LURCAT (Jean). Le chant du monde. (10 tapisseries)

LURCAT (Jean)

 

Le chant du monde.

 

Introduction. 

 

Le chant du monde est le chef d'oeuvre de Jean Lurçat. 

 

Cette tenture est composée de 10 tapisseries tissées, dans les ateliers d'Aubusson entre 1957 et 1966. 

 

Cycle inachevé, le chant du monde est à la fois une vision poétique et symbolique du monde et le manifeste d'un artiste engagé qui a connu les deux guerres mondiales. Dans ces oeuvres, il définit la place de l'Homme au sein de l'univers. Il délivre un message d'espoir et de paix dans un contexte de Guerre froide et de menace nucléaire. 

 

On peut distinguer deux "mouvements". 

- La menace, la destruction et le chaos avec les quatre premières pièces. 

- Le renouveau, l'espoir et la joie de vivre avec les six dernières pièces. 

 

Cycle inachevé par la mort de l'auteur et qui devait comprendre 5 autres tapisseries : L'Architecture, la Musique, la Danse et la Lumière, l'Air et le Feu, la Chasse et la Pêche. 

 

Par ailleurs, Jean Lurçat a voulu faire de cette oeuvre, une version moderne des tapisseries de l'Apocalypse, exposées dans le château d'Angers. Cette oeuvre de la fin du XIVe siècle est exceptionnelle à la fois par ses qualités et sa taille monumentale. Elle a beaucoup impressionné l'artiste qui a voulu que le chant du monde soit exposé à proximité de cette oeuvre. 

 

1. La grande menace 

1957. 4,40m x 9m (soit 39,60 m2)

Atelier Tabard à Aubusson 

 

La "grande menace" représente le danger nucléaire représenté par un aigle déployant ses ailes au-dessus de la terre. Il lâche une bombe atomique sur notre planète qui est symbolisée par un cercle sur lequel on peut voir de grandes capitales mondiales (clochers à bulbe de Moscou, Tour Eiffel de Paris, gratte-ciels de New-York, pyramides du Caire, pagode de Pékin, temple antique d'Athènes ou Rome). A travers les flammes d'une explosion on peut lire "HIROSHIMA". Sous la Terre on distingue un volcan en éruption illustrant l'idée que le monde vit sur un volcan. 

 

A droite, on distingue un homme au gouvernail d'un bateau qui s'éloigne de la menace en emportant diverses espèces animales représentées pour la plupart en grisée contaminées par le buffle au dessus qui répand des flammes, symboles des retombées atomiques. 

 

Toutefois, une note d'espoir est symbolisée par trois animaux qui se distinguent et semblent veiller au destin de l'homme et de son navire. 

 

- Un chien symbole de loyauté. 

- Une chouette symbole de sagesse. 

- Un coq symbole d'espoir. 

 

A l'avant du bateau, un cep de vigne qui prend pied symbolise la renaissance de la vie. 

 

Cette scène du navire emportant des espèces animales fait référence à la scène biblique du Déluge et de l'arche de Noé (Genèse)

 

 


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2. L'homme d'Hiroshima. 

1957. 4,37m x 2,92m (soit 12,76 m2)

Atelier Tabard à Aubusson

 

 

Cette tapisserie est une référence directe au bombardement atomique d'Hiroshinma par les Américains le 6 août 1945. Les pertes humaines à la suite de cette explosion sont estimées à 140.000 personnes. Cette bombe par ailleurs va générer des effets dévastateurs à retardement. 

 

La silhouette de l'homme en train de se désintégrer se détache sur un aplat vert qui prend la forme du champignon atomique. L'Homme est détruit physiquement et moralement, comme le prouvent les flammes s'échappant de son crâne. 

 

De part et d'autre de ce corps, nous distinguons quatre objets symboliques qui sont brisés voire pulvérisés : 

 

- La croix qui évoque la notion de croyance. 

 

- La faucille qui fait allusion aussi bien au travail paysan qu'à l'idéologie communiste. 

 

- Les gants blancs qui seraient un symbole des codes policés de notre civilisation occidentale. 

 

- Le livre qui symbolise le savoir. 

 

Lurçat, dans cette tapisserie, veut montrer que la bombe atomique a profondément remis en question de nombreux fondements de la société occidentale. 

 


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3. Le grand charnier. 

1959. 4,40m x 7,40m (soit 32,56 m2)

Atelier Tabard à Aubusson

 

Cette composition est dominée par un bouc au galop. Symbole de malédiction au Moyen-Age, cet animal était souvent associé au diable. Dans ce cas, il semble imprimer son mouvement aux squelettes et dépouilles d'hommes, d'animaux et végétaux, répartis en une onde évoquant une danse macabre. 

 

Dans la partie inférieure, des ossements et le tronc d'un homme en décomposition s'entremêlent aux barreaux d'une échelle brisée. Juste au-dessus, on distingue un corps allongé et écorché, parsemé de squelettes d'oiseaux et de feuillages atrophiés. 

 

Au centre la bombe atomique diffuse ses ondes destructrices. Leur vigueur est renforce par des couleurs à dominante rouge et verte. A l'opposé, les créatures consumées par le mal sont traitées en grisaille. 

 

Cette tapisserie évoque de manière très imagée l'horreur de la guerre. En effet, Jean Lurçat a côtoyé la mort dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, près de Verdun. le titre de l'oeuvre est une référence explicite à cette période. 

 


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4. La fin de tout. 

1959. 4,50M X 2,26m (soit 10,17 m2)

Atelier Picaud à Aubusson

 

Le néant, le retour au vide découle de l’explosion nucléaire. Pour l’illustrer, Lurcat a choisi de consteller un fond noir de petites taches blanches, résidus de poussière atomique, « germes de mort ».

 

A gauche, on distingue une dernière explosion.

 

A droite, une plante meurt sur une forme en fusion qui rappelle le volcan de la Grande Menace.

 

A l’origine, Lurçat souhaitait réaliser une tapisserie entièrement noire et plus longue pour rendre cet état de néant insupportable et mettre ainsi le spectateur à l’épreuve. Mais il a préféré introduire une dimension narrative et asseoir sa composition en disposant des éléments graphiques et colorés : la « plante brisée », les « flocons blancs », l’explosion et la matière en fusion, rouge vif.

 


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5. L'Homme en gloire dans la paix. 

1958. 4,37m x 13,16m (soit 57,50 m2)

Atelier Tabard à Aubusson

 
Il s’agit de la plus grande tapisserie de la série. Elle est consacrée à la renaissance du vivant, au retour à la vie après le désastre nucléaire. Par sa composition, elle se rapproche de la première tapisserie (le globe à gauche, l’homme et la création à droite). Mais le globe évoque ici la nature plus que la civilisation. 

A l’intérieur de petites flammes bleues, source de chaleur, prouvent que la vie renaît. Et, à son contact, des végétaux s’épanouissent. Leur couleur, jaune dorée, évoque le soleil, astre de vie. L’aigle menaçant a laissé place à la colombe bienveillante.

 

A droite, recouvert de feuillages et d’étoiles, l’homme, nu, semble prendre racine au coeur d’une planète. Sur sa tête, la chouette incarne la sagesse ; sur sa poitrine, la colombe symbolise la paix. Une salamandre, réputée pouvoir traverser le feu, témoigne de la chaleur qui se répand dans son corps.

 

Lurçat propose une vision harmonieuse et pacifique de l’univers. L’Homme ne fait plus qu’un avec le monde végétal, animal et minéral. Il se régénère. 

Dans la partie gauche de la tapisserie, des étoiles évoquant le cosmos brillent de manière intense. Lurcat, qui connaissait le langage des liciers, prévoyait dans ses cartons ce genre d’effet. Le camaïeu de couleur, mais surtout la technique du battage (petites hachures entourant le motif), permettent un passage progressif de la couleur vers le fond noir et produisent ainsi cet effet de scintillement. 

 


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6. L'Eau et le Feu. 

1958. 4,40m x 5,90m (soit 25,96 m2)

Atelier Goubely à Aubusson. 

 

 

Dans cette tapisserie, l’univers se réorganise. L’Homme et les éléments naturels, participent à la bonne marche du cosmos. 

On retrouve les éléments récurrents du vocabulaire graphique de l’artiste. 

- Le globe terrestre, qui semble naître de la réunion de l’eau et du feu, éléments aux forces opposées mais nécessaires à la vie.

 

- Le bestiaire à la dimension symbolique associant le poisson à l’eau, la salamandre au feu, la tortue à la longévité, le serpent enroulé à l’infini, l’homme qui à la fois domine et s’inscrit dans le globe terrestre. 

L’artiste insère dans la tapisserie une allusion à l’actualité scientifique de son temps ; en haut à gauche on peut distinguer le satellite Spoutnik, premier satellite soviétique lancé dans l’espace en 1957. Par contre, en haut à droite, il développe un détail totalement imaginaire et poétique : une lune dessinée sous la forme d’un visage, de façon fantaisiste. 

 


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7. Champagne. 

1959. 4,40m x 7,02m (soit 

Atelier Tabard à Aubusson. 

 

 
Le mouvement ascensionnel et diagonal de la composition évoque l’envol, l’euphorie, le jaillissement de la vie. Le bleu très lumineux, le thème de la vigne, le champagne coulant à flots, les iris, la multiplication de petits éléments aériens (papillons, fleurs, bulles), contribuent à cette impression générale de gaieté et de légèret.

 

En bas à droite, un crâne renversé contient des fleurs . Ce motif peut faire allusion aux vanités du 17e siècle qui rappellent le caractère éphémère de la vie grâce à la représentation réaliste de crânes, sabliers, insectes, fleurs fanées.

 

Mais l’artiste en plaçant ce crâne en périphérie de la composition, invite à penser qu’il faut profiter pleinement de la vie et de ses plaisirs. La joie domine donc cette composition. 


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8. Conquête de l''espace. 

1960. 4,40m x 10,35m (soit 45,54 m2)

Atelier Tabard à Aubusson. 

 

 
L’exploration de l’espace ayant débuté en 1957, Lurçat a souhaité évoquer cette prouesse technologique du 20e siècle dans une de ses tapisseries. 

 

À gauche, on distingue un fragment de globe terrestre représenté en coupe. A l’intérieur diverses espèces animales prennent place sur fond de bandes colorées. 

 

Entre l’homme et la femme, apparaissent la chouette et le taureau, respectivement symboles de sagesse et de courage. Sur la croûte terrestre poussent des végétaux. 

 

Le sagittaire semble percer l’atmosphère, matérialisée par des flèches blanches et rouges évoquant les échanges gazeux. L’artiste aime particulièrement l’archer qui « tape dans le mile« . La figure du sagittaire incarne pour lui à la fois le poète et le créateur. 

 

À droite, l’espace sidéral est représenté de manière poétique et imaginaire, même si la Planete Saturne et la lune sont aisément identifiables. 



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9. La poésie. 

1961. 4,40m x 10,40m (soit 45,76 m2)

Atelier Tabard à Aubusson

 

 Dans cette tapisserie, Lurçat met de nouveau en scène le Sagittaire qui symbolise le poète, celui qui vise juste avec les flèches de ses mots. La représentation de ce personnage monumental, sous une sorte d’arc, dans le premier quart de la composition, ainsi que le compartimentage de l’espace, s’inspirent de la composition de la tenture médiévale de l’Apocalypse.

 

Les signes du zodiaque, à travers les constellations, évoquent le cosmos, mais aussi la dimension temporelle, puisque les différents signes correspondent aux différents mois de l’année. Lurçat a ajouté des chaînes entre ces éléments pour montrer que les divers composants du cosmos forment un tout. 

 


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10. Ornamentos Sagrados. 

1966. 4,40m x 10,50m (soit 46,20 m2)

Atelier Tabard à Aubusson

 


Cette tapisserie demeure la plus énigmatique puisque Jean Lurçat, décédé en janvier 1966, ne l’a pas commentée. Quelques temps auparavant en 1965, l’artiste avait visité au Mexique une exposition d’objets et textiles liturgiques qui l’avait bouleversé, d’où ce titre en espagnol : « Ornamentos sagrados ». L’artiste a peut-être voulu magnifier les éléments de l’univers, offerts à l’homme, symbolisé par l’œil au centre du globe.

 

A gauche, les formes serpentines associées aux gouttes d’eau pourraient évoquer le Dieu Quetzalcoatl, le serpent à plumes qui provoque la pluie. On distingue ensuite la lune et des différents quartiers. Cet astre occupe une place fondamentale dans la religion et le calendrier des Aztèques, tout comme le soleil, qui est très probablement représenté au centre. A l’intérieur, les compartiments de la composition rappellent la forme du calendrier aztèque.

 

De nombreuses tapisseries de l’artiste portent des inscriptions. Cette tapisserie est la seule de la série qui en portent. Par ailleurs, l’une des phrases est écrite à l’envers, en miroir. « Tu t’éveilles véridique seigneur des deux pôles Astre aux griffes d’obsidiène. » Aucune interprétation de ces mots ne s’est imposée à ce jour. Par ailleurs, écrire à l’envers était un procédé artistique souvent utilisé par les surréalistes. 

 


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Textes d’après la plaquette de présentation de l’œuvre. 

 

 

Date de création : 11 juillet 2023

Dernière modification : 14 juillet 2023



11/07/2023
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