1685. Le Code noir (Texte)
Louis par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre : à tous, présents et à venir, salut. Comme nous devons également nos soins à tous les peuples que la divine providence a mis sous notre obéissance, nous avons bien voulu faire examiner en notre présence les mémoires qui nous ont été envoyés par nos officiers de nos îles de l'Amérique, par lesquels ayant été informés du besoin qu'ils ont de notre autorité et de notre justice pour y maintenir la discipline de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, pour y régler ce qui concerne l'état et la qualité des esclaves dans nos dites îles, et désirant y pourvoir et leur faire connaître qu'encore qu'ils habitent des climats infiniment éloignés de notre séjour ordinaire, nous leur sommes toujours présent, non seulement par l'étendue de notre puissance, mais encore par la promptitude de notre application à les secourir dans leurs nécessités.
A ces causes, de l'avis de notre Conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui ensuit.
Article 1. Voulons et entendons que l'édit du feu roi de glorieuse mémoire notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles. Ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.
Article 2. Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achèteront des nègres nouvellement arrivés d'en avertir les gouverneurs et intendants desdites îles dans huitaine au plus tard, à peine d'amende arbitraire ; lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.
Article 3. Interdisons tout exercice public d'autre religion que la catholique, apostolique et romaine ; voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules (terme qui désigne une assemblée non autorisée), illicites et séditieuses, sujettes à la même peine, qui aura lieu même contre les maîtres qui les permettront ou souffriront à l'égard de leurs esclaves.
Article 4. Ne seront préposés aucuns commandeurs à la direction des nègres, qui ne fassent profession de la religion catholique apostolique et romaine, à peine de confiscation desdits nègres contre les maîtres qui les auront préposés et de punitions arbitraire contre les commandeurs qui auront accepté ladite direction.
Article 5. Défendons à nos sujets de la religion prétendue réformée d'apporter aucun trouble ni empêchements à nos autres sujets, même à leurs esclaves, dans le libre exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de punition exemplaire.
Article 6. Enjoignons à tous nos sujets, de quelque qualité et conditions qu'ils soient, d'observer les jours de dimanche et fêtes qui sont gardés par nos sujets de la religion catholique apostolique et romaine. Leurs défendons de travailler, ni faire travailler leurs esclaves auxdits jours, depuis l'heure de minuit jusqu'à l'autre minuit, à la culture de la terre, à la manufacture des sucres, et à tous autres ouvrages, à peine d'amende et de punition arbitraire contre les maîtres, et de confiscation tant des sucres que desdits esclaves qui seront surpris par nos officiers dans leur travail.
Article 7. Leur défendons pareillement de tenir le marché des nègres et toutes autres marchandises lesdits jours sur pareille peine de confiscation des marchandises qui se trouveront alors au marché, et d'amende arbitraire contre les marchands.
Article 8. Déclarons nos sujets, qui ne sont pas de la religion catholique, apostolique et romaine, incapables de contracter à l'avenir aucuns mariages valables. Déclarons bâtards les enfants qui naîtront de telles conjonctions, que nous voulons être tenues et réputées, tenons et réputons pour vrais concubinages.
Article 9. Les hommes libres qui auront eu un ou plusieurs enfants de leurs concubinages avec leurs esclaves, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, seront chacun condamné en une amende de deux mille livres de sucre. Et s'ils sont les maîtres de l'esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons qu'outre l'amende, ils soient privés de l'esclave et des enfants, et qu'elle et eux soient confisqués au profit de l'hôpital, sans jamais pouvoir être affranchis. N'entendons toutefois le présent article avoir lieu, lorsque l'homme libre qui n'était point marié à une autre personne durant son concubinage avec son esclave, épousera dans les formes observées par l'Eglise sa dite esclave, qui sera affranchie par ce moyen, et les esclaves rendus libres et légitimes.
Article 10. Lesdites solennités prescrites par l'ordonnance de Blois et par la déclaration du mois de novembre 1639, pour les mariages, seront observées tant à l'égard des personnes libres que des esclaves, sans néanmoins que le consentement du père et de la mère de l'esclave y soit nécessaire, mais celui du maître seulement.
Article 11. Défendons très expressément aux curés de procéder aux mariages des esclaves, s'ils ne font apparoir du consentement de leurs maîtres. Défendons aussi aux maîtres d'user d'aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.
Article 12. Les enfants qui naîtront de mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents.
Article 13. Voulons que si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants tant mâles que filles suivent la condition de leur mère et soient libres comme elles nonobstant la servitude de leur père ; et que si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement.
Article 14. Les maîtres seront tenus de faire mettre en terre sainte dans les cimetières destinés à cet effet leurs esclaves baptisés ; et à l'égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.
Article 15. Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive, ni de gros bâtons, à peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis ; à l'exception seulement de ceux qui seront envoyés à la chasse par leurs maîtres, et qui seront porteurs de leurs billets ou marques connues.
Article 16. Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s'attrouper le jour ou la nuit, sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l'un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle, qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lys (marquage au fer rouge) ; et en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l'arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les arrêter et de les conduire en prison, bien qu'ils ne soient officiers et qu'il n'y ait contre eux aucun décret.
Article 17. Les maîtres qui seront convaincus d'avoir permis ou toléré telles assemblées composées d'autres esclaves que ceux qui leur appartiennent, seront condamnés en leurs propres et privés noms de réparer tout le dommage qui aura été fait à leurs voisins à l'occasion desdites assemblées, et en dix écus d'amende pour la première fois, et au double en cas de récidive.
Article 18. défendons aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause et occasion que ce soit, même avec la permission de leurs maîtres, à peine de fouet contre les esclaves, et de dix livres tournois contre leurs maîtres qui l'auront permis, et de pareille amende contre l'acheteur.
Article 19. leur défendons aussi d'exposer en vente au marché, ni de porter dans les maisons particulières pour vendre aucune sorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à brûler, herbes pour la nourriture des bestiaux et leurs manufactures, sans permission expresse de leurs maîtres par un billet ou par des marques connues, à peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restitution du prix par leurs maîtres, et de six livres tournois d'amende à leur profit contre les acheteurs.
Article 20. Voulons à cet effet que deux personnes soient préposées par nos officiers dans chacun marché pour examiner les denrées et marchandises qui y seront apportées par les esclaves, ensemble les billets et marques de leurs maîtres, dont ils seront porteurs.
Article 21. Permettons à tous nos sujets habitants de nos îles de se saisir de toutes les choses dont ils trouveront les esclaves chargés lorsqu'ils n'auront point de billets de leurs maîtres, ni de marques connues, pour être rendues incessamment à leurs maîtres, si les habitations sont voisines du lieu où les esclaves auront été surpris en délit ; sinon elles seront incessamment envoyées à l'hôpital pour y être en dépôt jusqu'à ce que les maîtres en aient été avertis.
Article 22. Seront tenus les maîtres de faire fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au dessus pour leur nourriture, deux pots et demi, mesure du pays, de farine de manioc, ou trois cassaves (galette à base de farine de manioc) pesant deux livres et demie chacun au moins, ou choses équivalentes, avec deux livres de boeuf salé ou trois livres de poisson ou autres choses à proportion ; et aux enfants, depuis qu'ils sont sevrés jusqu'à l'âge de 10 ans, la moitié des vivres ci dessus.
Article 23. Leur défendons de donner aux esclaves de l'eau de vie de canne guildent pour tenir lieu de la subsistance mentionnée au précédent article.
Article 24. Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs esclaves, en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte particulier.
Article 25. Seront tenus les maîtres de fournir à chacun esclave par chacun an deux habits de toile ou quatre aulnes (environ 4,80 m) de toile, au gré desdits maîtres.
Article 26. Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs maîtres selon que nous l'avons ordonné par ces présentes pourront en donner l'avis à notre procureur général et mettre les mémoires entre ses mains, sur lesquels et même d'office, si les avis lui en viennent d'ailleurs, les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais, ce que nous voulons être observé pour les crimes et traitement barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves.
Article 27. les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leus maîtres ; et en cas qu'ils les eussent abandonnés, lesdits esclaves seront adjugés à l'hôpital ; auquel les maîtres seront condamnés de payer six sols par chacun jour pour la nourriture et entretien de chaque esclave.
Article 28. Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leur maître ; et tout ce qui leur vient par industrie ou par la libéralité d'autres personnes ou autrement à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leur maître, sans que les enfants des esclaves, leur père et mère, leurs parents et tous autres libres ou esclaves puissent rien prétendre par succession, disposition entre vifs ou à cause de mort. Lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu'ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et conttracter de leur chef.
Article 29. Voulons néanmoins que les maîtres soient tenus de ce que leurs esclaves auront fait par leur commandement, ensemble de ce qu'ils auront géré et négocié dans les boutiques, et pour l'espèce particulière de commerce à laquelle leurs maîtres les auront préposés ; et en cas que leurs maîtres n'aient donné aucun ordre et ne les aient point préposés, ils seront tenus seulement jusqu'à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit ; et si rien n'a tourné au profit des maîtres, le pécule desdits esclaves que leurs maîtres leur auront permis d'avoir en sera tenu, après que leurs maîtres en auront déduit par préférence ce qui pourra leur en être dû ; sinon, que le pécule consistait en tout ou partie en marchandises dont les esclaves auraient permission de faire trafic à part, sur lesquelles leurs maîtres viendront seulement par contribution au sol la livre (contribution de 5%) avec leurs autres créateurs
(A suivre)