Clausewitz. De la guerre. II. La théorie de la guerre. (NDL)

Livre II. La théorie de la guerre.

 

 

Chapitre I. Division de l’art de la guerre.

 

« La conduite de la guerre est donc l’ordonnance et la conduite du combat (…). Le combat consiste en un plus ou moins grand nombre d’actions distinctes qui forment un tout et que l’on appelle engagements. »

 

« La tactique est donc la théorie relative à l’usage des forces armées dans l’engagement. La stratégie est la théorie relative à l’usage des engagements au service de la guerre. »

 

Il faut distinguer entre l’usage des forces armées (combat, marches, cantonnements, quartiers) et l’entretien des forces armées (approvisionnement, soins aux malades, renouvellement des armes et de l’équipement).

 

« En dehors de l’engagement, la marche est elle autre chose que l’exécution du plan stratégique ? C’est lui qui indique quand, où et au moyen de quelle force armée un combat doit être livré, et pour mettre ce plan à exécution, il n’y a pas d’autres moyens que la marche. »

 

Mais « l’ordonnance de la marche est en relation constante avec la disponibilité en vue du combat ; elle est donc de nature tactique car elle n’est qu’un premier dispositif provisoire en vue du combat qui pourrait avoir lieu. » 

 

Les cantonnements sont des lieux où les troupes rassemblées et prêtes au combat sont au repos. Mais leur emplacement comporte en même temps la détermination stratégique de l’endroit où l’on compte livrer bataille et la manière dont ils sont disposés est l’ébauche de l’engagement.

 

Les quartiers remplacent les cantonnements et permettent aux troupes de mieux se restaurer. Ils appartiennent donc aussi à la stratégie sous l’angle de leur situation et de leur étendue, mais à la tactique sous l’angle de leur organisation interne orientée vers le combat.

 

Chapitre II. Sur la théorie de la guerre.

 

« Autrefois le terme art de la guerre ou science de la guerre ne signifiait que l’ensemble des connaissances et capacités relatives aux choses matérielles. L’installation, la préparation, ainsi que l’usage des armes, la construction des fortifications et des retranchements, l’organisation de l’armée et le mécanisme des mouvements faisaient l’objet de ces connaissances et capacités qui toutes concouraient à la constitution d’une force armée apte à la guerre. »

 

La guerre apparaît d’abord dans l’art de faire un siège. C’est dans le siège que se manifeste pour la première fois une ébauche de la conduite de la guerre.

 

La tactique suit ensuite ces traces. La tactique tenta plus tard d’imposer aux mécanismes de ses combinaisons le caractère d’une disposition universellement valable, édifiée sur les particularités de l’instrument.

 

Dans le passé, la véritable conduite de la guerre n’apparaissait que de façon accidentelle et anonyme.

 

Les réflexions sur les événements de guerre vont créer le besoin d’une théorie et vont déboucher sur une théorie positive qui se limite aux objets matériels.

 

La supériorité numérique. « Faire tenir tout le secret de l’art militaire dans la formule « amener en un temps donné une supériorité numérique sur tels points donnés », c’était restreindre de façon insoutenable la puissance de la vie réelle. »

 

Il faut rejeter toutes ces tentatives. « Seule la partie analytique de ces tendances de théorie constitue un progrès dans le domaine de la vérité ; leur partie synthétique, leurs prescriptions et leurs règles sont tout à fait inutilisables.

- Elles visent des grandeurs certaines, alors qu’en guerre tout est incertain et que tous les calculs se font avec des grandeurs variables.

- Elles ne considèrent que des grandeurs matérielles, alors que l’acte de guerre est tout pénétré de forces et d’effets spirituels et moraux.

- Elles ne tiennent compte que de l’activité d’un seul camp, alors que la guerre repose sur l’action incessante que les deux camps exercent l’un sur l’autre. »

 

« L’activité belliqueuse n’est jamais dirigée contre la seule matière ; elle l’est toujours en même temps contre la force morale et intellectuelle qui anime cette matière. »

 

Difficulté capitale d’une théorie de la guerre. Pour discerner la difficulté que représente l’élaboration d’une théorie de la guerre, il faut considérer les particularités essentielles inhérentes à la nature de l’activité guerrière.

 

Première particularité. Les forces morales et leurs effets.

 

- Le sentiment d’hostilité. Il s’allume à la faveur du combat, « car une violence exercée contre nous par ordre supérieur nous incite à la revanche, à la vengeance. »

 

- Le sentiment du danger (le courage). « Le combat engendre un élément de danger qui peut se traduire par le désir d’éviter le danger. Si cet effet ne se produit pas, c’est alors le courage qui fait équilibre à cet instinct. C’est un sentiment tout comme la crainte. Celui-ci relève de la préservation morale, celle là de la préservation physique. »

 

Deuxième particularité. Vivacité de la réaction.

« L’effet qu’une mesure quelconque provoque chez l’adversaire est la donnée la plus personnelle de toutes celles qui constituent l’action. »

 

Troisième particularité. Incertitude de toutes les données.

« Toute action s’accomplit pour ainsi dire dans une sorte de crépuscule (…) Le défaut de visibilité qu’entraîne cet éclairage affaibli doit être compensé par le talent de divination, ou abandonné à la chance. »

 

Les issues qui permettent d’entrevoir une théorie. « Il est bien plus facile d’établir une théorie pour la tactique que pour la stratégie. »

 

La théorie doit être une observation non une doctrine.

 

« C'est une investigation analytique de l'objet qui aboutit à sa connaissance exacte et, appliquée à l'expérience, en l’occurrence à l'histoire de la guerre, entraîne la familiarité avec cet objet. Plus elle atteint ce but, plus elle passe de la forme objective d'un savoir à la forme subjective d'un pouvoir et plus son efficacité se révélera.(...) En adoptant ce point de vue la théorie devient possible et cesse d'être en opposition avec la pratique. »

 

La théorie doit donc s'attacher à considérer la nature des moyens et des fins. Certaines circonstance accompagnent toujours l'emploi des moyens : le lieu, le moment de la journée, les conditions atmosphériques.

 

Le savoir en guerre est très simple, mais pas toujours très facile. « Le savoir nécessaire à une fonction militaire supérieure se distingue donc par le fait qu'il ne peut être acquis que grâce à un talent d'observation spécifique. »

 

Chapitre III. Art de la guerre ou science de la guerre.

 

La guerre est une forme des rapports humains.

 

« La guerre n'appartient pas au domaine des arts et des sciences, mais à celui de l'existence sociale. Elle est un conflit de grands intérêts réglé par le sang, et c'est seulement en cela qu'elle diffère des autres conflits. Il vaudrait mieux la comparer, plutôt qu'à un art quelconque, au commerce qui est est aussi un conflit d'intérêts et d'activités humaines ; elle ressemble encore plus à la politique, qui peut être considérée à son tour, du moins en partie, comme une sorte de commerce sur une grande échelle. De plus la politique est la matrice dans laquelle la guerre se développe. »

 

Chapitre IV. Méthodisme.

 

« Le méthodisme s'applique à l'action qui, au lieu d'être déterminée par des principes généraux ou des règlements individuels obéit à des méthodes (….) Il a pour but d’établir une vérité moyenne dont l'application constante, uniforme, ne tarde pas à engendrer une sorte d'aptitude mécanique grâce à laquelle on finit par faire ce qu'il faut presque inconsciemment. »

 

« Non seulement le méthodisme est indispensable, mais nous devons lui reconnaître aussi un avantage positif ; par la pratique constante de ses formes qui se reproduisent sans cesse, on acquiert une habileté, une prévision, une assurance dans la conduite des troupes qui amoindrit la friction naturelle et facilite la marche de la machine. La méthode est donc d'un usage plus courant, plus indispensable lorsqu’on descend dans la hiérarchie des grades ; en montant, cet usage s'amoindrit au contraire pour finir par se perdre tout à fait aux postes les plus élevés. Aussi sa place est-elle plutôt dans la tactique que dans la stratégie. »

 

Chapitre V. La critique.

 

« La critique ne devra jamais adopter ces résultats de la théorie comme des lois propres à servir d'étalon à ses normes, mais se contenter de les prendre pour ce qu'ils doivent être pour la personne agissante, c'est à dire un point de repère destiné à étayer le jugement. »

 

 



03/07/2014
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