Histoire du Christianisme. 3e partie. Les diverses sphères du monde chrétien (fin IIe - début IIIe).

3e partie. Les diverses sphères du monde chrétien (fin IIe - début IIIe).

 

 

Chapitre I. Le calendrier chrétien : naissance du comput ecclésiastique. Jacques Flamant.

 

« Un calendrier est une organisation du temps qui répond à trois finalités : religieuse, pratique (agricole dans les anciennes civilisations) et politique. Tout calendrier s’élabore dans un processus historique en vue de satisfaire simultanément ces trois besoins : il n’existe donc pas, en principe, de calendrier purement religieux ou politique. Ainsi le calendrier romain républicain organisait la vie publique (élection des magistrats, convocation des armées, etc…) et distribuait les fêtes au cours des mois. »

 

Ceux qui font des calendriers disposent de trois mesures naturelles fournies par les astres.

  • Alternance du jour et de la nuit.

  • Retour des phases de la lune (mois lunaire).

  • Retour des saisons commandé par les mouvements annuels du soleil dans le ciel.

 

Mais ces trois cycles sont difficile à mesurer avec précision. « L’harmonisation de leurs différentes mesures est un problème difficile que les anciens Romains avaient résolus au plus mal. César avait entièrement recomposé ce calendrier d’une façon assez satisfaisante pour que nous l’ayons conservé (au prix d’une légère correction) jusqu’à nos jours. »

 

« C’est dans le calendrier solaire de César, ou calendrier julien, que les chrétiens ont inséré la célébration de leurs fêtes religieuses. Mais il se trouve que la plus importante d’entre elles, le mémorial de la Passion et de la Résurrection du Christ, est liée à la Pâque juive pour des raisons historiques : le Christ est mort le jour de la préparation de la Pâque. Comme le calendrier juif était toujours luni-solaire, il leur fallut intégrer dans le calendrier solaire julien un élément de calendrier lunaire qui leur permit de célébrer à la date voulue la Pâque et les fêtes qui lui sont liées (l’Ascension et la Pentecôte). D’où l’existence - la coexistence - d’un calendrier fixe et d’un calendrier mobile au sein du même calendrier liturgique. »

 

I. Le calendrier romain.

 

« C’est une chance exceptionnelle, non seulement pour l’Eglise mais pour le monde entier, que César ait réformé le calendrier romain en 45 av J-C, et que de ce fait, le comput ecclésiastique se soit inscrit dans un calendrier remarquable de précision, de clarté et même d’exactitude (après la très légère correction apportée en 1582 par le pape Grégoire XIII). »

 

Le calendrier « pré-julien » construit d’une manière totalement empirique « était un chef d’oeuvre d’incohérence et d’incommodité. » Il était en avance de 90 jours sur le soleil ce qui obligea César à prolonger de 9à jours, l’année 46 av J-C.

 

L’auteur de cette réforme fut l’astronome alexandrin Sosigène qui partant du calendrier égyptien de 365 jours ajouta un jour de plus tous les 4 ans.

 

Pour respecter autant que possible les dates des fêtes romaines il :

  • Conserve les 4 mois de 31 jours : mars, mai, juillet et octobre.

  • Ajoute deux jours au mois de janvier, août et décembre.

  • Le mois de février conserve les 28 jours de l’ancien calendrier.

 

« Pour la première fois, o, disposait d’une année qui ramenait les saisons à la même date, au prix d’une distorsion qui était inévitable, mais qui ne dépassait pas une durée de 3/4 de jour (….) La réforme julienne allait bientôt s’appliquer à tous les calendriers, grec, macédonien, syrien, égyptien etc… chacun conservant seulement les noms primitifs de ses mois et, le plus souvent un début d’année propre. »

 

Ce nouveau calendrier négligeait les mois lunaires, c’est pour cela qu’il ne fut pas adopté par les Juifs dont le calendrier liturgique était fondé sur ces mois. « Or la fête de Pâque se trouvait historiquement liée à la mort du Christ, et l’on conçoit que son anniversaire ne pouvait être célébré que dans le cadre de l’année juive. »

 

Dans un premier temps les chrétiens conservent le calendrier juif, mais « les Juifs intercalaient encore, de manière empirique, un mois embolistique (supplémentaire) juste avant le mois de Nisan, premier mois de l’année avant l’équinoxe. De plus, comme le 14 nisan au soir duquel commençait la Pâque pouvait tomber avant l’équinoxe (entre deux intercalations), on était amené à célébrer la fête deux fois dans la même année et à ne pas la célébrer du tout l’année suivante, ce qui devait choquer les chrétiens. »

 

« Cette situation les amena à imaginer un comput mathématique permettant de calculer exactement la date de Pâques. Ils se heurtèrent alors à deux complications supplémentaires : »

  • Prise en compte du cycle des semaines, Pâques se célébrant un dimanche dans la plupart des Eglises (sauf chez les quartodécimans)

  • La nécessité de fixer plus rigoureusement l’équinoxe qui marquait le commencement de la nouvelle année;

 

Le dimanche.

 

« Le dimanche (« jour du seigneur » en latin comme en grec) s’était substitué très tôt chez les chrétiens au samedi des Juifs comme temps fort de la semaine : il était le jour de la Résurrection, ce qui fut probablement déterminant. »

 

« La Pâque, sauf en Asie Mineure (…) était aussi célébrée un dimanche, celui qui suivait le 14 nisan (….) Ainsi le dimanche de Pâque ne revenait pas régulièrement le même jour de l’année tant lunaire que solaire, sa place étant mobile dans l’une comme dans l’autre. »

 

L’année julienne de 365 jours comporte 52 semaines + 1 jour (+ 2 jours dans les années bissextiles). En conséquence la série des jours de la semaine recommence le dernier jour de l’année (avant dernier dans une année bissextile). Elle avance donc d’un jour chaque année (deux en année bissextile). La série des jours de l’année recommence donc au bout de 28 ans.

 

La date de Pâques doit toujours tomber après l’équinoxe de printemps. Mais César s’était trompé et avait fixé cette date au 25 mars (au lieu du 23), et « du fait de la trop longue durée de l’année julienne, ce décalage allait s’aggravant. Au temps de l’astronome Ptolémée, l’équinoxe tombait le 22, et au moment du concile de Nicée, il tombait le 20 ou le 21. La date fut corrigée (…) mais comme on ne voyait pas qu’il s’agissait en fait d’une erreur sur la mesure de l’année, on pensait chaque fois que la correction était définitive. Il en résultat de nouvelles discordances entre les différents computs ecclésiastiques. »

 

II. Brève histoire du comput ecclésiastique.

 

1). Le cycle pascal de 112 ans d’Hippolyte.

 

« Le premier cycle dont nous ayons conservé la trace est le cycle d’Hippolyte, prêtre de Rome et antipape dans les premières décennies du IIIe siècle. Il avait composé une table des dates pascales pour 112 ans, commençant en 222 et se terminant en 333. »

 

« Le système retenu par Hippolyte repose sur la double octaétéride (=1 6 ans) parce qu’au bout de 16 ans, la férie (le jour de la semaine) à date identique est en avance d’un jour. Cependant après 8 ans, à chaque neuvième année, le XIV lunae revient à la même date julienne. »

 

« A la 113e année, le cycle pascal recommencera donc de manière identique. Malheureusement si ce cycle est parfait dans sa cohérence interne, il est erroné dans les faits, car le cours réel de la lune lui échappe : en effet, 99 mois de 29,53 jours donnent 2923,47 jours, soit 1,5 jour de plus que 8 années juliennes. De sorte que, à chaque sedecennitas (durée de 16 ans), la lune du calendrier prend une avance de 3 jours sur la lune réelle (ou, si l’on préfère, la lune réelle est en retard de 3 jours sur celle du calendrier) ; à la seconde sedecennitas, le décalage est de 6 jours, durée qui équivaut presque à une phase de lune. »

 

« L’auteur du De pascha computus, en 243, essaya de corriger le cycle qui avait déjà pris plus de 3 jours d’avance ; croyant à une simple erreur initiale commise par Hippolyte, il avança de 3 jours le XIV lunae, ce qui ne faussait que rétablir la coïncidence entre la lune calendaire et la lune vraie, sans remédier aux retards à venir de 1,5 jours par période de 16 ans. »

 

2). Le cycle de 84 ans.

 

Le Laterculus Augustalis corrige le cycle fondé sur l’octaétéride, dont l’auteur serait le premier à avoir inventé le cycle de 84 ans qui connut un grand succès en occident.

 

« 84 X 365 = 30660 jours ; 84 X 12 X 29,5 = 29.736 jours. En ajoutant 31 mois de 30 jours, on obtient 6 jours de trop (930 au lieu de 924). Pour corriger cet excès, l’Augustalis fait intervenir un « saut de lune » (saluts lunae) : 6 fois au cours du cycle, on passe d’un jour de la lune au troisième qui le suit en faisant sauter l’intermédiaire (tous les (84/6 =) 14 ans, ou tous les (84/7 =) 12 ans), le saut étant omis dans la dernière section. »

 

« L’auteur est parti du cycle solaire (28 ans), trois cycle solaires donnent 84 ans, ce qui l’a obligé ensuite à revenir à un cycle de 4 ans (tétraétéride) ou, si l’on préfère, à diviser en deux la dernière octaétéride. Avec le saltus lunae, l’Augustalis inaugure également le système des épactes en Occident. L’épacte est l’âge de la lune au 1er janvier ; s’il est de 1 la première année, il sera de 12 la deuxième année (puisque l’ « année lunaire » compte 11 jours de moins que l’année julienne ), de 23 la troisième et de 34 la quatrième. Chaque fois que le chiffre des épactes dépasse 30, on ajoute un mois embolismique (mois supplémentaire) de 30 jours et on retire 30 au nombre des épactes, les bissextes n’étant pas comptabilisés. Le procédé connaîtra une grande faveur dans tous les computs ; il est utilisé encore aujourd’hui après la réforme grégorienne. »

 

« Ce mode de comput fut conservé (après correction dans la supputatio romana vetus en usage à Rome dès 312. Le saut de la lune se faisait à chaque douzième épacte et non à chaque quatorzième, ce qui entraînait quelques légères discordances avec le cycle de l’Augustalis »

 

Mais ce « cycle de 84 ans représente une nette amélioration par rapport au cycle d’Hippolyte, bien que dans les deux cas, on se fonde sur le même groupe d’années (8 ou 4). Dans ce système, le dimanche de Pâques pouvait tomber entre le 25 mars (date supposée du solstice) et le 21 avril. »

 

« Ce cycle sera finalement abandonné par Victorius d’Aquitaine et par Denys le Petit au VIe siècle, au profit du cycle de 19 ans. »

 

3). Le cycle de 19 ans.

 

C’est un cycle remarquable par sa précision (235 lunaisons astronomiques ne sont en avance que de 0,0637 jours soit environ 1h32 sur les 19 années juliennes).

 

Après 4,42 cycles de 19 ans (84 ans), l’avance de la lune réelle sur celle du calendrier n’est que d’un peu plus de 1/4 de jours, alors que son retard est 5 fois plus important dans le cycle de 84 ans.

 

Le premier utilisateur de ce cycle serait Anatole, évêque de Laodicée entre 270 et 280. Anatole qui était un bon astronome, fixait l’équinoxe à sa vraie place, le 22 mars.

 

Les historiens proposent deux dates pour le début du cycle d’Anatole : 258 ou 277.

 

« Ce cycle sera adopté ensuite par toutes les communautés ; seules changeront les années initiales et, à l’intrieur du cycle, l’année du saut de la lune. Il en résultera, pendant de courtes périodes, un décalage d’un jour pour le XIV lunae, ce qui, en fin de semaine, peut entraîner un décalage d’un dimanche pour la fête de Pâques. »

 

« Les bonnes relations qu’entretenaient Rome et Alexandrie rendaient mal tolérables les différences de date pascale que provoquait la coexistence du cycle de 84 ans (Rome) et du cycle de 19 ans (Alexandrie) (….) Au milieu du Ve siècle, l’archidiacre Hilaire (le futur pape) fut chargé de corriger le comput romain. Il fit alors appel à Victorius d’Aquitaine, célèbre en son temps pour ses connaissances mathématiques ; celui-ci adopta le cycle de 19 ans, mais toujours selon les anciennes échéances romaines (du 25 mars au 21 avril), de sorte que la correction fut insuffisante. »

 

« Finalement, ce fut au VIe siècle que le moine Denys le Petit adopta à la demande du pape, le cycle alexandrin de 19 ans, en retenant cette fois, pour les limites de la fête de Pâques, les dates alexandrines (du 22 mars au 25 avril). Ce cycle fut peu à peu adapté partout en Occident. »

 

4). Les ères mondiales.

 

« Le comput pascal a été lié aux spéculation des premiers chrétiens sur les dates de la vie du Christ (naissance et Passion) et sur la date de la création du monde : spéculations théoriques, puisque la naissance du monde échappe évidemment à toute saisie de la mémoire humaine et que la Pâque au cours de laquelle a eu lieu la Passion - événement historique bien réel - ne peut-être déterminée (….) avec exactitude. Ces spéculations de computistes donneront naissance aux différentes « ères mondiales » longtemps utilisées en Orient, et surtout à l’ère dite « dionysienne » qui est aujourd’hui la nôtre. »

 

Conclusion.

 

« L’histoire des origines du comput ecclésiastique peut sembler étrange et dépourvue d’intérêt à un lecteur contemporain. Pourtant, l’existence de ce comput a eu une influence énorme sur la vie quotidienne de tous les chrétiens, et même sur la quasi-totalité du monde civilisé.

 

En acceptant de vivre dans le monde romain et non à l’écart de lui, les chrétiens ont consacré définitivement le calendrier julien qui, malgré quelques imperfections hérites de l’ancien calendrier romain, est le meilleur qui ait été inventé. Les fêtes des saints et, à partir du IVe siècle, celle du natale Christi (notre Noël), l’ont ancré dans la vie quotidienne des gens.

 

En consacrant la semaine juive (qui bizarrement, sous sa forme astrologique, avait déjà été adoptée par le monde romain), ils ont définitivement imposé à l’année la série ininterrompue des semaines. Le temps fort du dimanche (substitué à celui du sabbat, le samedi) y a été pour beaucoup. 

 

Mais en conservant le principe d’une Pâque juive dont la date est déterminée par le cours de la lune, ils ont superposé à une année fixe - ou presque fixe - une année mobile dans les limites d’un peu plus d’un mois. Cette année proprement liturgique, puisqu’elle tourne autour de la plus grande fête des chrétiens, s’est imposée ensuite bien au-delà des pays chrétiens. »

 

« Avec l’adoption par l’Occident de l’ère dionysienne, on s’est acheminé peu à peu vers une datation universelle qui est aujourd’hui la référence absolue. »

 

III. La querelle pascale au temps de Victor (fin du IIe siècle).

 

« Eusèbe de Césarée, relate la querelle ayant opposé le pape Victor aux Eglises d’Asie qui célébraient la fête de la Pâque le 14e jour de la lune, quel que fut le jour de la semaine (d’où le nom qui leur fut donné de « quartodécimans) et non, comme presque toutes les Eglises, le premier dimanche qui suivait le 14e jour. »

 

1). La querelle.

 

Les Eglises d’Asie justifiaient leur pratique en se fondant sur l’ancienneté d’une coutume qu’elles faisaient remonter à l’apôtre Jean.

 

Polycrate « fonde toute sa défense de la pratique asiate sur ces autorités exceptionnelles que possèdent les Eglises d’Asie, autorités qui, sous-entendu, valent bien l’autorité romaine probablement invoquée par Victor. Le conflit est donc un conflit disciplinaire d’ordre liturgique. »

 

Par contre Victor le transporte sur le plan doctrinal en traitant « d’hétérodoxes » ses contradicteurs.

 

« La violente réaction et l’autoritarisme de l’évêque romain choquèrent la plupart des évêques qui lui avaient pourtant donné leur accord sur le fond. »

 

Pour sa part Irénée de Lyon, « engage Victor à se montrer tolérant et charitable envers « ceux qui gardent la tradition d’une ancienne coutume. » »

 

« Si l’on s’en tient strictement aux informations fournies par Eusèbe (…) on constate que le différend porte uniquement sur la date de Pâques. Mais la remarque d’Irénée apporte une précision supplémentaire : il y avait conflit sur la durée du jeûne, quand une partie des fidèles (les quartodécimans) cessaient de jeûner pour s’abandonner à la joie tandis que les autres continuaient leurs macérations dans la tristesse en attendant la nuit du samedi au dimanche pour manifester la joie de la Résurrection. Le conflit pouvait éclater lorsque les partisans de chaque coutume se retrouvaient ensemble, ce qui était le cas à Rome où coexistaient des communautés d’origines diverses . »

 

Le comportement de Victor peut se comprendre comme une réaction contre une tentative d’introduction discrète du judaïsme par les quartodécimans.

 

2). Signification de la crise. Les quartodécimans : une liturgie de la passion et non de la Résurrection ?

 

« Du point de vue des chrétiens la Pâque est d’abord la commémoration de la mort (historique) du Christ, mais (…) sa signification oscille entre deux pôles : Passion et Résurrection. On accentuait parfois l’un des deux, mais sans jamais négliger entièrement l’autre, en attendant la brillante synthèse des deux opérée au Ve siècle par Augustin. (….) La liturgie quartodécimane tend à accentuer le premier rôle tandis que la liturgie du dimanche pascal approfondi davantage le mystère de la Résurrection. »

 

« Au départ, la chronologie de la Passion chez Jean (qui fait que le Christ est immolé en même temps que l’agneau Pascal) entraîne logiquement la pratique quartodécimane. C’est seulement par la suite que la querelle débordera sur le terrain théologique : on accusera les quartodécimans de judaïsme, de négliger l’attente de la Résurrection (entre le jour de la Passion et le dimanche) ; et comme cela est inévitable, les quartodécimans eux-mêmes seront tentés de donner une raison théologique à leur pratique liturgique. Mais si l’on s’en tient aux documents évoqués par Eusèbe, leur seule justification était une tradition liturgique qui leur paraissait d’autant plus respectable qu’elle remontait aux apôtres Jean et Philippe. »

 

3). Affirmation de l’autorité romaine ?

 

Concernant les origines de la suprématie romaine, la crise pascale du IIe siècle constitue l’un des premiers documents utilisés par les historiens sur cette question.

 

Les sanctions prises par Victor « prouvent assurément qu’il se sentait investi d’une mission universelle ; les réactions violentes des évêques d’Asie prouvent tout autant qu’ils n’acceptaient pas son autorité comme allant de soi. »

 

La positon d’Irénée est plus nuancée. S’il est un des premiers à mentionner l’autorité exceptionnelle du siège romain, qu’il ne remet pas en cause, il appelle tout de même Victor à la compréhension et à la charité.

 

« Les quartodécimans survécurent quelque temps encore, principalement en Orient. Au concile de Nicée, les Asiates acceptèrent les décisions conciliaires sur la date de Pâques : ils avaient semblent-t-il, renoncé à leur pratique depuis quelque temps déjà. »

 

Chapitre II. La diversité de l’Orient chrétien. Pierre Marval.

 

« Les données que nous possédons sur les Eglises d’Orient pour la fin du IIe et la première moitié du IIIe siècle sont fragmentaires et inégales selon les régions. Elles laissent apparaître des problèmes communs - la lutte contre les dissidences gnostiques, la querelle pascale, les débats autour de l’encratisme (vie ascétique et austère), de l’indulgence à accorder à ceux qui ont failli lors des persécutions ; elles attestent aussi de la diversité du christianisme à cette époque. »

 

I. La Palestine, l’Arabie, la Phénicie.

 

La Palestine à la fin du IIe siècle compte plusieurs évêques, tout en ignorant leur nombre exact et le nom de leurs sièges.

 

Lors du concile de 190, Eusèbe de Césarée ne donne le nom que de deux évêques :

 

  • Théophile de Césarée. Il est évêque depuis 189.

 

  • Narcisse de Jérusalem. Il est décrit comme une thaumaturge, mais également comme un ascète, remarquable par sa chasteté et sa conduite entièrement vertueuse. «  Ces qualités auraient suscité l’envie de membres de la communauté, qui l’auraient calomnié : il se serait donc, après quelques années d’épiscopat, retiré volontairement dans la solitude pour vivre la vie « philosophique » à laquelle il aspirait depuis longtemps. Cet abandon de poste, sans exemple en ce temps là, est peu crédible. Il est beaucoup plus vraisemblable de penser que l’évêque a quitté son poste suite à sa déposition par les évêques de sa province. Le motif est ans doute à chercher dans le conflit sur l’indulgence à l’égard de ceux qui étaient tombés dans la persécution, conflit qui a divisé les Eglises après 150 (…) Ce conflit est également lié à la question de l’encratisme, car les partisans rigoristes du refus de l’indulgence sont aussi ceux qui, sans condamner le mariage, prônent la continence comme l’idéal normal du chrétien. Or il semble bien que Narcisse puisse être compté parmi les rigoristes. » Trois évêques vont lui succéder : Dios, Germanion, Gordios. Sous l’épiscopat de ce dernier réapparition de Narcisse accompagné d’Alexandre, qui était avant évêque de Cappadoce. Alexandre devient évêque de fait? Narcisse se contentant, du fait de son grand âge, d’être un prête nom. « Deux objections pourtant pouvaient être élevées contre le nouveau titulaire : il avait quitté son siège, alors qu’un bon évêque devait rester dans sa communauté. Il prétendait en occuper un autre, ce que l’Eglise ancienne ne cesserait de blâmer. (….) Il est plus probable que le départ d’Alexandre avait eu d’autres raisons, parmi lesquelles une déposition pour rigorisme n’est pas à exclure ; d’autre part, il est vraisemblable que ces fidèles zélés de Jérusalem dont il avait été le candidat étaient eux aussi des partisans du rigorisme. Alexandre paré de son titre de confesseur de la foi, était un candidat idéal ; pour appuyer sa candidature, on alla chercher le vieux Narcisse, qui était toujours vivant. Quoi qu’il en soit des circonstances de son élection (qui doit avoir lieu entre 215 et 225), Alexandre devait être l’évêque le plus marquant de Jérusalem au IIIe siècle. »

 

Par la suite Alexandre va accueillir Origène et alors qu’il est laïc va le laisser prendre la parole à l’église, puis il va l’ordonner prêtre bien qu’il soit sujet de l’évêque d’Alexandrie et qu’il se soit rendu eunuque dans sa jeunesse. « Dans une lettre adressée à Soter de Rome, que signe avec lui l’évêque de Césarée, Alexandre se défendra sur ces deux points : il justifie l’autorisation de pêcher donnée à Orignène par des exemples de prédications de laïcs (tous situés dans des régions d’Asie Mineure proches de la Cappadoce, il excuse l’erreur de jeunesse d’Origène en invoquant sa vertu présente. »

 

Malgré des périodes de tensions les relations entre Alexandre et Origène restèrent chaleureuse. Origène fut chassé d’Egypte par Démétrios et il vint s’installer à Césarée de Palestine où il devint à partir de 239-240 le prédicateur attitré de l’évêque Théoctiste.

 

Autre écrivain chrétien ayant des liens avec la Palestine. Julius Africanus qui était un juif d’origine devenu chrétien. Il s’intéressait à de multiples domaines : architectures sciences, lettres, philosophie , théologie. Il est l’auteur d’une chronographe « dont le but était à la fois apologétique et eschatologique - montrer l’antériorité et la supériorité du judaïsme et du christianisme par rapport aux religions païennes, prévoir la fin du monde (….) Il est enfin l’auteur des Cestes, un recueil, ou pour mieux dire un fourre-tout, de données très variées sur l’art militaire, la médecine des chevaux, les mesures, la magie, des techniques diverses. »

 

La Palestine fut-elle à cette époque, un lieu de pèlerinage. Aucun document ne permet de l’affirmer, même si quelques chrétiens se rendirent sur les lieux. Mais « dans aucun de ces cas on n’a trace d’une vénération de lieux saints, ce qui constitue le pèlerinage à proprement parler, encore moins d’une mise en valeur de ces lieux (….) Ce n’est qu’à partir du début du IVe siècle que ces sites et la plupart des autres lieux saints seront inventoriés et mis en valeur et que le phénomène des pèlerinages prendra son essor. »

 

Quelques débats doctrinaux qui agitèrent la chrétienté d’Arabie de l’époque :

 

  • L’évêque Bérylle de Bostra considère que « le christ n’avait pas préexisté avant l’incarnation « selon une propre délimitation d’être » (ce qui en ferait un moraliste) et ne possédait pas la divinité en propre, mais seulement celle du Père demeurant en lui (ce qui en ferait un adoptianiste). » Il sera convaincu de son erreur par Origène lors d’un concile.

 

  • Entre 244 et 249, réunion pour juger de l’orthodoxie de l’évêque Héraclite, dont la doctrine sur le Père et le Fils était jugée hérétique (défense de la monarchie divine et rabaissement du Fils).

 

  • Autre concile en présence d’Origine pour « changer les pensées d’un groupe de chrétiens qui pensaient que l’âme de l’homme meurt avec son corps et ressuscite avec lui. »

 

Les Eglises de Phénicie à cette époque semblent plus orientées vers la Palestine que vers Antioche.

 

II. La Syrie.

 

La liste complète des évêques d’Antioche et une peu de leur activité et de la vie de leur Eglise est connue grâce à Eusèbe.

 

L’ouvrage A Autolycus de Théophile (169-188) montre le lien très fort qui existe alors entre judaïsme et christianisme. « Son apologie est une défense du judaïsme hellénistique aussi bien que du christianisme juif. (….) Mais l’ouvrage est aussi un dialogue critique avec les païens, et les païens cultivés, nombreux à Antioche : Théophile est fort sévère sur la sagesse hellénique, dont il assure qu’elle n’a pu atteindre la moindre parcelle de vérité, mais cela ne l’empêche pas d’invoquer les poètes grecs quand ils sont d’accord avec lui et de reconnaître qu’ils ont parfois parlé comme les prophètes. Théophile écrivit encore des ouvrages catéchétiques et d’autres contre des hérétiques (Hermogène, Marcion), ce qui montre la présence de communautés dissidentes dans le christianisme antiochien. »

 

Sérapion d’Antioche (190-211) est le deuxième successeur de Théophile. Il laisse quelques écrits :

  • Un adressé aux chrétiens qui ont faibli lors d’une persécution et serait revenu au judaïsme.

  • Un qui dénonce la nouvelle prophétie montaniste.

  • Un qui réfute les erreurs de l’Evangile de Pierre et qui avait les faveurs de fidèles de Rhossos en Cilicie.

 

Les autres évêques sont Asclépiade, Philétos (218-229), Zébennos (229-v240), Babylas qui devait mourir en prison lors des persécutions de Dèce.

 

« Des autres Eglises de Syrie, à cette époque, on connait peu de chose. Dans la partie orientale, près de l’Euphrate, les premiers évêques connus ne le sont pas avant le concile de Nicée, mais il en existe dès le IIIe siècle. (….) C’est dans cette région, aux confins du limes, que se trouvait la ville de Doura-Europos, abandonnée en 256-257. Les fouilles modernes ont révélé qu’il y existait une communauté chrétienne dont les fidèles étaient de langue grecque et de langue syriaque et que cette communauté possédait une « maison d’église » bâtie en 232. »

 

Le marcionisme eut un très grand succès en Syrie. Au Ve siècle, encore, des villages entiers pratiquaient cette religion.

 

A l’est de l’Euphrate, la province de Mésopotamie présente une chrétienté aux caractéristiques particulières. Sa capitale, Edesse, en est le centre intellectuel. « La population autochtone est sémitique et de langue syriaque, mais les Juifs et les Grecs sont nombreux dans cette ville, que l’on appelle l’Athènes de l’orient. Le paganisme, le judaïsme et le christianisme y cohabitent donc, mais la chrétienté (…), est à cette époque (…) extrêmement diverse. » Présence dans la ville de nombreux et influents disciples de Marcion. Mais aussi existent d’une communauté gnostique, « celle des quqites, dont les doctrines sont elles aussi très syncrétistes, brassant des éléments qui viennent de spéculations ésotériques juives, du paganisme syrien, de la nébuleuse gnostique, de l’encratisme. D’autres chrétiens, une majorité peut-être, sont marqués par ce même encratisme, qui prône très fortement l’ascétisme et la virginité et peut aller jusqu’à la condamnation du mariage. Tatien, un temps disciple de l’apologiste Justin, revenu dans son pays vers 170, verse dans cet excès ; il aurait poussé l’ascétisme jusqu’à rejeter totalement le vin, même pour l’eucharistie. C’est par ailleurs un adversaire de Marcion et aussi un apologiste chrétien. (….) Sa théologie fait peu de place à la geste de salut du Christ, mais il voit plutôt la foi chrétienne comme une philosophie intemporelle, qui apporte le salut par la bonne conduite qu’elle entraîne. »

 

« A tout ces groupes que l’on tiendra ensuite pour hérétiques s’oppose un groupe « orthodoxe » autour de Palout, ordonné prêtre (ou évêque) par l’évêque d’Antioche (190-212).

 

III. L’Asie Mineure.

 

« L’Asie Mineure a été évangélisée dès le Ier siècle par de nombreux missionnaires » : Paul et ses compagnons, Jean et ses disciples. « C’est sans doute, aux IIe et IIIe siècles, la région où la densité de la population chrétienne est la plus forte, ce qui ne signifie nullement que les chrétiens y soient majoritaires d’autant plus que toute cette région est une mosaïque de sociétés, de cultures et de traditions religieuses. »

 

1). L’est et le nord.

 

« Pour ces régions traditionnellement rattachées à Pierre (Bithynie et Pont, Cappadoce, partie nord de la Galatie), les témoignages sont nombreux d’une implantation chrétienne ancienne et importante. » (Lettre de Pline le Jeune en 112).

 

Vers 150 l’Eglise de Sinope a une communauté chrétienne (excommunication de l’hérésiarque Marcion par son père responsable de cette Eglise).

 

Vers 180, lettres de Denys de Corinthe aux Eglises de Nicomédie, d’Amastris et du Pont. « La lettre à l’Eglise de Nicomédie combat précisément la doctrine de Marcion ; quant à celle adressée à l’Eglise d’Amastris et à d’autres Eglises du Pont, elle avait pour but de combattre l’attitude rigoriste de l’évêque Palmas qui penchait vers l’encratisme et refusait la pénitence à ceux qui avaient failli dans la persécution. »

 

Vers le milieu du IIIe siècle, la ville d’Amassée semble avoir un évêque, Phaidimos qui ordonne Grégoire le Thaumaturge évêque de Néocésarée, quelques années avant la persécution de Déce

 

Pour la Cappadoce rareté des données mais :

 

  • Persécutions vers 184-185, sous le gouverneur Lucius Claudius Herminianus (mais inconnu par ailleurs).

 

  • La leggio fulminat qui comptait beaucoup de chrétiens dans ses rangs était stationnée à Mélitène à l’est de la province.

 

  • A Césarée, le premier évêque connu est Firmilien (230 - v 268) qui joue un rôle important dans l’Eglise de son temps. « Firmilien tenait Origène en haute estime : il le fit venir dans son pays et se rendit à Césarée de Palestine pour se perfectionner auprès de lui en théologie.

 

2). L’Ouest et le Sud-ouest.

 

Cette région (Sud de la Galaxie, Lycie et Pamphylie) fut d’abord le domaine de Paul qui y fonda plusieurs Eglises. Mais peu d’informations sur leur développement au IIe ou au IIIe siècle. Mais ce développement est réel car plus de vingt évêques de ces provinces seront présents à Nicée. De même on a découvert de nombreuses épitaphes datant de cette période. « Ils sont l’écho d’un christianisme de tendance fortement ascétisante, où la prédication de la virginité tient une place essentielle. »

 

Cette christianisation est importante mais inégalement répartie. « A quelques villes dans lesquelles le christianisme est largement implanté s’opposeront celles, plus nombreuses, rasées fidèles à la religion traditionnelle. La rivalité entre les cités, qui est alors un trait notable de la vie provinciale, a joué aussi dans le domaine religieux. »

 

A l’Ouest (Carie, Lydie, Phrygie) c’est le domaine de Jean, « Jean l’apôtre, Jean le Presbytre ? » Mais elle a été parcourue par d’autres évangélisateurs, Paul, Philippe (que l’on identifiera ensuite à l’apôtre ou à l’un des sept diacres des Actes). «  C’est une religion très urbanisée, enrichie par le commerce et l’industrie, dont presque toutes les villes ont des communautés chrétiennes attestées a date ancienne. La capitale Ephèse, compte une chrétienté importante. C’est dans cette ville que se serait converti le philosophe Justin (….) C’est là que la querelle pascale eut son épicentre : après le concile qui se réunit à Ephèse, l’évêque Polycrate défendit la légitimité de la tradition asiate dans lettre à Victor de Rome.

 

Les martyrs furent nombreux, souvent à la suite de manifestations populaires anti-chrétienne à qui on reprochait ls même choses qu’aux Juifs. L’empereur Hadrien puis Antonin le Pieux ont écrit aux proconsuls de la province pour leur rappeler les règle à suivre dans les procès contre les chrétiens.

 

Smyrne (155/157 ou 166) Décès sur le bucher à l’âge de 86 ans, de l’évêque Polycarpe avec onze autres fidèles.

 

Le prêtre Noët est originaire de Smyrne. Sa doctrine (le patripassianisme) fut condamnée par les autres prêtres de la ville.

 

Dans la partie orientale de la province, la Phrygie compte plusieurs Eglises, dont celle de Hiérapolis. Son évêque Papias a laissé des Explications des paroles du Seigneur (v 130-140) qui ont l’intérêt d’apporter un écho de l’enseignement oral des disciples de Jésus.

 

v 160, martyre de deux évêques : Thraséas d’Euménie et Sagaris de Laodicée.

 

La « nouvelle prophétie », le montanisme.

 

C’est dans la province de Phrygie que naît et se développe dans la seconde moitié du IIe siècle, ce qui sera appelé « la nouvelle prophétie » avant de devenir le montanisme. Ses adhérents seront nommés « phrygiens ou cataphrygiens »

 

« Le montanisme naît d’un sol saturé de sang, non le sang des adhérents tailladés de fureur du culte de Cybèle, mais le sang des martyrs chrétiens ; et le montanisme grandit dans une atmosphère saturée non par les idées des mystères phrygiens mais par les conceptions apocalyptiques du judaïsme et du christianisme. (….) Autres auteurs ont insisté sur le caractère protestataire de celui-ci, vu comme la réaction d’une société rurale indigène contre une Eglise urbaine et hellénisée aussi bien que contre l’Etat romain persécuteur. »

 

Le trait caractéristique de la prophétie montaniste. Annoncer que la fin des temps était proche et que la parousie, inaugurée par un règne de mille ans, aurait lieu dans les villages de Pépuze et Tymion, où les chrétiens étaient invités à se rassembler. Il fallait aussi se préparer à cet évènement par le jeûne et l’abstinence sexuelle, le désir, voir la recherche du martyre. Le message de Montan fut relayée par deux prophétesse, Priscilla et Maximilla. (….) La « nouvelle prophétie », après un tempos où elle aurait fait peu d’adeptes, rencontra assez rapidement un grand écho dans de nombreuses communautés d’Asie Mineure, de Phrygie, mais aussi d’Asie où la communauté toute entière de Thyatire l’adopta, de Galatie (Ancyre), de Cappadoce -, et au-delà de Thrace, de Syrie. 

 

Des évêques tentèrent de disqualifier le mouvement en accusant Montan et ses disciples d’être poussé par la cupidité, d’avoir une mauvaise conduite. « Ils voulurent surtout disqualifier la nouvelle prophétie en déclarant que son caractère extatique n’était pas contre à la tradition de l’Eglise. »

 

« On remarquera qu’aucun des fragments conservés de leurs premiers opposants n’accusent les montanistes d’hérésie (….) Epiphane lui même, si malveillant qu’il soit envers eux, reconnaît qu’ils admettaient toute l’écriture, la résurrection des morts et la Trinité. »

 

Les oracles montanistes montrent que Montan et ses prophétesses sont convaincus d’être inspirés, « qu’ils considèrent que Dieu parle par leur bouche. On peut se demander si, au départ, les différences sont bien considérables entre eux et les autres prophètes des débuts du christianisme et si leur répression ne procède pas surtout de la montée en puissance de l’institution épiscopale, soucieuse de contrôler le pneumatisme (qui représente le plus haut degré de perfection spirituelle) de leurs communautés, de le ramener au second rang. C’est désormais la tradition apostolique, fondée sur le canon des Ecritures et garantie par les évêques, qui devait l’emporter sur les révélations privées. »

 

« La nouvelle prophétie, qui s’était répandue jusqu’en Occident (elle est attestée à Rome, en Afrique, en Gaule), y fut condamnée au début du IIIe siècle par le pape Zéphyrin , dont Tertullien assure pourtant qu’il l’avait, en un premier temps bien accueillie, avant d’en être détourné par l’hérétique Praxéas. D’autres conciles la condamnèrent en Orient (Iconium vers 230-235).

 

Chez le montanistes apparition de divers groupes distingués par Epiphane :

  • Quintilliens appelés aussi pépuziens ou pépuzites.

  • Priscilliens ou Artotyrites.

  • Tascodrugites.

  • Passalorynchites.

 

« Après les progrès du mouvement, qui aboutiront peu à peu à une radicalisation et à la formation de sectes séparées de la Grande Eglise, d’autres pratiques apparurent , se précisèrent ou se durcirent : le jeûne des adeptes de la nouvelle prophétie était plus fréquent que celui des autres fidèles ; ils s’abstenaient de vin, de bains, ne mangeaient que des aliments secs (xérophagie) (…) Ils interdisaient la fuite dans la persécution (…) Ils refusaient le pardon aux adultères et aux fornicateurs , proscrivaient absolument le remariage. »

 

Avec le temps, les montanistes créèrent leur propre hiérarchie avec patriarches, koinômoi, évêques, prêtres, diacres.

 

« Les accusations qui chargent les montanistes (ou du moins certains groupes montanistes) de toutes sortes de crimes, jusqu’au meurtre rituel d’un enfant, ne sont que des lieux communs de la polémique contre des groupes minoritaire de dissidents ou de fusses interprétations de pratiques existant chez eux. »

 

IV. La Grèce, la Thrace.

 

Les provinces qui correspondent à la Grèce actuelle (Achaïe, Epire, Thessalie, Macédoine, îles) avait eu plusieurs Eglises fondées par Paul ou ses disciples : Corinthe, Athènes, Nicopolis, Philippes, Thessalonique, Amphipolis, Apollonia, Bérée. « Ces Eglises restent vivantes et se développent aux IIe et IIIe siècles. Corinthe à un évêque connu dans la seconde moitié du IIIe siècle. »

 

Entre 132 et 140, composition d’une Apologie en faveur des chrétiens par le philosophe Aristide.

 

Vers 177, l’évêque Athénagore écrit une Supplique au sujet des chrétiens.

 

Au début du IIIe siècle, en Thrace on connaît l’évêque de Débelte, Aelius Publius Julius.

 

De Byzance sont originaires Théodote dit le Corroyeur et son disciple Théodote le Banquier. Le premier qui s’était rendu à Rome fut excommunié pour adoptianisme par l’évêque Victor.

 

Chapitre III. L’  « école » d’Alexandrie. Alain Le Boulluec.

 

I. Pantène et Clément.

 

1). Les traditions concernant Pantène.

 

Le représentant connu le plus ancien du courant appelé à détenir l’autorité doctrinale à Alexandrie est Pantène qui n’est connu que par des témoignages indirects.

 

« D’après Eusèbe, Pantène passait pour être issu de l’école philosophie des stoïciens (….). Que Pantène ait été formé à la philosophie, la chose paraît sûre, mais son appartenance première au stoïcisme l’est moins. Elle semble déduite de son énergie, de son courage et de sa fermeté, qualités qu’il a montrées, après sa conversion au christianisme, dans son activité missionnaire. Les renseignements, trop rares, sur sa pensée théologique orientent plutôt vers le platonisme, celui de son siècle, c’est-à-dire une philosophie qui associait platonisme, stoïcisme et aristotélisme. »

 

Pantène est aussi un interprète de la Bible.

 

2). Les origines du « Didascalée. » (école théologique d’Alexandrie).

 

« Pantène était-il un « spirituel qui menait une vie cachée et dont quelques âmes choisies allaient recueillir les avis, fruit de sa médiation des Ecritures »? Ou faut-il croire Eusèbe quand il écrit : « Après de nombreux hauts faits, Pantène dirigea finalement le didascalée d’Alexandrie. »

 

« La description que donne Eusèbe du « didascalée des paroles sacrées » à Alexandrie est la reconstruction qui sert de socle à l’historiographie jusqu’au XIXe siècle et au-delà, soit qu’on y découvre les preuves de l’influence de la philosophie grecque, voire de la pensée orientale, sur les progrès de la théologie chrétienne soit qu’on en retienne les traits qui attesteraient, dans une école chrétienne fermement organisée dès la fin du IIe siècle, la victoire d’une Eglise conquérant la culture hellénique et manifestant, dans un ordre supérieur, sa singularité. »

 

« La question de origines ne peut être examinée qu’à travers les écrits de Clément. Son arrivée à Alexandrie est marquée par la rencontre avec un maître, au terme d’une longue recherche, qui l’a conduit en plusieurs endroits du bassin méditerranéen. La quête de la science et de la sagesse, sous leur formes chrétiennes, gouverne ce voyage, comme elle domine son oeuvre. »

 

La tradition fait de Clément un Athénien rendu vraisemblable par sa naissance à Athènes (entre 140 et 150). « Issu probablement d’un milieu païen, c’est peut-être à la fin de ses études supérieures qu’il s’est converti au christianisme. »

 

« La familiarité dont Clément fait preuve avec poètes et prosateurs ainsi que son art d’écrivain montrent qu’il a dû approfondir cette culture générale en s’exerçant à la « grammaire » et à la rhétorique dans des écoles privées. Sa formation le rendait apte à profiter au mieux de toutes les ressources d’Alexandrie, dès qu’il s’y installa, notamment de ses bibliothèques, et à devenir un érudit. Les connaissances dont témoignent les oeuvres de Clément ne sont plus en effet celles de l’élève, mais du savant. »

 

3). L’activité enseignante de Clément d’après ses oeuvres.

 

« Cet érudit, formé à la philosophie, a donné à l’édification morale, à l’instruction profane, à l’éducation chrétienne, à l’approfondissement de la foi, pour parvenir à ce qu’il appelle la « philosophie véritable », ou la « connaissance » (gnose), une place centrale dans ses oeuvres, qui peuvent fournir des renseignements précieux sur son activité concrète d’enseignements. »

 

Le Protreptique, le Pédagogue, les Stromates et les Hypotyposes illustrent « illustrent dans leur succession même, les étapes d’une éducation. »

 

  • Le Protreptique peut se définir comme une « procatéchèse » à l’intention des « Grecs ». Clément y applique au christianisme le genre de l’exhortation à se convertir à la philosophie. C’est un ouvrage produit à la fois de son activité missionnaire et un modèle pour des chrétiens engagés dans la conversion des « Grecs » attirés par le christianisme.

 

  • Le Pédagogue. Il rapporte « à l’oeuvre du logos  divin la formation morale, théorique et pratique, en se limitant à l’enseignement exotérique. Il conduit vers la direction assurée par le « didascale », le maître. » Il peut fournir un manuel aux catéchètes chrétiens. « Dès le Pédagogue, il évoque le rôle du « didascale » du maitre : son enseignement a un contenu théologique, dogmatique, et s’adresse à des chrétiens, à l’intérieur de l’Eglise. »

 

  • Les Stromates. Dans cet ouvrage on trouve des traces d’une activité d’enseignement. « La décision d’écrire n’a pas seulement pour fin de constituer un trésor de remémoration pour le seul auteur, elle vise un public de lecteurs capables d’accueillir « la connaissance ». (…..) Clément veut inculquer la tradition qu’il a reçue à des chrétiens désireux de progresser dans la science des Ecritures et dans la compréhension des contenus de la foi, et aptes à trouver une stimulation dans le style détourné de son oeuvre. (….) On a même pu, à bon droit, considérer que l’ouvrage s’adressait à des maîtres chrétiens, si grande est la place faite aux méthodes de l’instruction, si insistante l’incitation à enseigner les vérités capitales et à diriger les consciences, et si haute la tâche du didascale, dont le modèle est le Christ. »

 

  • Les Hypotyposes.

 

« Ses oeuvres reflètent donc une activité enseignante diversifiée, orientée vers la conversion des Grecs, tournée vers les candidats au baptême, destinée aux baptisés, ou encore consacrée à la formation de maîtres spirituels ou de catéchètes compétents. L’instruction de tels guides étant la mission prédominante. »

 

4). La communauté chrétienne.

 

« Pour Clément, l’Eglise est une communauté concrète, constituée de ceux que Dieu « a appelé », qui ont été purifiés par le baptême, qui prennent part à l’ « eucharistie » pour la sanctification de leur corps et de leur âme, pourvue de « prêtres », « d’épiscopes », de « diacres » »

 

La distinction entre ces différentes catégories n’est pas nette, mais la notion de préséance laisse penser à une hiérarchie.

 

Pour Clément, l’activité enseignante est la fonction principale dans l’Eglise. « Il y revendique une place de choix, en tant que didascale. Son rôle de maître ne s’exerce pas dans une école privée indépendante ; il ne peut être séparé de l’Eglise institutionnelle. »

 

Même les conflits qu’il peut avoir avec d’autres chrétiens, hostiles à la philosophie se déroulent à l’intérieur de la communauté. « Le soin avec lequel il réplique à leurs objections prouve son adhésion entière à cette Eglise « catholique ».

 

« En un temps où les structures institutionnelles étaient encre souples et où le monoépiscopat ne s’était pas encore imposé à Alexandrie, les responsabilités de Clément en matière de catéchèse et d’instruction théologique plus avancée pouvaient s’exercer assez librement. »

 

5). Signes de tensions.

 

« Clément avait de la prêtrise une conception plus spirituelle qu’institutionnelle. Pour lui, les qualités du maître gnostique l’emportent sur la qualification juridique de celui qui a le statut de prêtre, sans qu’il y ait opposition entre l’un et l’autre, puisque le gnostique peut-être lui même prêtre. (….). Cette hiérarchie des valeurs n’engendre pas de conflit tant que l’accord est maintenu dans la communauté chrétienne sur la préséance de l’instruction spirituelle et que celle-ci n’est pas l’apanage d’un corps de clercs. Les réflexions de Clément sur la prêtrise reflètent un état de l’Eglise où l’autorité peut-être partagée entre docteurs et prêtres, sans que des séparations strictes soient marquées entre les fonctions, à l’intérieur d’un groupe où les relations personnelles, régentées par la direction de conscience, sont prédominantes. Cette représentation ne correspond sans doute plus exactement à la situation alexandrine, qui a évolué. Des tensions se manifestent entre des chrétiens qui affirment l’identité de l’Eglise par la référence exclusive aux Ecritures et un Clément soucieux d’acclimater l’héritage grec. »

 

C’est à cette époque qu’apparaît le premier évêque d’Alexandrie dont l’existence historique ne fait pas de doute : Démétrius. « Si les sources sont muettes sur les relations entre l’activité enseignante de Clément et la gestion ecclésiastique de Démétrius, l’émergence du monoépiscopat est le signe d’une mutation importante. Dès lors était en germe un conflit entre la conception de la prêtrise propre à Clément et l’exercice de l’autorité assumée par l’évêque. »

 

6). Athénagore a-t-il été à Alexandrie ?

 

Un témoignage de Philippe de Sidè, historien de la première moitié du Ve siècle, nomme Athénagore comme le premier scholarque du didascalée d’Alexandrie. Une seule notice évoque ce fait, mais elle contient des « erreurs patentes. (….) Il est prudent de douter encore de sa valeur. »

 

7). Le témoignage de Clément sur le christianisme alexandrin et sur sa diversité.

 

« Les chrétiens que vise principalement l’enseignement de Clément appartiennent aux classes les plus fortunées. L’instruction dispensée dans le Pédagogue et la critique des moeurs qui l’accompagne ne peuvent s’adresser qu’à des gens capables de vivre dans le luxe. L’ouvrage est à cet égard une source d’information par les us et coutumes des riches Alexandrins, si l’on prend soin de trier ce qui relève des thèmes conventionnels de la diatribe morale et ce qui concerne proprement la grande cité gréco-romaine d’Egypte. Il s’agit aussi de cercles cultivés, qui savent apprécier les références à la littérature grecque et à la philosophie, ainsi que l’art de la rhétorique. »

 

« Clément adapte son propos à un public pétri de culture grecque tout en confortant dans leur choix les chrétiens de même niveau d’éducation. (…..) Cependant, tous les chrétiens d’Alexandrie, à l’époque de Clément, ne sont pas ouverts à la culture grecque. Il doit tenir compte (….) d’une catégorie de fidèles qui se défient de la philosophie, ceux qu’il désigne péjorativement comme « la foule », ou « les simples », ou « les fidèles du commun. »

 

« Parmi les chrétiens, il faut compter aussi ceux que Clément considère comme « hétérodoxes », ou « hérétiques ». Il s’agit des adeptes de doctrines qui ont été déjà combattues par Irénée, maronites, encrantes, comme Tatien, tenants de la « pseudo-gnose », comme les disciples de Valentin ou de Basilide. »

 

« La présence massive dans la controverse des attaques contre les mouvements qu’il est convenu d’appeler « gnostiques » atteste que le gnosticisme continue d’être très vivant à Alexandrie à la fin du IIe siècle et au début du IIIe. »

 

« Une preuve de la vitalité du gnosticisme à Alexandrie est l’effort que fait Clément pour le contrecarrer, ou rivaliser avec lui, en élaborant une « gnose » orthodoxe et en faisant du chrétien le « gnostique véritable. »

 

On peut donc noter la naissance d’un clivage, à Alexandrie, à l’intérieur du christianisme entre une forme « ecclésiastique » et d’autres tendances qui seront qualifiées « d’hérétiques » qui sont en passe d’être exclues. Clément a beaucoup contribué à fixer les frontières , à définir les normes et à produire l’exclusion.

 

« Clément ne fait pas entrer les « hérésies » dans « une succession » de l’erreur, alors que ce modèle s’est imposé à Rome et dans ses aires d’influence où le monoépiscopat s’est établi plus tôt. Lorsqu’il veut donner une image synthétique de l’hérésie, il ne se réfère pas au thème de la « succession » (….) mais à un schéma de l’hérésiographie grecque utilisant une typologie des dénominations pour classer les systèmes de pensée. »

 

Autre divergence entre Clément et Irénée. Le premier ne fait pas de la philosophie la pourvoyeuse des hérésies. « La comparaison lui sert à montrer soit que les hérétiques ont tort de s’arroger la découverte de telle ou telle doctrine, car ils ont été devancés par des philosophes, soit qu’ils ont commis des contresens sur la pensée de Platon. »

 

Clément estime que l’hérésie est le paroxysme de l’erreur et de l’impiété. Donc la gravité de cela demande les traitements les plus rudes. Mais il pense que ces hérétiques peuvent revenir dans la bonne voie et Clément veut « les conduire à la guérison. »

 

8). Absence du judaïsme.

 

« Parmi les courants généralement qualifiés d’hérétiques à son époque, les sectes judéo-chrétiennes sont absentes de ses oeuvres alexandrines. Sans doute est-ce le signe qu’à la fin du IIe siècle le christianisme à Alexandrie était dépourvu de tendances judaïsantes. »

 

9). L’histoire des cultures et des religions selon Clément.

 

« Il n’y a pas à s’étonner que Clément ait une conception providentialiste de l’histoire, en accord avec l’idée que le christianisme est la perfection de la culture humaine, à la fois comme idéal de vie et comme ensemble de doctrines. Il n’est pas surprenant non plus qu’il affirme l’identité du message chrétien et de « la philosophie des Hébreux », puisque selon lui , le même Logos qui parle en tant que Christ s’exprime par Moïse et par les Prophètes. »

 

« Le souci fondamental de Clément est donc de rapporter la philosophie à un dessein de Dieu, quelle que soit la modalité de sa production. Et le trait commun à tous ses commentaires personnels est d’inciter sur la nature partielle et obscure des connaissances obtenues par les Grecs, qui sont seulement une propédeutique. »

 

« Toute l’histoire des civilisations est donc gouvernée, selon Clément, par le dessein divin, qui l’oriente, en plusieurs étapes, et par des actions plus ou moins médiatisées (au moyen du Logos lui-même pour les Hébreux, des puissances inférieures pour les Grecs), vers le dévoilement accompli par le Christ. »

 

« A cette représentation d’une humanité plurielle destinée à être unifiée par la connaissance de la vérité dévoilée par le Christ est associée une théorie du « genre symbolique », ou du « cryptage » qui a une portée universelle. Tous les peuples, barbares et grecs, usent en matière religieuse et philosophique (c’est tout un pour Clément) d’un langage voilé qui à la fois protège et permet cette connaissance. »

 

10). Un hellénisme christianisé.

 

« Il serait inexact de réduire le rôle de Clément à celui d’un acteur particulièrement efficace de l’hellénisation du christianisme . Certes il a une connaissance approfondie des poètes et prosateurs grecs, et son art d’écrivain fait de lui leur émule. Le chrétien vertueux qu’il modère est à bien des égards conforme au type idéal de l’homme libre recherché par la paieda (Éducation des enfants telle que pratiquée dans la Grèce ancienne, ou pratique inspirée de cette éducation) grecque. (….) Clément exploite aussi en expert la pensée et les textes des philosophes grecs, en dialectique ou logique, en éthique et en physique. Il est un bon représentant de ce qu’il est convenu d’appeler le « moyen platonisme », courant de pensée vigoureux qui, au IIe siècle, dans la partie orientale de l’Empire d’abord, ranime la tradition platonicienne en la revitalisant par des apports stoïciens et aristotéliciens. Le terme « éclectique », dans un sens fort, peut-être appliqué à ce courant. Clément, quant à lui, assume fermement et explicitement l’éclectisme, comme produisant le choix de ce qu’il y a de meilleur. Aussi conviendrait-il plutôt de parler de christianisation de l’hellénisme. Son « éclectisme » vigoureux se manifeste en effet de la façon la plus originale dans ce qu’il appelle « la vraie philosophie », qui va chercher la « gnose » dans les écrits des Prophètes et des Apôtres. Cette quête est dominée par la conviction que les Ecritures sont réellement « métaphoriques », en ce qu’elles imposent un passage d’un niveau de discours (et de sens) à un autre. »

 

« Cette conversion produit une mentalité et une conception théologique singulières, qui ne sont plus ni celles des « Hébreux », ni celles des « Grecs », et qui se réfèrent à une société nouvelle que Clément nomme parfois « le troisième peuple », composé des « appelés » venus des deux autres, les « Hébreux » et les « Grecs », et muni d’institutions propres qui s’affermissent progressivement. Cette société est animée d’un mouvement interne qui la projette vers sa forme achevée, là où les « appelés » deviennent des « élus », quand leurs efforts vertueux et intellectuels, sous la conduite du maître et à la lumière des commandements divins les mènent jusqu’à la gnose véritable. »

 

II. Origène.

 

« Ce que nous savons du christianisme à Alexandrie pendant les trois premières décennies du IIIe siècle dépend majoritairement de la documentation concernant Origène et de ses oeuvres. »

 

Durant cette période les chrétiens d’Alexandrie vont subir des persécution sous deux préfets de Septime Sévère.

  • Quintus Marcus Laetus en 200-202.

  • Sabatianus Aquila à partir de 206.

 

1). Les persécutions à Alexandrie et la jeunesse d’Origène.

 

199-200. Voyage de Septime Sévère en Palestine et en Egypte pour ensuite aller combattre les Parthes. Des mesures sont prises contre les juifs et les chrétiens, pour empêcher le prosélytisme. Ces mesures sont appliquées avec rigueur par le préfet Laetus (30 août 199 - 23 mai 200).

 

Arrestation du père d’Origène, qui avait sans doute un statut social élevé et était citoyen romain. Il est décapité vers 201. Origène n’a pas encore tout à fait 17 ans.

 

Origène avait été instruit dans « le cycle des études ». « A cette formation hellénique il avait ajouté l’étude des Ecritures . Le jeune Origène doit sûrement à cette éducation l’ardeur de sa foi, qui se manifeste au moment de la persécution. »

 

« Après le martyre de son père, il est accueilli par une chrétienne très riche, et très en vue. Le milieu qu’il fréquente alors illustre la diversité du christianisme à Alexandrie au début du IIIe siècle . » Chez cette femme réside le maître gnostique Paul d’Antioche qui attire de nombreux auditeurs autant hérétiques que chrétiens . Cela permet à Origène de compléter ses connaissances puis d’ouvrir une école de grammaire.

 

A partir de 206, Origène entame une période d’activité catéchétique., qui résulte de son initiative personnelle. Il se donne une mission de « suppléance, sans mandat de l’évêque, et elle ne s’inscrit nullement dans une quelconque succession à la tête d’une école catéchétique. »

 

« Au moment où sévit le plus violemment la persécution, Origène assiste avec un grand courage ses disciples qui sont détenus, et poursuit son enseignement en passant d’une maison à l’autre pour échapper à l’arrestation. »

 

2). Origène et « le maître des sciences philosophiques. »

 

Il faut distinguer Origène le platonicien (disciple d’Ammonius) auteur des traités « Sur les démons » et « Que le roi seul est créateur » d’Origène le chrétien. Au moins deux faits s’opposent à la théorie d’un seul et même Origène.

 

  • Au moment du pacte signé entre 3 disciples d’Ammonius dont Origène, le maître chrétien avait quitté Alexandrie depuis 10 ans.

 

  • Le traité « Que le roi seul est créateur » a été écrit après septembre 253, donc après la mort de l’Origène chrétien.

 

3). La conversion complète et l’école de catéchèse.

 

Après le départ du préfet Aquila et le décès de Septime Sévère (4 février 211), fin de la persécution. Origène décide alors de rompre avec l’enseignement des sciences grammaticales, qu’il juge incompatibles avec « l’exercice des disciplines divines » car consacrées à l’étude d’auteurs profanes.

 

Au début du règne de Caracalla, retour de l’évêque Démétrius à Alexandrie qui confirme Origène dans sa charge de catéchèse qu’il assumait déjà. Il ferme son école de grammaire, vend sa bibliothèque d’ouvrages grecs et s’assure une subsistance minimale en obtenant de son acheteur une rente de 4 oboles par jour. Il s’astreint par ailleurs à un régime ascétique très rigoureux. Il alors 26 ans et va consacrer une part essentielle de son activité à la catéchèse. Mais « la philosophie grecque y est incluse, à des fins apologétiques, et mise au service du prosélytisme chrétien. »

 

4). Les premiers travaux exégétiques et philologiques.

 

Parallèlement à son enseignement Origène s’attache à l’étude approfondie des Ecritures. Il commence par un travail d’exégète sur le Cantique des cantiques. Puis il consacre tous ses efforts à l’explication de la Bible (les Hexaples).

 

« Une telle entreprise avait au moins deux fins : d’une part connaître, autant que possible, le texte original de la Bible ; d’autre part, comme le montre sa pratique d’exégète, réunir tous les témoins textuels pour construire le substrat complet du sens à découvrir, non sans accorder quelque privilège à la Septante, le texte reçu dans l’Eglise. »

 

5). Les premiers traités et la notoriété grandissante.

 

Après le Commentaire sur les Psaumes 1 à 25, Origène écrit des Stromates en 10 livres. « En choisissant ce titre, il fait référence à Clément : ces « Tapisseries » mêlent l’examen de points de doctrine chrétienne, l’exégèse de textes scripturaires et de passages des philosophes, Platon, Aristote, Numénius, Cornutus. » Les premiers ouvrages sont publiés vers les années 222-225. Il publie aussi dans cette période un traité « Sur les natures », un « Commentaire sur les Lamentations de Jérémie », le « Dialogue avec Candidus », ce dernier étant la trace d’un débat public enregistré par des tachygraphes, avec un gnostique.

 

« Cet épisode montre qu’Origène est devenu un expert écouté et sollicité en matière de théologie et de doctrine chrétienne. Sa qualité de maître de l’école de catéchèse l’amène à intervenir avec autorité dans les controverses avec les hérétiques. La diffusion de ses ouvrages augmente sa notoriété, qui franchit les frontières de l’Egypte. »

 

6). Les grands ouvrages des années 229-232.

 

« Huit livres (sur douze) du « Commentaire sur la Genèse » sont composés à Alexandrie. Les fragments qui en subsistent et les allusions d’Epiphanie et d’autres montrent que la visée philosophique y était très forte et que la méthode allégorique caractérisait l’exégèse pour construire une cosmologie et une anthropologie chrétiennes capables de rivaliser avec les systèmes grecs, tout en retenant certains de leurs éléments . »

 

Autre oeuvre majeure, « le Traité des principes » qui est à la fois une somme théologique, ouvrage de direction spirituelle, mais aussi un traité d’exégèse, un recueil organisé de débats et de recherches sur toutes les questions difficiles. Il réunit tous les aspects du christianisme alexandrin. « L’ambition est assurément, à l’aide de la méthode rationnelle, sous la double forme du raisonnement logique et de l’interprétation des textes, de tirer toutes les conséquences de la confrontation entre les propositions de la foi, la philosophie grecque et les Ecritures, et d’élaborer un système. »

 

Mais ce système n’est pas figé. « Origène le construit avec beaucoup de prudence et de modestie, énonce ses réponses sous forme d’hypothèses plutôt que d’assertions définitives, livre des hypothèses plurielles et accepte d’avouer son ignorance. »

 

« Le Traité donne l’idée la plus précise de l’enseignement qu’Origène pouvait dispenser à Alexandrie, et de la diversité des gens qui se réclamaient du Christ. »

 

« La rigueur philologique s’allie chez Origène au recours médité à l’allégorie. C’est que la recherche du sens suit elle aussi des règles et à une logique compatible avec les résultats obtenus par l’étude de la lettre du texte. (….) L’explication d’Origine veut-être exhaustive. »

 

7). Le départ d’Alexandrie.

 

« Le conflit entre Démétrius et Origène révèle une Eglise d’Alexandrie désormais fermement organisée, sous l’autorité de l’épiscopat monarchique, et qui s’affirme dans les relations avec les autres Eglises. »

 

230 départ pour la Palestine, motivé par des difficultés locales. Les évêques de Palestine, Alexandre de Jérusalem et Théoctiste de Césarée, le font prêcher dans les églises, lors qu’il n’est ps prêtre.

 

« Un acte de Démétrius manifeste alors à la fois son pouvoir, l’existence d’une hiérarchie bien instituée sous son autorité, et l’importance de la mission qu’il continue de confier à Origène. Il envoie en effet en Palestine des diacres porteurs de lettres qui pressent le maître de l’école de catéchèse de revenir à Alexandrie », ce que fait Origène.

 

Automne 231. La mère de l’empereur Alexandre Sévère venue à Antioche passer l’hiver, veut s’entretenir avec Origène dont la réputation lui est parvenue. Origène va passer plusieurs mois auprès d’elle.

 

Après un bref retour à Alexandrie, il quitte la ville pour la Grèce à la fin du printemps 232. Sur le chemin, il séjourne à Césarée où il est ordonné prêtre par Théoctiste. « L’ordination d’Origène irrite fort Démétrius, qui y voit une violation de ses droits. Il adresse à l’évêque de Rome, Pontien, une lettre de protestation, contresignée par plusieurs membres du clergé égyptien, pour se plaindre de Théoctiste de Césarée et d’Alexandre de Jérusalem. (…) Il leur reproche d’avoir fait prêcher Origène, un laïc, à l’église, et tout, récemment, d’avoir de nouveau enfreint les règles en ordonnant un sujet qui dépend d’un autre évêque et qui, de surcroit, s’était mutilé. » A la suite de cette lettre, un synode romain réuni par Pontien, approuve la condamnation prononcée par Démétrius et déclare non valide l’ordination d’Origène.

 

Origène revient assez rapidement en Palestine et s’installe à Césarée. « L’histoire de sa vie se confond désormais avec son oeuvre de prédicateur, de maître, de commentateur des Ecritures, d’expert en théologie consulté par des conciles, d’auteur de traités spirituels, d’apologiste de la religion chrétienne. La Palestine devient le lieu d’où se répandent, vers l’Orient, comme vers l’Occident, la méthode et l’esprit du christianisme alexandrin des premiers siècles. »

 

Chapitre V. L’Afrique chrétienne (180-260). Victor Saxer.

 

« L’Afrique chrétienne entre dans l’histoire en 180 avec les martyrs de Scilli. Elle occupe très vite une place importante dans l’histoire générale du christianisme, avec ses plus illustres représentants, de l fin du IIe au milieu du IIIe siècle, Tertullien et Cyprien, tous les deux de Carthage. »

 

I. L’Afrique romaine et chrétienne.

 

« Il n’est sans doute pas exagéré de dire que le christianisme est arrivé en Afrique sur le pas de Rome et que la christianisation a suivi la romanisation du pays et a été rendue possible par elle, quels qu’en aient été les artisans précis. Ce fait majeur de l’histoire chrétienne de l’Afrique ne doit cependant pas faire oublier un autre, à savoir la présence antérieure d’une première occupation étrangère qui, depuis la fondation de Carthage en 814 jusqu’à sa défaite en 146 av J-C, avait implanté et diffusé en Afrique du Nord la civilisation punique. »

 

Il ne faut pas oublier aussi la présence d’ethnies plus anciennes : Garamantes, Gétules, Maures.

 

1). L’Afrique romaine.

 

40 Ap J-C. Occupation complète du pays après l’assassinat du dernier roi de Maurétanie, Ptolémée, fils de Juba II, sur ordre de Caligula.

 

L’Afrique est alors divisée en 3 provinces :

 

  • Afrique proconsulaire s’étendant de la Tripolitaine depuis l’autel des Philènes à Hippo Regius (Annaba/Bône). Elle était dirigée par un proconsul dépendant du Sénat et avait Carthage pour capitale.

 

  • La Numidie qui est détachée de l’Afrique proconsulaire en 37 ap J-C. Elle correspondait en gros à l’ancien département de Constantine mais empiétait sur l’ouest de la Tunisie et avait Lambèse (Tazoult) pour capitale. Elle était gouvernée par le légat de la IIIe légion Auguste.

 

  • La Maurétanie, occupée en 40, s’étendait de la Numidie jusqu’à l’Atlantique. Elle était subdivisée en Maurétanie césarienne avec Césarée (Cherchell) pour capitale et Maurétanie Tingitane avec Tingis (Tanger) pour capitale. Ces deux Maurétanies étaient provinces impériales comme la Nimidie.

 

Ces divisions du Haut-Empire furent conservées jusqu’à la réforme de Dioclétien (284-305)

 

« Dès leur arrivée en Afrique, les Romains trouvèrent déjà urbanisé l’ancien domaine de Carthage, voire certains royaumes indigènes, où la présence générale de l’eau avait partout favorisé l’agriculture et le peuplement. » Par la suite les Romains favorisèrent la création et le développement de centres de peuplement à mesure des progrès de l’occupation militaire. De ombreuses villes nouvelles furent créées.

 

Ce développement se fit de plusieurs manières :

 

  • Par déduction de colonies pour les vétérans.

 

  • Par sédentarisation des autochtones.

 

  • Par établissement de postes militaires, qui s’entourèrent très vite de faubourgs de nomades sédentarisés et finirent par les englober dans les plans des villes.

 

2). Les origines chrétiennes de la ville.

 

On ignore où, quand, comment, et par qui est arrivé le message chrétien en Afrique. On peut penser, mais sans certitudes, que la porte d’entrée fut Carthage.

 

On peut penser que « des voyageurs ont porté le christianisme en Afrique dès le Ier siècle. »

 

II. Les martyrs scillitains (17 juillet 180) et d’autres.

 

Le martyr des chrétiens de Scilli est connu grâce à leurs Actes qui sont du genre hagiographique. Le nom des martyrs diffère selon les manuscrits des Actes, mais il s’établit à 12.

 

« Speratus fait figure de chef de file. Il est interrogé le premier et le plus longuement et ses réponses sont les plus argumentées ; il insiste sur le caractère moral de la conduite des chrétiens, sur leur respect de l’empereur et des lois sociales, sur leur fidélité à Dieu. »

 

Le proconsul interroge Speratus sur le contenu de sa sacoche qui contient les livres et les épitres de Paul, ce qui prouve que ces chrétiens écoutaient la lecture des épitres faite par Speratus. « Leur culture religieuse est moins frustre que ne le laissent supposer leurs réponses au proconsul (….) Quoi qu’il en soit, les lettres devaient être écrites dans la seule langue qu’ils connaissaient apparemment, le latin. C’est le premier témoignage que nous ayons de la traduction latine de Saint-Paul en Occident, témoignage exceptionnel pour l’an 180.

 

III. Tertullien et son temps.

 

Tertullien a vécu à Carthage à l’époque des Sévères et son activité littéraire est attestée entre 197 et 220 environ. Son père semble avoir été officier de l’état-major du proconsul et lui-même paraît avoir appartenu à l’ordre équestre et avoir joui d’une belle indépendance financière qui explique aussi son indépendance d’esprit et de parole. On peut penser qu’il a exercé la profession d’avocat ou de rhéteur avant sa conversion. Par ailleurs, il était marié.

 

L’oeuvre de Tertullien permet d’obtenir des informations sur les communautés chrétiennes orthodoxes ou hétérodoxes de son temps et de son pays, mais aussi de Hadrumète (Sousse), Thysdrus (El Djem), Uthina (Oudna) et Lambèse (Tazoult).

 

1). La Grande Eglise.

 

Sa composition sociologique.

 

Elle est fortement différenciée, se composant d’ouvriers spécialisés à hauts salaires, de propriétaires de plusieurs esclaves, d’habitants misérables qui vivaient de l’aide de l’Eglise. « On pense que les pauvres y étaient une minorité car leur « assistance ne posait aucun problème financier aux autres fidèles de la communauté. »

 

Les chrétiens de classe aisées sont attestés dans les trois ordonnes dirigeants : sénateurs, chevaliers, décurions.

 

Ses niveaux culturels.

 

Dans les classes aisées on parle couramment le grec.

 

Mais influences orientales sur Tertullien, en particulier en ce qui concerne le culte des martyrs.

 

Son adhésion au montanisme, ultime choix de sa vie religieuse « lui a été dicté par son penchant naturel pour les solutions extrêmes.

 

« Tertullien et quelques-uns de ses contemporains qui pouvaient être du même niveau social que lui avaient une culture bilingue suffisante pour qu’elle ait pu s’imprégner d’influences orientales que divers indices précisent comme micro-asiatiques. »

 

Le témoignage de l’Apologétique : la critique du paganisme.

 

Dans un passage de son plus célèbre traité, l’Apologétique, « Tertullien défend la position des chrétiens à l’égard de la loi romaine : ils ne sont ennemis ni de l’Etat ni de la race humaine, et pour démontrer l’injustice qu’il y a à ne pas admettre la légitimité de leurs associations, il trace un tableau séduisant de leur vie et de leurs activités. »

 

« Tertullien a écrit son Apologétique dans le même but que l’ont été toutes les autres apologies du IIe siècle, comme une défense du christianisme. C’est pourquoi il l’a adressée à la plus haut autorité de son pays : le proconsul ; il l’a rédigée de la même manière que certains de ses prédécesseurs en y décrivant le christianisme tel qu’il était dans la réalité, et non en réfutant ce qu’en imaginaient les païens. Mais à la différence de ses prédécesseurs, il a mêlé à la défense de sa cause une cruelle satire de ses détracteurs. Jamais un défenseur du christianisme n’est allé aussi loin dans la critique du paganisme. (….) Cette audace impunie de Tertullien est l’un des arguments les plus forts en faveur de son appartenance au milieu social élevé, qu’il critique parce qu’il le connaît d’expérience, et d’une expérience que son érudition a enrichie. »

 

La communauté chrétienne de Carthage.

 

« Tertullien trace un portrait idéalisé de sa communauté, dont tous les traits ne sont cependant pas dessinés, et eux qui le sont ne paraissent pas tous correspondre à la réalité. »

 

« Tertullien revendique pour sa communauté le statut de cotes religieux, « uni par le sentiment de partager une même croyance et une même espérance. Leurs réunions sont des réunions de prières dans lesquelles on prie aussi pour les empereurs. Mais elles sont surtout occupées par la lecture des saintes écritures qui nourrissent la foi, resserrent la discipline et inculquent le respect des commandements de Dieu. Elles sont le lieu d’où sont exclus les indignes et sont présidées par des anciens, élus pour le témoignage de leurs vertus. »

 

« Quand on compare cette description des réunions cultuelles de Carthage avec celle que Justin avait faite des réunions de la communauté romaine quelque cinquante ans plutôt, on est frappé par une différence : chez l’Africain, la réunion n’est faite que de prières et de lectures ; il n’y est pas question d’un rite eucharistique. (….) Ce n’est pas que les usages romains aient différé des usages carthaginois sur ce point essentiel du culte chrétien. Mais dans l’écrit adressé à un magistrat païen, Tertullien respecte la discipline de l’arcane qui interdisait de parler à un non-initié des rites réservés aux initiés. Cette interdiction n’existait apparemment pas au milieu du IIe siècle et, comme d’autres développements institutionnels, elle n’a pris forme et force de loi que vers la fin du siècle. D’où le silence de Tertullien. »

 

Par contre description sans contrainte, de l’agape dont il dit le nom et qui donc n’est pas considérée comme un « mystère ou sacramentum. » Il s’agit d’un repas de charité organisé avec les fonds recueillis chaque mois auprès des fidèles. Cette caisse commune des chrétiens est une caisse de secours mutuels. Elle sert à subvenir aux besoins des plus pauvres d’entre eux.

 

« A ces repas plantureux (ceux des rites païens), Tertullien oppose le repas chrétien. Là non plus, on ne regarde pas à la dépense, parce que la dépense faite pour les pauvres est un gain. Ces pauvres ne sont pas des parasites qui, chez les païens, sont l’objet d’avanies ; les chrétiens, eux, traitent les pauvres avec respect. Le repas chrétien est une sorte d’acte religieux, car il s’ouvre et se termine par la prière. »

 

Les lieux de culte : l’église.

 

« Au temps de Tertullien, les chrétiens de Carthage se réunissaient dans un (ou plusieurs ?) édifices, couvert et fermé, pour tenir leurs assemblées cultuelles et caritatives. Ils lui donnaient généralement le nom d’ « église ». »

 

« Le mot avait d’ailleurs acquis droit de cité dans le latin profane et chrétien depuis quelque temps déjà. Il avait même pris, dans le latin chrétien, différentes acceptions reflétant son évolution sémantique. Du sens de communauté locale (1er sens), il passa facilement à celui de local où elle se réunissait (2e), avant de s’appliquer à la communauté locale en tant qu’institution (3e), puis à l’ensemble des communautés chrétiennes localement enracinées (4e). Au terme de l’évolution, se dégage le concept de l’Eglise invisible, réalité spirituelle et transcendante (5e). »

 

L’église est une maison et non un édifice cultuel spécialisé. Cet édifice comporte un seuil qui est une limite que ne doivent pas franchir ceux qui n’en n’ont pas le droit : païens, les catéchumènes, les pénitents, les adultères, les bigames. Ce seuil sépare deux espaces distincts : le vestibule qui reste accessible aux exclus et à la porte duquel ils frappent pour entrer. La salle dans laquelle se tiennent les fidèles seuls. 

 

Le lieu du baptême.

 

« Pour Tertullien, il importe peu « qu’on soit baptisé dans la mer ou un étang, dans un fleuve ou une fontaine, dans un lac ou un bassin », ce qui suppose la possibilité que le baptême soit encore pratiqué en plein air dans l’eau vive de la mer ou des fleuves. » »

 

Les lieux de sépulture.

 

« Seul le mot area désigne en son temps, un lieu de sépulture spécifiquement chrétien. Tertullien ne l’emplie dans ce sens spécifique qu’une seule fois. »

 

D’autre part ces aires cémétériales ne sont attestées pour la première fois qu’à l’époque de Tertullien.

 

2). Les communautés hérétiques.

 

Les communautés hérétiques sont attestées à Carthage par l’ardeur mise par Tertullien pour les combattre.

 

Les mouvements hérétiques.

 

Ces mouvements « ont pris naissance dans la Grande Eglise et même séparés d’elle, ils y ont puisé l’essentiel de leur recrutement. »

 

Les Valentiniens et les marcionites sont présents à Carthage à l’époque de Tertullien.

 

La passion de Perpétue et le montanisme.

 

Dans trois endroits de la Passion de Perpétue, certains ont voulu y voir des traces de montanisme. Tertullien « développe en effet l’idée que le martyre au même titre que la prophétie, est un charisme de l’Esprit qui continue à opérer dans les derniers temps les mêmes prodiges des temps anciens. (…) C’est pourquoi le récit de ces derniers évènements doit être reconnu et vénéré comme les Ecritures inspirées et fait l’objet d’une lecture liturgique. Jusqu’ici, le prologue est parfaitement conforme à la doctrine traditionnelle de l’inspiration des écritures et à l’usage africain de lire les Passions des martyrs au cours des réunions liturgiques. Toutefois l’auteur donne à l’instrumentum ecclésiae une double extension. Dans son objet d’abord. Les martyrs sont en effet pour lui les « fils et filles » qui, selon Joël, bénéficient des « visions et songes » annoncés, les faisant égaux des prophètes. Dans son autorité ensuite. Car mis par écrit, le récit de ces charismes a une autorité non moindre que les écrits anciens, comme il est dit dans l’épilogue. Les écrits plus récents ont même une autorité plus grande, en raison de la « surabondance de grâce prédite pour les derniers temps. Non seulement l’auteur renverse donc le rapport communément admis entre antiquité et autorité d’un écrit, mais il affirme encore que l’action d l’Esprit s’intensifie avec le temps, ce dont il voit la preuve dans le charisme des martyrs. »

 

« C’est un lieu commun de la polémique chrétienne antijuive que le Nouveau Testament s’est substitué à l’Ancien et lui est donc supérieur. C’est aussi une attitude commune à l’Eglise ancienne de reconnaître aux martyrs un charisme de l’Esprit qui les rapproche de la hiérarchie et parfois les Y intègre : c’est à ce titre que leurs mérites compensent les péchés des apostats et peuvent hâter leur réintégration dans l’Eglise. »

 

« La Passion de Perpétue suggère qu’à Carthage, la frontière entre institutions et charisme, voire entre orthodoxie et hérésie, était loin d’être aussi tranchée que dans leur présentation par Tertullien. Cette situation de relative indétermination dans le texte hagiographique nous fait poser le témoin de la tradition et il est en effet conservateur. Dans quelle mesure ses prises de position n’ont-elles pas contribué à faire prendre conscience aux uns et aux autres des différences qui les séparaient ? »

 

Tertullien et le montanisme.

 

Quand il appelle Proclus « Proculus noster » après 207, Tertullien est passé au montanisme. mais il s’exprime peu à ce sujet.

 

Par contre vers 200, les réactions, pour ou contre, montrent que le montanisme est présent dans toutes les provinces de l’Empire.

 

Les informations données par Eusèbe sur l’organisation primitive de la secte « valent sans doute aussi pour les établissements de la diaspora montaniste. Ses propagandistes devaient ressembler aux prophètes itinérants de la Didaché, mais les communautés stables ont dû s’organiser, en confiant leurs finances, comme celle de Pépuze à un épiscopos. A leurs prophètes des origines avaient succédé comme autorité commune aux diverses communautés, des patriarches et des kénons, à qui était subordonnée la hiérarchie locale de l’évêque, des prêtres et des diacres. Les femmes avaient leur rôle comme prophétesses, diaconesses, voire ministres de l’eucharistie et du baptême. Sur ce sujet, Tertullien, qui avait toujours tenu à écarter les femmes du ministère, reste très discret. »

 

IV. Le témoignage de Cyprien sur son temps.

 

1). La géographie de l’Eglise d’Afrique.

 

Les « Sententiae episcoporum, avis de chaque évêque présent au concile de Carthage, le 1er septembre 256, constituent un document unique sur la localisation géographique des communautés chrétiennes d’Afrique.

 

La répartition des évêchés par provinces civiles donne ceci :

 

  • Afrique proconsulaire : 31 évêchés.

 

  • Africa Nova (future Byzacène) : 24 évêchés.

 

  • Africa Vetus ou Nova : 2 évêchés.

 

  • Tripolitania : 5 évêchés.

 

  • Numidia : 22 évêchés.

 

  • Mauritania : évêchés inconnus.

 

  • Total : 82 évêchés.

 

Le caractère et les problèmes de la répartition des évêchés.

 

« Cette répartition est faite dans le cadre de l’administration provinciale mise en oeuvre en Afrique par Septime Sévère et qui est restée en vigueur jusqu’à la réforme administrative de Dioclétien. (….) Elle pose un certain nombre de problèmes qu’il n’est pas toujours possible de résoudre dans l’état actuel de nos connaissances. »

 

  • Identification d’évêchés anciens avec des localités actuelles (1/8 sont incertaines, 1/3 encore à faire).

 

  • L’ordre d’intervention des évêques reste un problème. « Il est tout à fait possible que les évêques ne soient pas intervenus en groupes régionaux, et l’on peut se demander si l’apparent désordre de leurs interventions n’est pas dû au fait qu’il les ont faites selon l’ordre de leur ancienneté dans l’épiscopat, laquelle, il est vrai, nous est inconnue. »

 

« C’est donc dès la première moitié du IIIe siècle que l’évangélisation de l’Afrique était à ce point avancée qu’elle avait permis la constitution de près d’une centaine d’évêchés dans cette partie de l’Empire, alors que, pendant le même temps, l’évêque d’Alexandrie était le seul connu pour l’Egypte, et qu’un concile romain de 251 réuni par Corneille, ne rassemblait que 70 évêques d’Italie péninsulaire. »

 

Par contre la densité de cette christianisation est extrêmement variable. Très forte concentration dans les basses vallées du Bagradas, de ses affluents et de deux autres fleuves côtiers situés au nord et au sud du premier. Ces évêchés sont situés dans l’ancien territoire dépendant de Carthage. Par contre elle est plus lâche sur les plateaux intérieurs de l’Africa Nova. Les routes de pénétration vers l’intérieur ont joué elles aussi un rôle dans la diffusion du christianisme.

 

« Si « l’épiscopalisation » de l’Afrique romaine est un fait essentiellement urbain, on a pu trouver des indices de l’évangélisation de populations non urbaines, nomades ou en voie de sédentarisation. »

 

2). La vie de l’Eglise d’Afrique dans l’oeuvre de Cyprien.

 

« L’activité de Cyprien est délimitée par les persécutions de Dèce (250-251) et de Valérien (257-259). La première projette sur lui les feux de l’histoire, la seconde met un terme à son activité. Dans l’intervalle, c’est grâce à son oeuvre que nous connaissons la vie de l’Eglise d’Afrique. »

 

L’homme et l’évêque.

 

Cyrprien est issu d’une riche famille de Carthage, représentative de la bourgeoisie cultivée, attachée au mode de vie et au cursus honorum romain. Grâce à son éloquence, il connaît un succès précoce.

 

Baptisé à l’âge adulte, il devient rapidement une personnalité en vue et devient prêtre malgré l’opposition de quelques clercs qui lui reprochent sa situation sociale. Il est élu évêque de Carthage un ou deux ans avant les persécutions de Dèce.

 

« Cette persécution fur pour lui une épreuve décisive qui révéla à la fois sa prudence et son énergie. Il évita le martyre en se réfugiant en un lieu caché de la campagne d’où il dirigea sa communauté par lettre durant le temps des violences. La « fuite dans la persécution » n’était pas bien vue depuis le traité homonyme de Tertullien. La sienne lui attira de nombreuses et violentes critiques dans sa propre communauté et de la part du clergé romain. Il fallut un certain temps pour que ce dernier, dont Novatien avait pris la tête après la mort de Fabien (20 janvier 250), reconnût le bien-fondé de la décision de Cyprien et confortât son autorité contre l’opposition de ses ennemis de Carthage. (..) Il donna cependant toute la mesure de son caractère lors de la persécution de Valérien. C’est en effet son martyre qui, définitivement, a fixé ses traits et assuré son autorité. »

 

L’oeuvre de Cyprien, miroir de la vie de son Eglise.

 

Les Lettres.

 

La lettre est son genre littéraire préféré qu’il a développé en fonction des besoins de l’Eglise. Dans cette correspondance, on peut distinguer différents blocs :

 

  • La persécution de Dèce.

  • Des lettres adressées aux évêques de Rome, Corneille et Lucius.

  • Des lettres sur le baptême des hérétiques au temps du pape Etienne.

  • Des lettres du temps des persécutions de Valérien.

 

Les traités d’avant la persécution de Dèce.

 

  • L’Ad Donatum, dans lequel il encourage un ami à la conversion. Il nous fait aussi découvrir son propre itinéraire spirituel et conserve des traits de sa formation première d’inspiration profane et païenne.

 

  • Le recueil de testimonial bibliques Ad Quirinum, nous montre sa face chrétienne caractéristique de la période de sa vie qui suit sa conversion.

 

  • Le De habitu virginum est un traité qui nous montre son souci permanent de son activité pastorale et celui de la discipline ecclésiastique.

 

Les traités datant de la persécution de Dèce.

 

Les deux traités, écrits durant cette période, De lapsis et De unitate ecclesiaefont le mieux apparaître sa préoccupation de la discipline. La persécution ayant causé de nombreuses apostasies, ceux-ci exercèrent parfois des pressions pour obtenir leur réintégration au sein de l’Eglise. Et les billets « libelli pacis donnèrent lieu à toutes sortes d’abus. « Pour rétablir l’ordre, Cyprien invite les confesseurs à l’humilité, les prêtres au respect de l’évêque, les apostats à la patience. En renvoyant le règlement général au concile à tenir après la persécution, il s’occupe dans l’immédiat des cas urgents de lapsi malades ou moribonds ; les évêques, les prêtres ou diacres qui resteraient en communion avec les autres apostats en attendant le concile doivent être excommuniés. »

 

A Carthage, un groupe d’opposant excommunie l’évêque avant d’être eux-mêmes excommuniés par Cyprien. Ils font schisme.

 

Le De Lapsis commence par l’éloge de ceux qui sont restés fidèles envers et contre tout face aux persécutions. Mais le coeur du traité concerne les apostats ou lapsis. « Il stigmatise le relâchement des moeurs qui, pendant une longue période de paix, a préparé leur chute. (….) La plupart firent défection parce qu’ils ne voulurent pas perdre leurs richesses. »

 

Concernant les apostats, il commence par fixer les conditions de la réconciliation. La plus importante de ces conditions est une pénitence dont la durée et la sincérité doivent fournir la preuve d’une vraie et définitive conversion du pêcheur. Ensuite il doit confesser publiquement sa faute et recevoir du prêtre l’imposition des mains. Celui qui est sincère et qui donne la preuve de ses actes sera pardonné par Dieu.

 

« Dans le De Unitate eccleisae, Cyprien aborde la question la plus importante de sa théologie, car plus dangereux que les persécutions sont les schismes et les hérésies, par lesquels l’Antéchrist cherche à détruire l’Eglise en la divisant. Or le seigneur lui-même l’a voulue unie en la fondant sur Pierre, pour qu’elle pût être le sacrement du salut pour les hommes. (….) Qui n’est pas dans l’Eglise ne peut-être sauvé. Mais le pouvoir des clés que le seigneur conféra à Pierre fut aussi donné aux autres apôtres, et cela dans la même mesure et avec la même plénitude. La primauté de Pierre est don synonyme de priorité chronologique. »

 

Les traités de 252 à 254.

 

Le De mortalitate. L’épidémie de peste de 252 qui ravage l’Afrique romaine incite Cyprien a écrire ce traité, pour relever le moral des fidèles, ébranlés par le fléau. « La grande misère qu’il provoqua et les morts qui se multipliaient dans distinction de rang et de religion expliquent la crise de la foi que traversèrent alors beaucoup de chrétiens. Cyprien voit dans l’épreuve un signe avant-coureur de la fin du monde et veut préparer ses fidèles à la venue proche du règne de Dieu. »

 

L’Ad Demetrianum « est une « lettre ouverte » à un agitateur païen, accusant les chrétiens d’être responsables des malheurs du temps, sous prétexte qu’ils n’adoraient pas les dieux. Cyprien retourne l’accusation contre les païens : ce sont eux , en effet qui provoquent la colère du Dieu des chrétiens , qui rend le mal à ceux qui persécutent ses fidèles. Aussi les persécuteurs sont-ils exhortés à se convertir. »

 

Le De Dominica oratione (proche de 252) est une instruction sur la pro!re riche de citations bibliques et qui comporte un commentaire homilétique du Notre Père. « Cyprien avertit ses fidèles que leur prière doit être faite dans un esprit vigilant et, pour obtenir son effet, être suivie de la pratique effective de la discipline et de l’humilité qu’elle suppose. »

 

Le De Opere et eleemosynis voit Cyprien exhorter sa communauté à la charité fondée sur une argumentation utilisant beaucoup d’arguments théologiques. Il rappelle avec force que l’aumône et les oeuvres de miséricorde ouvrent aux chrétiens le chemin du salut.

 

Les traités de 255-256. La controverse baptismale.

 

« La question de la validité du baptême conférée dans l’hérésie ou le schisme engagea Cyprien dans une controverse qui l’opposa à l’évêque de Rome Etienne : celui-ci répondait affirmativement à la question et se contentait donc d’imposer les mains aux hérétiques et schismatiques qui retournaient dans le giron de l’Eglise catholique ; il prétendit imposer sa manière de voir aux Africains en vertu de la primauté de son siège ; Cyprien, en revanche, restait fidèle à la tradition africaine, pour laquelle le baptême des hérétiques ou schismatiques était invalide et nul ; pour lui, seul avait de la valeur celui qu’ils recevaient lorsqu’ils revenaient à la vraie Eglise, la catholique. »

 

« Dans l’optique de Cyprien, la patience est la forme quotidienne de la charité . Même l’amour en effet, qui pourtant est plus grand que la foi et l’espérance, n’est rien sans la patience comme lien de l’unité et de la fraternité. (….) Elle lui est nécessaire en particulier dans son attente de la venue du seigneur. L’envie et la jalousie se placent à l’opposé de la patience. (….) L’envie est la racine de tous les maux ; lui sont associées la jalousie et l’ambition qui sont à l’origine des discordes, des hérésies, des schismes. Ce développement évoque sans doute la situation présente de l’Eglise d’Afrique dans laquelle les ingérences de l’Eglise romaine (….) sèment le trouble et la division. »

 

Les traités du temps de la persécution de Valérien (257-258)

 

Ses derniers traités sont en rapport avec la persécution de Valérien, dont il sera lui même la victime africaine la plus illustre.

 

« En conclusion, s’il est de première évidence que les écrits de Cyprien nous font d’abord connaître leur auteur, il est non moins clair qu’il a occupé une place exceptionnelle dans l’Eglise en raison de son engagement dans les évènements de son temps en faveur des traditions propres de son Eglise et celles d’Afrique, en raison des sollicitations et des appuis reçus du dehors, d’Espagne, de Gaule, de Cappadoce, en raison enfin des encouragements qu’il prodigua à l’évêque de Rome au temps de Corneille et de Lucius, des conseils et avertissements qu’il donna à Etienne, avant qu’il ne s’opposa à lui sur la question du baptême et que la mort de son concurrent, un an avant la sienne propre, ne le mît à l’abri du schisme effectif avec Rome. On lui a donné le nom de « pape d’Afrique ». Celui de pape lui était effectivement donné par ses correspondants, même romains alors que lui même appelait évêque son collègue de Rome. Mais c’était là non pas un titre d’honneur donné aux titulaires de sièges plus importants, mais un terme exprimant l’affection des fidèles pour leur père spirituel. Il ne prendra ce sens-là que plus tard et finira par être réservé à l’évêque de Rome. »

 

3). La prosopographie de l’Eglise d’Afrique.

 

Parmi les noms des évêques présents au concile de 256 et dans les lettres de Cyprien se trouvent des noms d’origine romaine, africaine, grec.

 

V. Les prédécesseurs, contemporains et successeurs de Cyprien.

 

« Sous le nom de Cyprien nous sont parvenus quelques écrits de son temps qui complètent la description que nous pouvons faire de l’Afrique chrétienne. Ils peuvent se ranger en prédécesseurs, contemporains et successeurs. »

 

1). Les auteurs africains antérieurs à Cyprien.

 

Le De Pascha computus.

 

Si la date est sûre, 243, sa provenance est discutée. On remarque une « influence du montanisme et une certaine parenté de pensée avec Cyprien, ce qui pourrait effectivement suggérer une origine africaine du traité. »

 

« Son contenu tourne autour de la fixation de Pâques (….) sur la base d’un cycle de 112 ans. Dans ce cadre sont datés les principaux évènements bibliques : le 1er jour et la 1ere nuit de la création (….), le temps écoulé entre la sortie d’Egypte et la captivité de Babylone (995 années), la naissance du Christ (28 mars, l’an 1548 après l’Exode), sa passion (9 avril, l’an 1579 après le même évènement). Ces chiffres ont pour l’auteur une valeur symbolique : 46 est la somme des lettres composant le nom d’Adam, les 318 serviteurs d’Abraham correspondent aux 70 semaines d’années de Daniel (….) Leur contenu symbolique est donc en rapport avec une théologie du salut. (…) Ils n’ont aucune valeur réelle. »

 

Le De montibus Sina et Sion.

 

Ce traité développe une réflexion sur l’opposition entre deux lieux de la topographie biblique de la Terre sainte. « Le premier est la montagne sur laquelle la Loi de l’Ancien Testament fut donnée à Moïse, le second, celle sur laquelle le Fils de Dieu fut cloué à la croix pour inaugurer l’Alliance nouvelle. Cette première opposition est élargie à celle des deux peuples nés de Rébecca : à l’un appartiennent des personnages comme Adam, Enoch, Job, Abraham ; à l’autre les païens qui se convertissent au spectacle de la croix. Cette thématique suppose un temps et un milieu où l’affrontement entre les communautés juive et chrétienne était une réalité. »

 

L’auteur s’exprime en latin vulgaire et ne maîtrise pas suffisamment la langue pour rendre correctement les hébraïsmes de ses sources bibliques et pouvait, pour cette raison, appartenir à un milieu judeo-chréiten archaïsant. « Sa théologie aussi semble tributaire de traditions retardataires : binitarisme, monarchianisme, gématrie du nom d’Adam (…) Son texte biblique, cependant, est proche de celui de Cyprien, tout en conservant des traits archaïques qui confirment l’appartenance judéo-chrétienne de l’auteur. Pour toutes ces raisons, le De montibus semble issu d’un milieu africain antérieur à Cyprien et invite à nuancer le tableau que nous pouvons faire des communautés africaines de la première moitié du IIIe siècle. »

 

2). Les contemporains africains de Cyprien.

 

Dans la correspondance de Cyprien, présence de 17 lettres adressées par différents correspondants.

 

Les correspondants de Cyprien.

 

Ils sont variés mais les Romains y tiennent une place prépondérante pour évoquer leurs problèmes communs au temps de la persécution de Dèce, puis de ses suites avec la réconciliation des laps et le schisme de Novatien.

 

Les lettres des évêques condamnés aux mines de Numidia en 257, « elle nous offrent un aperçu très concret des degrés de culture des collègues de Cyprien dans cette province éminemment rurale. Cette culture contraste avec celle de Cyprien. »

 

Les évêques des Sententiae episcoporum.

 

Ces évêques en comparaison de Cyprien ont « une culture bien modeste. Certes, quelques uns montrent une certaine facilité de parole bien africaine et méditerranéenne. Mais elle ne suppose pas nécessairement une formation rhétorique bien poussée. S’ils manient le verbe avec abondance, ils ne le font pas souvent avec aisance, ou alors ce sont des formules d’emprunt. »

 

Les successeurs : problèmes de leurs chronologie et provenance.

 

Quod idol dii non sint. « Il s’agit d’un écrit pseudo-cyprianique, d’autant plus qu’il n’est mentionné ni par Pontius ni dans le Canon Mommsenianus. »

 

De laude martyrii. « Il s’agit du texte d’une homélie sur la nature, la grandeur et les effets du martyre, qui soustrait les hommes à un monde voué à la destruction et les introduit à la suite du Christ dans un autre où ils recevront la couronne de la vie éternelle (….) Il a pour effet de préserver de l’enfer et d’introduire dans la gloire du paradis ceux qui suivent le Christ jusqu’au bout de leur engagement chrétien. »

 

« Il semble qu’on puisse attribuer l’écrit à un disciple de Cyprien, différent du diacre-biographe Pontius, et le dater vers 252-253 en raison de l’allusion à la peste. »

 

Ad Novationum. Il s’agit sans doute d’une lettre adressée par un évêque à sa communauté en faveur de la réadmission des lapsi à la communion. Il faudrait attribuer cette lettre à un évêque africain, qui aurait fait « un exercice de style sous le nom de Cyprien. »

 

De rebaptismate. Ce texte est consacré à la « question de savoir si l’imposition de la main suffit à la réconciliation des chrétiens qui ont été baptisés dans l’hérésie. La question conduit l’auteur à réexaminer la tradition de l’Eglise en la matière et à s’arrêter ennuyeux particulier au baptême dans l’Esprit, au baptême du sang qu’est le martyre et au baptême de feu. A la lumière de ces distinctions il estime valide le baptême reçu dans l’hérésie. »

 

« Une telle position étant contraire à celle de Cyprien et proche de celle d’Etienne, l’attribution du traité est très discutée ». Certains y voient l’oeuvre d’un Romain alors que d’autres y voient l’oeuvre d’évêques de Maurétanie. La question reste ouverte.

 

Ad Vigilium episcopum de Iudaica incredulitate. Il s’agit d’une lettre d’un traducteur nommé Celsus, adressée à un évêque du nom de Vigilius. « Son propos était de traduire en latin le dialogue aujourd’hui perdu, d’Ariston de Pella (IIe siècle) entre le juif endurci Papiscus et le judéo-chrétien Jason. La lettre traite du problème de la conversion des juifs. »

 

VI. Les données de l’archéologie.

 

Pour la période archaïque, les apports de l’archéologie sont à peu près nuls à part les parties anciennes des catacombes de Sousse et de quelques inscriptions dont le caractère chrétien et la date sont discutables. Ces rares documents concernent tous des lieux de sépultures.

 

En Maurétanie où les premières communautés sont attestées dès le début du IIIe siècle, l’archéologie atteste des communautés bien implantées au siècle suivant dans quelques grands centres urbains : Orléansville, Altava, Cherchel et Tipasa.

 

« La tranche d’histoire de l’Afrique chrétienne, examinée dans le présent chapitre, est précédée et suivie d’un vide à peu près total d’informations sur les Eglises de ce pays. Ce fait a conditionné la chronologie du chapitre. (….) Pourtant comparée à d’autres provinces ecclésiastiques, l’Afrique chrétienne a été privilégiée par le sort pour la connaissance que nous en avons. Pour la période de Tertullien au tournant des IIe - IIIe siècles, rares sont les Eglises non africaines que nous connaissons par une documentation contemporaine. Même vers le milieu du IIIe siècle, la documentation disponible éclaire très inégalement les différentes provinces chrétiennes. »

 

« La comparaison fait ressortir le caractère propre de la documentation dont nous disposons pour l’Afrique : c’est une documentation africaine, contemporaine des faits, d’une grande qualité testimoniale et due à des hommes d’exception. Aussi malgré ses lacunes, elle justifie le rôle de premier plan que l’Eglise d’Afrique avec Tertullien au début du IIIe siècle et Cyprien en son milieu, ont joué dans l’histoire du christianisme. »

 

Chapitre V. Rome et l’extrême Occident jusqu’au milieu du IIIe siècle. Michel-Yves Perrin.

 

« Au début du IIIe siècle, l’Alexandrin Origène fit voyage jusqu’à Rome pour « voir la très ancienne Eglise des Romains. » Cela atteste le prestige de la communauté établie dans la Ville.

 

I. Aux origines d’une présence chrétienne à Rome.

 

La lettre adressée par Paul depuis Corinthe à des chrétiens romains entre 55 et 58 « manifeste que la première diffusion de la proclamation chrétienne y précéda la venue de l’Apôtre des nations. » Mais ces débuts du christianisme restent dans l’obscurité.

 

« La missive paulinienne, qui prend la forme d’un véritable traité aux développements complexes, ne permet guère de cerner précisément les traits des premiers disciples du Christ dans la Ville : très vraisemblablement, la greffe chrétienne a d’abord pris dans la nombreuse, active et très mobile diaspora juive présente à Rome depuis au moins le Ier siècle avant l’ère commune. (….) C’est très probablement à la faveur de voyages et d’échanges entre Rome et la Méditerranée orientale que l’adhésion au Christ a gagné quelques membres de la communauté juive de la Ville. »

 

Paul arrive à Rome vers 60, prisonnier et placé en résidence surveillée. « Aucun document ne permet de mesurer la contribution de Paul à l’organisation de la communauté romaine. »

 

« Ce séjour romain inspira en Orient, dès le IIe siècle, des narrations légendaires propres à meubler le silence des actes de Luc. Pierre fut également le sujet de romans comparables qui le présentent, sur les rives du Tibre, défiant Simon le Magicien

 

Concernant Pierre, on ignore à quel moment il arriva à Rome et le rôle exact qu’il put jouer parmi les chrétiens de la ville. Mais une chose est sûre, il reçut le martyre à Rome comme Paul. Mais la date réelle de ces martyres (avant juin 68) reste discutée.

 

« La condamnation aux bêtes ou à la crucifixion que Néron fit infliger, avec des raffinements de cruauté inouïs au dire de Tacite, à nombre de chrétiens de la Ville signe une première reconnaissance d’une spécificité du christianisme par rapport au judaïsme dans la capitale de l’Empire. »

 

II. Les Chrétiens à Rome, de l’âge subapostolique à la fin du IIe siècle.

 

Il est compliqué d’écrire la chronique des disciples de Jésus dans le siècle qui suit le martyre de Pierre et de Paul. Les sources sont généralement insuffisantes et « nulle trace archéologique incontestée de la présence chrétienne dans la Ville n’est antérieure au dernier tiers du IIe siècle. Nulle inscription que l’on puisse référer avec certitude à un chrétien n’a été gravée avant l’extrême fin du même siècle ou le début du IIIe siècle. » Il y a des témoignages littéraires mais qui sont parfois contestés.

 

1). Diversité et unité des chrétiens dans la capitale de l’Empire.

 

« La plupart des informations nominales de quelque densité parvenues jusqu’à nous sont relatives à des non Romains venus résider de manière provisoire ou définitive dans la Ville ou simplement y ayant fait voyage.

  • Marcion de Sinope sur la mer Noire vers 140.

  • Valentin d’Egypte vers la même époque.

  • Polycarpe évêque de Smyrne vers le milieu du IIe siècle.

  • Le philosophe Justin né à Naplouse (deux séjours avant d’être martyrisé sous Marc-Aurèle)

  • Tatien élève de Justin natif du  « pays des Assyriens »

 

« C’est une bonne part des protagonistes des controverses doctrinales du IIe siècle qui passèrent par Rome et en firent un véritable laboratoire d’idées, avec d’autant plus de facilité qu’il n’y avait apparemment aucun obstacle linguistique, puisque tous les textes chrétiens émanant de la Ville sont en langue grecque jusqu’au moins l’extrême fin du même siècle. »

 

Mais pour beaucoup de ces personnages il est difficile de déterminer la part de leur activité réellement intervenue à Rome. « De plus, les informations de nature biographie aujourd’hui disponibles peuvent s’avérer trompeuses lorsqu’il s’agit de l’un ou l’autre de ces chrétiens dont la vie ne nous est connue que par la plume de leurs adversaires doctrinaux : en ces notices, il est souvent malaisé de démêler le vrai du faux, l’invention hérésiologique et le renseignement de bonne facture, si bien que l’analyse peine à se garder d’une crédulité naïve autant que d’une inutile hypercritique. »

 

A la fin du Ier siècle, la lettre de « l’Eglise de Dieu en séjour à Rome » adressée à celle de Corinthe témoigne, à Rome, de l’existence d’une communauté structurée et reconnue comme telle avec des épiscopes et des diacres.

 

« D’autre part, le caractère même de a correspondance qui vise à rétablir la concorde dans la communauté grecque et l’indéniable autorité qui émane de ce texte de circonstance ne laissent aucun doute sur la consistance de la personnalité ecclésiale de la communauté de la Ville. »

 

2). La chrétienté romaine : un laboratoire de la tradition apostolique.

 

Le passage d’une direction collégiale à une présidence unique permit une représentation pus lisible de la tradition apostolique faisant des apôtres Pierre et Paul les véritables fondateurs de l’Eglise romaine. « Désormais elles s’incarnait non plus dans un collectif anonyme, mais dans une suite d’évêques dont la liste pouvait être dressée. Irénée de Lyon, vers 180, est le premier à donner un témoignage clair sur la présence à Rome du monoépiscopat. »

 

« Si la documentation manque pour retracer de manière précise les modalités de l’émergence d’une présidence unique à Rome, il ne fait guère de doute qu’elle s’inscrit sur le fond des polémiques doctrinales dont les milieux chrétiens de la Ville sont le continuel théâtre (…) De tels débats portant sur l’authentification d’une tradition doctrinale et de ses représentants aboutirent à l’élaboration de listes de docteurs autorisés de l’enseignement apostolique. »

 

3). Prestige et autorité de l’Eglise de Rome.

 

« Cette évolution décisive dans l’histoire de l’organisation de l’Eglise romaine affermit au sein du monde chrétien son autorité étendue d’abord, au sens latin du terme comme « un pouvoir d’authentifier et d’accroître la portée d’un témoignage », ici celui des apôtres Pierre et Paul. »

 

170. Denys de Corinthe peut assurer ses correspondants romains que la lettre qu’il dit rédigée par Clément au nom de la communauté de la Ville est toujours précieusement conservée dans son Eglise.

 

Années 180. Irénée de Lyon manifeste l’importance de la tradition romaine désormais incarnée en ses évêques. « Lorsque désireux d’opposer aux « imaginations délirantes » des gnostiques la vérité de l’enseignement apostolique tenu partout par toutes les Eglises, il en désigne le canal privilégié dans la succession épiscopale attestée depuis les apôtres en chaque communauté, c’est l’Eglise de Rome qu’il choisit comme exemple central pour sa démonstration, car c’est avec cette Eglise « fondée » par Pierre et Paul que « en raison de son origine plus excellente doit nécessairement s’accorder toute Eglise, c’est-à-dire les fidèles de partout, elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la tradition qui vient des apôtres. » »

 

« Dans la dernière décennie du IIe siècle, lors des controverses liées aux modalités de célébration de la fête pascale, l’attitude de l’évêque Victor rend très explicite l’affermissement d’une conscience de soi fort remarquable de l’Eglise de Rome, dont peut-être , s’il ne s’agit pas d’une illusion rétrospective, les quelques témoignages précédemment envisagés attestaient l’émergence. »

 

4). L’épiscopat de Victor à l’extrême fin du IIe siècle.

 

« Les historiens ont souvent envisagé l’épiscopat de Victor comme un tournant dans l’histoire de l’Eglise de Rome. Auparavant, tout au long du IIe siècle, la communauté chrétienne de la Ville aurait été « caractérise par des tendances centrifuges et donc par une structure interne dont le coefficient de cohésion ne peut pas ne pas avoir été plutôt faible ». Avec Victor, le premier véritable représentant de l’épiscopat monarchique à Rome, une orientation nouvelle aurait été prise et les forces de désagrégation à l’oeuvre dans l’Eglise romaine, contenues. »

 

Tout au long du IIe siècle, une grande diversité doctrinale se manifeste à Rome avec de nombreux « épigones et disciples, réels ou supposés, des premiers maîtres chrétiens. »

  • Appelle, un gnostique.

  • Rhodon, élève de Tatien, originaire d’Asie.

  • Le prêtre Florinus qui polémique avec Irénée et qui est chassé du sacerdoce.

 

« Cependant, l’épiscopat de Victor ne signe nullement la fin des controverses doctrinales au sein de l’Eglise romaine (….) et la séparation entre « Eglise catholique » et divers groupes de dissidents tels les maronites ou les valentiniens (….) n’est pas limitée à Rome, mais relève d’un phénomène général à cette époque. »

 

« Ce processus de différenciation fut vraisemblablement d’abord l’oeuvre des controversistes eux-mêmes, comme en témoignent le traité d’hérésiologie de Justin ou les attitudes prêtées à Marcion en 144 ou à Valentin un peu plus tard, avant de recevoir une ratification communautaire en un temps de lente définition de normes doctrinales comme critères d’appartenance à une Eglise. »

 

Par contre la thèse d’une communauté romaine organiquement éclatée au IIe siècle en de multiples maisons-églises ou écoles est loin de faire l’unanimité parmi les spécialistes.

 

« Pour que l’Eglise romaine puisse apparaître comme un centre privilégié de référence en faveur de la régulation de l’unité ecclésiale, il fallait au préalable que la succession de Pierre et de Paul, qui en Occident fait sa spécificité, n’y ait pas dépéri. »

 

II. Le christianisme dans l’extrême occident (fin IIe siècle - milieu IIIe siècle), Afrique excepté.

 

1). Les chrétienté non romaines.

 

« L’histoire du christianisme en Europe occidentale jusqu’à Dèce (249-251) se réduit par défaut à très peu de choses : péninsule ibérique, îles Britanniques région du Rhin et du Danube, Dalmatie sont en effet à ce jour des terrae incognitae. Si l’on excepte le cas tout à fait singulier de Rome, seuls quelques districts de l’Italie, de la Sicile ou des Gaules connaissent quelque illustration. »

 

Lyon et Vienne.

 

Entre 175 et 180, en l’absence du gouverneur, des chrétiens sont victimes d’émeutes populaires et mis en prison sur ordre du tribun de la cohorte urbaine et des décurions.

 

Cet évènement est connu par une lettre adressée par les chrétiens de Lyon et Vienne aux chrétiens de Phrygie. « Le texte fait connaître non seulement l’existence d’une communauté lyonnaise dont Pothin a la responsabilité, mais aussi celle d’une communauté viennoise, puisque certains de ses membres présents à Lyon, tel le diacre Sanctus, furent frappés par la persécution. Il s’agit donc à l’évidence de chrétientés organisées. » Mais rien ne permet de préciser la taille de ces communautés ainsi que leurs profils sociologiques.

 

Par contre l’origine de ces communautés est encore discutée et la thèse d’une origine asiatique est remise en question surtout parce que « l’évêque de Lyon défend la coutume de fêter Pâques un dimanche selon l’usage romain, et non à la manière des quartodécimans bien implantés en Asie Mineure. »

 

L’Italie et les îles.

 

Pour ces régions, les données sont extrêmement fragmentaires avant le milieu du IIIe siècle, bien qu’elles soient de moins en moins anecdotiques à partir du début du IIIe.

 

A Naples, dans les catacombes de Saint-Janvier, existence d’une hypogée (1ere moitié du IIIe siècle) qui porte sur la voûte, une représentation d’Adam et Eve, ainsi qu’une scène de construction d’une tour « que l’on considère généralement inspirée du Pasteur d’Hermas.

 

A Cimitile près de Nole, un mausolée (seconde moitié IIIe siècle) est décoré de deux scènes d’inspiration biblique : Jonas jeté à la mer et Adam et Eve.

 

A Syracuse, l’exploration de divers réseaux souterrains à usage funéraire a permis de mettre en évidence trois noyaux de tombes chrétiennes assignables au milieu du IIIe siècle.

 

2). L’Eglise de Rome.

 

L’évêque Calliste et son temps.

 

« Si Calliste est le seul évêque de Rome des trois premiers siècles à présenter pour nous un visage quelque peu consistant, c’est qu’il eut à affronter durant son épiscopat un contradicteur et adversaire doctrinal à l’identité aujourd’hui très disputée, qui en a laissé (….) un portrait à charge. »

 

Sa carrière peut se résumer de cette manière :

 

- Esclave chrétien d’un certain Carpophore lui même chrétien, il reçoit de son maître une somme d’argent à faire fructifier. Cela lui permet de s’établir changeur-banquier sous le règne de l’empereur Commode (180-192). Mais pour des raisons obscures, il fait faillite et les déposants lésés s’adressent à Carpophore ignorant des difficultés rencontrées par Calliste.

 

  • Fuite de Calliste pour échapper à ses créanciers. Mais rattrapé à Ostie, il est emprisonné par son maître et condamné aux travaux forcés dans un moulin.

 

  • Intervention de membres de la communauté chrétienne pour demander sa libération.

 

  • Une fois libre, se rend dans une synagogue un jour de Shabbat, peut-être pour recouvrer une créance et provoque une rixe. Déféré devant le tribunal du préfet de la Ville, Séius Fuscianus (185-189), il est dénoncé comme chrétien, flagellé et envoyé aux mines de Sardaigne.

 

  • Marcia Aurelia Ceionia Demetrias, concubine de Commode, qui a des sympathies chrétiennes, demande à l’évêque Victor de lui communiquer la liste des chrétiens relégués dans l’île, et réussit à obtenir leur grâce.

 

  • De retour à Rome, il est envoyé à Anzio par Victor.

 

  • Au début du IIIe siècle, Zéphyrin, successeur de Victor le propose au koimêtêrion (cimetière) qui est identifié à l’area prima de l’actuelle catacombe de Calliste sur la via Appia. « Il s’agit d’un réseau de galeries creusées dans une couche de tuf volcanique de résistance moyenne du sous-sol de la campagne romaine, qui a la forme d’une grille rectangulaire d’approximativement quatre-vingts mètres sur trente, avec deux escaliers d’accès parallèles donnant chacun naissance à une grande artère, ces deux corridors symétriques étant reliés par une série de petits couloirs transversaux. Les tombes individuelles se présentent sous la forme de cavités rectangulaires de la taille d’un défunt, appelées loculi ouvertes dans les parois des galeries, parallèlement à celles-ci, disposées en piles et fermées par des tuiles plates ou une plaque de marbre. L’ensemble possède nettement un caractère programmatique, puisque l’extrémité des galeries est dépourvue de sépultures afin de permettre leur prolongation. »

 

« Apparaît alors aux yeux de l’historien, dans le tuf du suburbium de la Ville, une première géographie du christianisme romain, funéraire exclusivement, même si à l’évidence les « catacombes » ne recueillent les corps que d’une partie des membres de la communauté puisque les plus fortunés peuvent disposer de leurs propres installations sépulcrales. Ces réseaux de galeries sont un foyer d’éclosion d’une épigraphie chrétienne à Rome (….) C’est là que naît dès la première moitié du IIIe siècle, une imagerie à thèmes bibliques, et plus largement d’inspiration chrétienne », qui ne doit rien à des précédents juifs.

 

« Ces représentations n’ont aucun but catéchétique ou didactique ; elles visent seulement à la pure ornementation que vient parfois teinter peut-être le souci de protéger ainsi la tombe et son occupant. »

 

Les activités charitables de l’Eglise romaine :

  • Le soin des morts.

  • Envoie de secours aux Eglises affligées

  • S’occuper des pauvres et des veuves présents en son sein.

 

  • Conseiller de l’évêque Zéphyrin, Calliste lui succède vers 217.

 

« Si l’on ignore les modalités précises de l’élection épiscopale à Rome avant la Paix de l’Eglise, les évocations que font respectivement Eusèbe et Cyprien (….) permettent de penser qu’elles ne s’écartaient guère du tableau plus achevé que l’oeuvre du carthaginois autorise à tracer pour l’Afrique. »

  • Examen des diverses candidatures.

  • Recherche de l’accord unanime de la communauté.

  • Election par le peuple fidèle et le clergé, avec règle de la majorité en cas de désaccords persistants.

  • Présence d’évêques de passage ou venus en voisins qui probablement procèdent à la consécration. Le nouvel évêque informait sans doute de son élection les titulaires des sièges les plus importants afin de s’assurer de leur communion, ce qui était particulièrement utile dans le cas d’une désignation disputée.

 

Mais une fois élu, Calliste doit faire face à l’hostilité de l’auteur de la « Réfutation » et de ses partisans. « Les enjeux de l’affrontement (…) étaient doubles : ils relevaient d’une part de questions doctrinales (…) et d’autre part de points de disciplines ecclésiastiques relatifs aux conditions d’admission à la pénitence, aux critères d’accession au presbytérat et au diaconat et aux lois du mariage. L’adversaire de Calliste apparaît sous les traits d’un vigoureux rigoriste qui stigmatise l’évêque pour avoir accueilli à la communion des pêcheurs graves, pour accepter dans le clergé des veufs remariés, voire autoriser des clercs à se marier. »

 

Les controverses doctrinales à Rome (fin IIe siècle - 1ere moitié du IIIe siècle).

 

La « Réfutation de toutes les hérésies » est un ouvrage rédigé en grec dont le but est d’exposer l’erreur de toutes les doctrines combattues. Il met en oeuvre « de manière systématique, en radicalisant à l’extrême les procédés hérésiologiques d’un Irénée de Lyon qu’il cite d’ailleurs abondamment, le schème polémique de la filiation généalogique et structurelle des hérésies à partir des écoles philosophiques grecques, les adversaires doctrinaux étant assimilés à de simples plagiaires d’Empédocle, Héraclite, Aristote, etc…. »

 

Ce traité est divisé en 10 livres dont seulement 8 sont conservés. Il obéit à un plan tripartite :

  • Exposé des doctrines païennes.

  • Présentation des enseignements jugés hérétiques qui distingue clairement les erreurs contemporaines des d’aberrations plus ou moins anciennes.

  • Ample énoncé de la vérité chrétienne selon les thèses de l’auteur.

 

Les gnostiques sont compris dans ce traité car ils sont désormais bien bien séparés de la Grande Eglise. C’est aussi le cas des marcionites, des montanistes ou des quartodécimans.

 

Deux questions divisent particulièrement les chrétiens :

 

  • L’identité même de Jésus-Christ. Est-il simplement un homme ou Dieu et homme ?

 

  • La manière dont il convient d’articuler la double affirmation de l’unicité d’un Dieu créateur d’une part et de la divinité de Jésus-Christ d’autre part.

 

Théodote de Byzance et ses disciples romains.

 

Dans un ouvrage anonyme connu sous le nom de « Spoudasma contre l’hérésie d’Artémon qui date du Deuxième quart du IIIe siècle, l’auteur explique que l’évêque « Victor a exclu de la communion Théodote le Corroyeur, le chef et père de cette apostasie négatrice de Dieu, qui, le premier, a dit que le Christ est simplement un homme.  Désigné dans la Réfutation sous le nom de Théodote de Byzance, ce personnage s’inscrit dans une mouvance doctrinale encline à voir dans le Christ un simple homme investi lors du baptême au Jourdain de pouvoirs surnaturels, à l’image des grands prophètes de l’Ancien Testament. Si cette doctrine, que l’on se gardera de qualifier « d’adoptianisme » est en général originairement assignée à certains milieux judéo-chrétiens qualifiés « d’ébionites », il est clair qu’elle n’y fut pas circonscrite. »

 

Les spécialistes proposent d’identifier en cet ouvrage les témoins « d’un courant théologique porté a refuser au Christ le qualificatif de Dieu, qui aurait été dominant au IIe siècle dans les instances dirigeantes de la communauté de la Ville, et dont les thèses théologiennes auraient constitué une radicalisation jugée inacceptable. »

 

« L’exceptionnelle bigarrure doctrinale de la Rome chrétienne au IIe siècle incline à faire preuve d’une extrême prudence dans la caractérisation d’une tradition christologique proprement romaine dont les évêques auraient été les représentants d’autant que la documentation disponible est des plus restreintes. »

 

« Monarchiens » et « théologiens du Logos. »

 

« Saisissant l’occasion de ce que l’autorité sacrée des divines Ecritures prouve que le Christ n’est pas simplement un homme, mais aussi Dieu, d’autres hérétiques surgissent qui ourdissent d’ébranler la forme établie du culte rendu au Christ, en voulant montrer que le Christ est Dieu le Père par le fait même que non seulement il est certifié être un homme, mais aussi révélé être Dieu. »

 

« Le courant doctrinal que Novatien stigmatise en ces termes est attesté à Rome au moins dès Zéphyrin. (…) D’autre part, Tertullien consacre tout un traité dans les années 210, à réfuter une doctrine identique attribuée à un dénommé Praxéas, originaire d’Asie Mineure, qui contribua, avant de gagner Carthage pour y diffuser ses thèses, à faire condamner le montanisme par l’évêque de la Ville. »

 

« Selon Tertullien, le cri de ralliement des partisans de cette doctrine se résume à « Nous, nous restons fidèles à la monarchie ! » Il ne s’agit pas d’un slogan politique mais de l’affirmation de la conviction essentielle que, pour préserver de toute accusation de polythéisme la foi en la divinité du Christ, et donc sauver en régime chrétien le principe fondamental de l’unicité divine, autrement dit la monarchie caractéristique du Dieu juif créateur de l’univers, il convient de nier toute distinction en Dieu entre le Père et le Fils, si bien que, par exemple, sur la croix, c’est le seul et même Père qui a souffert sous le nom du Fils, les noms de « père » et de « fils » n’étant que des épithètes servant à qualifier Dieu selon les circonstances. Les tenants de ces thèses, que leurs adversaires appellent tantôt « monarchiens », tantôt « patripassiens », s’opposent à d’autres penseurs chrétiens que l’on qualifie ordinairement de « théologiens du Logos », et dont Justin de Naplouse est l’un des premiers représentants. »

 

« Un tel débat entre « monarchiens » et « théologiens du Logos » connaît à Rome sous les épiscopats de Zéphyrin et Calliste une grande efflorescence et traverse de part en part la Grande Eglise, puisque des évêques romains y sont directement impliqués. » Ces derniers s’inscrivent dans le courant monarchien et tout à fait opposés aux « théologiens du Logos ».

 

« Après la mort de Denys de Rome en 268, un silence de près de trois quarts de siècle s’étend sur l’activité théologique dans la communauté romaine. »

 

« Sil faut donc renoncer à identifier au IIIe siècle une quelconque « école du siège apostolique », il reste à s’interroger sur l’impact de ces controverses sur la communauté chrétienne romaine dans son ensemble. »

 

Epilogue.

 

Calliste décède vers 222, peut-être au cours d’une émeute populaire contre les chrétiens au Transtévère. Il aurait été défenestré, jeté dans un puit et lapidé. Il aurait été enterré à la hâte, au pied de l’escalier donnant accès à la catacombe de Calépode sur la via Aurelia.

 

« L’Eglise romaine paya, au cours du IIIe siècle, un lourd tribut aux « persécutions » : près de la moitié de ses pasteurs moururent martyrs ou confesseurs. C’est que l’évêque, et en particulier celui de la Ville, était devenu un personnage important, attirant sur lui l’attention du pouvoir romain, et en cs de mesures antichrétiennes locales ou généralisées, il était souvent l’un des premiers frappés. »

 

 

Fin



14/12/2023
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