Plessis (B), Challet (L). La vie quotidienne des canuts (NDL)

LA VIE QUOTIDIENNE DES CANUTS, PASSEMENTIERS et MOULINIERES

AU XIXe SIECLE

 

Bernard PLESSY, Louis CHALLET.

 

Paris Hachette 1987, 284 pages.

 

* * * * * * * * * *

 

Chapitre I. Pays et paysages de la soie.

 

Au milieu du XIXe siècle le pays de la soie organisé autour de Lyon atteint sa plus grande extension. Il atteint le Jura vers le Nord, la Savoie et le Dauphiné vers l'Est, le bord du Massif Central à l'Ouest, les Cévennes et la Provence vers le Sud.

 

Au XIIIe siècle, Lucques en Toscane est un centre important de tissage de la soie, avant de céder la primauté à Florence et à Venise.

 

En France le tissage de la soie n'est pas inconnu, le livre des métiers de 1260 citant des « tisseurs de soie » (Champagne et Artois)

 

Lyon, ville de foire depuis 1419 voit l'arrivée des Florentins qui développent un très grand commerce de soieries qui inquiète Louis XI à cause des sorties d'argent que cela génère. Pour éviter cela il décide d'implanter, en 1466, une manufacture de soie. Mais les Consuls lyonnais ne sont pas enthousiastes craignant une dégradation de leurs relations avec l'étranger. La manufacture est donc établie à Tours en 1470. Un seconde établissement est créé à Nîmes en 1498.

 

Finalement le succès est tellement important que les consuls de Lyon reviennent sur leur décision et obtiennent de François Ier des lettres patentes le 2 septembre 1536. Ces lettres marquent la fondation de la fabrique lyonnaise octroyant des privilèges importants aux ouvriers de la soie.

 

1540. Lyon reçoit le monopole de l'implantation et du commerce des soies grèges de toutes provenances. Petit à petit Lyon va éliminer les villes concurrentes de Tours, Paris et Nîmes.

 

Lyon le melhor.

 

« La prédilection pour Lyon s'explique d'abord par la présence dans ses murs de riches banquiers florentins et de nombreux négociants très au fait de cette industrie et qui ont vu l'avantage que l'on pourrait tirer de la position favorable au XVIe siècle de cette ville frontière, pour l'approvisionnement et pour l'exportation. »

 

La terre des fileurs.

 

La filature de la soie suit la production du cocon dans la préparation de la matière première. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, la filature demeure une industrie surtout rurale, exercée souvent par les éleveurs eux mêmes, en tout cas proche des lieux de production. L'outillage étant souvent rudimentaire, cela permet le développement d'une industrie familiale.

 

En 1805, le lyonnais Gensoul met au point un système industriel de la filature ce qui provoque une augmentation de l'importance des investissements nécessaires et pousse à la concentration des établissements.

 

La vallée des moulins.

 

« Tel qu'il sort de la filature, le fil de soie grège ne peut encore être employé directement dans le tissage des étoffes. Pour en faire un fil plus résistant, il faut lui donner une torsion, appelée aussi ouvraison. Cette torsion s'effectue grâce à un système de fuseaux mis en mouvement par des moulins. Ces moulins, en bois rond pour les plus anciens, furent l'invention d'un habitant de Bologne, Borghesamo, en 1372.

 

Le premier moulin est installé en France dans le village de La Valla près de Saint Chamond. En 1572, un autre moulin est installé à Pélussin dans le Forez. Ensuite le moulinage se développe rapidement.

 

Au milieu du XIXe siècle, l'Ardèche concentre 45% du personnel travaillant dans cette industrie (en 1860, 344 mouliniers emploient 13.000 personnes travaillant sous la dépendance de soyeux lyonnais).

 

En 1843 la Drôme possède 108 moulinages et 20 établissements mixtes.

 

Les raisons de ce développement.

 

« Au milieu du XVIIIe siècle, le dauphinois Vaucansson améliorait la technique des moulins qui, de ronds, prenaient une forme ovale en devenant plus productifs (…) Les moulins ovales, plus petits, et nécessitant moins de surveillance, pouvaient être acquis en plus grand nombre pour peu que l'on pût disposer d'une force motrice suffisante -achat des machines, installation hydraulique nécessitaient donc plus de capitaux et poussaient à une forme semi-industrielle de l'entreprise. Or les régions montagnardes de la périphérie lyonnaise très éloignées de leur débouché urbain, présentaient de multiples avantages : un grand nombre de rivières à pente rapide aux eaux faciles à capter par des béals de quelques centaines de mètres de longueur (…) L'abondance d'une main d’œuvre rurale bon marché, généralement docile, en majeure partie féminine et satisfaite de trouver près de l'exploitation familiale un complément d'emploi indispensable à son maintien rural. »

 

La révolution industrielle transforme ces moulinages qui deviennent la première branche mécanisée de la soie grâce à la vapeur (en 1843, l'usine de Jujurieu (Ain) est équipée d'une machine à vapeur). « Le coût des machines s'ajoutant à celui du matériel pousse à la concentration et, dès la première moitié du XIXe siècle quelques moulinages prennent rang d'usines modèles. » Mais par contre les effectifs restent modestes (1848, en moyenne 40 ouvriers dans l’Isère, 36 dans la Drôme). L'usage de la vapeur n'est pas permanent mais est souvent limité à la période d'étiage, le coût di combustible étant trop élevé pour les petits ateliers ruraux.

 

La ville et les campagnes du ruban.

 

Le travail du ruban est appelé passementerie (passementiers). « L'ouvrage est fait en passant, en entrelaçant les fils, même si, en théorie, le passement n'est qu'un type de ruban).

 

1515. Installation du premier « métier lyonnais » à Izieux près de Saint Chamond.

 

16 juin 1584. 13 maîtres « passementiers, tissutiers et rubandiers » du Forez, du Beaujolais et du Velay se réunissent et rédigent les statuts de leur corporation.

 

Au XVIIIe siècle, Saint-Etiene s'émancipe de Lyon ou la rubanerie entre en déclin.

 

Après 1750, apparition des métiers à la Zurichoise (installation du premier métier à Saint-Etienne en 1758). C'est un métier automatique, la navette étant chassée par une manivelle actionnée par deux pédales. Il permet de tisser jusqu'à 16 ou 24 pièces à la fois.

 

Après 1815 adaptation de la mécanique Jacquard au métier à barre. « Ce nouveau métier automatique, par le seul mouvement de la barre le tisseur met en mouvement tous les organes, permet la réalisation de dessins variés, de brochés ou de façonnés sans avoir à les lire comme sur le métier à la Zurichoise. »

 

Mais le coût des métiers les rends accessible aux seuls fabricants importants qui tiennent à les surveiller, d'où le développement des ateliers urbains au détriment des ateliers ruraux.

 

Le pays des canuts.

 

« Au terme des opérations successives de la préparation du fil à soie, la mise en œuvre la plus élaborée est le tissage des étoffes façonnées. C'est dans ce type de fabrication que Lyon se spécialise dès le XVIIIe siècle. En 1660, la Fabrique lyonnaise compte déjà plus de 3000 maîtres ouvriers occupant dix mille métiers « à la grande navette », c'est-à-dire permettant des tissus larges, par opposition à la « petite navette » qui ne permet que les passements, rubans et galons. Ces maîtres ouvriers, ce sont les canuts, c'est-à-dire des artisans travaillant à domicile, sur des métiers dont ils sont propriétaires et à façon, pour des fabricants qui, sur le modèle stéphanois, leur fournissent la soie, précisent la commande, et, son exécution réalisée, commercialisent les étoffes. »

 

En 1789 : 12,000 métiers à Lyon

3,000 métiers à Nîmes

2,000 métiers à Paris

1,000 métiers à Tours.

 

« Jacquard perfectionne une mécanique qui, placée au sommet du métier, permet l'automatisme de la reproduction du dessin. Celui-ci est d'abord mis en carte, c'est-à-dire transposé sous forme de perforations dans un carton. Une chaîne sans fin de ces cartons « programmés » tournant autour d'un prisme, agit par un système d'aiguillette sur les fils de chaîne dont le jeu par rapport à la trame produit le décor. Le métier Jacquard lit les cartons « comme un aveugle lit de l'écriture Braille ».

 

Au début cette invention est très mal accueillie par les ouvriers qui craignent de perdre leur travail.

 

Mais en permettant de « créer des tissus à l'usage de tous et non plus seulement des étoffes fastueuses, elle relança si bien la soierie lyonnaise que le nombre des métiers passa de 18,000 en 1810 à 60,000 environ au milieu du siècle. » La Croix Rousse abrite pour sa part 15,000 métiers.

 

Vers 1830 migration progressive des métiers vers les campagnes environnantes (vers 1850 Lyon représente 50% des métiers, seulement 25% en 1860).

 

A Lyon la localisation des métiers évolue elle aussi. Avant la Révolution fabricants et canuts vivent dans les quartiers Saint Jean et Saint Georges, au bas des pentes qui sont occupées par les congrégations religieuses. La Révolution avec la vente des biens du clergé libère des espaces qui sont récupérés. Les tisseurs quittent alors les quartiers surpeuplés et malsains des bords de Saône pour s'installer massivement à La Croix Rousse.

 

1834. Établissement dans un atelier de Saint Rambert d'un métier mécanique et non plus à bras, mais les fabricants lyonnais se montrent réservés face à cette innovation et préfèrent poursuivre le système traditionnel. Il faudra du temps pour que ceux ci se développent.

 

1857 entre 3 et 4,000 métiers mécaniques sur 70,000 métiers

 

1890. 20,000 métiers.

 

Les ateliers de canuts s'effondrent seulement au début du XXe siècle.

 

Chapitre II. Dans les moulinages.

 

De la fabrique dortoir.....

 

En 1856, l’effectif moyen d'une fabrique à Pélussin est de 20 à 30 personnes composé essentiellement de femmes entre 13 et 25 ans. Beaucoup viennent de loin (parfois plus de 30 km). Pour éviter de faire ces trop longs trajets tous les jours, de nombreuses fabriques proposent des dortoirs, ce qui permet de ne rentrer dans la famille qu'une fois par semaine.

 

…. à l'usine internat.

 

« Le passage de l'énergie hydraulique à celle de la vapeur, la volonté de quelques fabricants de créer des usines intégrant les diverses opérations de la soie en donnant une taille exceptionnelle à ces entreprises, exigeaient une main d’œuvre plus abondante. »

 

Par contre les patrons conscients des risques sociaux d'une concentration ouvrière instaurent des règles de vie particulièrement strictes, souvent dignes d'un couvent. Les promoteurs de ce genre d'usine sont J B Martin à Tarare et surtout C J Bonnet dans sa fabrique à Jujurieux (1834)

 

Qu'est-ce que mouliner ?

 

Le moulinage proprement dit comporte plusieurs opérations

 

Le dévidage. Les ouvrières prennent des flottes de soie (écheveaux) et les mettent sur un dévidoir en bois en forme d'étoile à 8 branches (la tavelle) et transposent le fil sur une bobine en bois, le roquet.

 

Le purgeage. Le fil est débarrassé des défectuosités qu'il peut contenir en étant introduit dans une série de ressorts garnis de draps (barbins)

 

Le moulinage.

 

Premier apprêt : moulin à filage

 

double fil : moulin torse.

 

« Le moulin se compose de sept châssis en bois de chêne d’environ 80cm d'écartement, éloignés d'un mètre cinquante les uns des autres et reliés entre eux par six étages de double tablettes en bois à un mètre d'écartement. Sur les tablettes, des fuseaux maintenus par un collier de bois garni de cuivre, la coquette, tournent sur leur pivot au creux d'un godet de verre appelé carcagnol. Une courroie qui contourne l’appareil et lui a donné sa forme ovale entraîne par frottement les fuseaux porteurs des roquets et les roquettes (ou les guindres s'il s'agit du deuxième apprêt) qui tirent le fil et le recueillent tandis que le fuseau le tord. De la vitesse relative entre la roquette et le fuseau dépend l'importance de la torsion qui constitue l'essentiel du moulinage. »

 

Un travail simple.

 

Il n'y a pas d'apprentissage proprement dit celui ci se faisant en travaillant. Mais « cela n'empêche pas une grande qualité de la main d’œuvre acquise par une longue pratique et une surveillance pointilleuse. »

 

Des journées interminables.

 

A Dumières (Haute Loire) la journée commence à 4 heures du matin pour se terminer à 8 heures du soir (dont 14 heures de travail effectif).

 

Partout elle atteint entre 15 et 16h de présence 6 jours sur 7, et certains mouliniers peu scrupuleux vont jusqu'à trafiquer les horloges pour allonger encore la durée du travail.

 

Fatigue et accidents.

 

Le travail est plus pénible qu'il n'y paraît :

humidité exigée par le fil

air peu renouvelée à cause des fils

air vicié par la fumée des lampes (surtout en hiver)

fatigue de la station debout et de la station penchée en avant pour rattacher les fils.

Manque de protection des machines en particulier autour des courroies et des engrenages, surtout dans les petits ateliers.

 

« Plus que la pénibilité du travail ou ses risques, c'est l’atmosphère de l'atelier, l'ambiance de la fabrique, la combinaison de tous les instants, puisqu'on y passe vingt quatre heures sur vingt quatre, qui rendent compte véritablement de la condition des moulinières. Mais là encore on ne saurait confondre les petits ateliers disséminés du Vivarais et de l'Ardèche (…) Avec les usines internats qui se développent progressivement à partir du milieu du siècle. »

 

Lorsque l'atelier acquiert de l'importance, souvent une vieille ouvrière expérimentée joue le rôle de contremaîtresse et dans ce cas là, l'ambiance de l'atelier dépend beaucoup de la personnalité de cette personne. Elle apparaît « dans ces petites fabriques, plus souvent marquée par une discipline et des habitudes pieuses, presque scolaires, que par la violence. »

 

Manger et dormir à la fabrique.

 

Pourtant les conditions matérielles laissent souvent à désirer en particulier la nourriture. Dans beaucoup de fabriques la soupe est fournie par les employeurs.

 

Dans le Vivarais la nourriture étant insuffisante, les ouvrières rapportent souvent des provisions données par leur famille : 6 à 8 kg de pain de seigle, 5 kg de pommes de terre, quelques légumes, du lard, du fromage.

 

Les dortoirs pour leur part sont souvent situés sous les combles et manquent de lumière et d'aération.

 

Pensionnaire à l'usine.

 

« L'usine internat, en prenant une autre dimension, offre des conditions de vie bien différentes visant l'organisation, la rationalisation du travail (…) Elle entende assurer la prise en charge totale des jeunes filles qu'elle embauche (…) Au cas extrême, la moulinière n'a plus d'autre horizon que la manufacture (…) Dans la limite de leur engagement, les ouvrières sont astreintes à un genre de vie qui les isole du monde extérieur et les préserve bon gré mal gré des occasions de chute. » L'encadrement est par ailleurs souvent confié à des religieuses qui imposent une exigence de piété stricte. La surveillance est constante. Les ouvrières ne sortent jamais seules, elles sont accompagnées par une sœur.

 

Par contre, beaucoup de moulinages comparables par leur taille à ces usines préfèrent faire la part des choses : le contrôle du travail à des contremaîtresses, le contrôle de la moralité aux sœurs.

 

Mieux logées, mieux nourries.

 

Dans les grandes manufactures les conditions d'hébergement et l'alimentation s'améliorent.

 

L'usine fait-elle le bonheur ? Le rose.

 

« L'intérêt des ouvrières et l'intérêt patronal se rejoignent dans ce type d'organisation. Le dortoir évite les longs trajets, la surveillance imposée est éducative, ne peut-on d'ailleurs considérer l'usine internat comme une forme d'enseignement technique à l'usage des ruraux ? Certes la présence constante du personnel est-elle pour le patron l'assurance de son assiduité, la sévérité de la surveillance permet-elle d'économiser « une matière … d'un grand prix et dont il importe d'éviter le déchet. » »

 

L'enseignement comprend deux parties :

 

religieuse (offices et catéchisme)

 

laïque (lecture, écriture, calcul, couture)

 

… et le noir.

 

Mais ces quelques usines « modèles » ne représentent qu'une faible partie des effectifs des moulinages, surtout vers le milieu du XIXe siècle. « Les rares documents sur les fabriques dortoirs révèlent en effet une réalité bien sombre. La plupart des ouvrières ont quitté l'école à 12 ou 13 ans et restent ignorantes ». Lors de leur mariage environ 2 ouvriers sur 6 savent signer leur nom dans les années 1851-1855 à Dumières. La moralité relève du même abandon et l'on note la disparition des pratiques religieuses. Dans certaines communes en Ardèche, au milieu du XIXe siècle, on compte presque autant d'enfants naturels que d'enfants légitimes.

 

Le piquage d'onces.

 

Il s'agit du vol fréquent et quasi traditionnel de fil de soie par les employées ce qui permet d’améliorer les revenus. Le vol est souvent dissimulé par des charges d'huile ou de savon dans les écheveaux (Le poids de la soie est contrôlé à l'entrée et à la sortie des ateliers).

 

Le travail des enfants.

 

La mécanisation du moulinage rend possible une embauche précoce. Avec l'essor de la soierie, l'embauche dans les fabriques se traite entre 10 et 12 ans.

 

La loi de 1841 interdit dans les fabriques de 20 ouvriers, l’entrée des enfants de moins de 8 ans, limite le travail des enfants de 8 à 12 ans à 8 heures et interdit le travail de nuit au dessous de 13 ans. Mais par manque d'inspecteurs, cette loi n'est pas réellement appliquée.

 

En 1861 à Privas, l'inspecteur prescrit de renvoyer les enfants de moins de 8 ans.

 

En 1867 dans 236 moulinages de Privas on trouve 617 enfants de 8 à 10 ans et 975 enfants de 10 à 12 ans.

 

En 1873, ce sont encore 2000 enfants de 8 à 12 ans qui travaillent fréquemment de 4h du matin à 19h-20h.

 

La loi de 1874 supprime le travail nocturne jusqu'à 16 ans et ne permet que 6 heures par jour de travail aux enfants de moins de 12 ans. Les enfants ont obligation de suivre 2 heures de cours par jour. Elle aussi n'est pas appliquée.

 

Des bas salaires.

 

L'apprenti lorsqu'il commence est 1 à 2 mois sans salaire, puis il perçoit 8 à 9 francs par mois.

 

Le salaire des ouvrières varie suivant les lieux mais est généralement plus faible que celui des autres professions et généralement de moitié aux salaires masculins.

 

A Dumières lorsqu'un homme reçoit 1 franc par jour, une femme reçoit 85 centimes et un enfant 55 centimes. Le salaire mensuel oscille entre 18 et 20 francs par mois. Dans l'Ardèche il varie entre 15 et 20 francs par mois. Or on estime les dépenses mensuelles d'une employée entre 13 et 16 francs.

 

En 1848 dans la Loire, les salaires les plus élevés ne dépassent pas 1,25F par jour lorsque le pain vaut 50 centimes le kilo.

 

Il faut attendre le début des années 1870 pour que les salaires enregistrent une hausse sensible pour atteindre de 25 à 30 francs en 1873, mais sans tenir compte du chômage qui est fréquent.

 

Dans les usines internat les conditions de salaire et d'emploi sont différentes. A Tarare en plus de leur entretien quotidien, les ouvrières gagnent de 70 à 100 francs par an. A Jujurieux, les ouvrières nourries, logées, gagnent entre 80 et 100 francs par an. D'autre part le travail est plus assuré. Par contre des amendes peuvent sanctionner l'indiscipline ou la maladresse.

 

Morosité.

 

La rançon de ces salaires c'est l'abandon de son indépendance surtout dans les usines-pensionnat. « C'est bien plus que le couvent, car c'est le couvent avec treize heures de travail. » (Jules Simon).

 

« C'est cette surveillance et cette vie collective de tous les instants qui sont génératrices d'ennui et de tristesse. »

 

Et la grève.

 

Il n'y pas de massives rebellions.

 

« Le personnel composé en grande majorité de femmes ou de jeunes garçons et filles, peu ou pas instruits, timides, plutôt individualistes, et peu enclin à revendiquer. D'autre part la dispersion des fabriques rurales, l'hostilité fréquente des familles paysannes à une revendication collective ou concertée, tout concourt à faire de la grève un fait rarissime, au moins jusqu'en 1869. »

 

Une seule exception notable : la grève de 1863 à Dumières qui survient après la publication d'un nouveau règlement trop favorable aux patrons. En moins de 48 heures, 800 ouvrières sont en grève et le conflit ne cesse que 15 jours plus tard après le retrait du règlement.

 

Par contre, après 1869, les mouvements prennent de l'ampleur.

 

Les ovalistes.

 

Ovaliste. Terme qui désigne les ouvrières des moulinages urbains.

 

En juin 1869, il y a 2394 ovalistes pour toute la ville de Lyon dans une centaine d'ateliers dont les effectifs varient de 3 à 200 ouvrières.

 

Elles déclenchent une grève le 17 juin 18969 pour obtenir une amélioration de leurs conditions de travail. Elles obtiennent une réduction de 2 heures de travail par jiur, mais beaucoup se retrouvent dans la misère à la suite de cette guerre.

 

Ces ovalistes sont essentiellement originaires des villages ou des hameaux des régions voisines (Forez, Dauphiné, Vivarais, Beaujolais). Environ 10% d'entre elles viennent du Piémont. Pour la plupart, elles logent chez leur patron où l'entassement est la règle. Celles qui vivent à l'extérieur retrouvent la même promiscuité pour faire baisser les frais. La plupart ne gagnent qu'un franc quarante par jour alors que pain vaut entre 34 et 37 centimes le kilo.

 

Beaucoup sont victimes de maladies dont la phtisie.

 

Chapitre III. Chez les passementiers.

 

 

Chapitre IV. Le peuple canut.

 

Un témoin : Clair Tisseur, ex canut.

 

Clair Tisseur (1827-1895) plus connu sous le nom de Nizier du Puitspelu (Nizier comme l'antique paroisse entre Saône et Rhône, Puitspelu comme le quartier voisin entre les Terreaux et Bellecourt dont les habitants n'étaient pas réputées pour leur sobriété) est le témoin par excellence du « vieux canut ». Il passe son enfance entre divers logements lyonnais et la maison familiale de Sainte-Foy-lès-Lyon qu'il occupe durant les beaux jours.

 

Il fait ses études au collège des Minimes mais ne supportant pas la discipline il les termine par des cours particuliers. Puis il entre en apprentissage chez un canut avant de le quitter à l'âge de 18 ans.

 

Il entre à l'école des Beaux Arts dont il sort architecte. Durant sa carrière il construit de nombreux monuments

Eglise du Bon Pasteur sur les pentes de la Croix Rousse

Eglise Sainte Blandine derrière Perrache

Mairie du 2e arrondissement.

 

A 60 ans il se retire à Nyons où il écrit presque tous ses ouvrages avant de décéder en 1895.

 

Dictionnaire étymologique du patois lyonnais (1887-1890)

Littré de la Grand'Côte à l'usage de ceux qui veulent parler et écrire correctement.

 

« Il ajoute un apport irremplaçable : le témoignage partiel, partial (il gomme les événements de 1831) idéalisé si l'on veut, mais authentique de celui qui fut apprenti et resta canut dans l'âme sa vie durant. »

 

Essai de définition d'un gône.

 

« L'article canut de l'édition complète (du littré de la Grand'Côte) dit simplement « ouvrier, ouvrière en soie ». Voilà qui ne lève guère le voile. L'étymologie du mot demeure elle même obscure. Littré (le vrai) dit : « peut-être de canette ». Nizier rectifie. « Non pas de canette, mais de canne, plus le suffixe ut pour u, qui représente le latin orem, le français eur. Le canut est donc celui qui use de la canne (dont a été faite la canette). » Pour autant on ne sait guère depuis quelle date le mot est employé, les « anciens documents ne parlent jamais que d'ouvriers en soye. » affirme encore le même, comme si le terme de canut était décidément irréductible à la seule signification de tisseur. »

 

« C'est surtout au lendemain des révoltes de novembre 1831 et d'avril 1834 que les images se figent. Désormais les regards se portent sur le canut sous l'angle politique ou sous celui de la « question ouvrière ». Le retentissement international de ces événements qui interviennent en pleine période d'effervescence des premières écoles socialistes, place les tisseurs lyonnais au centre du débat politique et social. »

 

Le calme qui suit la tempête.

 

Vers 1830 les tisseurs de la Fabrique lyonnaise sont « mieux logés, mieux nourris que les autres ouvriers de France ». Mais Lyon étant une ville de mono-industrie, ils sont plus vulnérables aux crises économiques. « Les plus petites fluctuations sur le marché de la soie ou la vente des étoffes influent de la façon la plus immédiate et avec une grande force sur la situation sociale et la disposition des esprits. »

 

La colline aux canuts.

 

La « montagne Saint-Sébastien » est devenue au début du XIXe siècle le lieu de rassemblement des métiers lyonnais. En 1846, 75% des métiers battent à la Croix Rousse et ses abords et le chiffre n'a pas varié en 1866. Les autres métiers sont situés à la Guillotière et dans les quartiers Saint Jean et Saint Georges.

 

Pourquoi cette localisations ?

 

Échapper aux taudis humides des bords de Saône et trouver l'air pur des hauteurs.

 

Utiliser des surfaces rendues disponibles par la vente des biens du clergé nombreux dans ce secteur.

 

Nécessité de construire des immeubles adéquats, les métiers Jacquard demandant des logements de 4m sous plafond.

 

Volonté des fabricants de concentrer en un même lieu et près des magasins le plus grand nombre de métiers. « Le contrôle et l'utilisation de la soie et du travail des canuts s'en trouve facilité, en même temps que l'organisation de la Fabrique rationalisée. »

 

Assez rapidement apparition d'une ségrégation sociale. Au bas des pentes, rue Royale, rue des Feuillants, vers Croix Paquet, rue du Griffon, autour de la place Tolozan à l'est, jusqu'au jardin des plantes, près du quartier Saint Vincent à l'ouest, regroupement des maisons de soierie et de la plupart des fabricants.

 

En montant les côtes.

 

Les canuts pour leur part s'installent sur les pentes et au sommet de la Croix Rousse. Trois montée permettent de rejoindre le sommet.

 

Côte des Carmélites côté Saône.

 

Côte Saint-Sébastien côté Rhône.

 

La Grand'Côte entre les deux premières qui constitue l'axe essentiel du « pays canut ».

 

La construction du premier funiculaire qui évite de monter à pied commence en 1859-1860.

 

De petites rues relient entre elles ces trois voies.

 

A suivre



12/12/2015
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