Winock (M). Le siècle des intellectuels : 1ere partie : Les années Barrès. (NDL)

LE SIECLE DES INTELLECTUELS (1)

 

 

Michel Winock. 

 

Paris, Seuil, 1999, 885 pages. 

 

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1ere partie. Les années Barrès.

 

Chapitre 1. La visite à Barrès.

 

Début décembre 1897Léon Blum vient trouver Barrès pour lui demander sa signature sur une pétition réclamant la révision du procès Dreyfus. Depuis les années 1880, Maurice Barrès avait séduit un jeune public émerveillé par ses ouvrages anticonformistes aux titres provocateurs : « Le culte du moi », « L’ennemi des lois », « Un homme libre », prônant l’exaltation continue, la surveillance et l’analyse des sensations. Ses livres scandalisaient la critique des rassis et faisaient la joie des jeunes esprits soulevés contre l’instinct grégaires et les normes imposées. 

 

Barrès refuse de soutenir cette pétition, car il estime que rien n’est prouvé et qua dans le doute il suivra « l’instinct national ». Mais il a choisi et il bascule définitivement dans le camp des antidreyfusards.

 

En face les partisans de Dreyfus écrivent presque tous dans la « revue blanche » fondée en 1889 par les frères Alexandre, Alfred et Thadée Natanson. Ce milieu regroupe en France tout ce qui compte d’avant-garde en art et en littérature (Alfred Jarry, Saint Pol RouxJules Renard, Marcel Proust). Les locaux de la revue deviennent un des centres de ralliement des Dreyfusards. Autre foyer ardent, Lucien Herr bibliothécaire inamovible de l’Ecole Normale Supérieure où il jouera un rôle important. 

 

Chapitre 2. « J’accuse ».

 

Emile Zola a un statut particulier dans la vie littéraire de l’époque. Il est d’abord un romancier à succès. Cette formidable fécondité comme écrivain et journaliste, a fait de Zola le chef de l’école naturaliste. La société des gens de lettre le porte à sa présidence en 1895. Mais cette prospérité n’annule pas sa marginalité et il reste un auteur maudit. 

 

Le 25 novembre 1897, le Figaro publie un article de Zola intitulé « M Scheurer-Kestner » (vice président du Sénat) dans lequel il dramatise à sa manière le cas sur lequel il veut alerter l’opinion. Mais cela ne l’empêche pas de poser le problème !e « une erreur judiciaire est toujours possible. En quoi l’honneur de l’armée est il engagé là dedans. La faute commencerait le jour où l’on s’entêterait à ne pas vouloir reconnaître s’être trompé, même devant des preuves décisives. » L’article s’achève par la phrase « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera ». 

 

Zola publiera encore deux articles dans le Figaro où il s’attaque à l’antisémitisme, ce qui va à l’encontre des lecteurs du journal. 

 

10 et 11 janvier 1898, comparution d’Esterhazy, devant le Conseil de guerre, qui est acquitté. 

 

Devant ce verdict, Zola décide de publier un article. Il se tourne vers le journal « l’Aurore » dirigé par Clemenceau qui se révèle un des champions du dreyfusisme, par la constance de son combat, l’extraordinaire ténacité dont il fait preuve, écrivant jour après jour des articles en faveur de la révision. C’est lui qui va trouver le titre de l’article « j’accuse » qui est publié le 13 janvier. Cet article provoque un immense scandale et l’affaire Dreyfus devient l’affaire Zola. La plupart des grandes villes connaissent des défilés bruyants où l’on conspue Zola et les Juifs. 

 

Le 18 janvier, le ministre de la Guerre adresse une plainte au Garde des Sceaux. Parallèlement « le Temps » publie une première liste de protestation émanant d’universitaires, d’hommes de lettres, d’internes des hôpitaux et d’étudiants qui réclament la révision du procès Dreyfus.

 

« De ce jour, l’anti-intellectualisme devient un des thèmes favoris des intellectuels de droite qui n’acceptent pas encore cette dénomination que l’actualité a répandue, par le truchement de Clemenceau. Non seulement on dénie aux intellectuels toute vocation particulière à intervenir dans le débat public, mais, qui plus est, on le désigne comme les mauvais Français qui pensent contre l’instinct vital de la nation. » 

 

Chapitre 3. Le procès Zola.

 

La protestation des intellectuels qui accompagne le cri de Zola porte la marque d’une volonté d’agir en dehors de toute considération politique. En janvier 1898, la gauche politique n’est pas dreyfusarde (sauf Clemenceau, Jaurès et Scheurer-Kestner).

 

Du 7 au 23 février 1898, procès de Zola devant la cour d’assises de la Seine. Zola est défendu par Me Laboriet les frères Clemenceau défendent le gérant de l’Aurore. Zola est condamné par la majorité du jury à 1 an de prison ferme et 1000 francs d’amende. La surexcitation était telle qu’un acquittement eût déclenché une émeute. 

 

Le verdict est cassé par la cour de cassation le 2 avril 1898. Un nouveau procès doit avoir lieu le 18 juillet, mais Clemenceau conseille à Zola de choisir l’exil afin que le jugement par contumace lui permette de demander un nouveau procès, ce qui évitera de fermer définitivement le dossier Dreyfus. Il s’embarque pour l’Angleterre où il séjournera presqu’un an. Il est condamné par la cour de Versailles à 1 an de prison et à 3000 francs d’amende. 

 

Chapitre 4. Après le procès.

 

Une des suites du procès Zola est la création de la Ligue pour la défense des Droits de l’Homme, dont l’idée résulte d’une conversation entre le sénateur Ludovic Trarieux, le journaliste Yves guyot et le juriste catholique Paul Viollet.

 

Les instigateurs de la Ligue sont surtout des intellectuels. La nouvelle association est officiellement enregistrée le 4 juin 1898. Sa finalité est de défendre en tous les domaines les principes de la DDHC. Son premier comité central comporte 7 hommes politiques, 13 universitaires, 5 hommes de lettre et 3 personnalités de diverses professions. Ce ressourcement à l’éthique des Droits de l’homme va obliger la gauche à se défaire de ses préjugés antisémites.

 

Mais cette agitation provoque en retour la lente constitution d’un camp antidreyfusard dont les personnalités les plus marquantes sont Barrès et Maurras.

 

Barrès est l’interlocuteur du mot nationaliste (Figaro du 4 juillet 1892) dans un article intitulé « la querelle des nationalistes et des cosmopolites ». Il s’agissait en l’occurrence du débat qui opposait les passionnés de littérature étrangère aux tenants de la littérature nationale. 

 

Pour Barrès « nous ne sommes point une race mais une Nation. Nous sommes le produit d’une collectivité qui parle en nous. Que l’influence des ancêtres soit permanente et les fils seront énergiques et droits, la nation une. » L’affaire Dreyfus et l’affaire Zola donnent l’occasion à Barrès de formuler sa théorie du nationalisme, en même temps qu’elles le replongent dans une bataille politique (élections de mai 1898). Pour BarrèsZolan’est pas un Français, c’est un intellectuel, c'est-à-dire quelqu’un qui, comme tous les intellectuels, s’imagine que la société doit se fonder sur la logique alors qu’elle repose sur des nécessités qui sont souvent étrangères à la raison. L’intellectuel ignore ce qu’est l’instinct, la tradition, le goût du terrain, tout ce qui fait une nation de chair et de sang. Il croit qu’on fait l’union sur des idées. Non ou plutôt, il faut que ces idées soient doublées de « leur force sentimentale ». 

 

Ferdinand Brunetière directeur de la revue des Deux Mondes, académicien depuis 1893 est lui aussi antidreyfusard, mais détaché de l’antisémitisme. Pour lui l’affaire Dreyfus n’est pas une affaire juive mais une affaire militaire. On ne peut remettre en cause l’armée parce que l’individu est subordonné à l’institution sociale. 

 

A l’époque Darlu, ex professeur de philosophie de Marcel Proust, ne s’oppose pas à l’unité nécessaire dans le cadre national, mais il souscrit à l’idée que cette unité doit être le fruit de la liberté, d’une union des volontés et non le résultat de l’autorité séculaire venue d’en haut. 

 

De même pour Durkheim, toute vie commune n’est possible que s’il existe des intérêts supérieurs aux intérêts individuels. L’individualisme qui le nierait est condamnable. Mais il existe un autre individualisme, celui qui tente de traduire la Déclaration des Droits de l’Homme. « Il n’y a pas de raison d’Etat qui puisse excuser un attentat contre la personne quand les droits de la personne sont au dessus de l’Etat. »

 

Dans le monde politique, lors de la campagne pour les législatives de mai 1898, l’affaire Dreyfus n’est pas au cœur des préoccupations.

 

Chapitre 5. Du côté des salons et des ligues.

 

Fin du XIXe importance des salons parisiens qui sont encore très nombreux. 

 

Les salons dreyfusards :

 

- Salon de Mme Aubernon, rue d’Astorg, qui accueille Alexandre Dumas filsErnest RenanFerdinand Brunetière. Les opinions sont partagées. 

- Salon de Léontine Arman de Caillavet avenue de la reine Hortense, qui accueille Anatole France son amant, ClémenceauJean Jaurès).

- Salon de Mme Strauss veuve de Bizet.

- Salon de Mme Menard-Dorian.

- Salon de Mme de Saint Victor (Notre Dame de la Révision).

Salon de la marquise Arcomati-Visconti.

 

Les salons antidreyfusards :

 

- Salon de Mme de Loynes (la dame aux violettes), rue de l’Arcade puis aux Champs Elysées. Elle accueille son amant officiel Jules Lemaître qui lui doit largement sa carrière. 

 

20 décembre 1898. Barrès propose de fonder la Ligue de la Patrie française avec le professeur de lettre Louis Dausset, l’agrégé d’histoire Gabriel Syveton et le professeur de philosophie Henri Vaugeois. Mais deux antidreyfusismes figurent sous le même drapeau, celui modéré de Brunetière qui est hostile aux intellectuels révisionnistes mais qui récusent le nationalisme antisémite, celui de Barrès, ami de Déroulède, qui décide de faire de la Ligue un vrai parti nationaliste. Jules Lemaître devient président de la Ligue de la Patrie française.

 

Les milieux protestants étaient sans doute révisionnistes.

 

Les milieux juifs par contre sont plus mitigés. La plupart des juifs entendaient se montrer des Français patriotes désireux d’une assimilation définitive et soucieux des lois républicaines. La meilleure protection leur paraissait l’obéissance à la loi et le respect de l’armée. L’affaire sème le trouble parmi eux, tiraillés entre cette volonté d’assimilation, cette fidélité aux institutions républicaines, et leur solidarité avec Dreyfus dans le climat d’antisémitisme qui s’installe en France. La réaction dominante fut la passivité.

 

La détermination pour ou contre Dreyfus résulte en fait de nombreux paramètres : la classe sociale, le milieu familial, le milieu socio-culturel, les convictions religieuses, les ambitions personnelles, les affinités électives, les influences amicales… 

 

Grosso modo

Les antidreyfusards se sont avant tout recrutés dans la bourgeoisie catholique, l’académie, la revue des Deux Mondes, les gens en place et les conformistes. 

Les dreyfusards sont plus jeunes, issus de petites revues de l’avant-garde, des milieux libres penseurs de l’université et des postes subalternes de la hiérarchie. Ils étaient de plus humble extraction. 

 

Chapitre 6. La victoire inachevée. 

 

L’année 1899 se définit par 3 tendances :

- La montée en puissance du nationalisme.

- Le piétinement du dreyfusisme.

- La victoire de la défense républicaine.

 

Barrès s’impose comme la tête pensante de l’antidreyfusisme. Mais le décès du président Félix Faure le 16 février 1899 consterne les nationalistes. En effet son successeur, Emile Loubet passe pour favorable à la révision du procès Dreyfus. 

 

Le 23 février, lors des funérailles de Félix FaureDéroulède tente un coup de force en essayant de soulever l’armée. Il veut un changement de constitution en vue de redonner vigueur à un pouvoir exécutif appuyé sur le suffrage universel. Dans son esprit, seule une action illégale permettra d’obtenir ce changement. C’est un fiasco. Barrès pour sa part avait soutenu Déroulède. A la fin du mois de mai, Déroulède et ses complices passent devant les assises de la Seine… pour délit de presse. Ils sont acquittés.

 

Insensiblement Barrès passe d’une définition de la nation comme « formation politique » à une théorie de la terre et des morts qui exclut de la citoyenneté ceux qui ne peuvent bénéficier du droit du sang (avec comme double pilier l’enracinement et l’ascendance). 

 

Un autre nationalisme se développe avec Maurras qui publie sa revue « L’Action française ».

 

3 juin 1899, la cour de cassation déclare la demande de révision du procès Dreyfus recevable. Emile Zoladécide alors de rentrer à Paris (5 juin) où il publie aussitôt un article dans « L’Aurore ». 

 

8 août au 9 septembre 1899Deuxième procès Dreyfus. Il est de nouveau reconnu coupable par 5 voix contre 2 mais avec circonstances atténuantes. Il est condamné à 10 ans de détention. Les dreyfusards font alors pression sur le président Loubet pour qu’il accorde sa grâce, ce qui est fait le 19 septembre.Clémenceau s’était montré hostile car il considérait qu’accepter la grâce était un aveu de culpabilité. 

 

Waldeck-Rousseau, Président du Conseil le 22 juin 1899 prend des mesures énergiques contre les nationalistes qui menacent la République.

Déroulède est traduit devant la Haute Cour. Il est condamné à 10 ans de bannissement (4 janvier 1900).

- Arrestation des membres de la Ligue antisémite. Son président Jules Guérin se réfugie dans son hôtel de la rue Chabrol. Le préfet Lépine fait établir un blocus efficace qui force Guérin à se rendre au bout de quelques semaines. 

 

Chapitre 7. Les adieux d’Anatole France à Emile Zola. 

 

Alors qu’Anatole France est considéré comme un sceptique, il est un des premiers à signer la pétition des intellectuels pour Dreyfus. En fait son « scepticisme universel était le doute méthodique de Montaigne,Descartes, voire des positivistes (….) Anatole France fut dreyfusard parce que le travail méthodique et scientifique de l’intelligence était à ses yeux la seule réalité certaine. » (Léon Blum)

 

Anatole France devient un intellectuel de gauche qui croit désormais aux bienfaits de la science et du socialisme. Il devient même le modèle de l’intellectuel engagé. Sans courage physique, médiocre orateur, il surmonte ses appréhensions, devient un vrai militant, un homme de meeting osant affronter la foule.

 

Le 28 septembre 1902, regagnant Paris, Zola fait allumer un feu dans sa chambre. Le lendemain, Emile Zolaest retrouvé mort, sa femme en léthargie. Il a peut être été assassiné. Il est enterré au cimetière de Montmartre le 5 octobre 1902 accompagné par plusieurs dizaines de milliers de personnes.  Anatole Franceprononce une oraison funèbre plusieurs fois applaudie. « Zola fut un grand moment de la conscience humaine. » 

 

12 juillet 1906. La cour de cassation casse le verdict de Rennes, réhabilite et réintègre le capitaine Dreyfusavec le grade de chef d’escadron. Picquart est réintégré avec le grade de général de Brigade.

 

29 octobre 1906. Le général Picquart est nommé ministre de la guerre par Clémenceau.

 

19 mars 1908. La Chambre des députés vote le transfert des cendres de Zola au Panthéon (Barrès vote contre).

 

5 juin 1908. Lors de la cérémonie de transfert des cendres de Zola, le journaliste Grégori tire deux coups de feu sur Dreyfus qui n’est que légèrement blessé (il ne sera pas condamné). 

 

Chapitre 8. Les premiers pas de l’Action française.

 

L’affaire Dreyfus donna un prince aux nationalistes : Charles MaurrasMaurice Barrès aurait pu jouer ce rôle, mais chez lui, « il y avait trop de sensibilité, trop de respect pour l’adversaire, pas assez de haine. Enfin chez lui, le patriotisme l’emportait de loin sur l’antidémocratisme qui était la passion vraie de Maurras. » 

 

Les idées forces de la doctrine de Maurras : xénophobie, sentiment de la décadence, volonté de décentralisation. Dans l’affaire Dreyfus, il voit la main invisible des Juifs. Plus tard il imputera les malheurs du pays, à l’esprit chrétien, car l’opposition catholicisme/christianisme va être un des piliers de sa pensée politique. Le catholicisme est latin, hiérarchique et dogmatique : c’est l’ordre dans la société comme dans les esprits. Le christianisme, particulièrement sous sa forme protestante, est suisse, individualiste et anarchiste. Il autorise chacun à faire sa propre religion, à être son propre prêtre et à lire directement les Livres Saints, sans filtre, sans commentaire, sans encadrement. La compassion pour Dreyfus ressortit à l’esprit chrétien, qui n’a aucune considération pour la survie de la société ; l’antidreyfusisme lui peut s’allier avec le catholicisme, qui ne perd jamais de vue l’impératif social. 

 

Maurras participe à la formation de la Ligue de la Patrie française qu’il quitte rapidement car trop bourgeoise et trop conservatrice à son goût. 

 

10 juillet 1899, parution du premier numéro du Bulletin de l’Action française. Cette revue paraît les 1er et 15 de chaque mois. Henri Vaugeois en est le directeur politique, mais rapidement c’est Maurras qui s’affirme comme le vrai théoricien du groupe et en quelques années, l’Action française va réussir à imposer son hégémonie intellectuelle sur le nationalisme français. Cette réussite est par ailleurs renforcée par l’échec de la Ligue de la Patrie française. L’Action française est rejointe par un orateur de talent : Léon Daudet.

 

21 mars 1908, le Bulletin de l’Action française se transforme en quotidien. 

 

Novembre 1908, sous l’impulsion de Lucien Moreau, création des Camelots du roi, vendeurs du journal à la criée et occasionnel service d’ordre de la Ligue. 

 

En 1910, l’ensemble est coiffé par les « commissaires » donnant à l’Action française une allure militaire qui renforçait son pouvoir d’attraction sur les amateurs de bagarre. 

 

Chapitre 9. La boutique des cahiers. 

 

Dans son enfance, Charles Péguy a reçu une double culture : laïque et catholique. 

 

En 1894 il est reçu à l’Ecole normale de la rue d’Ulm.

 

En juin 1897, il achève sa première grande œuvre « Jeanne d’Arc » qui concilie la Jeanne d’Arc de Micheletincarnant le peuple et la Jeanne d’Arc chrétienne, la future sainte.

 

En 1898, il rate l’agrégation de philosophie, ce qui marque sa rupture avec l’université. Il se lance dans la fondation de la librairie, au 17 de la rue Cujas. Elle devient rapidement le quartier général du mouvement dreyfusiste dont Péguy fut un des combattants de première ligne. Il associait le dreyfusisme à l’amour de la Patrie. L’armée devait être au dessus de tout soupçon et donc elle devait reconnaître ses erreurs. Pour Péguycombattre pour Dreyfus, c’était combattre pour la République, pour un pouvoir civil dégagé des ingérences militaires, pour l’Etat de droit. 

 

Le 5 janvier 1900, après l’échec de sa librairie de la rue Cujas, Péguy lance le premier « Cahier de la Quinzaine. Ce premier numéro exprime largement le socialisme éthique de Péguy qu’il oppose au socialisme de parti. Il se sent proche de Jaurès et combat le guesdisme. Les débuts sont difficiles et il lui faudra quatre ans pour dépasser le cap du millier d’abonnés. 

 

Les élections de mai 1902 qui aboutissent au triomphe du bloc des Gauches (ministère Emile Combes), lancent Péguy dans l’opposition au socialisme officiel. Jaurès soutenant Combes, la rupture devient inévitable entre les deux hommes. Péguy n’accepte pas la lutte contre l’Eglise qui se développe alors à ce moment là. « On se déshonore en recourant contre l’Eglise romaine à des procédés qu’on lui a reproché d’utiliser jadis ». 

 

Chapitre 10. L’attrait du socialisme.

 

1898. Naissance des universités populaires sur une initiative de Georges Deherme, ouvrier sculpteur sur bois, autodidacte. Le but est d’assurer la formation des futurs cadres du mouvement syndical et coopératif. On fait appel au bénévolat des intellectuels sympathisants pour donner les cours. Cette initiative prend de l’ampleur en banlieue et en province. 

 

Parallèlement Lucien Herr et ses amis de la Société nouvelle de librairie et d’édition (proche de Jaurès) se donnant lui aussi pour tâche l’éducation des ouvriers inaugure en décembre 1899, « les écoles socialistes ». Ce groupe devenu le groupe de l’unité socialiste va participer à la fondation de l’Humanité dont le premier numéro sort le 18 avril 1904. Mais ce journal a peu de succès et pour qu’il survive, il faut repenser la formule et le rendre moins doctrinal. Péguy n’est pas de l’aventure car il a rompu définitivement avec Jaurès.

 

Chapitre 11. Les mauvais maîtres. 

 

La philosophie entre dans le cursus des études secondaires en 1874. Le bac se passe en deux parties. En fin de première c’est la rhétorique et le reste (avec la philosophie) se passe en classe de terminale. Mais l’agrégation de philosophie existait depuis 1830. 

 

Le rôle du professeur de philosophie se dégage nettement durant les années 1880, années de la laïcisation de l’enseignement. La IIIe République est accusée par la droite catholique de chasser Dieu des écoles. En 1889dans son roman «Le disciple » Paul Bourget dénonce « l’erreur démocratique » du suffrage universel, d’un monde moderne qui tourne le dos aux traditions, et prône, contre le scientisme régnant, le retour au spiritualisme (ce roman traite de l’influence néfaste d’un professeur de philosophie sur un jeune dépravé). 

 

Barrès lui-même, à partir de 1897, dénonce fortement les professeurs de philosophie dans les 3 volets du roman de l’énergie nationale. Il s’acharne sur les « mauvais maîtres » qui ne s’adressent qu’à l’intelligence et méprisent les « vérités éternelles ». « L’intelligence pure sans le verrou de la morale séculaire est comme une automobile dont on augmente la puissance tout en divisant la force de freinage. »

 

Chapitre 12. Encore Péguy, mais plus pour longtemps. 

 

En février 1906, rencontre de Péguy et de Barrès. Péguy est en train d’évoluer vers le nationalisme et le catholicisme. Il devient donc un enjeu symbolique pour les intellectuels nationalistes. L’évolution de Péguy a été provoquée par l’affaire de Tanger en mars 1905. Croyant la guerre proche, il s’éloigne de la tendance socialiste et antimilitariste de Gustave Hervé. Son retour au catholicisme facilite aussi le rapprochement avec les nationalistes. Un article flatteur de Barrès sur Péguy le 28 février 1910 à propos de sa pièce « le mystère de la charité de Jeanne d’Arc » en fait un écrivain reconnu. Mais pourtant Péguy ne renie pas, loin de là, son passé Dreyfusard. Mais il en donne une nouvelle interprétation « l’alliance de la République laïque et de la France chrétienne dans le patriotisme. »

 

Péguy qui a rompu avec la gauche, le mouvement ouvrier, le socialisme de sa jeunesse, n’a pas pour autant rallié le nationalisme des antisémites et néo-royalistes soutenus par Sorel. Il adhère au républicanisme de Poincaré et fait l’éloge de la colonisation. 

 

« Le nationalisme républicain de Péguy n’est pas une singularité d’écrivain original. Il traduit un nouveau climat intellectuel dans les années qui précèdent la grande guerre. Pendant l’affaire, et au moins jusqu’en 1905, le nationalisme s’était défini par son ennemi intérieur, l’anti France (…) La crise extérieure ouverte par Guillaume II à Tanger (et les suivantes) créé une tension politique d’où émerge un autre nationalisme, tourné vers l’extérieur, face au danger allemand, auquel se rallient des radicaux comme Clemenceau et des républicains modérés comme Poincaré et qui gagne une partie de la jeunesse des écoles. 

 

Chapitre 13. La naissance de la N.R.F. 

 

La Nouvelle Revue Française publie son premier numéro en février 1909. Elle est dirigée par un groupe d’ami : 

André Gide (qui n’est pas encore très connu), 

Marcel Drouin (beau frère de Gide et agrégé de philosophie)

André Ruyters (employé de banque à Bruxelles et poète)

Henri Vangeon (médecin de campagne)

Jean Schlumberger (famille protestante et industrielle d’Alsace)

Jacques Copeau (auteur dramatique)

 

Centrée sur ce noyau, la NRG se déclare ouverte aux différents courants de la littérature contemporaine, à cette exigence près d’une certaine dignité et d’une certaine tenue qui l’apparentait au classicisme plus qu’à l’avant-garde. Tous les 6 traduisent la nouvelle sensibilité de l’époque au religieux et au patriotisme. 

 

A la fin de 1910, la revue attire à elle une grande partie du meilleur de la littérature française. Pour élargir l’audience, un comptoir d’édition est créé en mai 1911. Le gérant est Gaston Gallimard. Il est lié par contrat à Schlumberger et à Gide. Rapidement Gallimard publie les meilleurs auteurs du moment et l’association NRF Gallimard marque l’une des entreprises les plus fécondes, la plus riche de l’histoire de l’édition française. 

 

Chapitre 14. L’entrée en scène de Martin du Gard. 

 

En octobre 1913Roger Martin du Gard quitte sa retraite de campagne pour la sortie de son drame « Jean Barois » qui illustre les trois périodes de la vie d’un homme.

l’âge adolescent, le moment de la crise religieuse.

l’âge fort, celui de la maturité, qui est aussi celui de l’abandon complet de toute préoccupation religieuse.

l’âge de l’insensible, déchéance, le retour aux illusions qui accompagne le déclin physique et l’approche de la mort. Mais au delà des questions religieuses, l’ouvrage est aussi l’écho de l’histoire des idées depuis l’affaire Dreyfus. 

 

En cette année 1913, publication d’une enquête sur « les jeunes gens d’aujourd’hui » de Henri Massin et Alfred Tarde qui utilisent le pseudonyme d’Agathon. Le plan de l’ouvrage donne un aperçu des opinions des auteurs :

1. Le goût de l’action.

2. La foi patriotique.

3. La vie morale.

4. Une renaissance catholique.

5. Le réalisme politique. 

 

Avec « l’appel aux armes » d’Ernest Psichari », ces ouvrages illustrent une élite intellectuelle traversée par le renouveau patriotique, voire nationaliste et religieux, c'est-à-dire catholique. 

 

Les convergences entre anciens dreyfusistes et nationalistes s’expriment dans la revue « l’indépendance » (mars 1911 – août 1913) qui s’adresse « aux hommes de raison qui ont été écoeurés par le sot orgueil de la démocratie, par les balivernes humanitaires, par les modes venues de l’étranger, qui veulent travailler à rendre l’esprit français son indépendance. » 

 

Chapitre 15. Union sacrée.

 

L’union sacrée qui s’est faite rapidement dans le personnel politique se réalise aussi très vite chez les intellectuels. D’une certaine manière, la déclaration de guerre était une revanche du nationalisme antidreyfusard. L’armée redevenait sacrée.

 

Le nationalisme de Barrès évolue. Ce qu’il exprime désormais, ce n’est plus l’antidreyfusisme exclusif, antisémite en quête d’une improbable race française, mais un nationalisme de réconciliation, un nationalisme d’union sacrée. 

 

Maurras et l’Action française profitent de la guerre pour imposer leur légitimité politique au-delà des rangs de leurs fidèles. 

 

Par contre le ralliement de l’intelligentsia de gauche était moins prévisible et pourtant il y eut peu de défections.

 

En fait l’idée largement partagée était que la France, sanctuaire de la Révolution française, terre de la liberté, devait être défendue contre la barbarie nazie. La guerre menée par les Français était celle du droit et de la liberté contre la barbarie allemande. Pour la gauche intellectuelle, 1914 devenait une nouvelle phase de la guerre révolutionnaire de 1792-1793 menée contre le despotisme. 

 

Les seules grandes résistances furent celles de Romain Rolland qui réfugié en Suisse publia 8 articles dans le journal de Genève entre août et décembre 1914. Ils seront réunis en volume sous le titre « Au dessus de la mêlée ».

Alain pour sa part, au milieu des tranchées, en 1916, publie « Mars ou la guerre jugée » qui circule clandestinement.

Barbusse, dont le livre  « le feu» magnifie la résistance des poilus, mais dénonce aussi la guerre, obtient le prix Goncourt en 1916. Il obtient un très grand succès, mais n’est pas interdit par la censure. 

 

Chapitre 16. La mort de Barrès.

 

Les lendemains de la guerre font de Barrès un personnage officiel. Il est de toutes les cérémonies de la victoire et une bande de jeunes écrivains, révoltés par le massacre, en viennent à faire de Barrès le symbole de tout ce qu’ils détestent. Le mouvement Dada décide de lui faire un procès public qui se déroule le 13 mai 1921 (avec Louis AragonPhilippe SoupaultTristan Tzara).

 

En 1922Barrès provoque un scandale avec la publication de son roman « Un jardin sur l’Oronte » qui décrit l’amour passionné d’un chevalier chrétien (sire Guillaume) et d’une sarrasine (Oriante). Ce roman est sévèrement critiqué par la presse catholique. 

 

Barrès meurt le 4 décembre 1923 d’une crise cardiaque et le gouvernement décide de funérailles nationales comme pour Victor Hugo en 1885. Avec Maurice Barrès disparaissait l’un des écrivains les plus influents de la France contemporaine. Il avait d’abord ébloui par sa prose, son style et ses idées qui affirmaient les droits de la personnalité contre tout ce qui se conjugue pour l’entraver, revendiquait « le petit bagage d’émotions qui est tout son moi. » Dans les années 1890 ses idées évoluent vers le nationalisme, doctrine qui deviendra par la suite nettement conservatrice, préservatrice, protectionniste. Mais il change de perspective avec la guerre et se rallie alors au régime républicain tel qu’il est sous l’autorité de Poincaré et de Clemenceau. Sa disgrâce en notre fin de XXe siècle tient sans doute au fait que son nom, associé à celui de Maurras, évoque ce que la culture politique prépondérante ne peut plus accepter : le nationalisme exacerbé, xénophobe, antisémite. 

 

Fin

 

 

 

 



29/12/2011
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