Winter (J). Volume 1 Chapitre 2. 1914 : Déclenchement (NDL)

CHAPITRE 2. 1914 : DECLENCHEMENT

 

 

Jean-Jacques Becker et Gerd Krumeich.

 

 

 

« Le 28 juillet 1914, l'Autriche-Hongrie déclarait la guerre à la Serbie. Le 30 juillet, la Russie décrétait la mobilisation générale. Dans la nuit du 30 au 31, l'Autriche-Hongrie prenait la même décision, suivie le 1er août par l'Allemagne et la France à peu près à la même heure. Ce même jour, l'Allemagne déclarait la guerre à la Russie et, le 3 août, à la France. Le 4 août, le Royaume-Uni déclarait la guerre à l'Allemagne et, le 6 août, l'Autriche-Hongrie à la Russie. En quelques jours, presque toutes les grandes puissances européennes (mis à part l'Italie, qui ne devait déclarer la guerre à l'Autriche-Hongrie que le 23 mai 1915) était en guerre. Une guerre européenne comme il n'y en avait pas eu depuis un siècle avait éclaté. Du fait des mobilisations générales (et de l'appel à l'engagement volontaire de masse au Royaume-Uni), elle n'était comparable à aucune autre ; c'était des millions d'hommes qui allaient s'affronter. Comment en était-on arrivé là ? »

 

« Pour Samuel Williamson, qui a lui même renouvelé la recherche sur les accords militaires avant la guerre de 1914-1918, l'Autriche-Hongrie a joué un rôle primordial dans la genèse de crise international de juillet 1914. Etude d'autant plus utile que, pendant longtemps, le rôle de l'Autriche-Hongrie avait plutôt été laissé de côté dans l’historiographie. Pour Fritz Fischer et ses élèves, elle n'était qu'à la remorque des desseins agressifs de l'Allemagne. Or, depuis maintenant vingt ans, la recherche se concentre sur le rôle primordial de l'Autriche-Hongrie. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'empereur et son entourage, ainsi que l'énigmatique chef d'état-major, Conrad von Hötzendorf, on joué un rôle actif et belliqueux, avant et après l'attentat de Sarajevo. Ce fut en particulier le cas du chancelier Berchtod, tandis que le général Conrad n'arrêtait pas d'exiger qu'on fasse une « bonne guerre contre la Serbie, petite puissance, mais qui, à la suite des guerres balkaniques, avait beaucoup grandi et adopté une attitude de plus en plus agressive envers l'Autriche-Hongrie, avec l'idée de la faire éclater. Conrad n'avait-il pas demandé, au moins trois fois depuis décembre 1912, de se débarrasser de cet inquiétant voisine par une guerre préventive. »

 

L'attentat de Sarajevo : le prétexte rêvé.

 

Depuis le congrès de Berlin en 1878, les provinces de Bosnie-Herzégovine, toujours ottomanes, sont placées sous administration austro-hongroise.

 

1908. Annexion de la Bosnie-Herzégovine par l'Autriche-Hongrie. Lors de cette annexion pas de réaction de la Russie qui est à la fois affaiblie par sa défaite dans la guerre russo-japonaise, les mouvements révolutionnaires de 1905, et par le refus de la France de la soutenir.

 

Une fois l'attentat commis, une question se pose immédiatement : Qui l'a organisé ? Immédiatement, en Autriche, les responsables ne peuvent être que les Serbes.

 

Les armes et les moyens d'arriver en Bosnie-Herzégovine furent fournis par une organisation nationaliste serbe « la main noire ». Celle ci avait certes des ramifications dans l'armée serbe (son chef le colonel Dragutin Dimitrievic était aussi le chef du service de renseignement de l'état-major de l'armée serbe), mais cela n'implique pas forcément le gouvernement serbe. « Pour les dirigeants de la Main noire (qui pensaient que cet attentat échouerait comme les autres), c'était surtout un moyen de faire pression sur le chef du gouvernement, Nikola Pasic, qui, après avoir personnifié le courant nationaliste serbe, était maintenant accusé de passivité et de complaisance envers l'Autriche-Hongrie. »

 

Après l'attentat, Pasic fait tout pour essayer d'éviter que la Serbie soit impliquée par l'Autriche-Hongrie. « Or, si Pasic et son entourage exprimaient leurs condoléances et affichaient leur consternation plus ou moins sincère, d'autres membres du gouvernement adoptèrent une attitude tout à fait différente, ainsi que la grande presse d'opposition nationaliste et panserbe. Elle exultait littéralement et félicitait Princip et ses compagnons, qui furent érigés en héros, voire en martyrs, de la cause « yougoslave. » »

 

Les manifestations anti-serbes de l'opinion publique austro-hongroise, poussent le gouvernement à tenter de profiter de l’événement pour « mater la Serbie »

 

7 juillet 1914. Conseil des ministres de l'Empire, qui décide, malgré quelques contestations (peur d'une guerre avec la Russie), d'adresser un ultimatum inacceptable à la Serbie pour pouvoir entreprendre une guerre punitive. Mais pour agir, l'Autriche-Hongrie avait besoin de l'accord de l'Allemagne.

 

Pour Guillaume II « il fallait saisir l'occasion offerte par l'attentat pour brider la Serbie ; veiller à ce que cette affaire reste le fait de la seule double monarchie ; et si l'action austro-hongroise échouait, éviter que l'Allemagne ne soit rendue responsable de ce nouvel échec par ses alliés autrichiens. Cette hantise était commune à la totalité du gouvernement allemand et pesa lourd sur la suite des événements. L'Allemagne n'avait qu'un allié sûr en Europe, qu'il fallait donc ménager, l'allié austro-hongrois. »

 

5 juillet 1914. Le comte Hoyos vient à Berlin pour s'entretenir du projet de représailles envers la Serbie. Il reçoit le plein appui allemand, ce que l'on a appelé le « chèque en blanc ». « Ce qui est frappant à propos de ce chèque en blanc, ce n'est pas tant qu'il ait été signé, mais qu'il ait été blanc. Ce qui s'est passé à ce moment-là est une étonnante « fuite de responsabilité » de la part du gouvernement allemand. (…) le gouvernement allemand laissa tout simplement faire. »

 

Pour l'Autriche-Hongrie, l'important était de développer une politique visant à « affaiblir la Ligue balkanique, d'attirer la Bulgarie et de rendre caduc le mouvement panslaviste tout entier, ainsi que les tendances manifestes de la Russie à « encercler » l'Autriche-Hongrie, grâce à l'alliance avec la France. Mais cette stratégie de longue haleine ne serait possible que si la Serbie, alors la cheville ouvrière de la politique panslave, était anéantie en tant que puissance politique dans les Balkans. »

 

En Allemagne le chancelier Bethmann Hollweg « était de plus en plus persuadé, avant juillet 1914, que l'encerclement tant redouté par les Allemands depuis l’accord franco-britannique de 1904, les crises marocaines de 1905 et 1911, l'échange de lettres de soutien entre Grey (ministre des Affaires étrangères) et Paul Cambon (ambassadeur de France au Royaume-Uni) fin 1912, était maintenant devenu une réalité. De ces soupçons résulta chez lui également la certitude que quelque chose de très grave se tramait aux dépens de l'Allemagne. Le 24 juin, quatre jours avant l'attentat de Sarajevo, il se montrait encore une fois très inquiet sur le comportement de la Russie. » (le décès de sa femme en juin contribue encore à accentuer son pessimisme).

 

« Dans l'ensemble, la conviction des gouvernants allemands était qu'une action rapide empêcherait les autres puissances d'intervenir dans le conflit entre la Serbie et l'Autriche-Hongrie. (… ) ce fut cette attitude que Jagow, le ministre des Affaires étrangères, appela la « localisation du conflit ». Il expliqua son plan dans un long aide-mémoire daté du 15 juillet : « localisation » signifiait que l'Allemagne exigerait que les autres puissances exigerait que les autres puissances ne se mêlent d'aucune manière à ce conflit. En raison de la rigidité du système des alliances et par leur seul jeu, on risquerait, dans le cas contraire, d'être conduit à une guerre européenne. (….) En réalité, la « localisation » fut avant tout, dans l'esprit de Bethmann comme ceux de Jagow et du kaiser, un test de ce que voulaient la Russie et ses alliés. La conviction que la Russie était agressive et qu'elle atteindrait la supériorité militaire dans quelques années était telle que cette crainte a exclu un raisonnement politique plus serein et plus équilibré. Personne à Berlin, semble-t-il ne s'est demandé si cette conception stricte de la « localisation » du conflit – qui ne fut comprise par aucune des autres grandes puissances – n'allait pas faire évoluer la situation vers la guerre. Car exiger que le conflit reste limité à l'Autriche-Hongrie et la Serbie signifiait qu'on se refusait à toute médiation. Exiger que la Russie laisse agir l'Autriche contre la Serbie n'était pas un test, mais un véritable chantage, un chantage majeur, et une prophétie autoréalisarice quand au comportement de la Russie. C'est cette attitude que le chancelier Bethmann-Hollweg a considéré (….) comme « notre devoir suprême ». On ne peut mieux dire ce que ce fut la politique allemande en juillet 1914 : elle traduit un comportement tout à fait hasardeux, voire irresponsable.»

 

Les Autrichiens : lenteurs et ultimatum.

 

« Le grain de sable qui allait tout changer fut la lenteur des réactions autrichiennes qui, en faisant traîner l'affaire pendant près d'un mois, modifia les comportements, en particulier de la Russie. »

 

la décision d’attaquer la Serbie n'est mise au point que le 19 juillet et l'ultimatum n'est adressé que le 23 juillet.

 

L'ultimatum avait été conçu pour être inacceptable. « La Serbie avait quarante huit heures pour accepter des conditions qui faisaient d'elle une sorte de protectorat austro-hongrois. La propagande anti-autrichienne serait interdite, les associations nationalistes dissoutes et, condition supplémentaire, des fonctionnaires austro-hongrois participeraient à la répression du mouvement « subversif ». Le gouvernement serbe fit preuve d'une grande prudence : il acceptait toutes les conditions, sauf la dernière. Le gouvernement austro-hongrois considéra dès lors que son ultimatum était rejeté et, le 28 juillet, l'Autriche-Hongrie déclarait la guerre à la Serbie. Depuis l'autre rive du Danube, son artillerie ouvrait le feu sur Belgrade. »

 

« Le gouvernement allemand n’avait cessé de fustiger la lenteur de l'Autriche-Hongrie à réagir, mais Guillaume II estima que la réponse conciliante de la Serbie était un grand succès, et qu'il n'y avait plus de raison de guerre. A la limite, l'Autriche-Hongrie pouvait demander un gage pour l'exécution des engagements pris. Mais, alliée docile jusque-là, l'Autriche-Hongrie ne suivit pas les avis de modération de l'empereur allemand. D'autant moins que le chancelier Berthmann ne transmit les appréciations du Kaiser que très tardivement (on ne sait pas précisément pourquoi !), et qu'en même temps Moltke fit savoir à son homologue autrichien, Conrad, que l'Allemagne continuerait à appuyer l'action de l'Autriche-Hongrie. Intrusion militaire dans le politique, sans doute, qui a donné lieu à la fameuse exclamation du ministre des Affaires étrangères austro-hongrois, Berchtold : « Qui donc gouverne à Berlin, Bethmann ou Moltke ». »

 

La Russie et la France.

 

Désormais la question qui se pose et celle de la réaction de la Russie. Accepterait-elle le fait accompli comme en 1908 ou réagirait-elle et de quelle manière ?

 

Du 21 au 23 juillet, le Président Poincaré et le Président du Conseil René Viviani sont en voyage officiel en Russie. Poincaré parle de « l'indissoluble alliance » entre le deux pays, ce qui fut particulièrement entendu en Russie.

 

« Le ministre des Affaires étrangères russe, Serguei Sazonov, et le tsar Nicolas II étaient pacifistes. L'attentat de Sarajevo et la disparition de François-Ferdinand, plutôt considéré comme un adversaire de la Russie, n'avaient pas suscité une émotion excessive. Une mise en garde ou des sanctions contre la Serbie auraient pu être tolérées, mais l'ultimatum si tardif allait changer la donne, dans la mesure où l'attentat n'avait pas donné lieu immédiatement à des représailles limitées dans l'espace et dans le temps. La Russie ne pouvait pas laisser accabler la Serbie sans réagir : ce qui aurait été ressenti comme une nouvelle humiliation nationale ne pouvait être accepté ni par les chefs de l'armée, ni par l'opinion publique – du moins celle des villes, l'immense paysannerie étant indifférente à tout cela -, ni par un gouvernement dominé par son ministre de l'intérieur, Nicolas Maklakov, un nationaliste assez agressif (…) C'est finalement la Russie qui, la première de toutes les puissances, fit appel à l'armée en décidant le 24 juillet de mobiliser quatre districts militaires (en évitant de mobiliser le district de Varsovie, ce qui aurait directement menacé l'Allemagne). »

 

De la mobilisation générale de la Russie à la guerre.

 

« On ne sait pas exactement à quel moment précis le gouvernement allemand a connu la décision de mobilisation générale en Russie, mais avec elle les dés étaient jetés »

 

« A la suite de la déclaration de guerre de l'Autriche-Hongrie à la Serbie, le ministre russe des Affaires étrangères, Sazonov, avait abandonné sa politique pacifiste. Le Tsar Nicolas II fut soumis à une telle pression qu'après plusieurs refus, le 30 juillet, il se laissait arracher l'ordre de mobilisation générale.

 

La décision russe, prise sans consulter la France, mais en étant persuadé de son appui à la suite de la déclaration de Poincaré et de l'ambassadeur Paléologue, était d'une extrême gravité. L'Autriche-Hongrie, qui jusque là avait espéré que le conflit resterait local, décrétait sa propre mobilisation générale le 31 juillet, environ dix huit heures après la décision russe. La mobilisation russe a bien précédé la mobilisation autrichienne. »

 

« L'action de la Russie fut déterminante. Vu son extrême supériorité technique, l'Allemagne n'aurait pas dû s'inquiéter exagérément d'une mobilisation qui de toute façon serait lente, mais ce ne fut pas l'avis des généraux et, dans une certaine mesure, de l'opinion publique. L'empereur Guillaume II et le pouvoir civil, encore hésitants, furent littéralement bousculés par les généraux, qui jusque-là étaient restés sur la réserve. Ces derniers estimaient (à juste titre) que, pour réaliser le plan Schlieffen – lequel, fort audacieux , prévoyait d'en finir avec la France, avant de se retourner contre la Russie -, chaque jour comptait. »

 

« Moltke a voulu imposer le point de vue militaire. Le 30 juillet, il demanda de procéder d'urgence à la mobilisation, alors que Bethmann Hollweg souhaitait à tout prix attendre la mobilisation générale russe, pour, comme il l'avait dit et répété depuis le 28 juillet, y être obligé par les nécessités de la défense nationale et obtenir ainsi le soutien des sociaux-démocrates. Mais Moltke était tellement décidé qu'il prit l'initiative, le 30 juillet vers 14 heures, de demander au représentant militaire autrichien à Berlin que la mobilisation générale en Autriche-Hongrie ait lieu immédiatement, pour forcer le gouvernement allemand à en faire autant. »

 

La Russie sommée d'arrêter sa mobilisation refusa et l'Allemagne lui déclara la guerre le 1er août vers 19h.

 

2 août 1914. les troupes allemandes pénètrent au Luxembourg et exigent le libre passage en Belgique.

 

3 août 1914. L'Allemagne déclare la guerre à la France. (On peut noter qu'à partir du moment ou l'Allemagne avait violé la neutralité du Luxembourg, elle était entrée dans une logique de guerre contre la France).

 

« Qu'avait fait la France en ces jours ? Pas grand-chose. Comme l'a écrit l'historien britannique John Keiger, elle suivit une « politique au fil de l'eau » et fut l'une des plus « passives » des grandes puissances. »

 

Le voyage du Président Poincaré en Russie (il n'arrive en France que le 29 juillet) qui le coupe en partie de l'information.

 

Le procès de Mme Caillaux qui détourne l'attention sur la situation internationale.

 

Au Royaume-Uni, le pays est dirigé « par le libéral Herbert Asquith, très pacifiste, comme les milieux d'affaires de la City. Malgré l'Entente avec la France et la Russie, il n'était pas question de s'engager automatiquement, surtout dans ce qui était au départ une affaire balkanique, une affaire serbe. Car on avait en Angleterre un grand mépris pour la Serbie. Ce fut d'ailleurs la principale erreur de calcul des dirigeants allemands qui espéraient que le Royaume-Uni n'interviendrait pas. (…) On a l'habitude de dire que c'est l'invasion de la Belgique qui bouleversa brutalement l’attitude britannique. En réalité, ce n'est pas à proprement parler pour la Belgique que l'Angleterre allait entrer en guerre, mais parce qu'une victoire de l'Allemagne dans l'Ouest de l'Europe aurait impliqué un bouleversement de l'équilibre européen inacceptable pour elle. Le 4 août, le Royaume-Uni déclarait la guerre à l'Allemagne. »

 

« Le comportement de Grey, qui dirigeait les Affaires étrangères britanniques depuis 1905, changea beaucoup au cours de la crise, ce qu'on lui a reproché amèrement après la guerre. On a alors estimé qu'une attitude plus ferme de l'Angleterre aurait pu conduire l'Allemagne dans le sens de la négociation. En vérité, Grey a évité toute prise de position, jusqu'à l'ultimatum de l'Autriche-Hongrie. (….) En fait le gouvernement britannique pensait, au début de la crise, laisser l'Autriche punir la Serbie, espérant que l'affaire resterait localisée – ce qui a conforté la stratégie allemande. »

 

Pourquoi la guerre ?

 

« Parmi tous les dirigeants européens, monarques ou gouvernements civils, monarques ou gouvernements civils, personne ou presque ne souhaitait la guerre. Pour autant, aucun homme d'Etat n'a eu l'envergure ou la capacité de bloquer ou de ralentir le mécanisme qui menait à la guerre. (….) Le fait que les grands peuples européens aient été partagés en deux camps, la Triple Alliance et la Triple Entente, était un signe inquiétant, même si l'adhésion à ces deux groupes n'impliquait aucunement une participation automatique au conflit. »

 

« A défaut des dirigeants, les peuples étaient-ils bellicistes ? »

 

« Du côté des français, si l'idée de revanche était en grande partie effacée, le regret d'avoir perdu les deux provinces d'Alsace et de Lorraine (du Nord) était toujours vivant. Mais la crainte de la guerre existait, et expliquait le retour aux trois ans de service militaire en 1913, dans un pays d'ailleurs extrêmement divisé sur la question. »

 

« La situation du peuple allemand était différente, ne serait-ce que pour des raisons géographiques. Pour une Allemagne placée entre les deux alliés, la France à l'Ouest et la Russie à l'Est, la crainte de l'encerclement était sensible. En outre, il arrive souvent que les opinions ne se forment pas seulement en fonction des réalités. Or, l'opinion allemande était assez largement convaincue (ce qui était totalement erroné) que la France se préparait à attaquer l'Allemagne à la première occasion. »

 

« Alors que, pour la plupart des pays européens, l'Allemagne fut considérée comme l'agresseur, l'opinion allemande pensait le contraire ; en prenant l’initiative, elle ne faisait en réalité que se défendre. »

 

« Dans le déclenchement de la guerre, tout n'a cependant pas été du domaine de la fatalité ou de l'impuissance. Les milieux militaires ont, à partir d'un certain moment, joué un rôle décisif. Toutes les armées européennes étaient persuadées qu'une guerre éventuelle serait certes terrible, mais fondée sur l'offensive, et que tout serait réglé en quelques semaines à la suite d'une ou de plusieurs grandes batailles. La condition essentielle était de ne pas être en retard par rapport à l'adversaire éventuel. (….) Il y avait trois grandes forces militaires en Europe : l'allemande, la française et la russe. Or, leurs chefs étaient par métier bellicistes – nous sommes encore à une époque où faire la guerre est dans l'ordre des choses – et, à partir du moment où ils estimèrent avoir la parole, ils pesèrent autant qu'ils le purent sur les gouvernements civils. En France, le général Joffre, chef d'état-major depuis 1911, n'était pas un pacifiste comme pouvait le faire croire une apparence bonhomme. (…) Pendant la crise, il multiplia les mises en garde auprès du gouvernement contre le risque d'un éventuel retard. Il fut tout à fait opposé à la décision du gouvernement, le 30 juillet, de maintenir à 10 km de la frontière pour manifester la bonne volonté française et éviter les incidents fortuits. (…) Du côté russe, ce fut également l'état-major (avec l'aide de Sazonov, lequel avait changé de camp) qui arracha au tsar très hésitant l'ordre de mobilisation générale »

 

« Mais le rôle décisif fut joué par le chef d'état-major allemand, le général Helmuth von Moltke (…) chef de l'armée allemande depuis 1906. Il était un partisan convaincu de la guerre, au moins depuis 1912, après la crise d'Agadir. « La guerre était inévitable » et « le plus tôt serait le mieux ». Depuis le début de la crise, l'état-major allemand agissait auprès de son homologue austro-hongrois pour qu'il refuse tout compromis, faisant pression sur les autorités civiles, c'est à dire sur le chancelier Bethmann Hollweg, afin de prendre des mesures contre la Russie, et déclarant qu'il fallait commencer par se débarrasser de l'armée française. »

 

Il ne faut pas oublier que la réussite du plan Schlieffen qui devait permettre de vaincre la France puis la Russie reposait sur la lenteur de la Russie à mobiliser ses troupes. Le facteur temps était donc essentiel pour l'Allemagne.

 

« Si les militaires allemands n'ont pas été maîtres des décisions politiques au moment le plus aigu de la crise, les décideurs politiques ont été très influencés par les avertissements des militaires. Un climat de risque de guerre s’était développé, et ce sont bien les chefs des armées qui ont provoqué l'éclatement de la guerre, en bousculant des pouvoirs civils hésitants ou tétanisés. »

 

« Une étude attentive de la crise de juillet montre que l'issue qu'elle a connu n'était pas inévitable. Il est clair que la plupart des dirigeants européens ne souhaitaient pas ce conflit et que des acteurs aussi importants que les empereurs Nicolas II et Guillaume II ont très fortement hésité à certains moments. La crise de juillet aurait pu s'achever comme bien d'autres crises antérieures et le sort du monde en aurait été changé. Pourquoi n'en fut-il pas ainsi ? Parce que des éléments qui n'étaient cependant pas nouveaux se sont combinés et ont primé. Il en fut ainsi des sentiments nationaux qui, tant en Russie qu'en Allemagne, n'ont pas été négligeables. Parce que, si de larges parts de l'opinion publique et des forces politiques – en particulier les socialistes, qui représentaient une force grandissante dans différents pays – avaient à leur programme la lutte pour la paix n'était pas encore devenue le mal absolu. Même si le procédé était de plus en plus rejeté, recourir à la guerre était une loi de l'histoire, une habitude. Quand on avait épuisé ou qu'on croyait avoir épuisé toutes les solutions, la guerre restait la solution. »

 

« Un dernier élément est à prendre en compte : on disait qu'une guerre européenne serait terrible, mais pas plus les militaires que les civils n'avaient idée de ce qu'elle serai. Il fallut plus de quatre ans pour qu'on le devine. »

 

Fin 



28/09/2014
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