèse, qu’une donnée parmi d’autres, amplifiée par la suite dans la tradition locale. Plutôt que de songer à l’action de chrétiens d’obédience judaïsante issus des cercles jérusalémites de cette tendance, on tiendra compte du fait que des Juifs alexandrins se trouvaient parmi les hellénistes de Jérusalem où ils possédaient une synagogue. Que parmi eux certains aient adhéré à la nouvelle foi est tout à fait vraisemblable et que, dans l’élan missionnaire du mouvement, ils aient contribué à l’implanter dans la ville d’où ils étaient originaires se comprend sans peine. Ils s’y retrouvaient au contact d’une nombreuse communauté juive où leur propagande avait l’occasion de s’exercer. »

 

3. « La documentation ancienne dont on peut disposer donne au christianisme égyptien des origines une teinte que l’on peut qualifier « d’éclectique » en matière de référence à des textes. Les écrits canoniques, qui ne pouvaient être inconnus en Egypte, n’y avaient pas alors l’autorité absolue qu’on leur reconnaissait dans d’autres aires chrétiennes de l’époque. »

 

III. Rome.

 

1). Naissance du christianisme à Rome.

 

« Pour éclairer les origines de l’Eglise de Rome, les sources chrétiennes ne sont pas d’une grande aide. En revanche, on peut déduire des données occasionnelles de l’historiographie romaine quelques sérieux points d’information. »

 

Du texte de Tacite sur l’incendie de 64, on peut tirer plusieurs conclusions :

 

  • En 64 on distingue déjà entre Juifs et Chrétiens.

 

  • La communauté chrétienne est nombreuse.

 

  • Les païens savaient que le christianisme était né en Judée et que les chrétiens tenaient leur nom du christ exécuté sous Tibère par Ponce Pilate, gouverneur de Judée.

 

Suétone pour sa part évoque l’expulsion des Juifs du fait de « leurs troubles constants. » Si Suétone ne ne date pas cet évènement, Dion Cassius donne la date de 41 - 42.

 

« On admettra qu’il y avait des judéo-chrétiens actifs à Rome dans les années 40, soit une dizaine d’années après la mort de Jésus. »

 

2). Composition et tendance.

 

« Une chose peut-être tenue pour certaine : la communauté de Rome, autour des années 50, était mixte, composée d’anciens païens et de Juifs christianisés. »

 

Par contre impossibilité d’évaluer la proportion de chacun des groupes et de déterminer l’influence des uns et des autres.

 

3). Pierre et Paul à Rome.

 

« Rien dans la documentation que nous possédons n’indique que Pierre a contribué à la fondation de la communauté chrétienne de Rome. Quant à sa venue et à son séjour dans cette ville, un seul point peut-être tenu pour à peu près assuré : Pierre a subi le martyre à Rome pendant la persécution de Néron. On ignore tout du reste. »

 

« Il n’y était sûrement pas quand Paul, en 58, écrivait l’épître aux Romains dont on ne s’expliquerait pas qu’il ne le mentionne pas si Pierre s’était alors trouvé à Rome. Il est vraisemblable que Pierre n’y est arrivé que dans les années 60, peu de temps avant son martyre. La persécution de Néron est à fixer au mieux en 65. »

 

Paul pour sa part arriverait à Rome vers 61.

 

4). Les persécutions.

 

C’est l’Eglise de Rome qui a inauguré les persécutions. « Avant le sinistre de 64, faire profession de christianisme était illégal, voire passible de mort en tant que pratique d’une « superstitio externe. »

 

« Le sort des chrétiens de Rome, juste après la persécution de Néron, demeure obscur. On doit cependant le supposer précaire et admettre comme vraisemblable qu’un certain nombre de chrétiens ont été arrêtés et condamnés. »

 

Sous Domitien (81-96), raidissement de la politique contre les Juifs (en particulier il fait exécuter le consul Flavius Clemens, pourtant son cousin, mais sympathisant du judaïsme.)

 

A cette époque, « l’Eglise de Rome est sur le qui-vive. Brimades policières, dénonciations, quelques morts, l’hostilité populaire, ça et là des ébauches de pogroms : l’expérience est celle d’une société menacée dans sa vie et dans sa foi, avec peu d’espoir dans l’avenir. »

 

5). Organisation et ministères.

 

Deux sources permettent de connaître l’organisation de l’Eglise de Rome jusqu’aux années 150.

  • La lettre de Clément.

  • Le Pasteur d’Hermas.

 

S’il ne décrit pas son organisation, Clément la conçoit comme une armée hiérarchisée et disciplinée sous les ordres de ses chefs. Seul le titre de « presbytie » semble correspondre à une fonction réelle dans la communauté.

 

Si l’Eglise de Rome n’a pas de pouvoir sur les autres communautés, il y a tout de même un sentiment de responsabilité qui la pousse à intervenir.

 

« L’Eglise a gardé aussi le ministère des « docteurs » (didaskalai) qui sont ici plus qu’un souvenir du passé : leur fonction subsiste encore au IIIe siècle. »

 

6). Les hérésies : Marcion et son « Eglise ».

 

A Rome, présence de gnostiques tels que Valentin, Cerdon, mais surtout de Marcion qui arrive entre 136 et 140.

 

Marcion est originaire de Sinope (Pont) sur la côte méridionale de la Mer Noire. Son père est l’évêque du lieu. Il quitte sa ville natale pour des raisons inconnues et devient armateur et gagne beaucoup d’argent.

 

En arrivant à Rome, il se joint à la communauté chrétienne locale à laquelle il fait un don de 200.000 sesterces. En juillet 144, il se présente devant le collège des presbytères de Rome devant lequel il oppose « le vin nouveau de l’Evangile aux vieilles outres du judaïsme, les deux estimés incompatibles. » Cette attitude consomme la rupture avec la communauté.

 

« Marcion disciple de Paul, se libère des scrupules de son maître en établissant un antagonisme théologique radical : le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas celui de Jésus-Christ. Le second est bon, miséricordieux, sauveur. Le premier est juste, vindicatif. Il est aussi créateur. C’est lui qui, en créant l’homme et en lui imposant des préceptes despotiques, le met en occasion de péché et le soumet d’avance à de cruels châtiments. A cette oeuvre manquée, le Christ vient apporter réparation et remède par une autre oeuvre, celle de la rédemption. Il le fait au moyen d’un corps dont la réalité, sans être niée (Jésus a bien souffert la Passion) n’est au fond qu’une apparence d’humanité : Jésus survient tout à coup dans la synagogue de Capharnaüm, la quinzième année de Tibère, venant du ciel, sans avoir connu ni naissance, ni croissance. »

 

« L’homme sauvé par le Christ obéit à des impératifs non de crainte mais d’amour. »

 

« Le Dieu des Juifs est le créateur de la matière : s’en détacher exige par conséquent une rigoureuse ascèse en particulier le renoncement au mariage et à la procréation qui ne servent qu’à perpétuer l’oeuvre de Dieu créateur ; dans le domaine alimentaire : abstinence de viande et de poisson. »

 

Les constats qu’il y a pu avoir entre le marcionisme et les systèmes gnostiques ont du être accidentels. « Le gnosticisme qui s’exprime sous forme de mythes plus ou moins compliqués, est un essai spéculatif de résoudre le problème du mal en recourant à l’idée de déperdition du divin dans la matière, oeuvre d’un démiurge ; le salut s’effectue par la connaissance. Pour Marcion, le problème est d’ordre scripturaire et la solution qu’il propose, tout en ayant des contacts avec le dualisme cosmologique des gnostiques, est un dualisme historique : deux économies se succèdent et s’affrontent , et il importe d’avoir de bonnes raisons d’embrasser, par la foi, la seconde. D’où la révision radicale de la théologie chrétienne, de la christologie, ainsi que la refonte et le tri des écritures sacrées. »

 

Cette Eglise née à Rome se répand rapidement dans diverses régions de l’Empire. L’Eglise se sentant en danger réfute souvent cette tendance qui semble disparaître vers 250 en Occident. Par contre en Orient, elle perdure au moins jusqu’au VIIe siècle.

 

Chapitre IV. Juifs er Chrétiens : la séparation (Daniel Marguerat)

 

La mort brutale de Jean met fin à une tentative de réforme du judaïsme. « La constitution du cercle des Douze disciples, témoigne en effet, par son chiffre, d’une volonté de recomposer symboliquement le peuple des douze tribus. » Jésus n’a jamais voulu quitter l’espace juif que ce soit géographiquement ou religieusement.

 

Pourquoi y a-t-il eu séparation ? Pourquoi les Juifs sont-ils demeurés un peuple alors que le mouvement qui se réclame de Jésus est devenu une religion du monde ?

 

« Abandonnons l’idée d’une immutabilité du judaïsme, dont se serait détaché comme une extension, le christianisme : le judaïsme ancien fut au contraire un mouvement diversifié, et profondes ont été les mutations qu’il a subies au Ier siècle. Quittons également l’idée que la foi hébraïque au Ier siècle se serait scindée en deux religions distinctes, dont l’une serait le judaïsme rabbinique et l’autre la chrétienté dominée par les figures de Pierre et de Paul. »

 

La séparation se fait au Ier siècle. Elle fut rapide, inégale selon les lieux et totalement liée à l’évolution interne du judaïsme.

 

- Rapide. Un siècle sépare la mort de Jésus et le premier écrit chrétien dans lequel l’Eglise prend la place d’un Israël répudié par Dieu.

 

- Inégale. Selon les régions, les rapports entre Chrétiens et Juifs évoluent différemment. « En règle générale, plus forte était la proximité entre Eglise et synagogue, plus violente et précoce fut la séparation. »

 

  • Evolution interne au judaïsme. Les deux guerres juives (66-7à et 132-135) ont ébranlé durablement l’identité juive et modifié la compréhension que le judaïsme avait de lui même. « Ces mutations ont profondément affecté ses relations avec les chrétiens. »

 

I. La première génération chrétienne (30-50) : Un mouvement de renouveau du judaïsme.

 

La première génération du christianisme se caractérise par une impressionnante diversité diffusée par de nombreux propagandistes, le plus souvent anonymes, rattachés à des mouvements couverts par des figures emblématiques : Pierre, Jacques, Jean, Paul.

 

« On peut identifier 4 courants qu’on peut qualifier de « judéo-christianisme » puisqu’ils considèrent la foi au Messie Jésus comme une forme particulière de participation à l’alliance d’Israël et à sa Loi. »

 

1). La Première Eglise : Jérusalem.

 

Le judéo-christianisme est la première « concrétions » du mouvement chrétien. Ces croyants sont tous des Juifs. « Leur rapport aux formes institutionnelles de la loi juive (…) est fait à la fois d’adhésion et de singularité. Leur participation à la prière au Temple et l’enseignement dans le Temple impliquent un consentement à cette institution, quand bien même aucune participation au rite sacrificiel du Temple n’est mentionnée. Mais d’autre part, ils se réunissent à la maison des prières et pour la fraction du pain ; ils se remémorent liturgiquement les évènements de la Passion à l’aide d’un récit, très tôt constitué. »

 

« Le profil qui se dégage est celui d’une secte juive intégrée au judaïsme commun mais cultivant une croyance juive renouvelée, comme il en existait à profusion dans le judaïsme sectarisé du second Temple (groupe essentiels, conventicules, pharisiens, cercles baptistes). »

 

Le groupe est dominé par plusieurs figures : Pierre remplacé par la suite par Jacques frère de Jésus.

 

2). La mission de Pierre.

 

Pour des raisons ignorées, Pierre quitte l’Eglise de Jérusalem pour animer l’aile missionnaire du mouvement.

 

« Le nom de Pierre est donc lié à un judéo-christianisme palestinien missionnaire, dont il est peu vraisemblable, malgré le récit des Actes qu’il ait étendu l’évangélisation aux non-juifs. Ce courant a plutôt mission entre Palestine et Syrie, recrutant pour Jésus des adeptes venus de la synagogue. Théologiquement ce christianisme est proche de celui de Jérusalem. »

 

3). Un enthousiasme millénariste.

 

« L’évènement de Pâques a déclenché dans des cercles chrétiens une attente vive de la fin des temps, et cet enthousiasme millénariste, porté par une vague prophétique, est la signature d’un judéo-christianisme palestinien apocalyptique. Parce que la venue du Règne de Dieu appartient à un futur imminent, le présent bascule entièrement dans l’urgence de s’y préparer. »

 

Les paroles de Jésus qui vont dans ce sens sont véhiculées et amplifiées par des prophètes charismatiques qui sillonnent les campagnes palestiniennes. « C’est à ce courant que l’on doit la préservation de l’essentiel des paroles de Jésus dans une tradition orale araméenne. »

 

« L’imminence de la venue du règne exerce ici un effet d’urgence. Car la perspective du jugement dernier nécessite de la part des croyants qu’ils observent intégralement la Torah telle que Jésus l’a réinterprétée, et dont il a radicalisé les préceptes (….) A la différence du judéo-christianisme de Jérusalem et de la mouvance de Pierre, ce millénarisme se muera rapidement en mouvement de rupture. »

 

« Cette attachement exclusif à la parole du Christ conduira inévitablement au conflit avec les populations juives, qui rejetteront les propagandistes de cette secte jugée extrémiste. »

 

4). La percée helléniste.

 

Vers 35, première crise entre le judaïsme commun et le christianisme naissant. Elle est déclenchée par les hellénistes dont Etienne et Philippe. Les membres de ce groupe se recrutent parmi les Juifs aisés et cultivés de langue grecque. « Au ritualisme de Jérusalem, ils opposent une interprétation morale de la Torah, qui avait été défendue avant eux par le judaïsme de la Diaspora. » Ils jugent secondaire la préservation de la pureté rituelle et le respect des interdits alimentaires.

 

Ils contestent en particulier la localisation de Dieu dans le Temple, cause de l’exécution d’Etienne et de l’expulsion de ses partisans. Par contre la persécution a épargné la chrétienté de Jacques qui vit sa foi à l’ombre du Temple. « Ce n’est donc pas la foi au Messie Jésus qui est visée comme telle, mais les libertés envers les rites que s’autorisent certains de ses adeptes. »

 

Après leur expulsion, les hellénistes se répartissent le long de la côte phénicienne et à Chypre, mais dans les villes car ce ne sont pas des ruraux.

 

A Antioche-sur-Oronte se déroulent deux évènements d’une importance cruciale :

 

  • Annonce aux Grecs de la bonne nouvelle du seigneur Jésus.

 

  • C’est à Antioche que pour la première fois est donné le nom de chrétiens aux disciples.

 

« L’ouverture de l’alliance d’Israël aux non-juifs permet d’étiqueter le groupe des adeptes de Jésus, qui devient dès lors une secte identifiable et nommable. »

 

« C’est donc avec les « hellénistes » que l’espace originaire du mouvement de Jésus a donc été dépassé. »

 

La Synagogue au Ier siècle se compose de trois cercles :

 

  • Les Juifs de naissance par lignée maternelle.

 

  • Les prosélytes, païens de naissance, intégrés à l’alliance par la circoncision.

 

  • Les craignant-Dieu, païens intéressés par la foi juive mais non circoncis, associés à quelques rites et astreints à une part des prescriptions de la Torah.

 

« Antioche, cette métropole régionale à forte population juive est devenue le berceau de nombreux courants du christianisme primitif. L’apôtre Paul après sa conversion a été catéchisé par cette communauté, qui lui a confié un mandat missionnaire. »

 

5). Une extrême diversité.

 

« Entre le judéo-christianisme de Jérusalem et la mouvance de Pierre, entre le judéo-christianisme apocalyptique et celui des « hellénistes », la position des chrétiens de première génération à l’égard des convictions juives passe du consensus à la provocation libertaire. »

 

Les marqueurs de l’identité juive :

 

  • Le monothéisme, le Dieu d’Israël étant le Dieu unique.

 

  • La foi en l’élection, Israël ayant été choisi par Dieu et ayant conclu une alliance.

 

  • La Torah considérée comme un don, un gage de l’alliance.

 

  • Le Temple de Jérusalem, institution centrale de la foi d’Israël, lieu du rite d’expiation des péchés, mais aussi résidence de Dieu.

 

6). Une crise interne.

 

un peu avant 50, Paul est au centre d’un conflit menaçant gravement la coexistence au sein des judéo-christianismes. Des envoyés de l’Eglise de Jérusalem viennent à Antioche contester la validité d’un salut promis sans la circoncision. Devant la rébellion des Hellénistes, une assemblée se tient en 49 pour trancher le différend. Elle aboutit à un partage des responsabilités :

 

  • La mission auprès des Juifs est du ressort de l’Eglise de Jérusalem.

 

  • L’évangélisation des païens est dévolue aux Hellénistes et à Paul.

 

Quatre conditions furent imposées aux non-juifs en vue de permettre la communion avec les Juifs chrétiens respectueux de pureté rituelle :

 

  • S’abstenir des viandes de sacrifices païens.

 

  • S’abstenir de sang.

 

  • S’abstenir des viandes d’animaux non abattus rituellement.

 

  • S’abstenir d’immoralité.

 

« L’unité des communautés chrétiennes est en jeu dès lors que les chrétiens respectueux de la Torah ne pourraient plus côtoyer des chrétiens indifférents aux questions de pureté (….). S’annonce ici un conflit qui ira s’aggravant et qui, bien plus que le différend sur la question du vrai Messie, va précipiter la division entre juifs et Chrétiens. »

 

II. La deuxième génération chrétienne (50-70) : un conflit de famille.

 

Le christianisme de deuxième génération se comprend aussi comme un christianisme à l’intérieur du périmètre de l’identité juive. La diversité des positions chrétiennes reste entière et va même s’exacerber sous la pression de la mission de Paul. « Mais le fait nouveau est que le débat sur le rapport à Israël sépare non seulement juifs et chrétiens, mais également chrétiens et chrétiens. »

 

1). La mission paulinienne.

 

Paul n’est pas l’homme par qui le christianisme s’est séparé du judaïsme, car la rupture s’est produite à la génération suivante.

 

Par contre il a développé une entreprise missionnaire de grande envergure (Asie Mineure, Macédoine et Grèce). Mais sa principale performance est d’avoir fondé des communautés mixtes aussi bien socialement que religieusement. « La mort de Jésus signifie pour lui que tout humain est dès lors accueilli par Dieu indépendamment de ses qualifications, de son statut ou de ses compétences. » Mais il n’a pas la conscience de participer à la création d’une nouvelle religion. Il n’innove pas sur la structure mais sur le statut reconnu à chacun : à la différence de la Synagogue, hommes et femmes se voient ici reconnaître une égale dignité religieuse.

 

Pour cela, il a du affronter une agressivité externe et une hostilité interne pour son projet d’élargissement de l’Alliance aux non-juifs.

 

2). Le judéo-christianisme apocalyptique.

 

« Les prophètes charismatiques porteurs de la tradition des paroles de Jésus, actifs en Palestine durant la première génération chrétienne, vont progressivement migrer en direction de la Syrie. Ils sont toujours porteurs d’un message de rupture, à l’éthique radicale qu’ils propagent au nom du Christ. Fils de l’homme dont le retour proche instaurera le jugement dernier sur Israël et les nations. »

 

Ce mouvement à la parole intransigeante va entrer en conflit ouvert avec la population juive, conflit aggravé par la ferveur nationaliste qui découle de la guerre juive de 66-70.

 

« Suspects de déloyauté envers Israël, inaptes à participer à l’insurrection, les messagers se replient en direction de la Syrie. C’est durant cette période de 50-70 que la tradition de la parole de Jésus, dont ils sont porteurs, passe de l’araméen au grec et se fixe par écrit. La rédaction de ce document signe l’échec de ce groupe chrétien à convaincre Israël. Les prophètes itinérants vont alors se sédentariser. Leur tradition sera recueillie à Antioche-sur-l’Oronte par l’évangéliste Matthieu qui l’incorporera à son évangile ainsi que par l’évangéliste Luc. »

 

3). L’Evangile de Marc.

 

Marc rédige son évangile peu avant la destruction du Temple avant 70. « Il émane d’un helléno-chrétien et il est habité par la théologie qui fut celle des « Hellénistes » et il est destiné à une chrétienté parlant grec.

 

Dans son évangile Marc refuse nettement la Torah. « L’Evangile de Marc émane d’une chrétienté à distance de la Synagogue, et plus encore à distance du judéo-christianisme. Ses membres n’ambitionnent pas de chercher des compromis avec les tenants d’une fidélité aux rites juifs. »

 

4). Un christianisme johannique.

 

L’Evangile de Jean qui représente un autre cas semble avoir une origine palestinienne.

 

« Son orientation le met à part du groupe de Jacques (dont il ne partage pas l’attachement au Temple et à la Torah) autant que du judéo- christianisme apocalyptique (aucun signe de l’urgence des temps derniers). Son travail théologique très centré sur la réflexion christologique est placé sous la figure tutélaire de l’un des Douze, Jean fils de Zébédée. La fixation littéraire de cette tradition est l’objet d’une très longue maturation qui débute dès les années 50 et s’achèvera par la rédaction de l’Evangile dans les années 50, non sans que le groupe ait entre temps migré de Palestine en Syrie. »

 

5). Aucune trace d’antijudaïsme.

 

Avant 70, le christianisme se situe à l’intérieur du périmètre de l’identité juive. On ne peut donc parler d’antijudaïsme.

 

Mais cette deuxième génération voit s’accentuer des facteurs qui préparent la rupture.

 

  • Le monothéisme. Jésus met en danger le Dieu unique en se faisant l’égal de Dieu.

 

  • La foi en l’élection demeure mais est contestée dès le moment où les non-juifs ne rallient pas Israël mais un peuple rassemblé par le Dieu de tous.

 

  • La Torah sera menacée quand la position de Paul, qui soutient l’admission des païens sans circoncision ni allégeance à la Loi, est admise dans un nombre grandissant de communautés.

 

  • Pour le christianisme qui, très tôt, a interprété la croix comme le lieu d’expiation des péchés, la relation au Temple perd sa pertinence.

 

III. La troisième génération chrétienne (70-90) : la montée des identités.

 

29 août 70, après un long siège prise de Jérusalem par les Romains et destruction du Temple.

 

Cette destruction provoque un véritable séisme pour le peuple juif et la recomposition de son identité s’opère sous l’autorité des pharisiens dont « les convictions deviendront le ciment du judaïsme tout entier (….) La diversité et le fractionnement sectaire de la période du second Temple ont fait place à une orthodoxie dictée par les canons de la piété pharisienne. »

 

Après 70, fondation par le rabbi Johanan ben Zakai du Beth Din qui doit prendre la relève du Sanhedrin. Sa tâche :

 

  • Veiller à la canonisation des Ecritures en fixant définitivement le nombre.

 

  • Exclusion des marginaux, les minim, dont font partie les chrétiens.

 

  • Initiation de la codification de la tradition orale jusqu’à la fixation littéraire dans le Michrah (anthologie des sentences des sages).

 

  • Institution du rabbinat dans sa fonction didactique.

 

« Les communautés chrétiennes vont être placées dorénavant devant une position uniforme d’hostilité et d’exclusion. 

 

1). La survie du judéo-christianisme de Jérusalem.

 

Le judéo-christianisme de Jacques survit à la catastrophe de 70. Revenu à Jérusalem, il existe jusqu’en 135 date à laquelle Hadrien interdit l’accès aux Juifs de la ville sainte qui est rebaptisée Aelia Capitolina.

 

2). L’Eglise de Matthieu à la croisée des chemins.

 

C’est avec Matthieu que pour la première fois la distance entre judéo-chrétiens et juifs apparait dans la tradition évangélique.

 

« Israël chez Matthieu se mure face à Jésus dans un front du refus. Si les foules manifestent un intérêt, les autorités religieuses se montrent d’emblée hostiles : Parmi elles les pharisiens prennent une place prédominante. » Chrétiens et Juifs ne partagent plus le même culte.

 

« Pourtant, il n’est pas d’évangile plus « juif » que celui-ci (…) Jésus est dépeint comme un maître de la Torah ; son enseignement surpasse celui des rabbis (…) Evangile juif ou Evangile hostile au judaïsme ? Le paradoxe n’est qu’apparent. Cet Evangile placé sous le nom de Matthieu est écrit peu après 70 à Antioche-sur-l’Oronte. Il émane d’une Eglise judéo-chrétienne qui vient de quitter la synagogue et qui doit ressaisir son identité : sa réaction est de réclamer pour elle la tradition dont elle est privée. Coupée des croyants juifs avec lesquels elle célébrait jusque là sa foi, Torah rituelle incluse, la chrétienté matthéenne revendique pour son seigneur l’interprétation correcte de la Torah et le bénéfice des promesses de salut. Nous sommes ici encore dans la querelle des frères ennemis. Mais répudiée par le judaïsme, la chrétienté matthéenne est à la croisée des chemins. Son avenir réside dans l’ouverture à la mission païenne. C’est pourquoi l’Evangile s’achève sur le mandat donné à Jésus d’aller et d’évangéliser toutes les nations. »

 

« Il est indispensable pour Matthieu de penser théologiquement l’échec d’Israël et la rupture qui vient d’intervenir entre juifs et chrétiens. »

 

« Il considère en effet que le bénéfice des promesses n’est plus acquis à ce peuple. Désormais, les Juifs ne sont pas maudits, mais leur droit exclusif sur le salut est abrogé ; seule la fidélité à la volonté de Dieu leur ouvre un accès à l’approbation divine. »

 

Par contre si cette Eglise naît de la faillite d’Israël, elle n’en récupère ni les titres, ni les privilèges. Elle n’en n’est pas la simple continuation sous une forme différente. « La chrétienté est un peuple entièrement déterminé par sa mission (…) Une Eglise de masse qui accueille les multitudes au baptême. »

 

« Comment s’est opérée cette mutation d’une communauté très liée aux usages juifs en Eglise ouverte au monde ? Concrètement, on l’ignore. La réception du premier Evangile par la Grande Eglise au IIe siècle nous signale pourtant que la sortie des chrétiens matthéens hors du lien synagogal a réussi et que leur héritage fut recueilli par l’orthodoxie helléno-chrétienne en devenir. »

 

3). Luc-Actes : chronique d’une rupture.

 

Luc rédige les Actes des Apôtres entre 80 et 90. Son récit se présente comme une suite de l’Evangile. « La valeur de cet écrit ne réside pas seulement dans les informations qu’il renferme sur les trente premières années de la chrétienté : il est aussi représentatif du regard que porte sur les relations juifs / chrétiens, une chrétienté des années 80 (…) A la différence de Matthieu, qui envisage la rupture du lien synagogue d’un point de vue interne, la perspective adoptée par Luc est externe au judéo-christianisme. Elle provient d’un helléno-chrétien et se destine à un public helléno-chrétien. »

 

Luc, peut-être originaire de Macédoine, fait partie de la mouvance paulinienne et après sa mort contribue à préserver sa mémoire.

 

Luc décrit la rupture comme une séparation inévitable et indésirée :

 

  • Inévitable, car l’essor de l’Evangile dans le monde résulte d’un mandat de Jésus.

 

  • Indésirée, parce qu’il ne s’agit pas d’une volonté délibérée des apôtres mais la résistance juive à la prédication qui les amène à quitter les synagogues pour fonder leurs propres communautés.

 

« La mission des apôtres et de Paul est ainsi dépeinte comme une longue histoire de vexation de la part des Juifs, de coups et de blessures, dénonciations aux autorités romaines (…) L’intention de Luc en écrivant son récit, n’est assurément pas de relancer la mission auprès des Juifs. »

 

« L’image du judaïsme qu’offre Luc-Actes est ainsi parfaitement ambivalente : si Israël représente le berceau historique et théologique du christianisme, les «Juifs » constituent dans les Actes le front du refus de l’Evangile. Au sein du Nouveau Testament, Luc-Actes arbore cette particularité d’être l’écrit à la fois le plus attaché à l’enracinement juif du christianisme et le plus ouvert à l’universalisme. »

 

4). L’Epitre dite « Aux Hébreux » : fin du culte d’Israël.

 

La troisième génération chrétienne produit la plus curieuse des Epitres « L’Epitre aux Hébreux » dont nous ignorons pratiquement tout d’elle.

 

L’auteur veut démontrer que le Temple de Jérusalem est la figure provisoire d’un Temple céleste éternel. « Le Christ, grand prêtre divin a accompli une fois pour toutes le sacrifice ultime qui est le don de soi, rendant dès lors obsolète le rite sacrificiel lévitique. »

 

« Cet exercice spéculatif vise-t-il à convaincre des judéo-chrétiens de ne pas retourner au judaïsme ? On peut aussi penser que l’épitre s’attache à renforcer la conviction des helléno-chrétiens face à la Synagogue, au moyen des convictions intellectuelles du judaïsme hellénistique.

 

5). Deux trajectoires se dessinent.

 

La catastrophe de 70 constitue un point de non retour dans l’évolution des relations juifs / chrétiens. L’intolérance de la prédication chrétienne va fortement accélérer la fracture entre Eglise et Synagogue.

 

« Avec Luc-Actes apparaît clairement dans la conscience chrétienne, pour la première fois, une dissociation dans le rapport au judaïsme : il est possible de consentir à Israël du passé, et même d’en réclamer l’héritage, tout en coupant tout rapport avec les Juifs. »

 

IV. Après 90 : la séparation des chemins.

 

La période qui sépare la dernière décennie du Ier siècle de la seconde guerre juive (135) est marquée par trois facteurs principaux :

 

  • Du côté du judaïsme, l’exclusion des hérétiques hors des communautés, et en particulier les judéo-chrétiens.

 

  • La réussite des missions chrétiennes provoque un essor de l’helléno-christianisme.

 

  • Le judéo-christianisme survit, mais en débat serré avec la Grande Eglise majoritairement helléno-chrétienne.

 

1). La Birkat-Ha-Minim.

 

La prière suivante « Qu’il n’y ait pas d’espoir pour les apostats, et déracine le royaume de l’arrogance au plus tôt et dans nos jours. Que les nazaréens et les sectaires périssent en un instant. Efface-les du livre de vie et qu’ils ne soient pas inscrits avec les justes. » est intégrée entre 85 et 95 comme douzième demande à la prière liturgique dite des « dix-huit bénédictions » (Amidah).

 

« Ce sont donc au premier chef, les judéo-chrétiens et les juifs gnostiques qui furent au tournant du Ier siècle les victimes de la birkat-ha-minim (…) Les judéo-chrétiens sont déclarés schismatiques et assimilés aux pires ennemis du judaïsme (…). L’inclusion de la birkat dans la prière journalière , à quoi toute l’assemblée répondait amen, excluait d’office les judéo-chrétiens qui ne pouvaient consentir à une auto-malédiction.

 

2). L’avènement de la « Grande Eglise ».

 

Le nom de « Grande Eglise » désigne l’émergence au IIe siècle, du christianisme majoritaire opérant en son sein la synthèse des courants helléno-chrétiens principaux ; la « Grande Eglise » est ainsi l’héritière de la mouvance paulinienne (y compris Luc-Actes), de la tradition de Pierre (via l’Evangile des Marc) et de la tradition de Matthieu. Elle représente une constellation d’Eglises apostoliques vénérant la mémoire de Pierre et de Paul. Elle accueillera également et préservera l’héritage de la tradition johannique qui au tournant du Ier siècle menace de sombrer dans la marginalité gnostique. Clément de Rome, Ignace d’Antioche et Justin Martyr sont parmi les figures éminentes de cette orthodoxie chrétienne en formation. »

 

A son actif :

 

  • Lancement du processus de canonisation des Ecritures (stabilisé au IVe siècle).

 

  • Constitution d’un appareil institutionnel ecclésiastique (généralisation de l’épiscopat monarchique).

 

  • Adoption de formules de credo.

 

Du côté de la mouvance paulinienne, ambition de rassembler juifs et païens dans le même corps du Christ, ambition explicite dans l’épître aux Ephésiens.

 

Par contre dans l’Evangile de Jean, le portrait du judaïsme est sans appel. « Les « juifs » composent un front uniformément hostile muré dans le refus qu’il oppose à Jésus (…) Le Jésus de Jean est arraché au judaïsme et cette opération est la signature d’un christianisme johannique lui-même coupé de la Synagogue. »

 

3). Devenir du judéo-christianisme au IIe siècle.

 

Ce qui différencie les judéo-chrétiens des non-juifs attirés par Israël est leur naissance de famille juive ou leur état de prosélyte (païen converti au judaïsme) avant l’adhésion à la foi chrétienne. »

 

« Le devenir de ce mouvement au IIe siècle est difficile à cerner, tant l’infirmation sur ce milieu est rare, tardive et tendancieuse. » La Grande Eglise triomphante a visiblement tenté d’effacer la mémoire et les traces littéraires de ce mouvement (Evangile des Nazaréens, Evangile des Ebionites, Evangile des Hébreux).

 

Les convictions essentielles de ces judéo-chrétiens :

 

  • Usage exclusif du premier Evangile.

 

  • Antipaulinisme.

 

  • Interprétation spécifique des textes prophétiques.

 

  • Respect de lea Torah (circoncision comprise).

 

  • Prière orientée vers Jérusalem.

 

Mais ce judéo-christianisme ne constitue pas un mouvement uniforme : il se divise en nazaréens, ébonites, elkasaites.

 

« La position à l’égard des juifs chrétiens varie dans la Grande Eglise. Certains (une majorité déjà ?) leur dénient le salut, affirmant que l’observance de la loi Juive est incompatible avec l’appartenance au Christ. D’autres adoptent une position plus tolérante ; Justin de Naplouse est de ceux-là. »

 

Justin respecte le choix judéo-chrétien de maintenance des pratiques et de la ritualisé juives à la condition expresse qu’ils ne soient pas déclarés normatifs pour les autres chrétiens.

 

La littérature pseudo-clémentine (Les Reconnaissances et les Homélies) datée du IVe siècle en Syrie « nous restitue la théologie du judéo-christianisme de l’époque. Jésus y est représenté comme le prophète annoncé par Moïse à titre provisoire, pour y substituer le baptême. Comme Moïse, il a choisi soixante-douze disciples (…). La christologie constitue le thème du débat ouvert avec les juifs. Il s’agit de savoir si Jésus est le « prophète » annoncé par Moïse, celui qui est le Christ éternel. »

 

« Irénée attribuait aux ébonites une attitude antipaulinienne. On la retrouve dans l’écrit primitif repris par les Reconnaissances : Paul y est dénoncé comme « l’ennemi ». Son intervention déraisonnable dans le Temple de Jérusalem et son agressivité sèment la discorde entre juifs et chrétiens, jusqu’à mettre en péril la vie de Jacques. L’échec de la mission auprès des juifs lui est imputée ainsi que la responsabilité directe des persécutions juives contre l’Eglise. L’opposition à l’apôtre de Tarse apparaît ici comme irréconciliable ; on comprend que dans la Grande Eglise, plus d’un courant n’était pas prêt à reconnaître comme frères les contempteurs haineux de l’apôtre des Gentils. »

 

4). 135 : la page tournée.

 

« La révolte manquée contre les Romains en 135, constitue le dernier soubresaut du messianisme dans le judaïsme ancien (…) Après l’humiliante défaite infligée par Hadrien, le judaïsme jérusalémite cessera d’être une force vive dans la décomposition de l’identité juive. Surtout, sous la pression du rabbinat, le judaïsme va s’amputer du messianisme. Pour le ramasser en quelques mots, la pensée juive quitte l’histoire et se fixe sur l’Ecriture. »

 

« Le christianisme, quant à lui, est partagé en deux courants qui ne se rejoindront plus. Un judéo-christianisme minoritaire (Transjordanie à Syrie) maintient son appartenance à Israël et à sa loi. La Grande Eglise majoritaire, helléno-chrétienne, a coupé le dialogue avec la Synagogue (…) L’Eglise n’a pas seulement pris la succession d’Israël ; elle l’a radié de l’histoire du salut. »

 

Dernière mise à jour. 3 août 2023



03/08/2023
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