Coutau-Bégarie. Traité de stratégie. III. La stratégie en tant que science. (NDL)

Chapitre 3. La stratégie en tant que science.

 

 

 

61. Le champ de la science stratégique. 

 

La stratégie tire profit de n’importe qu’elle discipline (sciences exactes, économie, sciences politiques, sociologie, histoire…)

 

62. Science militaire et science stratégique. 

 

La stratégie n’est qu’une branche de ce que l’on appelle la conduite de la guerre, ou du conflit.

 

« La stratégie est médiatisée par la tactique, mais elle procède d’abord d’une compréhension du lien intrinsèque entre la guerre et la politique. » 

 

63. Universalité de la stratégie ? 

 

« La pensée stratégique n’est pas universelle, à moins d’affaiblir son contenu au point d’y faire rentrer n’importe quel écrit se rapportant à l’art de la guerre. La science stratégique à une histoire discontinue. Parmi les civilisations qui ont développé un art de la guerre suffisamment complexe pour mériter le nom de stratégie, certaines n’ont produit aucune littérature stratégique digne de ce nom. » 

 

64. Les déterminants sociaux de la science stratégique.

 

Les causes de cette discontinuité.

 

- La pensée stratégique doit répondre à un besoin (le plus souvent provoqué par des guerres ou des risques de guerre).

 

- La pensée stratégique suppose une certaine ouverture, car elle révèle des préceptes, des maximes, dans l’esprit de beaucoup, que les gouvernants et chefs militaires ne souhaitent pas divulguer, pour ne pas renseigner l’adversaire. 

 

- Elle suppose une tournure d’esprit tournée vers l’abstraction. 

 

- Elle suppose une tournure d’esprit gouvernée par le principe d’efficacité. Elle postule le comportement rationnel d’un acteur tourné vers un but unique : la victoire sur l’ennemi. 

 

65. Rareté de la science stratégique.

 

La science stratégique est limitée à des sociétés évoluées, confrontées au risque de guerre, ouvertes à la discussion, tournées vers l’abstraction et gouvernées par la recherche de l’utilité. On distingue 3 grands foyers : 

  • Le monde chinois, 

  • Le monde grec avec ses prolongements romain et byzantin, 

  • L’Europe moderne. 

 

66. Difficulté de connaître la science stratégique.

 

Les études sur la science stratégique sont très récentes et encore très incomplètes. En France, il n’y a pas d’enseignement universitaire (seule la Russie développe des diplômes en études militaires.)

 

Section I. La pensée stratégique asiatique. 

 

Sous section I. La pensée chinoise. 

 

67. Une stratégie perdue.

 

C’est entre le Ve et le IVe siècle avJ C que se constitue une très abondante littérature stratégique. Malheureusement l’essentiel en est perdu du fait de l’indifférence pour le sujet des lettrés confucéens. 

 

68. Les fondateurs : Sun Zi et Sun Bin. 

 

Sun Zi vivait probablement au Ve siècle Av JC. Ses 13 articles sur l’art de la guerre serviront de bréviaire à tous les généraux chinois. 

 

Sun Bi serait le petit fils de Sun Zi. Son ouvrage a seulement été retrouvé en 1972. Il se montre plus attentif que Sun ZI aux aspects opérationnels et accorde une part importante à la cavalerie. Son insistance sur la logistique résulte de l’accroissement des effectifs et de l’allongement des campagnes. 

 

69. La formation d’une culture stratégique. 

 

A la fin du XIe siècle, l’empereur Shen Zong arrête une liste de 7 classiques inscrits aux examens : 

  • Le Sun Zi Bingla (l’art de la guerre de Sun Zi).

  • Le Wu Zi Bingla, ouvrage d’un général du IVe avJC qui se compose de 6 chapitres assez brefs dans lesquels il essaie de concilier la morale confucéenne et les affaires militaires.

  • Le Sima Fa, texte bref et énigmatique du IVe avJC (le livre du maître de la cavalerie. Il insiste sur l’administration de l’armée. 

  • Le Tang Li Wendui (questions et réponses entre Tang Taizong et Li Weigong) de l’époque Tang.

  • Le Wei Liao Zi, ouvrage d’un légiste de la fin du IVe avJC à la solide expérience militaire qui prolonge Sun Zi avec des préoccupations très concrètes. 

  • Le San Lue (Trois stratégies) de Huang Shegong qui insiste sur le contrôle du gouvernement. 

  • Le Tai Gong Liutao (Les 6 enseignements secrets de Taigong) ouvrage ésotérique, assez subversif qui serait le plus ancien de ces textes (XIe siècle av JC). Sa possession était punie de mort. 

 

Cette culture stratégique sera vulgarisée par la littérature et le théâtre populaire. Mao Zedong s’en inspira largement. 

 

70. La sclérose de la pensée chinoise.

 

Mais les successeurs n’approfondissent pas, se contentant de gloses répétitives. Il faut sans doute incriminer la pensée confucéenne, qui fondée sur la vertu, tend à disqualifier la guerre reléguée parmi les tâches inférieures.

 

Seuls Liu Ji au XIVe siècle et Qi Jiguang au XVIe siècle développent des réflexions originales et essaient de rénover la tactique en prenant en compte l’introduction des armes à feu. 

 

71. La pensée stratégique chinoise et l’occident. 

 

Elle est diffusée dès le XVIIIe siècle par un Jésuite le père Angot qui publie un « art militaire des Chinois ou recueil d’anciens traités sur la guerre composés avant l’ère chrétienne par différents généraux chinois » (1772)

 

Mais il faut attendre le début du XXe siècle pour que l’Europe s’intéresse vraiment à la stratégie chinoise avec un regain d’attention depuis les années 1970. Sun Zi est avec Clausewitz, le stratégiste le plus connu et le plus lu. 

 

Sous section II. Les pensées périphériques.

 

72. La pensée stratégique vietnamienne.

 

Elle procède largement du modèle chinois.

  • Trân Quoc Tuân (XIIIe) compose un résumé de l’art militaire en 4 tomes qui couvrent tout l’art de la guerre. 

  • Nguyen Trai plaide pour la résistance populaire contre les Chinois.

  • Dao Duy Tu (XVIIIe) rédige un manuel tripartie d’inspiration confucéenne : le ciel (l’essentiel de l’art militaire), la terre (le combat), l’homme (les généraux, les soldats, le terrain). 

 

73. Un traité siamois. 

 

Rédigé au début du XVIe siècle sur ordre du roi Ramathibodi II, il est partiellement perdu. 

 

74. La pensée stratégique japonaise.

 

Peu connue, le contenu paraît pauvre. Elle est dominée par les écrits sur l’art du sabre et des arts martiaux. Sun Zi est introduit au VIIe siècle et exerce une grande influence sur la pensée japonaise. Dans les années 1970 sa pensée est transposée dans le domaine économique. 

 

75. La pensée stratégique indienne.

 

Elle est mal connue. L’ouvrage le plus important est l’arthasâstra, attribué à Kautilya (IIIe siècle avJC). Cette pensée se rapproche de la pensée chinoise par beaucoup d’aspects, mais elle n’a pas la même valeur théorique : pour le choix du champ de bataille, les procédés tactiques doivent cohabiter avec les rites divinatoires. 

 

Section II. La pensée stratégique occidentale ancienne.

 

76. Tacticiens et stratégistes grecs. 

 

Il ne reste que des débris d’une production qui fut réelle. Le plus ancien traité semble être celui d’Enée (IVe av JC) pour qui la guerre est moins une épreuve de force qu’une épreuve de ruse. 

 

Viennent ensuite Asclépiodote (Ier Av JC), Onesandros (Ier). Cette pensée pratique tournée vers l’action complète la réflexion historique et stratégique de Xénophon, Thucydide.

 

77. L’approche pragmatique des Romains.

 

La stratégie romaine est d’abord le fruit d’une pratique, mais cette expérience ne semble pas avoir donné naissance à une littérature spécialisée abondante. Caton et Polybe ont écrit sur ce sujet. 

 

L’auteur le plus important du Haut Empire est Frontinus dit Frontin qui rédige un traité recensant 583 stratagèmes rigoureusement organisés en 7 livres (entre 84 et 88). Ensuite c’est en occident qu’apparaît à la fin du Ive siècle un véritable essai militaire, le « De Re militari » de Végèce. Il s’agit d’une compilation de tous ses prédécesseurs. Végèce est l’auteur militaire le plus important que nous ait légué l’antiquité occidentale. Il fonde la tradition occidentale des principes de la guerre. 

 

Les historiens par leurs minutieuses descriptions des batailles contribuent eux aussi à la connaissance de la stratégie : Polybe en est le modèle, mais son œuvre est incomplète : Viennent ensuite César, Tacite, Tite Live.

 

78. La pensée byzantine.

 

Les Byzantins ont écrit de nombreux ouvrages, mais les pertes sont importantes. Le souci prédominant dans ces ouvrages est la conduite du combat. 

 

79. Fragments musulmans. 

 

Les Byzantins ont exercé une influence notable sur la stratégie arabe et iranienne. Mais le cadre contraignant de la théologie coranique a gêné l’émergence d’une véritable pensée stratégique arabe constituée. 

 

Par contre du XIIIe au XVIe siècle, l’Egypte des Mamelouks produit de nombreux traités d’armurerie qui touchent à la tactique et parfois à la stratégie. 

 

80 Traces arméniennes. 

 

L’Arménie malgré ses riches traditions littéraires et militaires, n’a pas produit de traités de tactique ou de stratégie (seulement quelques réflexions dans les récits d’historiens). 

 

81. L’héritage des anciens. 

 

Végèce est la référence universelle. Il est traduit dans toutes les langues et sans cesse édité. Mais tous les autres auteurs ont eux aussi de nombreuses éditions.

 

Dans le domaine militaire comme dans les arts ou en philosophie, l’antiquité est une référence constante. Ce n’est qu’après les guerres napoléoniennes, à la suite des formidables bouleversements politiques engendrés par la Révolution et l’accélération du progrès technique que la caution des Anciens cesse d’être, sinon pertinente, du moins usuelle. 

 

Section III. La pensée stratégique européenne moderne. 

 

82. L’éclipse médiévale. 

 

La pensée médiévale dans ce domaine est très pauvre. Il n’y aucun traité sérieux avant 1400. L’influence de Végèce reste très forte. Par contre la réflexion se développe après 1450 sous l’influence du progrès de l’artillerie. 

 

Sous section I. La maturation du XVIe siècle. 

 

83. Penseurs espagnols et italiens. 

 

En Espagne, une réflexion militaire accompagne le développement du Tercio qui marque la fin de la prépondérance de la cavalerie. 

 

En Italie, fort développement de la littérature militaire, en particulier à Venise qui produit plus de livres militaires entre 1492 et 1570 que tout le reste de l’Europe. 

 

84. Machiavel, tacticien et stratégiste.

 

1521. Publication de « L’arte della guerra » qui est un livre de critiques des institutions militaires de l’époque. Contre les armées de mercenaires, il réclame une armée de citoyens et insiste sur la nécessité de la bataille et la recherche de l’attaque du fort au faible. Cet ouvrage eut une influence durable tant en Italie que dans le reste de l’Europe (France en 1546)

 

 

Autre ouvrage important « Les discours sur la première décade de Tite Live » qui propose des développements très structurés sur de nombreux sujets. « Il est vraiment question de stratégie et de manière étincelante. » 

 

85. Penseurs anglais et français. 

 

En Angleterre, on constate une régression. « La théorie militaire anglaise du XVIe siècle sera officiellement dominée par le dogme de l’arc, considéré comme l’arme providentielle de la nation. Beaucoup d’auteurs se réfugient dans un passéisme sécurisant. » 

 

En France, les guerres d’Italie offrent un vaste champ d’expérience et de méditation. Puis ce sont les guerres de religion. 

 

86. Penseurs allemands.

 

Production abondante favorisée par la prolifération des principautés et des conflits. La guerre de Trente ans verra la mise en œuvre d’instruments et de tactiques élaborés durant cette période. 

 

87. Bilan du XVIe siècle.

 

« Il n’en manque pas beaucoup pour que l’on soit en présence d’une pensée stratégique véritablement constituée. Pourtant celle-ci n’éclora pas au siècle suivant. 

 

Sous section II. Le XVIIe siècle.

 

88. Un siècle à découvrir. 

 

La production du XVIIe siècle est presque exclusivement tactique. Le problème central, en dehors de la fortification, est celui de la discipline, des automatismes nécessités par les nouveaux ordres de combat. 

 

En Hollande, Maurice de Nassau, innove par l’accroissement de la puissance de feu, la généralisation des mousquets, les feux de salve, l‘amincissement des lignes, l’amélioration de l’artillerie, l’accroissement de la mobilité. 

 

L’Espagne perd sa position prééminente en raison de faiblesses structurelles et de la montée de puissances concurrentes, mais elle poursuit un effort militaire impressionnant. 

 

En Italie, la production est moins abondante.

 

En France de nombreuses productions dont certaines obtiennent du succès.

 

89. Montecucculi, premier stratégiste. 

 

La seconde moitié du siècle est dominée par l’Autrichien Montecucculi adversaire de Turenne. Ses essais s’élèvent nettement au dessus des préoccupations de ses contemporains. Mais ils seront largement diffusés après sa mort. Par l’ampleur de ses vues et de son audience, il mérite d’être qualifié de fondateur de la science stratégique moderne. 

 

90. La stagnation de la réflexion à la fin du XVIIe siècle.

 

A part l’Espagne (mais elle reste à l’extérieur des frontières), le reste de l’Europe ne brille guère par la réflexion stratégique. 

 

Sous section III. Le XVIIIe siècle. 

 

91. Le débat tactique en France. De la colonne à l’ordre oblique. 

 

La pensée militaire éclot véritablement au XVIIIe siècle. Ce débat est d’abord tactique : on cherche des solutions nouvelles pour surmonter le blocage engendré par le dispositif en ligne, qui s’est imposé avec la généralisation du fusil.

 

Le chevalier de Folard développe la doctrine de la colonne qui sera beaucoup discutée, et qui sera au cœur du débat militaire.

 

Le système de l’ordre oblique de Frédéric le Grand est étudié et diffusé par Guibert dont l’aboutissement est « le règlement concernant l’exercice et les manœuvres de l’infanterie. » (1791). 

 

92. L’apparition de la dimension stratégique en France. 

 

La première moitié du siècle est dominée par 3 noms : Folard, De Feuquières, De Puységur.

 

  • Folard, développe une pensée stratégique fondée sur l’offensive et la recherche de la bataille décisive. La colonne n’est qu’un moyen tactique à cette fin.

 

  • Antoine de Pas, marquis de Feuquières, théorise l’art de la manœuvre savante de l’Ancien régime. Il n’exclut pas les batailles mais estime qu’elles ne « doivent être données qu’avec nécessité et pour des raisons importantes. » 

 

  • Jacques François de Chastenet marquis de Puységur, définit des ordres de bataille et de marche, des sortes de sièges et les applique ensuite aux campagnes de Turenne. Il inspirera fortement Frédéric II de Prusse. 

 

Mais à la fin de l’Ancien régime, les nombreux auteurs sont éclipsés par Guibert.

 

93. Guibert. 

 

Jacques Hippolyte Guibert (1743-1790), publie en 1772 « L’essai général de tactique » qui lui assure la célébrité. Par la suite, il tombera dans un oubli relatif. En fait il s’est intéressé aux deux aspects : la tactique et l’articulation entre la politique et la guerre.

 

94. Le rayonnement français.

 

La pensée tactique et stratégique du XVIIIe siècle, tant militaire que navale est dominée par les auteurs français qui sont traduits dans de nombreuses langues. 

 

95. Les écrivains allemands et autrichiens.

 

Frédéric II a personnellement beaucoup écrit. Ses œuvres sont traduites.

 

Deux autres auteurs importants : le comte Wilhelm de Schaumburg-Lippe et le colonel François Nockern de Schorn. Mais il existe de très nombreux autres auteurs de qualité inégale.

 

L’Autriche possède moins d’auteurs de qualité. 

 

96. L’école italienne. 

 

L’Italie voit la parution de quelques ouvrages. 

 

97. L’école espagnole. 

 

La réflexion militaire reste active et l’armée espagnole poursuit un réel effort de modernisation. Le marquis de Santa Cruz de Marcedano publie des réflexions militaires en 11 volumes (1724 à 1730). Son audience sera grande et durable dans toute l’Europe. Mais désormais la réflexion militaire subit les influences étrangères et en particulier française. 

 

98. La production britannique. 

 

L’auteur le plus important est Humphrey Lloyd.

 

Charles Davenant théorise la voie britannique dans le domaine de la stratégie. « Désormais l’art de la guerre d’une certaine manière, se réduit à l’argent et le prince qui assure le mieux le succès et la conquête n’est pas celui qui a les troupes les plus vaillantes, mais celui qui trouve le plus d’argent pour les nourrir, les habiller et les équiper. » Il préconise la création d’une forte marine. 

 

99. Et les autres.

 

Le général suisse Warnery.

 

Le colonel suédois Sprengtporben est le premier à théoriser le combat dans les bois. 

 

La Turquie définitivement surclassée essaie de comprendre l’art militaire des Chrétiens. 

 

100. La victoire du rationalisme.

 

On voit apparaître de jeunes auteurs qui s’appuient sur le raisonnement plus que sur l’expérience. Il s’amorce ainsi une dissociation entre l’art stratégique et la science stratégique, qui va donner à celle-ci un caractère critique, parfois jugé subversif par la hiérarchie militaire. 

 

Cette pensée militaire est dominée par le rationalisme, par la recherche de loi ce qui donne naissance à la stratarithmétique, « art de ranger en bataille un bataillon sur une figure géométrique donnée et de trouver le nombre d’hommes que contient cette figure tant qu’ils sont en bataille. »

 

« Seule la Russie échappe à cette engouement qui aboutit à la question mal posée de la colonne et de la ligne. »

 

L’abondance de la production, chez toutes les puissances européennes, témoigne de la fin de la stratégie instinctive qui caractérisait le XVIIe siècle.

 

Section V. La pensée stratégique contemporaine. 

 

101. La transition : 1789-1815.

 

De 1789 à 1815, l’art de la guerre subit une transformation profonde, mais elle n’est pas théorisée et la période ne produit qu’un tout petit nombre d’auteurs importants : Jomini, Von Bülow, l’archiduc Charles. 

 

Von Bülow et l’archiduc Charles marquent la transition entre l’Ancien régime militaire et la stratégie moderne. Du premier, ils conservent l’aversion pour les batailles, à la seconde, ils donnent son concept de base et ses premiers traités systématiques. 

 

Sous section I. Les pères fondateurs. 

 

102. Jomini. 

 

C’est le père de la science stratégique contemporaine. A côté d’une abondante production historique, il publie en 1837-1838 le « Précis de l’art de la guerre » qui est un ouvrage dont le souci dominant est d’offrir des définitions et des classifications aussi précises que possible afin de donner un contenu scientifique à la stratégie. Il établit la taxinomie de la stratégie. 

 

103. La gloire de Jomini. 

 

Son influence fut très grande au XIXe siècle et il fut traduit dans de nombreuses langues. Son précis de l’art de la guerre fut le plus grand succès du siècle en littérature militaire. Il influence de façon décisive les premiers écrivains américains : Duane, Armstrong, Mahan.

 

104. Clausewitz. 

 

Il est aujourd’hui le plus connu de tous les penseurs militaires mais son œuvre n’est pas forcément la plus lue. 

 

Possédant une grande expérience militaire, il n’a jamais exercé de grands commandements.

 

Son œuvre, inachevée, aurait du comprendre 3 parties :

 

  • Un traité de stratégie.

  • Un traité de la petite guerre (guérilla)

  • Un traité de tactique.

 

105. Clausewitziens et néo clausewitziens. 

 

Son œuvre publiée après sa mort reçut au début un accueil indifférent. En France, il ne sera connu que par un petit nombre de personnes jusqu’aux années 1880. Ce n’est qu’à partir de 1870 que sa réputation commence à s’affirmer, moins pour des raisons intellectuelles que nationalistes (légitimation théorique de la supériorité prussienne). 

 

En Allemagne la mystique clausewitzienne s’accompagne d’une incompréhension à peu près générale d’une pensée qui va à l’encontre des préoccupations de la caste des officiers. Le primat de la politique, la supériorité de la défensive sont, soit rejeté, soit simplement ignorés. Les lecteurs cherchent des arguments à l’appui de leurs idées sur l’offensive et la bataille décisive.

 

A l’étranger, c’est la France qui a manifesté le plus d’intérêt pour l’œuvre de Clausewitz. Mais celui-ci décline à partir des années 1905-1910. 

 

Le monde anglo-saxon s’est montré plus réticent. Sa forme philosophique heurte le pragmatisme britannique. 

 

En Italie, il est très peu étudié (la première traduction intégrale ne paraît qu’en 1942). 

 

L’Espagne est totalement réfractaire. 

 

Mais après l’engouement des années 1870 à 1914, succède une longue période d’atonie. Le succès ne revient qu’à partir des années 1970. 

 

Sous section II. Le premier XIXe siècle.

 

106. Un arrière plan foisonnant.

 

Si Jomini et Clausewitz dominent largement la science stratégique de leur temps, il y eut de nombreux autres penseurs même si leurs travaux se limitent le plus souvent à la tactique. 

 

107. L’école allemande.

 

De nombreux généraux écrivent.

 

En Autriche importance du maréchal Radetzki. Après la défaite de 1866, on assiste à un effort de renouvellement avec le baron Von Gallina.

 

108. L’école italienne. 

 

Production abondante dans tous les royaumes italiens.

 

109. La décadence espagnole.

 

La réflexion militaire reflète la décadence militaire et politique de l’Espagne. Le brigadier Juan Sanchez Cisneros introduit l’étude de la stratégie mais se heurte à de nombreuses résistances. Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour retrouver des œuvres majeures (Commandant Francisco Villamartin)

 

110. L’école portugaise.

 

C’est une école très discrète. Un seul auteur semble avoir obtenu une certaine réputation, Luis da Camara Leme. 

 

111. L’école russe.

 

Elle continue à osciller entre une voie purement nationale et les emprunts à l’étranger. 

 

112. L’absence britannique.

 

James Anthony Gilbert diffuse les idées de Jomini. L’auteur le plus notable est sir Edward Bruce Hamley,dont son ouvrage connaît 8 éditions de 1866 à 1914. 

 

113. L’école française. 

 

En France la production est dominée par « l’esprit des institutions militaires » du Maréchal Marmont publié en 1845.

 

Si la période n’est pas un désert intellectuel, les débats ont plutôt porté sur l’organisation de l’armée et accessoirement sur la tactique. Ils n’ont pas abouti à la formation d’une doctrine stratégique française. On s’en remettait d’abord à l’allant de la troupe et au coup d’œil du général. 

 

114. Un mouvement polycentrique. 

 

Même si les auteurs français gardent une grande importance, la France n’exerce plus l’hégémonie intellectuelle qu’elle exerçait au XVIIIe siècle. La pensée stratégique ne rayonne à partir d’un foyer unique. 

 

Sous section III. La Belle Epoque. 

 

115. L’institutionnalisation de la science stratégique. 

 

Après 1870, la réflexion stratégique se généralise et s’institutionnalise. Elle devient désormais un élément essentiel de la formation des officiers supérieurs. Les écoles de guerre et les bibliothèques régimentaires se multiplient, les publications (livres ou revues) aussi.

 

La caractéristique principale de cette littérature est de délaisser la dimension politico-stratégique pour se tourner d’abord vers les aspects tactiques. Il faut définir les règles nouvelles adaptées aux nouveaux matériels. 

 

Les règlements qui se succèdent portent la marque d’un tiraillement entre deux conceptions qui s’opposent. 

 

  • Celle qui prône une offensive fondée sur le choc, sur le modèle napoléonien.

 

  • Celle qui souligne les nouvelles potentialités du feu qui condamnent l’assaut en masse. 

 

Mais l’Allemagne est désormais le pays phare, celui que le monde entier observe et essaie d’imiter.

 

En France, le général Lewal organisateur de l’Ecole Supérieur de Guerre passe méthodiquement en revue toutes les branches de la tactique (de 1873 à 1895)

 

Ce n’est que lorsque ce préalable tactique est levé que la dimension stratégique peut véritablement être abordée (à la fin du XIXe siècle). A partir de ce moment, la pensée stratégique se répand dans tous les pays. 

 

116. Un appauvrissement théorique.

 

« Cette focalisation sur les aspects opérationnels entraîne un indiscutable appauvrissement théorique. Cette pauvreté se retrouve dans les plans de guerre que préparent tous les états-majors des grandes puissances. La minutie des dispositions opérationnelles s’accompagne de présupposés politico – stratégiques d’une légèreté qui confine parfois au grotesque. »

 

117. La recherche de stratégies nationales. 

 

La tradition désincarnée des générations précédentes s’estompe au profit des stratégies qui se veulent nationale. 

 

118. L’hégémonie de la science stratégique allemande. 

 

Durant cette période, Clausewitz s’impose irrésistiblement au détriment de Jomini, même si ce dernier conserve des disciples (en particulier aux USA Mahan transpose son enseignement dans le domaine maritime.) 

 

Mais la pensée de Clausewitz est déformée dans le sens où l’on privilégie les aspects opérationnels en déformant ou en niant les idées maitresses du primat de la politique et de la supériorité intrinsèque de la défensive. 

 

119. L’idéologie de l’offensive. 

 

L’exaltation du modèle napoléonien, la montée des nationalismes et une lecture partielle et partiale deClausewitz se conjuguent pour aboutir à une « idéologie » de l’offensive qui se développe véritablement à partir de 1900.

 

Cette idéologie de l’offensive s’accorde parfaitement avec le climat de l’époque dominé par une volonté d’expansionnisme et par une exaltation de l’esprit de sacrifice et de la sélection par la guerre. Elle est renforcée par une incompréhension des enseignements des guerres périphériques (guerre de Sécession, guerre russo-turque de 1877-1878, guerre russo-japonaise de 1904-1905)

 

Rares sont ceux qui saisissent l’ampleur de la mutation et qui comprennent que l’augmentation de la puissance de feu condamne l’offensive à tout prix (Ian Bloch, Pétain).

 

Sous section III. Le XXe siècle. 

 

120. Nouvelles directions dans l’entre deux guerres. 

 

Après 1918, tout est à reconstruire sur le plan théorique. Le débat va désormais se situer entre les tenants de la nouvelle orthodoxie du front continu et de la supériorité de la défensive et les novateurs qui explorent les potentialités offertes par les nouvelles armes révélées durant la guerre : le char et l’avion. 

 

Malgré de brillants penseurs, Fuller, Liddell Hart au Royaume Uni, Guderian en Allemagne, Merat,Estienne, De Gaulle en France, ce sont les tenants de l’idéologie de la défensive qui l’emportent. 

 

A la veille de 1939, il n’y a plus d’unanimité doctrinale mais au contraire un fossé marqué entre les conservateurs et les modernistes. 

 

121. La pensée stratégique durant la Seconde guerre mondiale. 

 

La guerre ne fait pas totalement disparaître la réflexion stratégique. Mais l’évènement marquant de la période est la montée en puissance des USA. L’essor de leur puissance militaire s’accompagne d’une importante réflexion. En 1943, E Mead Earle lance une vaste enquête sur les maîtres de la stratégie. Stephen Possony dirige pour sa part un vaste programme de traduction des classiques de la stratégie. Un courant très actif jette les bases de la géostratégie. 

 

Section V. Stratégie alternative : de la petite guerre à la guerre révolutionnaire. 

 

122. Persistance d’un courant alternatif. 

 

Malgré une pratique très ancienne (dès l’antiquité) les analyses systématiques n’apparaissent qu’au XVIIIe siècle. Au XIXe siècle leur souvenir s’estompera. 

 

123. Les théoriciens de la petite guerre au XVIIIe siècle. 

 

Au XVIIIe siècle utilisation des deux termes qui ne sont pas clairement distingués :

 

  • Petite guerre qui recouvre plutôt l’emploi autonome de petits détachements.

 

  • Guerre de partisans qui « désigne à la fois les méthodes de combat des soldats détachés dans des partis de guerre, qui courent la campagne en avant des armées et les forces spéciales des guerres civiles dans lesquelles la population est impliquée. » 

 

Le pionnier en ce domaine est le chevalier de Folard suivi de l’ouvrage important du capitaine Le Roy de Grandmaison « La petite guerre ou traité du service des troupes légères en campagne » (1756). La guerre d’Amérique montre avec encore plus de force, l’intérêt des troupes légères.

 

Si la petite guerre n’est pas ignorée, elle reste peu considérée par les Etat-major. 

 

124. De la petite guerre à la guérilla.

 

Jean Frédéric Auguste Le Mière de Corvey qui a participé aux guerres de Vendée et d’Espagne, est le premier dans « Des partisans et des corps irréguliers » (1823) à ne pas faire de la guérilla un accessoire de la grande guerre et à proclamer que le « but principal de ce genre de guerre est d’obtenir la destruction insensible de l’ennemi. »

 

Pour le général russe Davidoff la guerre des partisans « consiste à occuper tout l’espace qui sépare l‘ennemi de sa base d’opérations, couper toutes les lignes de communication, anéantir tous les détachements et convois qui cherchent à le rejoindre, le livrer aux coups de l’ennemi sans vivres, sans cartouches et lui barrer en même temps le chemin de la retraite. » 

 

125. Guérilla et guerre de libération nationale.

 

A partir de 1820, de nombreux auteurs italiens voient dans la guérilla un moyen pour arriver à l’indépendance.

 

Les Polonais pratiquent la guérilla dans leurs soulèvements de 1830-1831, 1848, 1863-64. 

 

Les Roumains pratiquent eux aussi la guérilla pendant leur soulèvement de 1848-49.

 

Par contre les écrits sur la lutte antiguérilla sont très rares, les armées n’ayant manifestement que mépris pour ce type de missions. Seul le maréchal Bugeaud publie un petit opuscule en 1848. Mais il restera inédit.

 

126. 1870-1939. Le retour à la marginalité. 

 

La réflexion sur la guérilla redevient marginale malgré une utilisation fréquente (dans les guerres coloniales, Danemark 1864, France 1870, Bosnie de 1878 à 1882). Même s’il y a encore des écrits, ceux-ci ne retiennent pas l’attention. « La petite guerre » disparaît des règlements officiels français après 1895.

 

Par contre en Angleterre, à cause des guerres coloniale, l’intérêt reste vif avec en particulier T Miller Maguire et surtout le colonel Charles E Callwell dont l’ouvrage « Small war » (1896) devient la référence historique majeure et qui sera sans cesse réédité. 

 

Après 1918, les exemples de guérilla de la Première guerre mondiale (en particulier le colonel Lawrence) n’attirent guère l’attention des Etats-majors qui ne la conçoivent que dans les colonies. 

 

 

Fin



11/06/2021
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