1914-1918. Vercel (Roger). Capitaine Conan (Roman)

CAPITAINE CONAN

 

Roger Vercel 1934

 

 

* * * * * * * * * *

 

Extrait n°62. (pp 10-11).

« Nous sommes au 22 novembre. En cinq semaines, pendant la traversée, au pas de course, de la Macédoine, puis de la Bulgarie, le long des six cents kilomètres de montagnes, les trois quarts du régiment ont fondu (….) vidés qu'ils étaient par la dysenterie. Tout leur pauvre corps s'en était allé en eau, le long de la terrible route. Ce n'était plus que des sacs d'os, des sacs de peau terreuse. Et cette affreuse nausée qu'ils avaient tous, ce rictus de mal de mer retroussé sur leurs dents (…) Et les paludéens ! Ceux là avaient bonne mine, de belles couleurs, avec leur 41° de fièvre. Seulement quand on les doublait, on entendait sonner leurs gamelles, leurs cartouchières, leurs bidons secoués à leur tremblement, comme dans une maison, la vaisselle lorsqu'un gros camion passe. »

 

Extrait n°63. (pp 11-14)

« Les trois cents bonhommes qui restent pourrissent tranquillement dans le bois, depuis huit jours (…) Quand j'aurai quatre vingt ans, que je serai perclus et bien raide, ça me coûtera sûrement moins de m'habiller ! C'est comme si on entrait dans un bain de glace : tout ce qu'on met est saturé de neige fondue. Je ne parviendrai jamais à réchauffer ces éponges (…) Les grolles !.... C'est devenu un mot, une chose tragique, pour ces pauvres pieds de fantassins affreux à voir et à traîner, des pieds sans chaussettes, éraillés par le cuir des gros souliers, écorchés par tous les silex blessants de la montagne, pour les talons arrachés par des semaines de montée, les doigts écrasés, laminés, par des jours et des jours d'affreuse descente. Les grolles !..... Depuis huit jours, on les soigne, on les réchauffe, on les masse, on les imprègne patiemment de la graisse des boites de singe, dans l'espoir qu'elles s'attendriront, mais à chaque fois qu'il faut y pousser les pieds gonflés, meurtris, saignants.

Hein ! Hein ! …. Oh bon dieu ! J'peux pas. »

 

Extrait n°64. (pp 22-23).

« C'est dans le talus d'un ravin qu'ils ont creusé leurs cavernes. Ils les ont fermées par des murs en mottes de gazon, d'où dépassent d'invraisemblables cheminées faites de boites de singe, sans fond, agrafées avec du fil téléphonique. Conan écarte la toile de tente qui ferme l'entrée de son PC, et je m'extasie : Il fait chaud, il y a du feu, un grand feu qui brûle dans une cheminée de cailloux, admirablement maçonnée à la glaise. La flamme éclaire, sur les murs en terre noire, des vêtements, des étuis de cuir. Conan s'en va dans le fond de sa cagnia, saisit quelque chose qui fait « pfuitt » et une flamme éblouissante jaillit, s'allonge, se raccourcit, se fixe en une languette sifflante de lumière. Il a même trouvé du carbure pour sa lampe à acétylène ! »

 

Extrait n°65. (pp 29).

« En ligne, il avait inventé un truc maousse pour que les Buls nous foutent la paix. Ces tantes là, tu les avais toutes les nuits à se balader avec de grands kleps, dans le ravin..... Foudrasse y avait enterré des grenades, attachées à un petit piquet solide. Il n'y avait à dépasser qu'un collet en fil téléphonique tressé. Le gars qui se prenait la patte là dedans armait du coup le citron. Il se baissait pour détacher son pied. Comme ça, il était tout placé pour ramasser la charge.... Ce qu'il y en a eu d'amochés par son truc, je ne peux pas te dire ! Parce qu'ils variait ses parcours ! A minuit, une heure, t’entendais péter, gueuler.... Le lendemain, tu retrouvais des casquettes, des paquets de pansement, du sang piétiné. Ça les a guéris des promenades au clair de lune. »

 

Extrait n°66. (pp 31).

« J'en ai peut être tué, mais je ne le saurai jamais !... Pour moi la guerre, ainsi que pour tant d'autres, ç'a été une période où l'on marchait courbé, comme des gens trop grands qui craignent de rencontrer une porte trop basse. A certains jours ça devenait une fuite en avant, coupée de chutes à plat ventre. Mes deux faits d'armes ? Mes deux citations ? J'ai rampé un matin d'attaque, vers un trou, un trou de mitrailleuses : j'y ai jeté des grenades.... une lutte de bruits. Le mien s'est tu le dernier ! Puis une nuit, chef de patrouille, pour avoir mal lu ma carte, je suis allé trop loin sur une route de l'Oise défendue par quelques abattis. Je suis arrivé à l'entrée d'un village dont j'ai lu la plaque bleue avec stupeur, un village que je savais se trouver derrière les lignes allemandes !.... Revenu en vitesse, en raflant au passage dans un abri, un carnet de tir et une poignée de cartes qui authentifiaient mon exploit, j'eus le plaisir de confondre le colonel incrédule. C'est tout. »

 

Extrait n° 67. (pp 32-33).

(Saint Cyr) « C'était plein d'embusqués qui t'en faisaient baver, pour rester au chaud (…) Avec ça, les bleus, les Cyrards de profession qui ne se consolaient pas d'être en troufions, d'avoir perdu le casoar, et surtout d'être mélangés avec nous autres ! Ils sont allés, une fois, demander au colonel commandant l’École un insigne pour se distinguer. Ils ont été reçus ! Le colon était un type épatant....

« Un insigne, qu'il a dit aux gosses, pour quoi faire ? Ceux du front ont tous la croix de guerre ou des brisques de blessures. Vous vous avez la peau ! Ça vous fera reconnaître. » »

 

Extrait n°68. (pp 40-41)

« Ces cavalcades là expliqua t'il, c'est surtout fait pour dégoûter les gars qui en ont mis un coup en ligne. J'y ai vu passer des types que j'ai pas souvent rencontrés dans les boyaux, tiens ! Tous ceux qui n'en ont jamais foutu une secousse défilaient, et au complet, et pas abîmés ! T'as vu les chass d'Af de l'escorte ? Tout neufs ! Et les mecs de l'état-major, quels beaux soldats ! Pas chiffonnés, et de l'allant ! Ce soir, ils vont raconter, leur guerre dans les salons. »

 

Extrait n°69. (pp 57-58)

« Il se passe en effet, quelque chose extraordinaire que je commence seulement à entrevoir : des grenadiers, des mitrailleurs, des guetteurs et des canonniers qui redeviennent des hommes, pour la première fois, depuis quatre ans ! Hier, on ne leur concédait qu'une âme uniforme, simplifiée, où l'on ne surveillait que l'obéissance et le courage. Aujourd'hui, brusquement, il faut compter avec leurs désirs, leurs instincts leur passé inconnu auquel ils renouent le présent. Les voilà définitivement sortis de la tranchée qui les canalisait, et il est à prévoir que le séminariste et le souteneur, qu'il était bien presque possible de confondre, ne feront point, aujourd'hui qu'on les a lâchés, les mêmes gestes, aux mêmes lieux ! Hier une unité c'était un régiment ; aujourd’hui un matricule c'est quelqu'un qui peut librement jusqu'à minuit, penser, parler, vouloir, agir. »

 

Extrait n° 70. (pp 68-69).

« Le commandant exposa ses principes en matière de justice militaire. (…) Dieu me garde de sous-estimer votre rôle de défenseur, mais permettez moi de vous dire que je n'arrive pas à en réaliser l'utilité. De deux choses l'une : la faute est nette, ça vaut tant... ou alors, la faute n'est pas absolument prouvée (…) Eh bien, même dans ce cas, ça vaut tant, pour le principe ! … Et le principe c'est qu'un préventionnaire n'est jamais un bon soldat ! S'il a été soupçonné, c'est qu'il méritait de l'être. (…) S'il n'est pas coupable de cela, il est coupable d'autre chose pour laquelle il n'a pas payé (…)

C'était vrai ! Nous avions commis tout cela et bien d'autres crimes encore (….) Maintes fois il aurait suffit de la mauvaise humeur, ou de l'antipathie d'un gradé, moins encore, de ce besoin d'exemple dont la nécessité se faisait si fréquemment sentir pour qu'une peccadille courante reçut un nom terrible qui lui fût allé comme un gant. Tout était affaire d'appréciation : on haussait les épaules quatre vingt dix neuf fois ; la centième, un visage brusquement inexorable vous signifiait votre crime et l'on vous passait au tourniquet, sans que vous ayez pu nier les faits, discuter sa qualification, son châtiment étiqueté d'avance (….).

Pendant la guerre, le falot faisait partie des risques, mais comme c'était un des moindres, on y pensait pas.

Deux mois après l'armistice, cela jetait un petit froid de songer qu'on avait, plus d'une fois échappé à douze balles bien groupées. »

 

Extrait n°71. (p 73)

« Conan murmura (…) Eh ben mes types moi, je les au pris, tant que j'ai pu, chez les préventionnaires, et pas des préventionnaires pour des conneries comme il en alignait tout à l'heure ! Y avait que là qu'on trouvait des types à la redresse ! … Et moi non plus, je le connais pas depuis longtemps le vieux, mais je parierais ses mille francs contre mon sou que s'il avait fallu qu'il aille où ils allaient, ils auraient été obligés de l'y porter à bras les gars, parce qu'il aurait eu les pattes en flanelle ! »

 

Extrait n°72. (p 77)

« Conan m'exposait un plan de défense général et hautain. Il fallait, selon lui, assurer aux juges que les préventionnaires étaient des soldats d'élites, des audacieux, entraînés, pendant des années, aux exploits violents et que l'armistice avait déconcertés. Ils avaient pris l'habitude de se battre, ça leur manquait ; c'étaient des héros sans emploi, les plus tristes et les plus à plaindre, des chômeurs et ils auraient besoin de paliers, de longues transitions, avant que s'éteignent les appétits de combat qu'on avait surexcités en eux. »

 

Extrait n°73. (p 82).

« Le premier accusé (….) on était de corvée de nettoyage aux magasins de l'intendance. Y avait des ballots de couvertures, et comme on gelait dans la carrée, que tous les carreaux ont pété, que tous les matins on se réveille avec les pieds en frigo, j'ai pris deux couvertures (…)

L'autre c'est un Arabe qui n'entend pas un mot de français (….) Il s'agit d'un train manqué au cours d'un déplacement. L'Arabe a rejoint 4 jours après. (….)

Au troisième, celui là, c'est un territorial (…) c'est déserteur après cinq jours d'absence constatées. Il est parti parce qu'il en avait jusque là de conduire l'auto du général qui l'attachait jour et nuit à son volant. Il est resté parce qu'il a rencontré une petite …. le démon de midi quoi ! (…..) Et c'est tout ! …. Je n'ai que ces trois affaires. L'autre avocat d'ailleurs, n'est pas mieux partagé : une grivèlerie, une désertion, un outrage. Vraiment Conan avait raison. La machine tourne à vide. »

 

Extrait n°74. (p 97-98).

« Le programme des fêtes !

Il était chargé : c'était la fameuse reprise en main dont on nous menaçait depuis quelque temps, la vie de caserne que, pour la plupart, nous n'avions jamais connue et qui commençait (….) en moins de 3 jours, la vie devint impossible ! Le commandant rajeunissait. Tous les matins, il dictait une décision de deux pages : États à fournir, piquet d’incendie, théories, revues d'armes, exercices, paquetages carrés, répurgation, alerte de nuit, cours de perfectionnement, bal des punis dans la grande cour, tout ce service dont il avait été privé pendant 4 ans (…) La guerre, il ne nous le cacha pas, nous avait tous gâtés ; elle avait trop longtemps servi d'excuse à un laisser aller de mauvais aloi. Il était temps de revenir aux saines traditions ! (….) Ainsi la guerre finie, gagnée, on s'efforçait d’exaspérer les vainqueurs, d'empoisonner les quelques semaines qui les séparaient de cette démobilisation que tous croyaient pourtant avoir achetée assez cher. »

 

Extrait n°75. (p 100-101).

« Je savais qu'il n'y avait là ni inconscience ni bravade, mais volonté tenace de lutte contre l'étroit formalisme militaire, la routine odieuse des casernes où l'on prétendait le plier. S'il ressentait comme des offenses personnelles les mesures les plus générales, c'est qu'elles le blessaient au vif, dans son instinct profond de chef de guerre, cet instinct des routiers qui se débandaient, le combat fini, et retrouvaient au moins la liberté, à défaut de la bataille ! Il était homme à la prendre, à déserter, si les sordides bureaux le poussaient à bout. »

 

Extrait n°76. (p 103)

« C'est le rapporteur qui accepte ou refuse de poursuivre, il choisit la qualification du crime autant dire la peine ; c'est lui le juge d'instruction, il mène l'enquête où il veut, comme il veut ; il cite les témoins qu'il veut, recueille les dépositions, les résume, les apprécie. Mieux que ça : il propose l'avocat ! Il rédige à la fois le rapport qui expose l'affaire et le réquisitoire qui démolit le type. »

 

Extrait n°77. (p 155)

« - On commence à en parler dur de la libération (…

- Qu'est ce qu'on va en faire, dis donc, des types qui ne sont bons qu'à se battre, et qui s'en sont aperçus ? Y en a, tu sais ! …. Pas beaucoup, mais y en a ….

Il me livrait une angoisse, je ne lui rendis qu'un mot, un de ces mots commodes qu'on a toujours sur soi : s’adapter.

Il le médita, puis me montra un chien qui passait :

Oui ?.... Demande donc au kleps là, de s’adapter à la salade ? On l'a entraîné à la chasse et la chasse est fermée (…) Suppose qu'il y en ait d'assez francs pour s'avouer je ne dis pas qu'ils la regrettent, mais qu'ils n'ont vécu que là … Faudra qu'ils s'en cachent comme d'un chancre. Et pourtant ils n'ont pas demandé à y aller ! …. Et puis toute leur provision de culot, il n'en auront plus le placement. Ça les étouffera. Ils crèveront de congestion. »

 

Extrait n°78. (p 160).

« .. Puisque vous n'avez pas vu son corps franc, vous ne saurez jamais ce qu'est une véritable troupe d'hommes de guerre : c'était à la fois magnifique et effrayant …. !

Combien étaient ils ?

Cinquante. Il les avait choisis parmi tout ce qu'il y avait de gouapes à la division (…) Et ils les soumettait à un entraînement terrible sans que jamais un seul ait tiqué (…) Si vous aviez été dans son secteur, vous l'auriez vu arriver, de sa marche indolente, balancée, avec son air endormi, bonasse, sa bonne tête d'assiette de Quimper, un peu rouge, car avec ses gars, il s'était mis au pinard plus que de raison (…) Il regardait le terrain, sans rien dire, pendant une heure, quelquefois plus longtemps (….) Ses yeux possédaient un instinct infaillible (….) pour découvrir la ligne de plus grande pente, pour suivre, sans jamais dévier, les dépressions presque insensibles, où ni les regards ni les balles de l'ennemi ne pourraient le trouver. »

 

Extrait n°79. (p 190).

« Je sais ce que c'est que la frousse, mon vieux ! Je l'ai vue ! Les types qui ont la pétasse, mais là, la vraie, ils ne sont plus responsables ! (….)

T'aurais appuyé sur la gâchette, il n'aurait ni plus, ni moins bougé ! Quand tu vois ça, c'est la bonne preuve. Ca ne dépend pas de lui ! Y a eu erreur: t'as cru qu'on t'envoyait un bonhomme, on t'a envoyé une fausse couche de cinquante kilos. Alors tu la retournes …

- Tu la retournes ?

  • Oui …. je l'ai fait évacuer pour entérite. »

     

Extrait n°80. (p 208).

« Tous les coups que j'ai réussi, je les ai réussi parce que je savais le dosage de frousse des types, des miens et de ceux d'en face. A la guerre, c'est celui qui s'y connaît le mieux en frousse qui a le bon bout (…) Au combat, il n'y a que le résultat qui compte ! Les principes, comme tu dis, la théorie, faut savoir s'en foutre … Et le résultat, pour l'avoir, faut trier. Les toubibs t'ont trié les bancals et les poitrinaires. C'est à toi de trier les lâches, les vrais, ceux de naissance ! Qui veux tu qui le fasse, puisque personne ne les a vus au boulot ? Tu ne l'as pas fait : il t'a pété dans la main. Tu devais t'y attendre …. A cause de ça, tu veux le bousiller : C'est toi qui as tort ! »

 

Extrait n°81. (p 232).

« Les coups de main, t'arrivais par là …. T'arrivais à plat ventre, en respirant dans la terre. Tu mettais 5 minutes à faire un mètre … Tes gars, eux, prenaient un par un les cailloux, ils les rangeaient, comme des œufs, pour qu'il n'y en ait pas un à rouler.

T'entendais les Buls causer dans leur trou, rigoler, parfois, à cinq pas de toi ! T'étais là, couché, ton sifflet entre les dents. Tu savais que tu les possédais d'avance. Tu jouissais tiens ! … Et puis tu te décidais ! Ton coup de sifflet ça dressait d'un coup cinquante types qui tombaient dans la tranchée comme le tonnerre de Dieu : tu ne peux pas te figurer les têtes que t'y voyais dans la tranchée, des gueules de types qui ne croient pas au diable, et qui le voient ! Ah ! Ça te payait de tout ce que t’avais roté ! …. Et puis, ils payaient autrement les vaches ! … Ils en ont dégusté, avec moi … dégusté !...

Il bafouillait, saisi par une de ses terribles colères. Toute sa guerre, toute sa haine lui remontait d'un coup à la tête, à la bouche ! Penché sur le trou noir d'une sape, il y cachait des injures entrecoupées ; il le guettait, comme s'il eût dû en sortir des hommes à tuer. »

 

Extrait n°82. (p 244-245)

« Il y a longtemps que j'ai compris qu'ils avaient honte de nous, qu'ils ne savaient plus ou nous cacher ! Moi et mes gars, on l'a faite la guerre, on l'a gagné ! C'est nous ! Moi et ma poignée de types, on a fait trembler des armées, t'entends, des armées qui nous voyaient partout, qui ne pensaient plus qu'à nous, qui n'avaient peur que de nous dès que s'allumait la première fusée ! Tuer un type, tout le monde pouvait le faire, mais, en le tuant, loger la peur dans le crâne de dix mille autres ça c'était notre boulot ! Pour ça, fallait y aller au couteau, comprends tu ? C'est le couteau qui a gagné la guerre, pas le canon ! Un poilu qui tiendrait contre un train blindé lâchera à la seule idée que des types s'amènent avec un lingue... On est peut être trois mille, pas plus, à s'en être servi, sur tous les fronts. C'est ces trois mille là les vainqueurs, les vrais ! Les autres n'avaient qu'à ramasser derrière !.. Et maintenant, ces salauds qui nous les ont distribués, larges comme ça, nos couteaux de nettoyeurs, nous crient :  « cachez ça ! Ce n'est pas une arme française, la belle épée nickelée de nos pères !... Et puis cachez vos mains avec, vos sales mains qui ont barboté dans le sang, alors que nous, on avait des gants pour pointer nos télémètres. Et pendant que vous y êtes, cachez vous aussi, avec vos gueules et vos souvenirs d'assassins ! »

 

Extrait n°83. (p 250)

« Ma compagnie, je l'ai retrouvée dans les tranchées du Dniester, au Sud Est de Bender, cette ville que les Roumains ont prise et que nous les aidons à garder, car les Rouges veulent la reprendre. J'ai retrouvé les relèves, les petits postes, les groupes de combat, les sapes, tout... J'ai tiqué, quand j'ai regardé à un créneau, que j'ai revu la terre au ras de mes yeux !

On a creusé des trous au bout de l'Europe pour nous y jeter, sept mois après l'armistice. »

 

Extrait n°84. (p 251).

« Les hommes ne parlent pas. Ils vivent dans une indignation amère qu'ils couvent comme une maladie. Parfois la pression est trop forte, l'un empoigne un fusil qu'il lance au sol en jurant, en déchiquetant le juron, la bouche tirée jusqu'aux oreilles, les dents à l'air, un autre crie, les poings brandis. »

 

Extrait n°85. (p 269).

« Et ça se passera exactement sept mois et douze jours après l'armistice ! …. Ils me font doucement rigoler ceux qui ont tant gémi sur le sort du dernier tué de la guerre, celui de la minute d'avant le « cessez le feu » ! Comme s'il pouvait y avoir jamais un dernier tué... »

 

Extrait n°86. (p 278-284).

« Dans ma dernière lettre, une lettre de 1921 (…) (en parlant de Conan) J'apercevais de profil un des joueurs, un énorme maquignon, un visage de graisse tombante, jauni par la cirrhose, une paupière bouffie et pesante, les plis des mentons dans le col (..) Debout, il était effrayant de ventre. Et son cou ! Son cou qui débordait en bourrelets, sa démarche de vieux où tout le pied traînait sur le parquet (…)

Le médecin ne m'en donne pas pour six mois : le foi pourri (…)

Te rappelles tu ce que je te disais à Gorna, qu'on était trois mille, au plus, à l'avoir gagnée la guerre ? Ces trois mille là, t'en retrouveras peut-être parfois un ou deux, par ci, par là, dans un patelin ou un autre … Regarde les bien mon vieux Norbert : Ils seront comme moi ! »

 

 

Dernière mise à jour : 5 janvier 2014



05/01/2014
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