Kershaw (I). Une "histoire de l'Europe au XXe siècle". V1-4. Danse sur le volcan. (NDL)

UNE "HISTOIRE DE L'EUROPE AU XXe siècle"

 

 

Par Ian Kershaw

 

 

 

Chapitre 4. Danse sur le volcan. 

 

 

  « En 1924, les perspectives de l’Europe étaient plus brillantes qu’elles ne l’avaient été depuis plus d’une décennie. Les économies se redressaient. Les niveaux de vie commençaient à s’améliorer. La paix internationale était moins menacée qu’à aucun moment depuis 1914. » 

 

Mais en 1929, le krach de Wall Street déclenche une crise mondiale du capitalisme, d’une gravité sans précédent. La crise balaye l’Europe, « plongeant le continent dans une extraordinaire spirale de crise économique, ruinant dans son sillage les espoirs de paix et de prospérité, minant les démocraties et ouvrant la voie à une guerre nouvelle, plus terrible encore que la précédente. » 

 

Boom. 

 

La cause directe du krach de 1929 réside dans le « boom » des années folles, surchauffe de l’économie américaine qui trouve son origine dans l’argent bon marché qui alimente les dépenses de consommation, puis le marché des actions et des obligations. « Quand la bulle éclata en 1929, les retombées en Europe reflétèrent des faiblesses économiques structurelles qui avaient laissé le continent extrêmement vulnérable. La dépendance économique d’après-guerre envers les Etats-Unis participait notamment d’une économie mondiale fortement perturbée, où les contrôles et contrepoids d’avant guerre n’opéraient plus. » 

 

En Allemagne rebondissement et reprise. 

 

  • Effacement des dettes des entreprises par l’hyperinflation.

 

  • Mise en place d’un rigoureux programme de modernisation et de rationalisation de l’industrie qui provoquent des progrès techniques et une hausse de la productivité. 

 

  • Stabilisation de la monnaie par la création d’une nouvelle monnaie le Reichmark (1 RM = 1 billion de marks)

 

Avril 1924. Plan Dawes qui rend les réparations allemandes plus gérables. Mais « le problème est que l’argent destinée à payer les réparations venait essentiellement de prêts étrangers, surtout les Etats-Unis qui affluèrent alors. » (5 milliards de $ en 1930)

 

« Dans le monde d’après-guerre, la primauté économique appartenait désormais irrévocablement aux Etats-Unis (….) En Extrême-Orient, le Japon s’était aussi imposé comme un acteur de premier ordre. En revanche, la domination économique de la Grande-Bretagne appartenait au passé. En Europe, le nombre de pays, de devises et de barrières douanières avait augmenté, accentuant la tendance au protectionisme (….) Les pays qui avaient prospéré avant la guerre, à commencer par la Grande-Bretagne, pensaient pouvoir revenir en arrière. »

 

Retour de la Grande-Bretagne puis de la France à l’étalon or (taux de change fixes liés à un prix de l’or internationalement convenu et centré sur la Banque d’Angleterre), mais « les changes fixes, où la position de la Grande-Bretagne, pays affligé de graves problèmes économiques, avait un rôle pivot, étaient dorénavant source de faiblesse, non pas de force. Tout cela réservait des problèmes pour la suite. » 

 

Si certains pays connaissent une forte croissance économique entre 1925 et 1929 (+ de 20%) tels que l’Allemagne, la Belgique, la France, la Suède, la Finlande, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Tchécoslovaquie, d’autres comme le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, la Norvège, la Grèce, l’Autriche connaissent une croissance économique léthargique.

 

« Les changements furent rapides dans les parties plus industrialisées et urbanisées d’Europe septentrionale et occidentale. Dans les régions rurales plus pauvres et moins développées, la norme en Europe orientale et méridionale, ils restèrent lents et limités. La production automobile fut un agent important de stimulation économique et d’évolution sociale. »

 

« L’éclairage électrique aussi changeait le paysage urbain (….) L’électricité amorça la première révolution des communications avec le début des réseaux nationaux de radiodiffusion. » (1921, 1 million d’auditeurs pour la BBC).

 

Mais « bien des gens n’eurent probablement même pas l’impression d’un boom. Pour la plupart, comme avant, il s’agissait de s’en sortir, non pas de s’enrichir. Si  la pauvreté n’était pas aussi écrasante qu’elle l’avait été autrefois, elle était presque omniprésente. De larges pans de la population vivaient encore dans des conditions rudimentaires à la campagne ou dans des logements insalubres dans les grandes villes et les zones industrielles. » 

 

Par contre les syndicats réussissent à obtenir la journée de 8 heures (France, Allemagne, Italie), avant de devenir la norme dans de nombreux pays. 

 

Les ouvriers qualifiés voient leurs salaires augmenter, de même que les ouvriers des nouvelles industries, alors que les ouvriers des anciennes industries les virent baisser (grève générale en Angleterre  du 3 au 13 mai 1926) mais qui échoue et n’empêche pas la dégradation des salaires et des conditions de travail)

 

« Ces grands conflits sociaux étaient le signe évident de l’affaiblissement de la position des ouvriers (surtout dans l’industrie lourde plus ancienne) et de leurs syndicats, et d’un renforcement correspondant du pouvoir de négociation et de la ténacité du patronat dans un contexte de taux de chômage élevé, avant même la crise de 1919. La France, comme l’Allemagne, fut parmi les premiers pays à adopter dans la grande industrie les méthodes de management modernes initiées aux Etats-Unis par Taylor. » 

 

Mais en Allemagne, cette rationalisation poussée provoqua une hausse du chômage.

 

En Angleterre, l’assurance chômage, créée en 1911, est étendue à 12 millions d’ouvriers. Mais si les femmes y ont aussi droit, leurs indemnités sont inférieures à celle des hommes. 

 

L’agriculture pour sa part resta largement sous-mécanisée et « l’endettement des fermes prit un tour alarmant. Beaucoup de producteurs étaient dans une situation précaire ; la crise les rendit insolvables. » 

 

« Si dans la majeure partie de l’Europe, l’économie avait connu une forte reprise dans la seconde moitié des années 1920, les problèmes sous jacents laissaient le continent exposé à de graves difficultés en cas de retournement de la conjoncture. Peu en avaient conscience. » 

 

L’autre modèle. 

 

« Dès avant le début de la crise économique, ceux qui annonçaient la fin certaine et imminente du capitalisme se tournaient avec admiration vers l’Union soviétique et cherchaient à s’en inspirer (….) Le modèle soviétique constituait pour beaucoup un véritable espoir. Il existait une alternative séduisante à l’économie de marché, semblait prouver l’Union soviétique : un modèle de société meilleur que le système capitaliste terriblement injuste et économiquement dépassé. » 

 

Après la guerre civile l’URSS connaît une reprise très rapide. En 1927-1928, l’agriculture et l’industrie ont retrouvé leur niveau de 1913, en particulier grâce à la Nouvelle Politique Economique (NEP)

 

Mais cette NEP avait été contestée dès le début (1921). « Certains bolcheviks éminents, à commencer par Trotski n’y avaient vu qu’un expédient temporaire pour surmonter le pire, et ne tardèrent pas à prôner une planification accrue et une industrialisation plus rapide aux dépens de la paysannerie. Trotski continua aussi d’insister sur la nécessité d’exporter la révolution mondiale. » Mais il s’était fait trop d’ennemis pour imposer ses idées et il est écarté progressivement : 

  • 1925. Quitte ses fonctions de commissaire à la guerre et est écarté du politbureau. 
  • 1927. Est chassé du parti avec ses partisans pour vues « hérétiques »
  • 1928. Est exilé à 3000 km de Moscou. 

 

En 1928 conflit entre Staline et son ancien allié Nikolaï Boukharine. 

 

  • Boukharine est partisan d’une poursuite de la NEP. 

 

  • Staline au contraire, prône la réquisition des denrées alimentaires pour nourrir une population ouvrière en plein développement. Il estimait que seules de grandes exploitations gérées par l’Etat étaient en mesure de le faire. 

 

« Au milieu de l’année 1928, Staline avait gagné le conflit autour de la politique économique future. Cette même année fut avancé un programme d’industrialisation rapide : ratifié en avril 1929 par le Congrès du Parti, il devint le « premier plan quinquennal ». La mise en oeuvre de ce « plan » fut en réalité assez chaotique, et les extraordinaires augmentations de la production visée ne furent atteintes qu’en truquant les chiffres officiels de la production. Malgré tout, les progrès furent d’autant plus impressionnants que le reste de l’Europe industrialisée s’enfonçait dans les affres d’une grave récession. » 

 

Augmentation de la production industrielle en moyenne de 10% par an avec doublement de la production de charbon, pétrole, minerai de fer et de fonte brute en 1932. 

 

Mais énorme prix humain :

 

  • Pour les ouvriers conditions de travail très dures, avec niveau de vie faible. Discipline draconienne dans les usines avec châtiments sévères. 

 

  • Dans les campagnes, programme de collectivisation forcée de l’agriculture pour opter les céréales nécessaires. Mais cela entraîna de nombreuses révolte et près de 750.0000 paysans prirent part à ces révoltes. 

 

« Cette politique fut appliquée sans état d’âme par des brigades de fanatiques du Parti envoyées des villes. Une politique de « dékoulakisation » de liquidation des koulaks en tant que classe, fut lancée pour encourager l’offensive contre les paysans prétendument aisés, accusés d’être des capitalistes ruraux. « Koulak » avait cependant le sens que les activistes du Parti voulaient bien donner à ce mot. Quiconque résistait à la collectivisation pouvait être qualifié de « koulak » et emprisonné, déporté, dans un lointain camp de travail ou tout simplement exécuté. » 

 

Cette politique désastreuse provoque, en 1932- 1933, une famine pire que celle de 1921-1922. 

 

Plus de 2000 personnes furent condamnées pour cannibalisme et pour l’Ukraine, les estimations tournent autour de 3,3 millions de morts de faim ou de maladies liées à la malnutrition. 

 

Le miroir culturel. 

 

« Quel sens les européens donnaient-ils au monde dans lequel ils vivaient, aux forces qui façonnaient leur existence ? (…) Les intuitions profondes et réfléchies étaient pour l’essentiels limitées à l’élite cultivée, laquelle avait accès à un enseignement supérieur fermé à l’écrasante majorité de la population. » 

 

A la fin de la journée ou de la semaine de travail, ne restaient à la plupart que les avenues de la culture populaire, films de divertissement, bals populaires et surtout, du moins pour les hommes, visite au pub ou au bar, qui offraient un moment d’évasion, un moment d’excitation, de libération de la réalité, souvent déprimante, de la vie quotidienne. Le cinéma notamment remplissait ce rôle. » L’invention du cinéma parlant augmente d’une manière importante son influence. 

 

Importance aussi du football pour les hommes, moins pour les femmes. 

 

« La « haute culture » et la « culture populaire » se rejoignaient rarement (…) Les extrêmes de la créativité culturelle et de l’innovation artistique atteints dans la première décennie d’après guerre incarnaient bien évidemment des goûts minoritaire. Non seulement les diverses formes culturelles d’avant-garde étaient loin des préoccupations de la majorité, mais elles suscitaient rejet et hostilité quand elles paraissaient défier la culture et les valeurs « traditionnelles ». L’appartenance à l’avant-garde était synonyme d’attachement aux idéaux, formes et expressions artistiques du modernisme culturel (….). Ce concept esthétique et diffus couvrait un large éventail de modes d’expression artistique. Ce qui les unissait, c’était la révolte contre les formes de représentations antérieures jugées surannées, superficielles, vides de sens. » 

 

Avant 1914, Paris est le centre de la vitalité moderniste qui attirait des artistes du monde entier (James Joyce, Ernest Hemingway, Pablo Picasso, Ezra Pound) 

 

« Etroitement liés l’un à l’autre, le dadaïsme, créé à Zurich en 1916, et le surréalisme, né en France l’année suivante, sont les deux formes d’art les plus révolutionnaires qui prospérèrent à Paris dans les années 1920 (….) Rejetant raison et logique, toutes deux insistaient sur l’absurde, le non-sens, l’illogisme et l’irrationnel, faisant place à d’étranges sauts de l’imagination (….) L’intention était de de choquer les sensibilités, de stimuler la quête de sens possibles encore inconnus. » 

 

« Au-delà des formes qu’il revêtit, le modernisme se distinguait par un rejet du réalisme artistique conventionnel. Ses principales caractéristiques étaient la fragmentation, l’irrationnel, la fragilité et la dissonance, en accord avec un monde d’après guerre où les certitudes s’étaient dissoutes. (…) Le modernisme n’était plus un mouvement marginal ; il était entré dans la culture dominante en Europe, même si son acceptation populaire était toute relative. » 

 

« L’Allemagne de Weimar, quelles que soient ses difficultés politiques, et Berlin tout spécialement, connurent en quelques années une extraordinaire efflorescence de la créativité culturelle et intellectuelle d’avant-garde qui a peu de précédents dans l’histoire (….) La guerre ne provoqua aucune rupture dans l’avant-garde culturelle allemande. L’expressionnisme, qui infléchissait délibérément les formes et déployait des combinaisons inhabituelles de couleurs pour dépasser les apparences superficielles et révéler les sentiments et les angoisses cachées, avait été le style le plus vivant et représentatif de la décennie d’avant-guerre. » 

 

« Si l’expressionnisme avait survécu à la guerre, il était déjà dépassé par le dadaïsme forme de protestation sociale et culturelle plus ouverte, et par un nouveau réalisme qui représentait de manière saisissante la « vérité » de l’horreur de la guerre et de la violence révolutionnaire. » 

 

  • Mars 1919. Beckmann achève « Die Nacht » (la nuit), tableau effrayant de la violence de rue et du chaos politique. 

 

  • Otto Dix réalise de nombreux dessins représentant les horreurs de la guerre. 

 

  • Georg Grosz est l’artiste qui exprime le plus l’hostilité à la guerre dans des compositions avec des « soldats morts, défigurés et leurs invalides de guerre, leurs mendiants affamés et leurs prostituées racolant au coin de rues sordides ou au contraire des profiteurs exultant, des industriels bouffis et des militaristes bouffis. » 

 

Au milieu des années 1920, l’intérêt pour la psyché, les émotions et l’idéalisme caractéristiques de l’expressionnisme fait place à une quête de clarté et d’ordre dans la forme esthétique, la « nouvelle objectivité ». Le modernisme s’impose dans le design, l’architecture, la peinture, la photographie, la musique et le théâtre. 

 

Le Bauhaus fondé en 1919 par Walter Gropius réunit artistes, sculpteurs, architectes et graphistes qui définissent un nouveau style marqué par la rationalité et la fonctionnalité. 

 

« Le Bauhaus poursuivait un dessein artistique pratique aussi bien qu’idéaliste. Gropius entendait maîtriser la technique pour créer des logements conçus de manière rationnelle afin de dépasser les distinctions de classe. Son travail se caractérisait par la propreté, le confort et l’optimisation de l’espace. » 

 

« La richesse de la littérature et de la pensée sociale dans la culture allemande n’entre pas totalement ni parfaitement dans les catégories du « néo-expressionnisme » et de la « nouvelle objectivité », si largement définis soient-ils. 

 

Le roman allemand sans doute le plus influent de l’entre-deux-guerres et qui compte parmi les plus belles oeuvres de Thomas Mann est « La montagne magique » (1924), roman « d’une grande complexité et riche en symboles traite de la maladie qui ronge la société bourgeoise. Le sanatorium pour tuberculeux des Alpes suisses est la métaphore d’un monde malade en décomposition. Deux des principaux personnages Settembrini et Naphta incarnent le conflit entre la raison et l’effroyable irrationalité. » 

 

Pour sa part, Kafka développe dans son oeuvre l’idée de la déraison, en « l’occurence le caractère inexplicable et menaçant des forces enfermant l’individu dans une cage sans qu’il soit possible de les combattre (….) Ses écrits semblaient en mesure de saisir l’impuissance et l’aliénation totale de l’individu soumis aux mécanismes sociaux et bureaucratiques modernes du pouvoir et de la répression. » 

 

« Kafka dépeint un monde insondable  de règles bureaucratiques, d’ordres, de lois et de persécutions où les efforts pour trouver son chemin dans le labyrinthe se heurtent à des portes closes  et ne débouchent jamais du chaos vers l’objectif  lointain et ardemment désiré de la rédemption (….) Dans son oeuvre, la soumission volontaire à une réglementation incompréhensible semble offrir (….) un aperçu des sociétés totalitaires des décennies suivantes. » 

 

« Si déconcertante que soient les oeuvres de la « haute culture » dans tante domaines différents (…) elle n’affecta guère la vie de la plupart des gens. » 

 

En Allemagne le théâtre expérimental (Bertold Brecht) ne représentait que 5% du répertoire des années 20. Les gens recherchaient plutôt des divertissements légers, mais les « habitués des théâtres n’étaient eux mêmes qu’une petite minorité de la population et, en raison du prix de places, étaient souvent issus de la bourgeoisie. » 

 

« Les deux sphères de la culture « haute » et « populaire », de l’art et du divertissement coïncidaient ou se chevauchaient rarement. La culture moderniste d’avant-garde pouvait bien paraître inutile à la plupart des Européens. C’était une chose qu’ils n’étaient pas amenés à rencontrer et qui n’avait aucun effet dans leur vie quotidienne. Elle avait pourtant une importance décisive ; quelques années plus tard seulement, en 1933, les autodafés nazis de livres proscrits par l’idéologie du régime et l’attaque frontale contre « l’art dégénéré » devaient le démontrer de façon brutale. » 

 

« La grande crise du début des années 30 allait apparaître comme une ligne de partage des eaux. Alors que la critique de tout ce qui était nouveau, menaçant et « moderne » enflait avec la crise, l’assaut contre les formes culturelles « dégénérés » devint un élément fondamental de l’arsenal fasciste. »

 

« Au coeur de la vision utopique du fascisme, se trouvait la renaissance nationale par la rédemption, loin des formes « décadentes » et « maladives » de la modernité. Ce qui supposait d’éliminer implacablement la créativité artistique d’avant-garde d’une société pluraliste. » 

 

« L’américanisme devint le symbole de tous les maux de la modernité auxquels les classes moyennes allemandes croyaient être confrontées (jazz, nouvelles tenues, coupes de cheveux) (…..) Attaquer la décadence culturelle en l’Allemagne allait au-delà de la simple dénonciation de « l’américanisme ». Socialisme, marxisme, bolchevisme, libéralisme et démocratie, tous pouvaient être cooptés dans la critique de la société moderne. Et il y avait une dimension raciale incontestable. Il était facile de présenter les Juifs qui jouaient un rôle éminent dans la vie culturelle et les médias, en principaux pourvoyeurs de la « culture de l’asphalte » des grandes villes, l’antithèse de la « vraie culture allemande inscrite dans le sang et la terre de la campagne. » » 

 

« L’espoir de créer une nouvelle élite pouvait aussi gagner du terrain au milieu du pessimisme culturel ambiant, qui offrait un terrain fertile aux idées de régénération nationale avec l’eugénisme et « l’hygiène raciale » (….) Les pertes humaines aiguisèrent les inquiétudes liées à la baisse de la natalité, largement commentée et perçue comme une menace pour la famille, les voleurs qu’elle représentait et la virilité de la nation. » 

 

Même préoccupation dans d’autres pays européens : 

 

  • Grande-Bretagne. Fondation de l’eugenic Society en 1926. 

 

  • Suède. Fondation d’un institut de biologie raciale à Uppsala en 1922. 

 

  • Sociétés d’eugénisme en Espagne, URSS etc….

 

1918. Publication du premier volume du « déclin de l’Occident » d’Oswald Spengler qui joue un grand rôle dans la promotion du pessimisme culturel. « Spengler utilise l’analogie biologique des cycles de vie pour soutenir, en termes un peu mystiques, que la culture occidentale était condamnée par les assauts du matérialisme, lequel ne pouvait être combattu que par la puissance d’un Etat fort et uni entre les mains d’une « élite » » (100.000 exemplaires vendus en Allemagne en 1926)

 

1926. Publication par Hans Grimm du roman « Peuple sans espace » qui « insinuait que la surpopulation était à la ruine des malheurs économiques de l’Allemagne et qu’elle ne pouvait être surmontée que par un « combat pour l’existence » et la conquête de terres nouvelles » (Plus de 200.000 exemplaires entre 1926 et 1933)

 

Concernant tout ces auteurs, « il faut se garder de minimiser leur capacité de façonner des attitudes que le fascisme allait plus tard populariser. » 

 

« Le pessimisme culturel était plus répandu et aigu en Allemagne que partout ailleurs en Europe. Aucun autre Etat ne fut à ce point tenaillé par l’angoisse du déclin national, même si la France suivait de près et que peu de pays en étaient exempts. » 

 

Brillantes perspectives ? 

 

« L’acceptation du plan Dawes en 1924 ouvrit la porte à de nouvelles relations entre la France et l’Allemagne. Ce fut le coeur de tous les espoirs de sécurité en Europe (réaménagement des réparations allemandes dues aux Alliés). 

 

« La clé de la stabilisation européenne était de surmonter le blocage lié à l’incompatibilité des exigences allemandes de révision du traité de Versailles et à celles des Français concernant une sécurité à l’épreuve de toute nouvelle agression de la paix » des Allemands. 

 

Les acteurs : 

 

Chamberlain. « Devait être un artisan important de l’installation des relations franco-allemande sur de nouvelles bases en 1925-1926. Les intérêts mondiaux de la Grande-Bretagne impliquant de lourdes dépenses de défense (notamment au profit de la marine) afin de protéger les possessions d’outre-mer, exigeaient de désamorcer les tensions en Europe, c’est-à-dire d’établir une sorte d’équilibre entre la France et l’Allemagne. » 

 

Aristide Briand (France). Il « était l’archétype du diplomate français et un homme d’Etat visionnaire, qui envisageait dès cette époque une union fédérale européenne indépendante de la puissance américaine. Briand reconnut qu’il était dans l’intérêt de la France d’associer l’indispensable besoin de sécurité et un rapprochement qui pourrait servir de base à une paix et à une prospérité  durables pour la France et l’Allemagne. Toute la difficulté pour lui était de convaincre son opinion publique. » 

 

Gustav Streseman (Allemagne). « Il était un pragmatique habile doublé d’un nationaliste impénitent. Il n’y avait là aucune contradiction. Rétablir la prédominance de l’Allemagne en Europe était pour lui une nécessité. Mais l’Allemagne était diplomatiquement isole et militairement faible. La condition de son redressement était donc que le pays retrouve son statut de « grande puissance » à égalité avec la Grande-Bretagne et la France, ce qui passait par une révision du traité de Versailles et une solution de la question des réparations. Cela ne pouvait se faire, de son point de vue, que par une négociation pacifique, c’est-à-dire un rapprochement avec la France. » 

 

16 octobre 1925. Signature du traité de Locarno, étape décisive dans le rapprochement franco-allemand. L’Allemagne, la France et la Belgique s’engagent à ne pas s’attaquer mutuellement, la Grande-Bretagne et l’Italie se portant garant du traité. « L’élément central fut la garantie par les cinq puissances des frontières occidentales de l’Allemagne et de la zone démilitarisée  de la Rhénanie. » 

 

Ce traité est bien accueilli en Europe occidentale, mais beaucoup moins à l’Est, la Pologne se sentant abandonnée pat la France. 

 

1926. Adhésion de l’Allemagne à la SDN. 

 

10 septembre 1926. Entrée de l’Allemagne à la SDN. 

 

« L’euphorie de l’esprit de Locarno ne tarda pas à retomber : l’écart entre les intérêts français et allemands restait large. Il n’était pas facile de surmonter les peurs françaises en matière de sécurité. De même les espoirs allemands d’une fin anticipée de l’occupation étrangère de la Rhénanie ne tardèrent pas à s’évanouir, même si les troupes alliées quittèrent la région de Cologne en 1926. » 

 

Janvier 1929. Mise en place de la commission Young chargée de faire de nouvelles propositions concernant les réparations, propositions acceptées au mois d’août. « L’Allemagne aurait nettement moins à rembourser qu’avec le plan Dawes, surtout les premières années. En revanche l’échéancier serait très long : le dernier remboursement n’aurait lieu qu’en 1988. »

 

Mars 1930. Ratification du plan Young par le Parlement allemand. 

 

30 juin 1930. Les Alliés retirent leurs troupes d’Allemagne, 5 ans avant ce que prévoyait le traité de Versailles. 

 

Démocraties chancelantes. 

 

« L’apaisement des relations internationales à compter du milieu des années 1920 avait été l’oeuvre de gouvernements démocratiques. Tant qu’ils survécurent, les perspectives de paix en Europe restèrent bonnes. Mais la reprise économique de la seconde mois des années 1920 ne s’accompagna pas d’un renforcement de la démocratie en Europe. » 

 

Mais situation contrastée en Europe. 

 

  • Façade en Hongrie. 

 

  • Graves difficultés en Autriche. 

 

  • Bonne résistance en Tchécoslovaquie qui surmonte ses divisions ethniques et l’émiettent des partis. 

 

« La Tchécoslovaquie fut une exception. Dès avant le début de la France Crise, dans une bonne partie de l’Europe orientale, dans les Balkans, de la Méditerranée jusqu’à l’Atlantique, la démocratie s’était effondrée ou était en difficulté. » 

 

1923. En Bulgarie, assassinat du Premier ministre Alexandre Stombolijski par un groupe d’officiers soutenus par le roi Boris III. Une tentative de soulèvement communiste fait l’objet d’une violente répression. 

 

Décembre 1924. En Albanie, coup d’Etat militaire d’Ahmed Zogu qui sumonte de nombreuses vendettas. Il se proclame roi, 4 ans plus tard. 

 

1925. Un attentat dans la cathédrale de Sofia (Bulgarie), fait 160 morts et des centaines de blessés. 

 

12-14 mai 1926. En Pologne, coup d’Etat de Pilsudski, héros de l’indépendance polonaise qui pousse peu à peu le pays vers l’autoritarisme. « L’intégration à bref délai d’un pays qui avait six monnaies, trois codes de lois, deux gabarits de voies ferrées, pléthore de partis politiques et fortes minorités ethniques (toutes victimes de discriminations) était chose quasiment impossible. » 

 

Décembre 1926. Coup d’Etat militaire en Lituanie qui aboutit à une suspension du Parlement pendant 10 ans et à la concentration du pouvoir entre les mains du Président. 

 

1936. En Grèce, effondrement de la démocratie. 

 

En Roumanie, la question agraire et l’identité nationale sont à l’origine de fortes tensions. « La nation se croyait menacée par les visées de Hongrois sur le territoire pris dans le cadre du traité de Versailles », mais aussi par le bolchevisme et les minorités ethniques, notamment les Juifs. 

 

« La nouvelle constitution de 1923, renforça l’exécutif. La fraude électorale permit à la famille Bratianu de s’assurer un quasi-monopole du pouvoir reposant sur la domination parlementaire du Parti libéral national qu’elle contrôlait. La mort du roi Ferdinand en 1927, après quatorze ans de règne, mina cependant l’emprise de la famille Bratianu et inaugura une période d’instabilité politique (….) Des suites d’un coup d’Etat sans effusion de sang en 1930, Carol II, qui avait été contraint de renoncer à son droit sur le trône à cause d’une maitresse en partie juive, revint sur sa décision et se proclama roi. Les années suivantes allaient voir s’installer une crise politique durable et s’affirmer un mouvement fasciste violent et viscéralement antisémite sur fond de graves difficultés économiques, qui devaient finalement déboucher sur une dictature. »

 

En Yougoslavie qui regroupe des Serbes, des Croates et des Slovènes, nombreux problèmes :

 

  • L’expropriation des grands propriétaires (avec indemnisation) et la redistribution des terres aux paysans provoqua de graves frictions.  

 

  • Problèmes frontaliers avec l’Italie, la Grèce, la Hongrie et l’Albanie. 

 

  • Impossible conciliation entre Croates catholiques et Serbes orthodoxes. 

 

En 1928, assassinat en plein Parlement de 3 députés croates par un Serbe. Le roi Alexandre dissout le Parlement et suspend la Constitution. 

 

« En Méditerranée, les régimes parlementaires et pluralistes étaient depuis longtemps sur la défensive, quand ils n’étaient pas effondrés. »

 

En Italie, les accords de Latran en 1929 permettent à Mussolini de renforcer son pouvoir en éliminant l’opposition potentielle de l’Eglise (Le catholicisme est affirmé comme la religion officielle de l’Italie)

 

En Espagne, Primo de Rivera poursuit son régime de dictature modérée instaurée en 1923. 

 

Portugal. En 1926, coup d’Etat militaire du général Gomes da Costa avec le soutien de l’élite conservatrice et de l’Eglise catholique (il y avait eu 45 gouvernements entre 1910 et 1926)

 

« A la fin des années 1920, la démocratie n’était assure que dans l’Europe septentrionale et occidentale (….). Soit la démocratie était déjà solidement installée, soit elle se consolidait dans les années de forte croissance économique avant la crise. L’Etat reposait sur un large consensus  des élites comme du peuple (….) Un certain nombre de facteurs aidèrent à soutenir la légitimité démocratique. » 

 

  • Formes de gouvernements capables d’incorporer les intérêts de larges pans de la société et de procéder à des ajustements pragmatiques. 

 

  • Intégrité territoriale et homogénéité culturelle. 

 

  • Faiblesse du communisme. 

 

« L’échec de la démocratie dans une bonne partie de l’Europe eut des conséquences pour la population des pays concernés, parfois aussi pour leurs proches voisins. Mais cela ne menaçait guère la paix en Europe. Cette menace ne pouvait venir que de l’effondrement de la démocratie dans une ou plusieurs grandes puissances, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, dont la stabilité était essentielle à l’équilibre fragile d’après-guerre. » 

 

Si la Grande-Bretagne connaît des difficultés économiques, elle se montre tout de même un modèle de stabilité politique. 

 

En France, la stabilité n’était pas assurée « même si la démocratie ne rencontra pas de réelles difficultés dans les années de crise (….) Une partie de la société française dont l’influence était sans commune mesure avec son importance numérique, n’avait jamais accepté la République ou l’avait simplement toléré en attendant mieux. » 

 

« L’Allemagne était plus énigmatique. Elle ne correspondait clairement ni au modèle des démocraties relativement bien installées de l’Europe du nord-ouest économiquement plus avancées, ni au modèle des nouvelles démocratie fragiles d’Europe orientale. » Son système politique était récent et né de a défaite. A la différence de la Grande-Bretagne, de la France et des autres pays du nord-ouest, la nationalité allemande se définissait par l’appartenance éthique et non par le territoire. Et si diverses que soient leurs vues, les élites intellectuelles allemandes rejetaient les valeurs de ce qu’elles appelaient la démocratie « occidentale ». 

 

Mais à la fin des années 20, il n’y a pas de raisons de s’inquiéter : 

 

  • Forte croissance économique. 

 

  • Progression du niveau de vie. 

 

  • Adhésion à la SDN. 

 

  • Frontières occidentales fixées par le traité de Locarno. 

 

  • Fragmentation de l’Extrême-droite après le putsch manqué d’Hitler. 

 

Les élections législatives de 1928. 

 

  • La droite conservatrice n’obtient que 12 sièges pour 2,6% des suffrages. 

 

  • Les sociaux-démocrates (2 partis catholiques et 2 partis libéraux) obtiennent un peu moins de 30% des voix. 

 

Mais à partir de 1929, sans agitation particulière, les nazis commencent à progresser dans un certain nombre d’élections régionales. 

 

Mais peu après, le nouveau chancelier Heinrich Brüning dissout le Reichtag. Il est prêt à gouverner avec l’appui de décrets présidentiels. Cette stratégie « était en fait prévue depuis des mois dans le cadre d’une stratégie visant à saper la sociale-démocratie et à installer un gouvernement sans pluralisme parlementaire. Hindenburg, Brüning et les élites conservatrices qui appuyèrent leur manoeuvre n’envisageaient pas un seul instant un gouvernement dirigé par les nazis en qui ils voyaient des populistes primitifs, vulgaires et braillards (….) L’objectif de Hindenburg, de Brüning et des élites conservatrices était une sorte de semi-autoritarisme antidémocratique dirigé par ces dernières. » 

 

« L’accession de Brüning à la chancellerie, avec l’empressement de Hindenburg à contourner le Parlement, porta un rude coup à l’Etat démocratique avant même que l’Allemagne ne s’enfonce dans la crise. » 

 

14 septembre 1930. Elections au Reichtag. Percée des nazis qui obtiennent 18,3% des voix et 107 sièges. Ils deviennent le deuxième parti du Reichtag. 

 

« De profondes faiblesses économiques au sein d’une économie mondiale instable et déséquilibrée amplifiée par le protectionnisme, nationaliste et la glorification des intérêts égoïstes, n’offraient aucune base solide pour contrer les ondes de choc venues d’outre-Atlantique. Les divisions culturelles favorisaient des préjugés aisément exploitables en cas de récession étant donné le climat social et intellectuel. Les idées démocratiques et libérales étaient partout menacées. Quand la crise frappa, une partie de l’Europe avait déjà sombré dans l’autoritarisme ou était sur le point de le faire. »

 

« Un pays était plus crucial que tout autre pour la destinée de l’Europe. L’espoir d’un avenir plus radieux pour le continent reposait sur l’Allemagne. Or, dès avant le krach de Wall Street, il y avait des raisons de s’inquiéter. La croissance économique dissimulait des problèmes croissants. La division culturelle était plus marquée que partout ailleurs. »   

 



01/03/2023
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