Clausewitz. De la guerre. I. La nature de la guerre. (NDL)
Première partie. Livre I. La nature de la guerre.
Chapitre I. Qu'est ce que la guerre.
2. Définition.
« La guerre n'est rien d'autre qu'un duel à une plus vaste échelle (…). La guerre est donc un acte de violence destiné à contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté. »
3. Usage illimité de la force.
« Les erreurs dues à la bonté d'âme sont précisément la pire des choses. Comme l'usage de la force physique dans son intégralité n'exclut nullement la coopération de l'intelligence, celui qui use sans pitié de cette force et ne recule devant aucune effusion de sang prendra l'avantage si celui-ci n'agit pas de même (…). L'on ne saurait introduire un principe modérateur dans la philosophie de la guerre elle-même sans commettre une absurdité. »
« Le conflit entre les hommes dépend en réalité de deux éléments différents : le sentiment d'hostilité et l'intention hostile. De ceux deux éléments nous avons choisi le premier pour imprimer à notre définition sa marque distinctive (…) En un mot, même les nations les plus civilisées peuvent être emportées par une haine féroce. »
« La guerre est un acte de violence et il n'y a pas de limite à la manifestation de cette violence. »
4. Le but est de désarmer l'ennemi.
« Pour que l'adversaire se soumette à notre volonté il faut le mettre dans une situation plus défavorable que ne serait le sacrifice que nous lui demandons. Toutefois le désavantage de sa situation ne doit naturellement pas être transitoire (mais définitif). »
« Le désarmement de l'ennemi est le but de l'acte de guerre (….) tant que je n'ai pas abattu l'adversaire je peux craindre qu'il m'abatte. »
5. Déploiement extrême des forces.
« Si l'on veut abattre l'adversaire, il faut proportionner l'effet à sa force de résistance. Celle-ci est le produit de deux facteurs inséparables : l'étendue des moyens dont il dispose, et la force de sa volonté. »
6. Modifications dans la réalité.
« Tout prend une forme différente si l'on passe de l'abstraction à la réalité. Dans l'abstraction tout devait être considéré avec optimisme et il fallait concevoir que chacun des deux camps ne tendait pas seulement vers la perfection, mais aussi y atteignait. Pourra-t-il jamais en être ainsi dans la réalité ? Ce serait le cas si :
1. La guerre était un acte tout à fait isolé, surgit brusquement et sans connexion avec la vie antérieure de l'Etat.
2. Si elle consistait en une décision unique ou en plusieurs décisions simultanées.
3. Si elle entraînait une décision complète par elle-même, et si l'on n'avait pas tenu compte de la situation politique qui doit en résulter et réagir sur elle. »
7. La guerre n'est jamais un acte isolé.
« La guerre n'éclate jamais de façon tout à fait soudaine : son extension n'est pas l'œuvre d'un instant. » Cela permet aux adversaires de prendre la mesure l'un de l'autre.
8. La guerre ne consiste pas en un seul coup sans la durée.
« Toute guerre serait nécessairement réduite à une décision unique ou à plusieurs décisions simultanées si les moyens disponibles en vue de la lutte étaient tous mis en œuvre en même temps, ou pouvaient l'être (…) mais la répugnance de l'homme à fournir un effort excessif le pousse à se réfugier dans la possibilité d'une décision ultérieure, si bien que, pour la première décision le degré de concentration et de tension de ses ressources sera inférieur à ce qu'il aurait été le cas contraire. » D'autre part lorsqu'un adversaire diminue son effort, l'autre à tendance à en faire autant.
9. La guerre n'est jamais quelque chose d'absolu dans son résultat.
« La décision finale de toute guerre ne doit pas toujours être considérée comme un absolu ; souvent l'Etat vaincu voit plutôt dans sa défaite un mal transitoire, auquel les circonstances politiques ultérieures pourront fournir un remède. »
10. Les probabilités de la vie réelle prennent la place de l'extrême et de l'absolu du concept.
« Chacune des deux parties tachera de prévoir l'action de l'autre en tirant ses conclusions du caractère, des institutions, de la situation et des conditions où se trouve l'adversaire et y accordera la sienne propre en se servant des lois du calcul des probabilités. »
11. L'objectif politique réapparait.
« L'objectif politique de la guerre, comme mobile initial de la guerre fournira la mesure du but à atteindre par l'action militaire autant que des efforts nécessaires (mais il ne peut) servir de mesure que si l'on tient compte de son influence sur les masses qu'il intéresse (…) Plus les masses seront indifférentes et moins seront fortes les tensions qui, en d'autres domaines, existent aussi dans les deux Etats et dans leurs relations, plus l'objectif politique sera un facteur dominant en tant que mesure, et décisif par lui-même. »
13. Il n'y a qu'une seule cause capable d'arrêter l'action et cette cause ne semble jamais pouvoir exister que d'un seul côté.
« L'idée d'équilibre n'explique pas la trêve des hostilités, mais (…) elle équivaut toujours à l'attente d'un moment plus favorable. »
14. Il s'introduisit ainsi dans l'action militaire une continuité qui exacerberait tout de nouveau.
« Si cette continuité de l'acte de guerre existait réellement, elle passerait de nouveau tout à l'extrême (…). La suspension de l'action militaire doit donc être possible, c'est-à-dire ne pas être une contradiction en soi. »
15. Un principe de polarité entre donc en jeu.
« Le principe de polarité n'est valable que si cette polarité à trait à un seul et même objet, où le principe positif et son opposé le principe négatif, se suppriment rigoureusement. »
16. L'attaque et la défense sont deux choses de nature différente et de force inégale ; la polarité ne s'applique donc pas à elles.
17. L'effet de polarité est souvent annihilé par la supériorité de la défense sur l'attaque, ce qui explique la suspension de l'acte de guerre.
18. Une seconde cause réside dans la connaissance imparfaite de la situation.
« La possibilité d'une trêve introduit dans l'acte de guerre une nouvelle modération ; elle le dilue en quelque sorte dans le facteur temps, elle freine le danger de sa progression et accroît les moyens de restaurer l'équilibre des forces. »
19. La trêve fréquente dans l'acte de guerre éloigne toujours plus la guerre de l'absolu et la rapproche toujours plus du calcul de probabilité.
20. Il ne maque donc plus que le hasard pour faire de la guerre un jeu, et c'est là qu'il est le plus fréquent.
« Aucune activité humaine ne dépend si complètement et si universellement du hasard de la guerre. L'accidentel et la chance jouent donc avec le hasard, un grand rôle dans la guerre. »
21. La guerre devient un jeu par sa nature subjective comme par sa nature objective.
« La guerre ne trouve aucune base certaine sur laquelle fonder les calculs relatifs à l'art de la guerre. »
22. C'est l'élément qui convient le mieux à l'esprit humain en général.
« L'art de la guerre s'applique à des forces vivantes et morales ; en conséquence, il ne peut jamais atteindre l'absolu ; il reste toujours une marge pour l'accidentel (mais) (…) plus le courage et l'assurance sont grands, plus on peut laisser de latitude à l'accidentel. Le courage et l'assurance sont donc des principes tout à fait essentiels à la guerre. »
23. Mais la guerre reste toujours un moyen sérieux en vue d'un but sérieux. Définitions supplémentaires.
« La guerre d'une communauté (…) surgit toujours d'une situation politique et ne résulte que d'un motif politique. Voila pourquoi la guerre est un acte politique. »
24. La guerre est une simple continuation de la politique par d'autres moyens.
25. Diversité de la nature de la guerre.
« Plus la guerre est évidente, plus le but militaire domine, moins la guerre est violente, plus le but politique domine.
26. Toute guerre sera considérée comme un acte politique.
27. Conséquences de cette opinion pour la compréhension de l'histoire de la guerre et pour les fondements de la théorie.
« En toutes circonstances il faut considérer la guerre comme un instrument politique et non comme une chose indépendante. »
« Les guerres diffèrent selon la nature de leurs motifs et des circonstances qui les engendrent. »
28. Conséquences pour la théorie.
La trinité de la guerre :
La violence originelle : le peuple.
La haine et l'animosité : le commandant et son armée.
Le jeu des probabilités et du hasard : le gouvernement.
Chapitre II. La fin et les moyens de la guerre.
Trois objets essentiels qui englobent tout le reste.
- Les forces militaires. Il faut détruire les forces militaires adverses (les rendre incapables de poursuivre le combat).
- Le territoire. Il faut le conquérir pour empêcher la reconstitution des forces ennemies.
- La volonté de l'ennemi. Elle doit être jugulée, c'est-à-dire que son gouvernement, ses alliés, son peuple doivent être prêts à signer la paix.
« Cet objectif de la guerre abstraite, cet ultime moyen d'atteindre l'objectif politique, qui englobe tous les autres, à savoir le désarmement de l'ennemi ne se produit pas toujours dans la pratique, et n'est pas une condition nécessaire à la paix. »
Deux éléments peuvent fournir des motifs de paix.
- L'improbabilité du succès.
- Le prix excessif qu'il faudrait payer pour gagner.
« La guerre n'est pas un acte de passion aveugle mais un acte dominé par un dessein politique, la valeur de ce dessein déterminera l'ampleur des sacrifices nécessaires à sa réalisation. Cela vaut pour l'étendue des sacrifices comme pour leur durée. »
Comment exercer une influence sur la probabilité du succès.
- Par la destruction des forces ennemies.
- Par la conquête de provinces.
- Par des opérations politiques (rupture des alliances ennemies, renforcement de ses propres alliances).
Trois autres moyens permettent d'augmenter les dépenses des forces ennemies.
- L'invasion, occupation du territoire dans un but d'exploitation et non de conservation (lever des taxes ou le dévaster).
- Attaquer les points vulnérables pour lui nuire le plus possible.
- Usure de l'ennemi par un « épuisement graduel des forces physiques et de la volonté au moyen de la durée de l'action.
« Mais si l'on veut persévérer dans la lutte plus longtemps que l'ennemi, il faudra se contenter de visées aussi modestes que possible (…) or le plus petit objectif qu'il soit possible de se fixer est la pure et simple résistance, c'est-à-dire un combat dépourvu d'intention positive (..) La résistance est une activité destinée à détruire une somme de force ennemie telle que celui-ci devra renoncer à son succès. »
« Si l'intention négative, c'est-à-dire la concentration de toutes les ressources en vue d'une pure résistance, confère la supériorité dans le combat, et si celle-ci est assez grande pour contre balancer la prépondérance éventuelle de l'ennemi, alors la simple durée du combat suffira peu à peu à amener la dépense de force de l'ennemi jusqu'au point où son objectif politique ne sera plus un équivalent adéquat, donc un point où il devra abandonner la lutte. »
« Toute activité guerrière se rapporte donc nécessairement à l'engagement et celui-ci vise à la destruction de la capacité de combat ennemie. »
« La destruction des forces ennemies à une valeur supérieure à tous les autres moyens ; mais il faut lui imposer le prix et les risques qu'elle comporte (…) Les risques que comportent ce moyen résident en ce que l'efficacité recherchée retombe sur nous en cas d'échec, et entraîne par conséquent de plus grands inconvénients. »
Chapitre III. Le génie guerrier.
Le génie militaire consiste « en une combinaison harmonieuse des forces, ou l'un ou l'autre peut prédominer, mais ou aucune ne doit s'opposer à l'autre. »
La vertu guerrière par excellence : le courage.
- Courage personnel
- mépris de la mort.
- ambition, patriotisme, enthousiasme.
- Courage devant la responsabilité qui est « arbitré soit par une instance externe, soit par la conscience, instance interne. »
La combinaison de ces ceux formes donne le modèle du courage le plus parfait.
« La guerre est le domaine de l'effort et de la souffrance physique. Pour pouvoir résister il faut une certaine force physique et morale. » Mais la guerre est aussi le domaine du hasard.
Deux qualités indispensables :
- Un esprit qui ne perd pas toute trace de la clarté interne nécessaire pour le conduire vers la vérité (le coup d'œil). Il traduit « la rapidité avec laquelle on tombe sur une vérité qui reste invisible au regard d'un esprit ordinaire ou n'est discernée qu'après un long examen et de profondes réflexions.
- La résolution, c'est-à-dire le courage devant les responsabilités.
Une troisième qualité : la présence d'esprit qui consiste à trouver rapidement le remède à un péril soudain. Peu importe que la répartie ou le remède n'aient rien d'extraordinaire en eux-mêmes, pourvus qu'ils tombent à propos.
Les sentiments les plus stimulants pour le soldat : l'ambition et l'honneur de la gloire. Ce sont eux qui stimulent le plus l'efficacité d'une armée et préparent sa victoire.
Une particularité importante (la plus forte) de l'activité guerrière. « La connexion qui existe entre la guerre et le terrain, c'est-à-dire le pays ou le sol. »
- Connexion permanente, il est impossible de concevoir une opération de guerre qui se déroule ailleurs qu'en un espace déterminé.
- Importance décisive puisqu'elle modifie et peut parfois transformer totalement les effets de toutes les forces.
- Elle intéresse aussi bien les détails les plus minimes d'une localité que les plus vastes étendues du pays.
Mais celui qui saura vaincre cette difficulté grâce à son talent ou son entraînement disposera d'un avantage considérable.
Mais nécessité du sens de l'orientation, c'est-à-dire « la capacité de se former rapidement une représentation géométrique correcte de n'importe quel pays et par conséquent de savoir chaque fois y trouver facilement son terrain. »
Chapitre IV. Du danger en guerre.
« Avant de le connaître, on s'en fait généralement une idée plus attrayante que répulsive. »
« Il faudrait être un homme bien extraordinaire pour ne pas perdre à ce premier contact sa capacité de décision instantanée. L'habitude entraîne une prompte insensibilité (…) mais l'homme ordinaire n'atteint jamais la placidité parfaite et l'élasticité naturelle de l'âme. »
Chapitre V. De l'effort physique en guerre.
« L'effort physique appartient comme le danger aux causes fondamentales de friction et l'incertitude où l'on est sur son degré le rapproche des corps élastiques dont on sait que le frottement est difficile à calculer. »
Chapitre VI. Le renseignement en guerre.
Renseignement. « Désigne l'ensemble des connaissances relatives à l'ennemi et à son pays et, par conséquent le fondement sur lequel s'érigent nos propres idées et nos actes. »
Les nouvelles qui parviennent en temps de guerre sont en grande partie contradictoires et fausses. Les plus nombreuses sont douteuses. Il faudra donc se fier à la loi des probabilités et à sa capacité de jugement.
Chapitre VII. La friction en guerre.
« Tant que l'on ne connaît pas soi même la guerre, on ne conçoit pas en quoi consistent les difficultés dont il est toujours question (…). Dans la guerre, tout est très simple, mais la chose la plus simple est difficile. Les difficultés s'accumulent et entraînent une friction que personne ne se représente correctement s'il n'a pas vu la guerre (…). La friction, ou ce qu'on appelle ainsi, est donc ce qui rend difficile tout ce qui paraît facile. »
« L'action en guerre est un mouvement qui s'effectue dans un milieu aggravé par les difficultés.