Becker (A). Les monuments aux morts

 

LES MONUMENTS AUX MORTS :

MEMOIRE DE LA GRANDE GUERRE.

 

Annette Becker

 

Edts Errance, 158 pages.

 

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Introduction. Les reliefs des Chauffours.

 

Près du village de Thiescourt les grottes des Chauffours ont abrité un hôpital de campagne. Le site peu connu regorge de sculptures et de graffitis laissés par les soldats. C’est un « Lascaux de la Grande Guerre ».

 

« Cet ensemble n’est hétéroclite qu’en apparence : tous les thèmes qui, de cimetières militaires en monuments aux morts, m’ont frappé pendant mon enquête à travers la France des champs de bataille s’y retrouvent. Les parois des grottes de Chauffours livrent des images de combattants patriotes, de femmes héroïsées ou fantasmes sexuels, d’étrangers, ici ennemis, et d’un sentiment religieux qui unit et rassure devant le drame de la guerre. » (p 7)

 

« Après la guerre, les monuments aux morts, œuvres sophistiquées d’artistes célèbres ou expression simple du patriotisme des Français et de leur volonté unanime d’honorer leurs morts, reprennent d’une manière ou d’une autre ces thèmes que les soldats artistes de Chauffours ont gravé au soir d’une blessure (…) Rassembler et tenter de comprendre ces images des places publiques, des cimetières, des murs et des rues, tel est le but de ce livre. » (p 7)

 

Chapitre I. Un univers d’hommes : les combattants.

 

Le mensuel « L’art funéraire et commémoratif » qui paraît à partir de mai 1919 lance une pétition nationale pour le rapatriement des corps par les familles, ce qui est accordé dès août 1920. »

 

« Dans cette perspective, les monuments aux morts souhaités ne sont pas des tombeaux mais des tableaux d’honneurs destinés à proclamer les noms de ceux qui sont tombés au Champ d’honneur. Les plaques gravées vont remplacer les premières listes dactylographiées qui avaient été apposées dans certaines mairies pendant le conflit. Ce sont les autorités communales ou les Anciens combattants qui se préoccupent de l’érection des ces monuments civils/civiques. » (p 9)

 

« Les noms sont presque toujours gravés par ordre alphabétique, parfois dans l’ordre chronologique des années de guerre, les grades sont rarement indiqués. Cela donne un aspect égalitaire, unificateur, aux monuments. Les officiers n’y apparaissent pas, toute la hiérarchie est gommée. Tableau d’honneur sans premiers et sans derniers, les monuments sont aussi des tombeaux vides, symboliques : des cénotaphes. » (p 9-10)

 

Quels monuments ?

 

« La symbolique dépouillée des stèles en pierres a été choisie pour la majorité des monuments. Le manque d’argent des petites communes, joint aux penchants esthétiques du temps, expliquent facilement ce choix. ». (p 10).

 

« La volonté civique égalitaire, ainsi que le manque de fonds a poussé de nombreuses communes au choix de la simple stèle de pierre. C’est avec des formes antiques, l’obélisque, la pyramide, le fronton, bases de la grammaire des styles néo-classique, qu’on célèbre le sacrifice des héros. L’esthétique douteuse de la statuaire académique, limitée jusqu’à la Première guerre mondiale aux places publiques des grandes villes et des cimetières, envahit la France entière à partir de 1919 » (p 10).

 

Les palmes rappellent à la fois le goût pour l’antique mais aussi le symbole du martyre.

 

Les coqs rappellent que le « mythe dû à l’homonymie latine Gallus/Gallia est encore bien vivace au XXe siècle. »

 

La présence d’obus autour des monuments. « Il y a comme un paradoxe amer de voir ces objets de mort devenus objets décoratifs pour la demeure, même symbolique, de ceux qu’ils ont envoyés à trépas. Ces signes de mort, fichés comme des trophées donnent une signification belliqueuse aux monuments, et pourtant, d’une certaine façon rassurent. Pas de mort inconnue, incompréhensible, l’art de l’industrie de guerre a rejoint l’art de la commémoration. » (p 11-12).

 

Des monuments, mais où ?

 

1916 à l’initiative de Jean Ajalbert, création d’une association patriotique présidée par Jean Richepin « La Reconnaissance nationale ».

 

Jean Ajalbert par ailleurs publie un livre « Comment glorifier les morts pour la Patrie ? » dans lequel il dresse un bilan des suggestions qui lui ont été faites. « Tous ont la conviction de l’absolue nécessité d’exprimer publiquement sa gratitude face aux sacrifices perpétuant la mémoire des morts. » (p 12).

 

Un problème se pose aux communes, le choix de l’emplacement qui provoque parfois des tensions entre « la chapelle et la mairie ». En Bretagne du fait de la force du catholicisme, choix massif du cimetière. Dans le reste de la France, le choix oscille entre la place de l’église et la place de la mairie. Dans certains cas on peut trouver un troisième pôle : l’école.

 

« Dans les villes ayant des fortifications plus ou moins anciennes, le monument y est souvent adossé, comme un rappel de sa symbolique militaire. » (p 12).

 

Parallèlement les prêtres ont pu faire apposer des plaques dans les cimetières ou dans les églises.

 

Quels combattants ?

 

« Les obus ne sont pas les seules armes utilisées sur les monuments ou autour d’eux. Le réalisme d’un grand nombre de représentations permet de connaître précisément l’uniforme du soldat, son équipement au complet. Que les poilus soient représentés au combat, ou de garde dans la tranchée, ou blessés, ou mourants, qu’ils soient de bronze, de fonte, de pierre, de plâtre, de marbre, tous sont armés d’un fusil. Ils le brandissent s’ils sont saisis dans l’action. Parfois ils s’appuient sur l’arme, le regard mélancolique. » (p 21).

 

« Les représentations des poilus vont ainsi de la plus belliqueuse, le soldat à l’attaque, à la plus désolée, le soldat mort dont le fusil désormais inutile dort lamentablement à ses côtés. Les poilus sont les plus nombreux sur les monuments à sujet, ils sont au centre de la commémoration comme ils furent au centre des combats de la guerre. » (p 21)

 

« Monuments funéraires, monuments patriotiques ? Ces œuvres d’art, comme la guerre elle-même, défient la typologie raisonnable de l’historien. De nombreuses représentations hésitent entre la description de l’héroïsme et celle de l’horreur parce que les deux notions ont toujours été mêlées dans la réalité des champs de bataille. » (p 22)

 

« Les commanditaires et les sculpteurs des monuments aux morts ont tenté de respecter au mieux la contradiction qu’ils avaient à illustrer. Ils voulaient honorer les morts, tout en glorifiant la jeunesse, la vie, le mouvement, qui étaient leurs auparavant. Le moment était venu de pleurer, car ils étaient morts, mais aussi de se réjouir, parce qu’ils avaient été braves. » (p 22)

 

Quels sculpteurs ?

 

Maxime Réal del Sarte. « Il était connu dès avant guerre pour son appartenance aux Camelots du Roi dont il fut le premier président. Ce royaliste convaincu a perdu un bras aux Eparges en 1916 et son frère en 1917. Sculpteur, il célébré les morts en une cinquantaine de monuments que l’on retrouve dans la France entière. Deux types de monuments sont dus à Réal del Sarte : les monuments aux morts proprement dits et les sculptures sur les champs de bataille. »

Ses deux œuvres les plus connues.

 

1. Terre de France. Il s’agit de son premier monument et il est exposé au salon de 1919. Il est commandé par de nombreuses municipalités dont celle de Saint Jean de Luz. « Une paysanne, pieds nus, un foulard sur la tête, vient déposer des épis de blé sur la tombe de son fiancé « mort pour la France. » » (p 24)

Pour le monument de Compiègne, la femme est vieillie et tient un enfant par les épaules.

« Pour l’observateur d’aujourd’hui, la volonté du sculpteur ne semble pas faire de doute. La veuve à la tête tristement penchée vers la tombe, l’enfant est songeur devant la peine de sa mère. La tombe au milieu des blés insiste sur le gâchis, la jeunesse fauchée. Réal del Sarte serait-il un artiste « implicitement pacifiste » ? Réal a travaillé à la mémoire de son frère Serge. Et la vie toute entière du patriote royaliste Réal del Sarte apporte un démenti suffisant à cette interprétation. » (p 24).

« Son monument représente simplement une femme, le fichu sur la tête comme pour se rendre à l’église, en prière sur la tombe. La tombe est bien là, l’homme est bien mort, mais les moissons nouvelles sont hautes, les épis mûrs se courbent vers la croix, la vie tient à faire oublier la mort. » (p 27).

Réal del Sarte a été imité dans de nombreux monuments aux morts comme celui de Nampcel (60) réalisé par le sculpteur Cladel ML en 1926.

 

2. Je t’ai cherché. Dans cette sculpture, Réal del Sarte exalte la mort sacrifice. « Il fait du poilu un nouveau Christ, du linceul dans lequel sa mère l’enveloppe un suaire ; le laurier de la couronne remplace les épines. Le premier vers d’un sonnet de Charles Maurras « Je t’ai cherché sous le ciel qui tonne » donne son titre à l’œuvre. » (p 27).

 

Réal del Sarte réalise aussi deux grands monuments destinés à des champs de bataille.

 

- Le monument de la ferme Navarin dédié aux morts des armées de Champagne (1924).

- Le monument des Eparges où il a été blessé (1935).

 

Charles Henri Pourquet. « Aujourd’hui, si l’on pense que les monuments aux morts sont une forme d’art ringard et dépassé, les poilus de bronze de Charles Henri Pourquet donnent trop facilement raison. » (p 29)

Ses œuvres.

- Mais tirez donc les gars.

- Poilu terrassant l’aigle.

- Résistance.

- Buste de poilu dans le drapeau.

 

Quels morts, quelles morts ?

 

« Sur la plupart des monuments, graver le mot mort a semblé suffisant, et on n’a pas représenté la mort, les morts (…) Les seuls monuments aux morts, au sens littéral du terme, sont ceux qui représentent les morts ou la mort. S’ils sont rares, c’est que la réalité a été difficile à assumer. L’allégorie triomphante ou le fusil brandi étaient plus supportables, dans les années d’après guerre, que le réalisme éclatant. On dirait même que les sculpteurs ont d’autant plus respecté les détails (…) qu’ils voulaient repousser l’essentiel, la mort, le néant. » (p 32).

 

Les armes sont donc représentées sur un grand nombre de monuments (en particulier obus et fusils). « Toutes ces représentations d’armes sont des métonymies : la mort est remplacée par les créations guerrières qui l’ont provoquée. » (p 41)

 

Concernant les cimetières deux politiques différentes ont été mises en place :

 

- Les Anglais choisissent des inhumations par petits groupes de quelques dizaines ou centaines de tombes près du lieu où ils sont tombés.

 

- Français, Allemands et Américains ont créé d’énormes enceintes regroupant des milliers de corps.

 

Les religions ont été respectées en France, Allemagne et USA.

- Stèle arrondie avec inscription en hébreu pour les Juifs.

- Stèle en arabesque avec inscription arabe pour les Musulmans.

- Croix latine pour toutes les autres religions.

 

Par contre les Anglais ont choisi des stèles religieusement neutres.

 

Concernant les soldats juifs allemands tombés durant la 1ere Guerre mondiale, il n’y a pas eu de politique de destruction systématique durant l’occupation.

 

« Si l’étoile de David représente bien toujours le judaisme, les millions de croix ne sont pas vues comme le symbole du sacrifice du Christ. Elles sont la trace de la mort en Europe occidentale. Les cimetières militaires, bien plus que les monuments aux morts, sont le lieu de la mort. Installés sur les champs de bataille, à la place des trous d’obus et des tranchées, ils sont devenus parcs paysagers (….) Tout concourt au calme et à l’oubli. La mort est plantée, croix après croix, stèle après stèle. Mais ce n’est pas une mort répugnante, réelle. C’est une mort transfigurée devenue jardin. » (p 43)

 

Sur certaines tombes des parents ont laissé une photo du disparu gravée dans des plaques d’émail. Mais pour des raisons d’unité de l’ensemble, ces plaques ont été enlevées par les gardiens. Seules les fleurs fraîches sont autorisées par la loi (par contre on peut retrouver ces plaques sur les tombes familiales, dans les églises). On peut aussi trouver ces plaques au pied de certains monuments aux morts.

 

Les sculpteurs qui ont choisi de représenter des morts représentent peu le mort/cadavre mais le plus souvent un mourant toujours en vie. C’est la mort du soldat au combat qui est le plus souvent représentée.

 

Chapitre II. Messages dans la pierre : les morts parlent aux vivants.

 

La guerre n’était pas leur métier.

 

« Après la guerre les institutions ont tenu à honorer leurs morts, à les revendiquer comme leurs héros propres. On trouve des plaques commémoratives dans les gares, les postes etc… Tous les groupements socioprofessionnels ont suivi le même rite. Aujourd’hui les usagers n’y font plus guère attention, d’autant plus que ces plaques sont souvent moins visibles que celles qui ont été apposées après la Deuxième guerre mondiale. »

 

En particulier de nombreux monuments dans les écoles normales d’instituteurs pour honorer la mémoire des 15.000 morts sur 30.000 mobilisés. «Ces monuments sont une glorification de l’école de la Troisième République. Oui l’école laïque gratuite et obligatoire avait porté ses fruits. » (ENS Ulm compte 230 élèves ou anciens élèves morts dont 41% des élèves en cours de scolarité).

La faculté de médecine honore ses 1800 médecins morts durant la guerre mais pas ses infirmières.

 

La guerre dans l’histoire, l’histoire de la guerre.

 

Le monument de Nice est une réplique du trophée des Alpes, sanctuaire de 6 av JC qui célèbre la victoire d’Auguste sur les peuples des Alpes. « Dignes descendants des Romains, et pas des Gaulois, Nice n’était elle pas italienne jusqu’en 1860 ? Les Niçois mettent en perspective historique leur engagement dans le conflit mondial. Ils ne sont pas les seuls. L’histoire des héros français, donc Gaulois de préférence, est très présente sur les monuments. Les villes s’approprient les faits d’armes du passé, la bravoure ultime et les proposent en exemple à leurs concitoyens. » (p 50).  

 

Héros et héroïnes au service du présent.

 

« Les monuments sont à l’image d’une histoire par les grands hommes. Les évènements les plus reculés sont représentés par des héros individuels, comme dans les manuels scolaires du temps. » (P 51)

 

- Utilisation de la figure de Vercingétorix ou d’un Gaulois (en particulier dans la Loire).

 

- Clovis à Soissons.

 

- Jeanne d’Arc. « Béatifiée en 1909, Jeanne d’Arc sera canonisée en 1920. Le culte que lui vouèrent les soldats pendant la guerre a sans doute son importance. » Maxime Réal del Sarte en a sculpté une quarantaine de monuments dont celui de Rouen.

 

- Moyen Age et ses chevaliers (Coucy le Château en particulier).

 

- Par contre on note une quasi absence de la Révolution française, de la levée en masse de 1793.

 

- Saint Quentin semble la seule ville à évoquer la défaite de 1871 (en plus de celle de 1557 face à Charles Quint). « Cette volonté de montrer la mort donne un aspect anti guerre au monument.

 

- La naissance de la 3e République n’est pas représentée sur les monuments. Les dizaines d’allégories de la Victoire et de la Liberté la remplaçaient. Il n’était pas nécessaire de glorifier la République sur les monuments puisque ces derniers en étaient eux-mêmes l’illustration. » (p 55).

 

Une République une et indivisible.

 

« On a souvent utilisé des symboles animaux pour décrire cette guerre. Le coq a terrassé l’aigle contre toute attente biologique. Un autre aigle, américain, allié du coq, vient remettre la nature en ordre. Les colombes de la paix volettent autour des héros. Les chiens, fidèles comme il se doit, accompagnent les poilus jusque dans les tranchées. Le pélican n’hésite pas à nourrir ses enfants de ses propres entrailles. Il représente le sacrifice ultime. Quand aux lions, ils disent la ténacité et la grandeur, comme le glorieux ancêtre de Belfort. A Verdun seulement, le roi des animaux est couché. Il est pathétiquement placé à l’endroit de l’avance extrême des Allemands. » (p 55).

 

La victoire en chantant.

 

Présence de la croix de guerre sur des milliers de monuments aux morts. Certains monuments célèbrent la victoire de 1918 : Narbonne, Soissons. D’autres monuments tentent de réparer des erreurs commises durant la guerre comme à Vingré ou un monument rappelle le souvenir des fusillés de Vingré.

Par contre le mémorial de Rethondes est détruit par les Allemands en juillet 1940. Le wagon de l’armistice est emmené à Berlin et la clairière saccagée.

 

Chapitre III. Et les civils ?

 

« La guerre n’a pas fait de tous les Français des combattants. Mais, parents, épouses, enfants des soldats, ils ont tous participé au conflit. Sans les civils, jamais la guerre n’aurait été possible, ni matériellement, ni psychologiquement. Femmes, enfants, vieillards, ni leur sexe, ni leur age ne leur ont permis la mobilisation. Sur le front de l’amour, de la douleur et du travail, on leur a demandé beaucoup. Les monuments sont ils les témoins de leurs cinq ans d’effort. » (p 59)

 

Dans les départements occupés par les Allemands on trouve souvent sur les monuments les listes de civils morts durant le conflit.

 

La femme comme symbole : les allégories.

 

« Sur les monuments figuratifs, si l’on excepte les scènes typiquement guerrières, des femmes sont presque toujours présentes casquées, voilées, vêtues à l’antique, elles sont moins des femmes que des symboles féminins de la victoire, de la liberté, de la République, parfois de la guerre. Perchées sur les monuments de la victoire, elles sont les héritières des statues diverses nées avec la Révolution française et développées par la 3e République dans ce que Maurice Agulhon appelle la « statuomanie » (p 59)

 

Aristide Maillol utilise des figures féminines pour tous ses monuments sauf pour celui de Banyuls où il représente un guerrier mort. Il reprend des statues féminines qu’il a déjà réalisées, mais il habille ces statues pour éviter tout scandale.

 

Absence de Marianne qui est le plus souvent remplacée par la Victoire ou la Liberté. « Les combattants ont prouvé de leur sang leur attachement à la République. Les célébrer, c’est glorifier la Patrie à travers eux ». Par contre Marianne est souvent présente sur les monuments glorifiant les étrangers venus mourir pour la France. « Ils ont besoin d’identifier ainsi la Patrie. »

 

« Formés à l’académisme, les sculpteurs ont du faire passer un nouveau message, la guerre, la mort, avec de vieilles habitudes, celles de l’allégorie. Les idées abstraites de liberté, de droit, nées avec la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis, et la Révolution française, ont traversé les dix huitièmes et dix neuvième siècles pour assumer le chaos et la boucherie du début du vingtième. Il fallait faire du beau, du grand avec du sang et des larmes. L’allergie féminine offrait aux artistes la facilité d’un langage connu, déjà décodé. Elle avait aussi l’avantage de laisser la femme à une place, celle du symbole, où elle ne risquait pas de revendiquer la moitié du monde. »

 

Ces allégories féminines sont souvent présentes dans des constructions monumentales complexes. Elles occupent le sommet du monument alors que poilus et civils peuvent être présents dans la partie inférieure du piédestal.

 

La mère et ses enfants.

 

« La France des monuments aux morts se montre sous un jour malthusien. On ne représente pas plus de un ou deux enfants. Les mères ne sont pas enceintes, entourées de familles nombreuses, le dernier né sur les bras. Petits garçons et petites filles ont entre quatre et dix ans, ce sont des enfants d’avant guerre, ou des premières permissions. Orphelins qui n’ont connu leur père qu’en uniforme, ils épellent son nom, le leur sur la liste gravée. Leur mère est fière du sacrifice de leur père. »

 

« Si l’enfant est trop petit pour comprendre la leçon d’héroïsme, ou si c’est une fille, on lui apprend le chemin de la tombe. Généralement accompagné de leur mère, ces enfants viennent auprès de leur père mort, les bras chargés de fleurs. Une croix, un casque, une palme, c’est tout ce qui reste du « héros au sourire si doux. »

 

« De nombreux monuments ont retenu la douleur comme unique destin des femmes et des parents. »

 

En Bretagne de nombreux monuments mettent en scène des femmes en pleur, de vieux parents en prières (en particulier œuvres de René Quillivic).

 

« Les jeunes veuves sont transformées en déesses de la douleur. Entourées de voiles qui cachent leur visage mais mettent en évidence la beauté de leur corps, elles refusent désormais de jouir de leurs sens. Elles ne voient plus, elles n’entendent plus un monde qui les a privé de l’être aimé. »

 

Que maudite soit la guerre.

 

Le monument d’Equeurdreville près de Cherbourg, un des rares exécuté par une femme Emilie Rodez porte l’inscription « que maudite soit la guerre ».

 

Même inscription aussi à Gentioux (Creuse) portée par un écolier (il montre le poing à l’inscription). Ce village situé près du camp de la Courtine ne recevait jamais de détachement pour les cérémonies officielles.

 

Autre monument pacifiste mais plus ambigu à Péronne où l’on dénonce l’injustice plus que la guerre « et on pleure les morts à qui l’inscription est dédiée » (œuvre de Paul Auban qui reprend en la modifiant une œuvre de 1908 « l’épave »)

 

« Dans les manuels d’éducation civique de l’après guerre on prend soin d’opposer guerre juste et guerre injuste, pour que les enfants traumatisés par la perte de leur père ne sombrent pas dans un pacifisme dangereux. Les monuments ouvertement pacifistes sont extrêmement rares, cinq ou six dans toute la France. Les monuments de douleur, eux, sont nombreux. Nous avons vu avec les œuvres se Maxime Réal del Sarte qu’il ne faut pas les confondre avec le pacifisme, au risque d’un contre sens ».

 

Il a fallu fuir la guerre.

 

De nombreux monuments dans les départements envahis ou occupés rappellent les souffrances des civils (otage, déplacement, destruction, exécution, résistance).

 

Travailler malgré la peine.

 

Les femmes qui ont participé à l’effort de guerre, en poursuivant l’exploitation des fermes, mais aussi en travaillant dans les usines de munition, sont peu souvent représentées sur les monuments aux morts.

 

Le rêve du poilu.

 

« Les monuments aux morts ont complètement gommé cet aspect de la guerre (besoin d’amour et de tendresse). Les femmes y sont vierges comme des saintes, hautaines dans leur chagrin de veuves, figées dans leur sens du devoir. On sent combien ces œuvres sont une reconstruction idéologique. Les sculpteurs ont réussi ce qu’on leur demandait : ressusciter l’Union sacrée et l’Union des familles, par delà le drame. Si on se permet de représenter une femme belle, désirable, elle est si absorbée dans sa douleur que l’on n’oserait pas avoir envie de la prendre dans ses bras. Les couples sont formés de poilus sans désirs, sinon pour la France et de veuves à jamais tournées vers des amours mortes. » (p 84)

 

Chapitre IV. La patrie comme passion.

 

1914. Pasteur Vallery-Radot décrit ses combats dans un ouvrage « Pour la terre de France » qui sera censuré jusqu’en 1917.

 

« Pour André Latreille « le catholicisme fut l’armature du patriotisme français ». Le lecteur de ces lignes ne saurait le contredire. Comme beaucoup de combattants catholiques, Vallery-Radot vit sa mission de soldat comme une passion. Plutôt que de catholicisme je préfère parler ici de spiritualité. L’engagement pour la France prend chez certains un tour mystique qu’ils énoncent selon leur foi, qu’elle soit chrétienne, juive ou patriotique. » (p 93)

 

La passion du soldat.

 

« « Leur sacrifice a sauvé la patrie et la liberté » (Soissons), « A nous le souvenir, à eux l’immortalité » (Lémé). Le vocabulaire des inscriptions est clair. Les soldats ont offert le sacrifice le plus noble, celui de leur vie. Le terme à connotation religieuse est employé pour glorifier un don pourtant hautement laïque, civique. Les anti cléricaux les plus notoires de la Troisième République n’ont-ils pas forgé les termes « Union sacrée » ou « foi patriotique » ? La Marseillaise ne les invitait-elle pas à cet « amour sacré de la Patrie ». (p 94)

 

« Le catholicisme français profite de la guerre pour étendre son message. 25.000 prêtres sont mobilisés, 5000 sont tués. « Proches des hommes jusque dans la mort, ils ont encore et encore répété le message du Christ. » (p 94)

 

« Le soldat mort est il un nouveau Christ ou a-t-il gagné sa place à côté du Christ ? Les monuments d’après guerre hésitent entre les deux interprétations. »

 

« Charles Henri Pourquet propose dans son catalogue de sculpture une plaque commémorative pour églises. Au pied d’un calvaire un soldat gît. Des rayons de gloire environnent le Christ. Des palmes posées sur le héros mort leur répondent symétriquement « à la gloire de Dieu et à la mémoire des soldats qui ont donné leur vie. » Pour une exposition d’art chrétien en 1919, Pourquet présente un monument aux morts. Dieu – Patrie. Aux pieds d’un Christ en croix, un poilu, les bras chargés d’oriflammes, gît. La Vierge de douleur se penche vers le soldat. Ce n’est pas son fils, Jésus qu’elle regarde, mais son image, le nouveau sacrifié. » (p 96)

 

La passion des parents du soldat : l’école de la Vierge.

 

« A chaque soldat sa mater dolorosa. Elle l’a enfanté dans la douleur, elle l’a perdu dans la douleur. Il repose à tout jamais, sur les genoux de sa mère. Les bras de l’enfant tombent. Fragiles et fortes à la fois les vierges des monuments soutiennent des corps d’hommes, rendus plus lourds par l’inertie de la mort. Elles ont confié leurs fils en uniforme à la Patrie. Elle les leur rend, sacrifié. La peine est-elle plus supportable de savoir que l’on imite la Vierge Marie ? » (p 97).

 

« Marie, Ô mère de consolation. Pendant toute la guerre on a attendu d’elle des miracles. » (p 99)

 

 

Les réconforts de la religion : aider à supporter la mort.

 

 

« Pour un chrétien comme Albert de Mum « Toute renaissance de vie guerrière dans une nation s’accompagne d’une renaissance de vie religieuse. ». La guerre stimule la foi. L’Eglise a tenté de canaliser cette ardeur spirituelle renouvelée. La tâche se révèle d’autant plus indispensable que la guerre c’est la mort. Le besoin d’un discours consolant grandit avec l’horreur des statistiques. Après la guerre, la construction des monuments aux morts participe du même élan spirituel. S’ils sont avant tout destinés à honorer les morts, ils doivent apaiser les survivants. La croix, symbole de la mort, en est rarement absente, même si c’est sous la forme d’une croix de guerre. » (p 100)

 

Dans les régions les plus catholiques, des calvaires ont été parfois transformés en monuments aux morts.

 

« Devant certains monuments aux morts, on a déposé de la terre de Verdun dans un urne. Le symbolisme de la terre sacrée devient évident. Le sang des martyrs a consacré le sol. Les martyrs de la République ont droit à une liturgie copiée sur celle de l’Eglise catholique. » (p 102)

 

Le culte de la Patrie : Le 11 novembre alors et aujourd’hui.

 

Ce qui fit tenir les soldats en 1914-1918 c'est le sens du devoir patriotique face à l'agression allemande. Ce sens du devoir fut appris à l'école et dans leur famille.

 

« Après la guerre, les monuments aux morts, en quelque sorte, capitalisent les efforts fournis. En glorifiant le patriotisme des héros, on atteint deux buts et deux publics. La Patrie reconnaissante remercie les sacrifiés et donne à voir à leurs familles en échange de leur vie. Pour les enfants, les leurs, ou ceux qui vont naître, les monuments ont une allure pédagogique. Ils sont comme autant de manuels d'instruction civique, 36.000 pages glorieuses offertes à la réflexion et à l'admiration des cadets. »

 

Les enfants participent aux cérémonies du 11 novembre. « Tout, de la minute de silence au dépôt des couronnes, est un décalque civique de cérémonies catholiques pour les morts. Le hasard du calendrier ayant placé l'armistice 10 jours après la fête des morts, les cimetières sont évidemment particulièrement soignés, fleuris au moment des cérémonies de la victoire. Le mois de novembre depuis toujours consacré aux morts, et le nombre ahurissant de disparus, ont poussé les cérémonies vers un aspect plus funéraires que victorieux. »

 

Chapitre V. « Des confins les plus éloignés de la terre. ». Étrangers sur le sol français.

 

La Première guerre mondiale a rassemblé dans les combats, des combattants de toutes origines. On retrouve cette diversité dans les cimetières.

 

L'impôt du sang. La défense de l'Empire français.

 

Participation des troupes coloniales françaises, le plus souvent après recrutement forcé. Mais à part quelques révoltes, la plupart des soldats l'ont accepté.

 

Après la guerre d'Algérie de nombreux monuments aux morts ont été rapatriés en France (Tlemcen à Saint Aygulf, Hamman-Bou-Hadjar à Fréjus, Philippeville à Toulouse, Mostaganem à Montpellier, Oran à Lyon La Duchère). « Les monuments de la Première guerre mondiale érigés en Algérie se sont transformés, une fois transportés en France, en monuments aux rapatriés. »

 

« Contrairement à une légende, les troupes coloniales n'ont pas souffert de surmortalité. On ne les a pas plus envoyés au « casse pipe » que les autres. En revanche, les officiers non-européens furent très peu nombreux. De même la commémoration appartient presque toujours presque uniquement aux Français. Les tirailleurs sculptés semblent des alibis plutôt que des ses soldats admirés. »

 

Volontaires de la Liberté.

 

« Cimetières militaires et monuments commémoratifs gardent la mémoire de groupes de volontaires associés à la France dès le début du conflit. »

Volontaires garibaldiens et tchèques au Père Lachaise.

Cimetière tchèque et polonais à La Targette.

 

Alliés du droit.

 

Les cimetières militaires et quelques monuments évoquent la présence de nos alliés russes, italiens, portugais même si leur présence en France fut peu importante.

 

« En implantant les cimetières, on a tenu à affirmer une présence nationale, on l'a rendue très reconnaissable. Ces carrés de tombes transcendent par leur style la régularité habituelle des sépultures militaires (….) Le visiteur est conduit, par l'art des paysagistes et des sculpteurs, sur un espace étranger au sol français. Ces soldats ont fait leur devoir en tant que Russes, Portugais, Italiens, leur mort est bien logiquement affichée comme nationale, le lieu du repos importe peu. »

 

Ces 3 peuples ont insisté sur l'importance du christianisme dans leur composante , en particulier dans la configuration des cimetières qui ressemblent parfois à des sanctuaires (Mourmelon le Grand pour les Russes, Neuve-Chapelle pour le Portugal).

 

A Verdun présence du seul monument de Rodin « L'Appel aux armes », œuvre refusée au concours de 1878 pour célébrer la défense de Paris dans la guerre de 1870. Cette œuvre est retenue en 1916 par un groupe de Hollandais désireux d'offrir une œuvre à la France et à la Lorraine.

 

Their name liveth for evermore.

 

1922, pèlerinage du roi d’Angleterre George V aux cimetières anglais du front. « Les tombes sont uniformisées (rectangle blanc de pierre blanche convexe) mais des détails permettent d'identifier les peuples : feuille d'érable pour les Canadiens, chardon pour les Ecossais, trèfle pour les Irlandais, gazelle pour les Sud-africains. »

 

1921. Création de 7 pépinières pour fleurir les cimetières britanniques.

 

Pour les Britanniques, il n'y a pas regroupement systématique des tombes, mais par contre élévation de mémoriaux là où se trouvent des concentrations importantes de tombes de troupes

 

Mais les Dominions (Afrique du Sud, Australie, Nouvelle Zélande) ont tenu pour leur part à élever des monuments rappelant leur sacrifice. « Aujourd'hui, ces pays devenus indépendants accordent beaucoup d'importance à ces espaces qui sont leurs en terre étrangère. »

 

La Fayette nous voilà.

 

Dès le début du conflit engagement de volontaires américains dans l'armée française. A Paris place des États-Unis, un monument rappelle ce moment.

 

A Château-Thierry, le monument franco-américain illustre l'idée que la république américaine et la république française sont sœurs et quelles sont inspirées par le même idéal.

 

Après la guerre les Américains pour leur part, choisissent le regroupement des corps dans de grands cimetières et ont construits des mémoriaux « à l'échelle du pays, gigantesques ».

 

« En 1923, une commission est chargée des monuments américains des champs de bataille. Elle doit organiser les huit cimetières américains situés en Europe, un en Angleterre, un en Belgique, six en France. Elle se charge aussi de la création de mémoriaux dignes de la République d'outre Atlantique. Des centaines de milliers de dollars sont dépensés pour que « de très grands monuments soient extrêmement imposants. Ainsi on fera des voyages spécialement pour les voir. » Montsec, Montfaucon, Varennes, Château-Thierry, sont désormais surplombés par des œuvres grandioses qui n'auraient déparé ni Berlin, ni Moscou, a Rome de Mussolini. »

 

« La grandeur recherchée par les architectes américains, en particulier Paul Cret, de Philadelphie, appartient à la tradition néo-classique très en vogue aux Etats-Unis. Les colonnades sont toujours à l'honneur, que ce soit sous la forme d'un monoptère ou d'un portique.

Cette architecture d'épopée écrase le visiteur, qui se sent minuscule, dépassé. Mais elle a aussi quelque chose d'émouvant ! Les Américains sont venus tard dans la guerre, ils ont perdu beaucoup moins d'hommes que les autres belligérants. Ils entraient pour la première fois dans la politique mondiale, ils rejetaient, au moins temporairement, l'isolement, l’isolationnisme. Ces monuments disent très haut « Nous sommes venus, nous avons vaincus, nous sommes fiers ». C'est une architecture de triomphe.

 

Dans les nécropoles américaines, le style néo-classique est remplacé par le néo-roman. Dans chaque cimetière présence d'une ou deux chapelles ou tympans et chapiteaux sont sculptés de scènes militaires. « Les architectes des monuments commémoratifs insistent sur la grandeur des Etats-Unis et la figent dans la pierre néo-classique. Les sculpteurs des nécropoles, eux font passer le message d'un pays aux mœurs simples, chaleureux, à l'échelle de l'homme. Les deux visions sont complémentaires et représentent bien les Etats-Unis en terre européenne. »

 

Aux USA de nombreux monuments commémorent la guerre que ce soit des villes, des quartiers (New-York) ou des institutions (université de Yale).

 

Réconciliation par dessus les tombes.

 

En Allemagne construction comme en France de nombreux monuments aux morts dans les villes et villages. Mais par contre en tant que nation vaincue, pas de monuments sur le territoire français. Seuls les cimetières rappellent leur présence.

 

L'article 225 du traité de Versailles traite de l'entretien mutuel des tombes.

 

Mais l'Allemagne vaincue ayant du mal à assurer ses devoirs envers les cimetières allemands, fondation dès 1919 de l'Association populaire allemande pour l'entretien des tombes militaires (Volksbund Deutsche Kriegsgraberfursorge). Au total on recense 219 cimetières cimetières allemands sur le territoire français.

 

A l'origine les croix allemandes sont en bois recouvert de goudron noir pour les protéger. Elles sont peu à peu remplacées par des croix de métal noir. D'après l'historien allemand Hans Soltau, la couleur noire n'a pas de symbolique particulière.

 

« Les cimetières militaires allemands sont, comme ceux des Anglais, extrêmement bien entretenus. Les arbres, les pelouses, ont été implantés avec soin. De grandes croix de pierre grise, ou des pierres dressées, telles des menhirs signalent l'emplacement des fosses communes où reposent les milliers de soldats allemands inconnus. Les autorités chargées de l'aménagement veulent faire de ces cimetières des lieux de recueillement et de réflexion sur la paix. Elles citent le Français Albert Schweitzer « Les tombes militaires sont les plus grands prêcheurs pour la paix. »

 

 



17/05/2014
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