Gomart (Thomas). Guerres invisibles (NDL)

Guerres invisibles

 

Thomas Gomart 

 

Tallandier 2021, 316 pages

 

 

Prologue.

 

« Les liens entre générations tissent une culture stratégique à partir de laquelle chaque Etat construit une vision du monde enracinée dans sa situation stratégique et ses expériences historiques. S’il affiche volontiers ses préférences, il dévoile rarement ses intentions. A mes yeux, l’analyse géopolitique doit expliquer les premières et révéler les secondes dans un même effort. C’est l’objectif poursuivi par cet essai : rendre visibles les mécanismes invisibles de la compétition des puissances. Guerres invisibles peut se lire comme une sorte de réponse à La Guerre hors limites (1999) de Qiao Liang et Wang Xiangsui. Ces deux officiers chinois y listaient vingt-quatre formes de guerre. »

 

Les théâtres d’opérations.

 

Vingt ans après la parution de Qiao Liang, la Chine st devenue n°2 sur la scène internationale et convoite la 1ere place. Les raisons : 

  • Sa propre détermination à devenir n°1

  • Le comportement erratique des Etats-Unis. 

  • La naïveté des Européens qui ont fini par croire leur propre discours sur la mondialisation présentée comme une interdépendance irréversible entre sociétés. 

 

« La mondialisation, c’est aussi la compétition à laquelle se livrent les puissances de jour comme de nuit. Celle-ci prend actuellement une tournure cognitive avec le contrôle des cerveaux pour finalité principale. A l’échelle globale, les modèles de gouvernement, de consommation et de comportement sont mis en concurrence par une transformation intentionnelle, la propagation technologue, et par une transformation non intentionnelle, la dégradation environnementale. (…)

Ces deux lignes, sur lesquelles se joueront les rivalités tragiques, les activités économiques, les mutations politiques et sociales, convergent à l’horizon. Les dépendances géopolitiques seront déplacées par les contraintes environnementales, démographiques, sanitaires ou technologiques. Logiquement, les rivalités géoéconomiques, définies comme le recours aux outils économiques pour promouvoir et défendre les intérêts nationaux, gagneront en intensité. » 

 

Deux choses frappantes à la veille des prochaines élections en France. 

  • Les discussions sur la mondialisation se détournent délibérément des intentions stratégiques (au sens militaire du terme) des acteurs non européens, comme s’il était acquis qu’ils partagent notre vision de l’histoire. « Nous faisons comme si tout le monde voulait adopter notre mode de vie. »

  • Nous ne voulons pas admettre que la politique internationale est un rapport de force avant d’être un débat d’idées. 

 

La Covid-19 : point de bascule entre l’Occident et l’Orient.

 

Deux caractéristiques de cette pandémie. 

  • Le décalage entre le nombre de victimes (faible en comparaison d’autres pandémies dans l’histoire des monde) et l’ampleur des mesures adoptées par les autorités publiques à travers le monde. 

  • La combinaison nécessaire des moyens utilisés (lits, masques ….) et l’immatérialité des moyens mobilisés (plateformes, médias, applications numériques) pour la juguler sur les plans sanitaire, politique et économique. 

 

« La Covid-19 modifie les équilibres entre Asie et Occident, mais surtout scelle la rupture entre la Chine et les Etats-Unis. » 

 

Les transferts massifs de technologies durant ces 40 dernières années en direction de la Chine, de la part des Etats-Unis, du Japon et de l’Europe, permettent aujourd’hui à la Chine de contester ouvertement la puissance américaine. 

 

 

L’élection de Joe Biden montre la polarisation politique des Etats-Unis face à la Chine. « Si un changement de style diplomatique est prévisible avec cette nouvelle administration, les fondamentaux de la 

puissance américaine ne varieront pas. Elle compte enrayer le « blitzkrieg technologique » lancé par la Chine pour maintenir sa suprématie. » 

 

« Plus fondamentalement la crise de la Covid-19 renvoie à des dynamiques de civilisation. Elle accélère la désoccidentalisation de la politique internationale et met en lumière les différences de conception de la mondialisation actuelle. Les Européens, et les Français en particulier, peinent à saisir leur provincialisation car leur rapport à la mondialisation post-1919 s’est principalement fondé sur la construction européenne et le lien transatlantique, qui sont l’une et l’autre en crise profonde. Pour eux, mondialisation rimait avec occidentalisation, mais la portée universelle de cette dernière fait désormais l’objet de multiples récusations. » 

 

Depuis de nombreuses années, il existe un courant qui promeut les valeurs asiatiques et Pékin se prépare à s’emparer du leadership mondial. « Cette prise de contrôle est possible dès que la puissance ascendante se révèle « plus capable et efficace » que la puissance dominante. » (Yan Xuetong, professeur à l’université de Pékin). 

 

La Covid-19 a opéré un double renversement de perpective. 

  • C’est moins la question des l’inoculation des « valeurs universelles » en Orient, que celle des « valeurs asiatiques » en Occident, par voie technologique, qui se pose désormais. 

  • A la question du leadership américain dans le monde, s’ajoute celle de leur réponse aux ambitions chinoises. 

 

Un monde sans autorité morale.

 

Actuellement absence d’autorité morale capable de s’imposer sur la scène internationale. « En raison de leurs comportements respectifs, ni les Etats-Unis ni la Chine ne peuvent y prétendre. Les Européens eux non plus ne sont pas convaincants. 

 

Trois constats :

 

  • Les contraintes environnementales qui s’exercent sur le Système-Terre sont devenues le cadre de tout effort d’anticipation. Washington est Pékin subordonnent leurs politiques climatique et numérique respectives à leur bras de fer stratégique. « La question pour eux n’est pas de protéger les biens communs sur un pied d’égalité avec les autres, mais de prendre l’ascendant sur l’autre pour obtenir une suprématie, à partir de laquelle la gestion des biens communs sera organisée. » 

 

  • Le système international repose sur un emboîtement complexe de souverainetés et de juridictions. « La Chine et les Etats-Unis, comme les autres puissances, cherchent à contrôler les noeuds névralgiques du système, c’est-à-dire les seuils à travers lesquels passe la coopération et s’exerce la coercition (…..) La supériorité repose sur le contrôle simultané d’un plus grand nombre de noeuds névralgiques que l’adversaire, et par un discours sur le monde servant de référence aux autres. » 

 

  • « L’enchâssement de la rivalité sino-américaine dans la dégradation environnementale et la propagation technologique ne fige pas le système international, comme la rivalité soviéto-américaine avait pu le faire pendant la guerre froide, mais il dessine une mosaïque qui fluctue sans cesse. La polarisation entre les Etats-Unis et la Chine mobilise leurs forces respectives et, ce faisant, libère d’autres énergies, à la fois créatrices et destructives. Sur le plan militaire s’observent les ambitions de puissances régionales comme la Turquie ou celles de groupes armés comme Boko Haram. » 

 

Retour aux sources.

 

« Le problème international appelé à dominer les prochaines décennies est sans conteste la rivalité sino-américaine. » 

 

« Cet essai conjugue les approches géopolitiques et géoéconomoque pour tenter d’éclairer les effets de la « main invisible » sur la compétition de puissance. » 

 

LE VISIBLE 

 

1 / Conflits 

 

Qiao Liang et Wang Xiangsui listent, dans leur ouvrage, 24 types de conflits. « La compétition stratégique actuelle en se conçoit pas seulement à travers un affrontement militaire central, mais se joue davantage sur ses marges. » 

 

Militaire

Supramilitaire

Non militaire

Guerre nucléaire

Guerre diplomatique

Guerre financière

Guerre conventionnelle

Guerre de réseau

Guerre commerciale

Guerre biochimique 

Guerre du renseignement

Guerre des ressources

Guerre écologique

Guerre psyclologique

Guerre d’aide économique

Guerre spatiale

Guerre technologique

Guerre réglementaire

Guerre électronique

Guerre de contrebande

Guerre de sanctions

Guerre de partiians

Guerre de la drogue

Guerre médiatique

Guerre terroriste

Guerre virtuelle (dissuasion)

Guerre idéologique

 

« La Chine et les Etats-Unis risquent de tomber Das le « piège de Thucydide », c’est-à-dire dans un casus belli provoqué par la peur qui existe entre une puissante émergente et une puissance dominante » (Cette notion du piège de Thucydide a été théorisée et étudiée par le professeur Graham Allison de Harvard). 

 

Par contre « la polarisation sino-américaine ouvre des espaces à des perturbateurs qui exploitent, aux niveaux régional, national, voire local, les opportunités offertes pour contester l’ordre international. C’est le cas, de manière différente, de la Russie, de la Turquie ou de l’Iran. C’est aussi le cas des organisations terroristes comme Al-Qaida, Daech ou Boko Haram. Les Européens subissent des pressions de différentes natures qui les obligent à réapprendre leur grammaire entre la stratégie directe, où la force représente un facteur essentiel, et la stratégie indirecte, où elle s’efface devant la psychologie. » 

 

Causes et conséquences de l’affrontement sino-américains. 

 

« La « grande stratégie » peut se définir comme la mise en cohérence, sur le long terme, des politiques économiques, des actions diplomatiques et des efforts militaires pour exister sur la scène internationale en étant capable de promouvoir ses intérêts et son système de valeurs. » 

 

Cultures stratégiques. 

 

« Après la guerre froide, la « grande stratégie » des Etats-Unis a consisté à maintenir une supériorité militaire incontestable sur tous les autres pays, à stimuler le libre-échange et à promouvoir leur conception de la démocratie. Avec son « America First », Donald Trump a marqué une rupture car, s’il a poursuivi le premier objectif, il a remis en cause les deux autres. Avec son « rêve chinois », Xi Jinping fait du renforcement du PCC le coeur de la stratégie de la Chine, qui vise, sur le plan extérieur, à redessiner l’ordre international sans le révolutionner, à dominer militairement ses voisins et à modifier l’équilibre avec les Etats-Unis en sa faveur. » 

 

Les Etats-Unis maintiennent une supériorité de moyens qui doit leur permettre d’emporter la décision à l’issue de tout choc frontal. A ce titre, ils se réfèrent à la stratégie directe d’Antoine Jomini. La culture stratégique américaine s’inspire aussi des conceptions de Clausewitz pour qui « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. » 

 

La Chine pour sa part cherche à soumettre l’ennemi sans le combattre directement. A ce titre, elle se réfère à la stratégie indirecte de Sun Tzu qui se focalise moins sur le but à atteindre que sur la façon de transformer le réel. 

 

« Ces deux approches ont leurs limites. Le marteau américain voit des clous à enfoncer ; la guerre hors limites projette une image de toute-puissance de la Chine qui excède son potentiel réel. » 

 

En un siècle le bilan militaire des Etats-Unis :

  • Deux guerres mondiales 

  • Quatre conflits limités (Corée, Vietman, les deux guerres du Golfe)

  • Plusieurs opérations militaires ponctuelles. 

 

Pour un bilan de : 

  • 626.000 tués

  • 1.180.000 blessés. 

  • Des dépenses militaires passées de 1% du PIB à 3% du PIB avec des pointes à 10%. 

 

En Chine la question est de savoir si le pays « peut devenir la première puissance mondiale sans affronter ouvertement les Etats-Unis. »

 

La grande guerre est-elle obsolète ? 

 

« Poser cette question revient à rappeler que la paix n’est jamais acquise : les Etats-Unis et la Chine s’affrontent d’ores et déjà dans de nombreux domaines, tout en se livrant à des préparatifs militaires visibles et invisibles. »

 

Actuellement les Etats-Unis sont confrontés à quatre défis majeurs :

  • La montée en puissance de la Chine en Asie-pacifique. 

  • Le « Grand Moyen-orient » et les métastases du terrorisme islamiste. 

  • Les stratégies de puissances comme la Russie, l’Iran ou la Corée du Nord pour contester l’ordre en place. 

  • La dérégulation de l’espace exo-atmosphérique et du cyber, où se jouent des stratégies de contrôle indirect et de disruption (rupture, innovation radicale). 

 

En 1998, la Chine représentait 1% des dépenses militaires mondiales, 13,6% en 2019 contre 38% pour les Etats-Unis. 

 

Cette modernisation militaire chinoise concerne : 

  • Accroissement de son potentiel nucléaire. 

  • Des déploiements navals. 

  • Patrouilles aériennes. 

  • Militarisation d’îlots contestés en mer de Chine. 

 

La Chine poursuit actuellement 4 objectifs : 

  • Disposer de capacités de projections pour apparaître comme une puissance globale capable de tenir tête aux Etats-Unis dans certains domaines. 

  • Multiplier les opérations dans le cyberspace. 

  • Asseoir sa suprématie militaire vis-à-vis de ses voisins ne disposant pas de l’arme nucléaire. 

  • Développer des stratégies de déni d’accès en commençant par la mer de Chine. 

 

« De leur côté, les Etats-Unis ont profondément modifié la conduite de la guerre conventionnelle après la guerre du Vietnam, marquée par la « révolution dans les affaires miliaires » (RMA), qui entraîne, entre autres choses, une numérisation du champ de bataille permettant des câblages très précis. »

 

La véritable pierre d’achoppement des relations sino-américaines reste le dossier de Taïwan. A son arrivée au pouvoir en 2012, Xi Jinping a déclaré vouloir régler le contentieux au cours de son mandat. 

 

Décembre 2019. Entrée en service du 2e porte-avions chinois (Shandong)

 

La présence au monde.

 

« Une des grandes différences stratégiques entre la Chine et les Etats-Unis réside dans l’importance accordée aux alliances militaires. Ces dernières offrent à Washington des possibilités de projection globale alors que leur principe même est critiqué par Pékin. »

 

« Au cours de son premier mandat, Barack Obama a engagé un « pivot » vers l’Asie pour impliquer davantage les Etats-Unis dans la zone et susciter une contribution plus directe de leurs alliés en particulier du Japon. En lançant la B&R (les nouvelles routes de la soie), XI Jinping a répondu à une démarche géopolitique par un projet géoéconomique basé sur la connectivité. En réalité, les deux approches sont étroitement liées et s’inscrivent dans une logique de puissance. Ce qui pourrait apparaître comme une contradiction entre un capitalisme de réseaux d’un côté et une focalisation sur la Chine de l’autre ne l’est pas pour Pékin, qui se présente comme le pionnier d’un nouveau capitalisme global. Les gagnants seraient la Chine et les mégalopoles, forcément smart, qui dessineront ces nouvelles routes. Les perdants seraient ceux qui n’y participent pas , au premier rang desquels figureraient les Etats-Unis. La composante militaire n’apparaît évidemment pas dans les présentattions de la B&R par les autorités chinoises.»

 

« La B&R répond de manière articulée aux besoins gigantesques d’infrastructures, que ce soit en Asie ou en Afrique. En ce sens, la Chine propose un projet de développement à travers sa manoeuvre d’ensemble, élargissant ainsi le registre de la compétition avec les Etats-Unis. Sans surprise, la B&R a provoqué en retour un raidissement de la position américaine, qui passe par une « stratégie indopacifique », destinée fondamentalement à endiguer l’expansion chinoise en reliant militairement les océans Indien et Pacifique et en s’appuyant sur des alliés régionaux. » 

 

Concernant les Etats-Unis, leur stratégie indopacifique à consisté en un rapprochement avec l’Inde sous Trump. Inde qui connaît des pics de tensions récurrents avec la Chine dans l’Himalaya (accrochages durant l’été 2020 qui ont fait plusieurs dizaines de morts). 

 

« Sur le plan géostratégique, la configuration de l’espace indopacifique sera l’enjeu décisif des deux prochaines décennies. En effet, s’y jouent le face-à-face des deux puissances majeures de la planète et une redistribution, plus large, de la hiérarchie des puissances. Au moins trois sujets doivent retenir l’attention :

 

  • Les réalisations tangibles de la B&R, en particulier dans le domaine maritime de la Chine, qui développe ses capacités navales pour dominer la mer de Chine et trouver des points d’appui jusqu’à Djibouti en attendant de disposer, à terme, d’une présence permanente en Méditerranée. 

 

  • Le sea power (de Mahan) qui est à l’origine de la vision globale des Etats-Unis). Avec 9 groupes aéronavals et de nombreuses bases navales dans le monde, les USA disposent de capacités de projection sans équivalent. 

 

  • L’Inde qui représente la clé de voute de l’espace indopacifique en raison de son positionnement et de son potentiel. 

 

Cycles stratégiques. 

 

« A la tête d’Al-Qaida, Oussama Ben Laden (1957-2011) est parvenu non seulement à infliger une défaite symbolique aux Etats-Unis, mais aussi à provoquer une réaction stratégique avec leurs interventions en Afghanistan et en Irak qui les ont détournés pour une génération de la menace directe de la Chine. »

 

« Nous avons gaspillé 3000 milliards de dollars en dépenses militaires. La Chine n’a pas gaspillé un centime pour la guerre, et c’est pourquoi elle est en avance sur nous dans presque tous les domaines. » (Jimmy Carter, avril 2019)

 

Efficacité et inefficacité des interventions militaires.

 

A la suite des attentats du 11 septembre, les Etats-Unis lancent, en octobre 2001, la GWOT (Global War on Terrrism), suivi de la guerre en Irak en mars 2003. 

 

« Façonnées par un modèle de guerre interétatique symétrique, les armées occidentales, emmenées par les Etats-Unis, cherchent à emporter la décision par leur supériorité technologique en produisant le choc et l’effroi. Victimes de leur amnésie, elles ont redécouvert à leurs dépens la guerre irrégulière (guerre asymétrique) menée par des groupes armés fondus dans la population. » 

 

« Au même titre que la dissuasion nucléaire ou la guerre conventionnelle, les conflit liés au terrorisme constituent un pan à part entière de la conflictualité, mais nécessitent un nouvel apprentissage stratégique de la part des armées occidentales. Celles-ci se livrent à une sorte de contre-insurrection globale basée principalement sur la maîtrise du ciel avec des frappes à distances via les drones, la recherche du renseignement et la formation des forces armées autochtones . Cependant cette contre-insurrection ne parvient pas à gagner « les coeurs et les esprits » mais transforme le plus souvent, les armées occidentales en forces d’occupation aux yeux des populations locales. »

 

Les groupes terroristes pour leur part savent se servir de la mondialisation, en particulier les réseaux sociaux pour recruter et diffuser leur propagande. Ils développent aussi des économies parallèles pour financer leurs projets. 

 

« Plus largement, les différences entre technologie militaire et technologie civile, entre soldat de métier et combattant occasionnel, entre paix et guerre se brouillent. »

 

« Pendant que les stratèges chinois voient le terrorisme comme un champ possible de la guerre hors limites, les stratèges américains ont militarisé, quant à eux, la politique étrangère de leur pays au nom de la GWOT, même si la doctrine Obama a rompu avec cette doctrine en 2009. »

 

C’est aussi le cotre-terrorisme qui explique l’orientation prise par la politique étrangère française. 

 

  • Janvier 2013. Déclenchement de l’opération Serval pour bloquer une offensive djihadiste sur Bamako. Opération réussie qui permet de les repousser et même de reconquérir des territoires. 

 

  • Février 2014. Création du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) pour coordonner les politiques de sécurité et de développement de ces pays et améliorer la coopération dans les zones frontières. 

 

  • Juillet 2014. L’opération Serval laisse la place à l’opération Barkhane pour lutter contre les groupes armés dans tout le Sahel. Elle regroupe les membres du G5, et l’Estonie, le Royaume-Uni, le Danemark, l’Espagne et la Tchéquie. Pour la France, elle mobilise 5000 hommes. 

 

  • Juin 2020. Abdelmalek Droukdel, chef suprême d’Al-Qaïda au Maghreb islamique est tué par l’armée française

 

  • Août 2020. Un coup d’état renverse le président malien Ibrahim Boubacar Keïta au pouvoir depuis 2013. 

 

« En dépit de cette présence militaire, la stabilisation de la bande sahelo-saharienne (BSS) reste difficile car le djihadisme est un état de violence parmi d’autres. Sans doute faut-il prendre garde de tout expliquer par le « terrorisme », qui occulte d’autres dynamiques à l’oeuvre comme la corruption endémique ou la gestion des populations pastorales. »

 

« L’efficacité d’une intervention extérieure et la notion même de victoire s’avèrent éminemment relatives, dans la mesure où elles ne peuvent être jugées qu’en fonction de l’intention politique qui les sous-tend. Or, celle-ci n’est jamais pleinement formulée et évolue au gré des contingences. En ce sens, la « victoire au XXIe siècle ne saurait correspondre au seul modèle d’une furie de destruction suivie d’une paix fondée sur une domination écrasante » »

 

Les perturbateurs stratégiques. 

 

Durant la dernière décennie plusieurs puissances ont mené des opérations d’envergure au-delà de leurs frontières : Arabie Saoudite, Iran, Turquie, Qatar, Emirats arabes unis, Russie. 

 

Coexistance décalée de deux cycles :

 

  • Cycle du contre-terrorisme lancé par les occidentaux après le 11 septembre 2001

 

  • Cycle de la compétition de puissances régionales. 

 

« De ce point de vue, la décision prise par Barak Obama en 2013 de ne pas intervenir en Syrie après l’utilisation d’armes chimiques a marqué un tournant majeur. La Russie proposa alors un plan de démantèlement de l’arsenal chimique syrien sous la supervision de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), et devint un des principaux protagonistes du conflit syrien. L’intervention de 2003 en Irak et la non intervention de 2013 en Syrie ont fait perdre aux Etats-Unis leur autorité morale, tout en déstabilisant fortement le Moyen-Orient. » 

 

Juin 2014. La proclamation de l’Etat islamique à cheval sur la Syrie et sur l’Irak oblige les USA à réagir et à prendre la tête d’une coalition internationale. 

 

Fin 2014, la Syrie apparaissait comme le concentré de l’échec des principes suivis par les Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide : 

 

  • Ils n’avaient pas secouru des populations opprimées par leur gouvernement comme l’administration Clinton l’avait promis. 

 

  • Ils n’avaient nullement semé les graines de la démocratie comme l’administration Bush l’avait prétendu.

 

  • Ils n’étaient pas parvenus à s’extraire du Moyen-Orient comme l’administration Obama l’avait annoncé. 

 

Sous l’ére Poutine, la Russie a reconstruit son armée, refondu ses doctrines d’intervention et combattu les djihadistes avec des moyens militaires. 

 

L’intervention russe en Géorgie (été 2008) doit se lire comme l’expression d’une double volonté :

 

  • Marquer un coup d’arrêt à l’expansion territoriale de l’OTAN.

 

  • Réaffirmer sa domination militaire dans l’espace postsoviétique. 

 

En 2014, l’annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbass ont illustré ses nouvelles capacités et ses ambitions. Vladimir Poutine a exploité l’inconséquence stratégique des Etats-Unis pour prendre des positions au-delà de sa sphère d’influence traditionnelle. 

 

L’action de la Russie. 

 

  • Dans les années 2000, c’était une quête de prestige international rendue possible par la reconstitution d’un outil militaire crédible grâce à la renationalisation du secteur énergétique. 

 

  • Dans les années 2010, il y a extension de son champ géographique de la mer de Barents à la Méditerranée occidentale. 

 

  • Automne 2020, intervention au Haut-Karabakh pour mettre fin au conflit entre Arménie et Azerbaïdjan. 

 

Deux autres pays, l’Iran et la Turquie, poursuivent des politiques de puissance dont les conséquences se font ressentir au-delà de leur environnement régional respectif. 

 

L’Iran pour sa part exerce une influence directe sur quatre capitales : 

  • Beyrouth via le Hezbollah. 

  • Damas via un soutien indéfectible à Bachar al-Assad

  • Sanaa via les Houthis

  • Bagdad (qui est à majorité chiite)

 

Cette influence iranienne est forte en Méditerranée orientale, en mer rouge et en mer Caspienne. 

 

L’Iran est capable de planifier et de réaliser des opérations complexes et poursuit une stratégie offensive sur trois niveaux : 

 

  • Terrorisme d’Etat a finalité diplomatique. 

 

  • Guerre asymétrique pour l’influence régionale

 

  • Guerre balistique pour la rivalité de puissance. 

 

Mais les USA ont infligé un sérieux revers en tuant le général Qassem Soleimani, commandant des forces spéciales iraniennes en janvier 2020. 

 

La Turquie est dirigée depuis 2003 (Premier ministre jusqu’en 2014 puis Président de la République) par Recep Tayyip Erdogan et son parti l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) qui s’est lancé dans une politique néo-ottomane destinée à : 

  • Etablir une sphère d’influence 

  • Réduire sa dépendance aux importations énergétiques

  • Affirmer l’autorité d’Ankara sur l’Islam politique. 

 

Sur le plan extérieur, la Turquie fait preuve d’un activisme sur plusieurs fronts tout en véhiculant la vision de l’islamisme des Frères musulmans et en entretenant des liens étroits avec le Qatar

 

« Les conflits de tous types se sont multipliés depuis la fin de la guerre froide sans connaître d’issues décisives. Ils ont tendance à s’éterniser, à s’éloigner de leurs raisons d’être initiales et rarement à s’achever par une claire victoire. Cela conduit inévitablement à s’interroger sur l’utilité même de l’emploi de la force armée et sur la victoire « concept central » des culture stratégiques mais « réalité fuyante ». Toute guerre à une fin sans qu’il y ait nécessairement victoire d’un des belligérants. La phase actuelle se caractérise par une incapacité des acteurs, quel que soit leur degré de puissance, à remonter une victoire décisive leur permettant d’imposer un ordre. Conclure à l’inanité de l’emploi de la force armée, au constat de l’inefficacité des interventions militaires occidentales, reviendrait à oublier la vocation première de la puissance militaire, qui est de pouvoir se défendre. » 

 

Les intentions de la Chine.

 

Depuis 40 ans le développement économique spectaculaire de la Chine s’est accompagné d’un développement milliaire non moins spectaculaire. 

 

Ses objectifs stratégiques immédiats sont clairs :

  • Transformer la mer de Chine en lac chinois. 

  • Remette Taiwan dans le giron du continent. 

  • Sécuriser les voies d’approvisionnement. 

 

Ses objectifs à plus long terme :

  • Sécuriser les noeuds chitines des nouvelles routes de la Soie ce qui nécessite des capacités de projection. 

 

« La patience stratégique prêtée à la Chine devrait se traduire par un recours à « l’addition-combinaison » et à l’approche « latérale-frontale » jusqu’au moment où la Chine parviendra à inverser durablement des rapports de force en sa faveur. Autrement dit, son comportement stratégique actuel tient à l’analyse faite de la situation, mais ne signifie pas que la Chine renoncerait à imposer ses vues par la force si elle en avait les moyens. (….) Pour l’heure, elle se livre à un grignotage stratégique, îlot pat îlot, destiné à limiter la prise de risque et à instiller le doute chez les alliés des Etats-Unis sur leur détermination à les protéger, avec ‘intention finale de créer une sphère d’influence lui permettant, à terme, de promouvoir un ordre international plus compatible avec ses avantages comparatifs. »

 

Les intentions des Etats-Unis. 

 

Le cycle d’interventions qui se sont produites après le 11 septembre 2001 a eu deux effets importants : 

  • Militarisation de la politique étrangère américaine. 

  • Perte d’autorité morale encore accentuée par le comportement de D Trump. 

 

L’idée sous-jacente de la politique américaine est de réaliser une concentration des forces pour se préparer à une confrontation avec la Chine. « Un objectif pourrait être d’exploiter un faux pas de la Chine pour lui infliger un revers symbolique. » 

 

Les Etats-Unis entendent exploiter deux avantages :

  • Leur suprématie militaire qui doit être préservée à tout prix (en particulier grâce à la domination dans l’espace exo-atmosphérique et en haute mer) ;

  • Leur approche globale

 

Les intentions de l’UE.

 

« Compte tenu de sa nature, et en dépit d’un discours récent plus réaliste sur son environnement stratégique, l’UE ne peut tout simplement pas se penser en puissance (…) Sans doute faut-il cesser de prendre l’UE pour ce qu’elle n’est pas, une actrice capable de jouer le même jeu que la Chine, les Etats-Unis ou la Russie. »

 

 

Mais la prise de conscience d’une certaine dégradation stratégique a obligé certains pays à relever leur garde :

  • Face à la Russie : Pays Baltes, Suède, Finlande, Pologne. 

  • Face à la Turquie : Grèce, Chypre, France

 

« Depuis plusieurs années, Paris souligne le retour de la compétition de puissance et ses conséquences sur la sécurité européenne sans forcément convaincre ses partenaires. » 

 

Décidé à Paris en juin 2018, le Fonds européen de défense doit illustrer les ambitions de l’Union en matière de sécurité européenne. 

 

« L’intention profonde de l’UE consiste à presque tout miser sur le droit international pour empêcher les conflits, ou pour les contenir. »

 

2/ Environnement.

 

Août 1963. A l’initiative de l’URSS et des Etats-Unis, signature du traité de Moscou par plus de Cent pays interdisant les expériences nucléaires atmosphériques, exo-atmosphériques, sous-marines. Sa mise en oeuvre impliquait l’existence de systèmes de surveillance à travers le monde, « qui en firent paradoxalement le premier traité international sur l’environnement basé sur des données globales. » Pour pouvoir poursuivre leurs expériences, la France et la Chine refuse d’y adhérer. 

 

Novembre 2019. Emmanuel Macron et Xi Jinping lancent l’appel de Pékin sur la conservation de la biodiversité et le changement climatique « pour améliorer la coopération internationale » et accentuer la pression sur le président américain Donald Trump. 

 

« La possibilité d’un « hiver nucléaire » fut la toile de fond de la guerre froide. Celle d’un « effondrement » provoqué par des ruptures environnementales est devenue notre horizon. Le conflit armé n’en serait plus la cause mais la conséquence. » 

 

Actuellement la Chine et les USA produisent plus de 45% des émissions mondiales de dioxyde de carbone. 

 

« Désormais la lutte contre le réchauffement ou la diminution de la biodiversité reste, en grande partie, subordonnée aux rapports entre la Chine et les Etats-Unis, eux aussi directement menacés par le dérèglement planétaire. Quelle place pour l’Europe et les autres régions, qui d dépendent directement des orientations de Washington et de Pékin ? » 

 

Certains Etats pourraient être tentés de recourir à la géo-ingéniérie pour gagner du temps et minimiser les impacts du réchauffement climatique sur leurs territoires ou activités. 

 

L’ampleur des dégâts.

 

« L’écho rencontré par la « collapsologie » (théorie de l’effondrement global) traduit la peur d’un effondrement général provoqué par la combinaison, non maitrisable, de problèmes environnementaux, énergétiques, climatiques, géopolitiques, sociaux et économiques, « qui ont aujourd’hui franchi des points de non-retour. » Ce discours considère que les crises, même si elles sont de nature différente, se nourrissent les unes des autres. Il ne présente pas l’effondrement comme inéluctable, mais dénonce un aveuglement collectif et des égoïsmes individuels sur le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité et les pollutions pour enjoindre chacun à un changement radical de ses modes de consommation. » 

 

Bref état des lieux.

 

Les performances environnementales par pays en 2020, selon un classement de l’université de Yale fondé sur 32 critères :

  • 1er Danemark 

  • 5e France

  • 10e Allemagne 

  • 24e Etats-Unis

  • 58e Russie

  • 120e Chine 

 

« Ce classement établit une corrélation directe entre la performance environnementale et le PIB par tête, tout en soulignant de fortes différences de résultat entre pairs économiques. Autrement dit, les politiques environnementales, notamment dans leur volet énergétique, produisent des effets variables. »

 

Selon son niveau de vie, un Français aurait à sa disposition l’équivalent de 150 à 400 « esclaves énergétiques » à sa disposition (désigne une unité de mesure permettant de comparer la consommation énergétique dans un temps donné avec son équivalent de production mécanique qui aurait été réalisé par un homme adulte seul)

 

Un problème identifié pendant la guerre froide.

 

1957. Roger Revelle géologue et océanographe et Hans Suess chimiste et physicien publient un article retentissant « Les êtres humains mènent actuellement une expérience géophysique à grande échelle d’un genre tout à fait unique, qui n’aurait pu avoir lieu dans le passé et ne pourra jamais être répétée à l’avenir » Ce rapport sera repris par le président américain Lyndon Johnson qui reconnaîtra que sa génération avait « modifié la composition de l’atmosphère à l’échelle planétaire » à force de brûler des combustibles fossiles.

 

1968. Le géophysicien Gordon MacDonald prédit que les armes de destruction massives seront moins les ogives nucléaires que les catastrophes écologiques. 

 

1978. Un rapport « sur l’impact à long terme du taux de CO2 dans l’atmosphère » prévoit une hausse des températures de 2 à 3°, la désertification rapide de régions d’Afrique, d’Amérique du Nord et d’Asie, l’effondrement de la production agricole, le déclenchement des migrations massives et surtout la fonde des calottes polaires. 

 

1988. Création du GIEC (Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)

 

1992. Signature de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique. Mais la même année le président Bush déclare que « le mode de vie américain n’est pas négociable »

 

2017. Donald Trump retire les Etats-unis de l’accord de Paris de 2015. 

 

« Entre les résidences de Bush et de Trump, les politiques énergétique et climatique des Etats-Unis auront évolué entre des intérêts contraires, tout en rompant politiquement avec une tradition scientifique qui avait fait la force des Etats-Unis. Si le déni consiste à ne pas croire ce que l’on sait, alors de nombreux décideurs, pas seulement aux Etats-Unis, sont encore en plein déni face aux transformations actuelles de notre cadre de vie. » 

 

Parallèlement la Chine a une position ambivalente :

  • Elle se présente comme la championne de l’investissement dans les technologies bas carbone et de la dépollution des villes. 

  • Elle continue à développer et à exporter des centrales au charbon pour faire face à ses besoins énergétiques. (Selon l’OMS, seulement 2% de la population chinoise respirerait un air conforme à ses recommandations)

 

De l’injustice climatique.

 

Les 10% de la population mondiale les plus riches produisent à eux seuls 50% des émissions totales de GES. 

 

Un Qatarien émet 490 fois plus de tonnes de CO2 qu’un Etiopien 

Un Américain émet 160 fois plus de tonnes de CO2 qu’un Nigérien. 

Un Français émet 3 fois plus de tonnes de CO2 qu’un Indien. 

 

Mais les inégalités entre nations se doublent aussi de profondes inégalités à l’intérieur même de ces nations, « laissant d’ores et déjà entrevoir de sérieux problèmes de cohésion territoriale et, par voie de conséquence, de gestion des flux migratoires. » 

 

« L’accord de Paris de 2015 fixe un objectif de limitation de la hausse des températures sous les 2°C, idéalement à 1,5°C, aujourd’hui inatteignable sans politiques immédiates et extrêmement vigoureuses de diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour l’atteindre, il faut baisser ces émissions de 8% par an. Ce sont les pays les plus vulnérables qui ont fait de cet objectif la condition sine qua non de leur signature, sachant pertinemment qu’il ne serait pas atteint. Cela leur permettra de disposer d’une base légale pour exiger des compensations financières massives de la part des pays riches afin de faire face aux dégâts climatiques chez eux. » 

 

« Grandes conférences multilatérales et mobilisations citoyennes, souvent présentées comme l’expression de nouvelles formes de gouvernance, ne doivent pas faire perdre de vue le réalisme environnemental qui prévaut, c’est-à-dire l’instrumentalisation par les Etats du dossier climatique dans leur compétition pour asseoir leur légitimité. »

 

Quand biodiversité rime avec souveraineté. 

 

La croissance démographique humaine s’accompagne d’une perte de biodiviersité. 

  • Sur les 8,7 millions d’espèces vivantes estimées, 1 million seraient menacées d’extinction. 

  • Plus de 6000 plantes alimentaires ont été cultivées dans l’histoire. Actuellement ce n’est plus que 200 espèce et 9 d’entre elles représentent 66% de la production agricole (betterave, blé, canne à sucre, maïs, manioc, palmier à huile, pommes de terre, riz et soja)

  • La taille des population vertébrées à diminué de 60% entre 1970 et 2014)

  • La biomasse des insectes baisserait de 2,5% par an. 

  • La surpêche met en danger de nombreuses espèces de poissons; 

 

Guerre aux déchets ou guerre des déchets ? 

 

La pollution est inhérente aux activités humaines et les pollutions s’inscrivent dans des cycles de production qui épousent les mutations techniques. « Siècle toxique par excellence, le XXe siècle voit l’apparition de nouvelles substances chimiques, qui provoquent de nombreux déchets, souvent inassimilables par les milieux naturels. »

 

Guerre et pollutions.

 

« Il existe un lien direct entre les guerres industrielles du siècle et les pollutions massives car elles ont levé toute inhibition dans l’utilisation de technologies destructrices. » Rôle particulier des deux guerres mondiales qui ont accéléré le développement de la chimie, dont certains produits à usage militaire au début, sont ensuite recyclés chez les civils (ex du DDT)

 

« AU XXe siècle, la brutalité au sein des sociétés en guerre va de pair avec une brutalité envers la nature. ». Le vrai tournant se produit avec les contaminations nucléaires du fait de la durée de leur empreinte sur les écosystèmes. 

 

Les puissances nucléaires reconnaissent plus de 2000 essais nucléaires dont 210 pour la France. 

 

« L’irruption de l’arme nucléaire a provoqué la naissance d’une écologie politique marquée par le pacifisme. Les risques existentiels d’un affrontement nucléaire ou d’accidents nucléaires majeurs donnent naissance à des philosophies de la peur et de la catastrophe, toujours très présentes. » 

 

La propagation du plastique.

 

Les 15 dernières années ont produit 57% de la production totale de plastique depuis 1950 (5.000 milliards de pièces flottent à la surface des océans). 

 

L’industrie du plastique qui consomme 6% de la production mondiale de pétrole pourrait en consommer 20% en 2050, alors que seuls 9% des déchets plastiques sont recyclés. Des micro plastiques se retrouvent désormais dans la chaine alimentaire humaine. 

 

Janvier 2018. La Chine interdit l’importation de vingt-quatre catégorie de déchets dont les plastiques et les papiers mélangés. « Jusqu’alors, les pays occidentaux vendaient leurs déchets à l’Asie, tout simplement parce qu’il était plus facile, et moins onéreux, de les expédier à l’autre bout du monde que de les traiter localement. Cette décision a provoqué une accumulation de déchets en Californie, en Australie et au Royaume-Uni, qui se sont tournés vers des pays comme l’Indonésie, la Thailande, le Vietnam et surtout la Malaisie. » 

 

Gagnants et perdants de la transition énergétique. 

 

« Au XXe siècle, la donne géopolitique a été largement façonnée par les enjeux liés au charbon, au fer, au pétrole, au gaz et à l’atome. Au XXIe siècle, elle se transforme avec la décarbonations rendue indispensable par la lutte contre le réchauffement climatique, la décentralisation des nouveaux modes de génération d’électricité et la digitalisation à travers la fusion de l’énergie et de l’information par les réseaux. » 

 

Le noeud sino-américain.

 

2014. Les Chinois et les Américains parviennent à un accord global de réduction des émissions, soutenu par l’UE, ouvrant la voie aux accords de Paris de 2015. 

 

Depuis 1750, les USA (25%), l’UE (22%), la Chine (12%) cumulent près de 60% des émissions de CO2. « Ce différentiel historique justifie les revendications de la Chine pour accélérer son développement économique, tout en étant le premier émetteur mondial (29%), loin devant les Etats-Unis (16%). En termes d’émissions par habitant, ces derniers devancent largement la Chine, qui envisage une baisse de ses émissions seulement à partir de 2030. » 

 

Les politiques énergétiques de la Chine et des Etats-Unis ont intégré différemment trois ruptures technologiques majeures : 

 

  • Le recours à la fracturation hydraulique autorise des forages horizontaux pour extraire des gaz et pétrole de schiste. Grâce à eux, les USA connaissent une profonde révolution énergétique à partir des années 2000, qui leur permet de dépasser l’Arabie Saoudite en 2019

 

  • La rupture photovoltaïque. La Chine contrôle l’ensemble de la filière des panneaux solaires. C’est devenu un des axes de sa politique étrangère à travers sa diplomatie des infrastructures. 

 

  • La rupture des batteries pour les usages industriels, suscite une vive concurrence entre groupes chinois, japonais et coréens. 

 

« Ces ruptures ont bénéficié aux Etats-Unis et à la Chine pour imposer une nouvelle forme de bipolarité aux autres acteurs, notamment à l’Europe. Si les premiers veulent dominer les hydrocarbures, la Chine entend dominer les énergies renouvelables (ENR) en contrôlant les chaînes de valeur, depuis les terres rares, c’est-à-dire des métaux ayant des propriétés électromagnétiques, jusqu’aux algorithmes »

 

« Il n’en demeure pas moins qu’en dépit de la technologie, ces deux économies restent fondamentalement extractives et organisées autour du contrôle des matières premières (Charbon, terres rares, pétrole et gaz) »

 

Conséquences géopolitiques des énergies renouvelables. 

 

« L’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) estime que la transition modifie la notion de sécurité énergétique en passant « d’une compétition pour les ressources à une course à l’innovation. » 

 

« En réalité, rares sont les pays capables de conduire une stratégie industrielle intégrée. L’enjeu principal réside dans la maitrise simultanée des technologies digitales et bas carbone, ainsi que dans l’expertise et la coordination de l’éolien, du solaire, de l’hydrogène décarbonaté, du stockage de CO2, de la gestion forestière, du nucléaire, des déchets et des batteries. Par ailleurs les ENR présentent aussi un impact environnemental avec l’extraction des terres rares, nécessaires à l’éolien, au solaire et aux batteries. L’Irena a rétabli une liste de 23 minerais. Première productrice mondiale de 14 d’entre eux, la Chine domine la plupart des chaines de valeur exploitant les terres rares. A cela s’ajoute ses capacités d’investissements technologiques. » 

 

Cela va obliger les exportateurs d’hydrocarbures à s’engager dans une conversion de leurs modèles économiques : 

  • Etats présentant de très fortes vulnérabilité : Libye, Angola, Nigéria, Congo-Brazzaville, Timor-Leste, Soudan du Sud

  • Etats plus résilient ayant toujours investis dans leurs forces de sécurité : Azerbaidjan, Algérie, Iran et Russie

  • Etats consommateurs dépendants : Inde, Pakistan, Corée du Sud

  • Etats susceptibles de tirer profit de la transition énergétique : 

    • Bolivie, Mongolie, RDC, Chili qui possèdent des ressources minières.

    • Australie, Danemark, Norvège, Pays-Bas qui maitrisent des technologies 

  • Le Japon et l’UE, pour leur part, comptent utiliser la transition énergétique pour réduire leur dépendance à des fournisseurs comme la Russie, l’Algérie ou les pays du Golfe. 

 

Enjeux de la neutralité carbone et du nucléaire. 

 

« Pour atteindre la neutralité carbone, plusieurs stratégies industrielles, ayant chacune ses champions, s’affrontent violemment. »

 

« Intrinsèquement lié aux usages militaires, le nucléaire fournit une électricité décarbonate et constante, Mais demeure porteur de risques environnementaux majeurs (accidents, gestion des déchets) tout en mobilisant des capitaux considérables. Si plusieurs pays renoncent au nucléaire, d’autres continuent à y investir massivement, entraînant un changement de main technologique et géopolitique. »

 

Début 2019, maitrisant parfaitement la technologie nucléaire, la Chine décide de fermer son territoire aux réacteurs de conception occidentale. Parallèlement, elle investit dans de petits réacteurs modulaires (SMR Small and Modular Reactors) plus faciles à installer et à produire en série. Ils peuvent à la fois servir à décarboner les processus industriels mais aussi avoir un usage militaire. 

 

« La nouvelle donne environnementale structure de plus en plus le conflit géoéconomique et géopolitique entre la Chine et les Etats-Unis, qui en retour l’aggrave. Rien de tangible ne sera possible en la matière sans que ces deux puissances agissent de concert car leur pouvoir de transformation du réel est largement supérieur à celui des autres pays. »

 

La dialectique entre énergie et environnement soulève trois problèmes partagés par l’ensemble des acteurs. 

 

  • Accès à l’énergie et en particulier à l’électricité. Alors que cet accès est tenu pour un acquis inaliénable dans les pays développés, de nombreuses régions, en particulier en Afrique ne sont pas encore équipées. Aucun développement n’est possible sans approvisionnements fiables. 

 

  • Les crises provoquées par des ruptures d’approvisionnement , qu’elles soient volontaires (embargo, cyber attaque) ou involontaires (accidents)

 

  • Problème systémique. Comment produire un développement économique infini dans un monde fini du point de vue des ressources naturelles ? Quel mix énergétique pour répondre aux besoins énergétiques globaux sans provoquer de confrontations majeures ? 

 

Les intentions de la Chine.

 

En septembre 2020, Xi Jinping a fixé un objectif de neutralité carbone pour son pays à l’horizon 2060. « Premier pollueur mondial, la Chine continue à construire de nombreuses centrales à charbon, mais veut apparaître comme pleinement engagée dans la lutte contre le dérèglement climatique pour mieux se démarquer des Etats-Unis. » 

 

Pour le charbon comsommant 51% de la production mondiale (2019), elle devrait continuer à l’exploiter et à investir massivement sur les technologies de captage et de séquestration de CO2. 

 

Pour le pétrole et le gaz, Pékin va poursuivre la sécurisation maritime de ses voies d’approvisionnement et resserrer les liens politiques avec des pays producteurs, au premier rang desquels figurent l’Arabie Saoudite, la Russie et l’Iran. 

 

Pour le nucléaire, elle compte poursuivre ses investissements pour prendre un ascendant technologique sur les Européens. 

 

Pour les ENR, elle entende devenir le leader incontesté dans ce domaine, en dominant tous les segments de la filière (mines de terres rares, algorithmes des smart grids, panneaux solaires, batteries, véhicules électriques)

 

« La grande question est de savoir si la promotion de la « civilisation écologique » n’est pas le moyen pour le PCC d’imposer et de justifier un système poussé de contrôle technologique des populations, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières de la Chine. » 

 

Les intentions des Etats-Unis.

 

Le départ des USA de l’accord de Paris a cassé la dynamique de la COP 21. Avec 16% des émissions mondiales de GES, les Etats-Unis sont le seul grand acteur n’ayant pas d’objectif de neutralité carbone.

 

« Dans leur National Security Strategy (2017), ils se présentent comme le centre du système énergétique mondial car ils sont le premier producteur, le premier consommateur et le principal innovateur. Ils entendent tout simplement le demeurer en bénéficiant d’une plus grande flexibilité à l’égard de fournisseurs comme l’Arabie Saoudite. » 

 

En 2005, ils importaient 30% de leurs besoins énergétiques. Le recours à la fracturation hydraulique a complètement changé la donne et leur a permis de devenir le premier producteur mondial de gaz en 2011 et de pétrole en 2017 et devenir exportateur. 

 

« En réalité la « domination énergétique » correspond à « l’indépendance énergétique » plus les exportations. » 

 

« S’ils souhaitent retrouver une part de leur autorité perdue, ils doivent rejoindre l’accord de Paris et faire preuve d’activisme. » 

 

Les intentions de l’UE.

 

« Devant le développement des techniques de géo-ingéniérie aux effets secondaires inconnus, l’UE devrait concevoir et mettre en oeuvre un régime international de régulation entre Etats, afin d’empêcher des intérêts étatiques et/ou privés d’agir unilatéralement . Considérée à tort comme de la science-fiction, la géo-ingéniérie est insuffisamment intégrée aux réflexions géopolitiques européennes. »

 

Décembre 2019. La commission von der Leyen présente son projet de Green Deal prévoyant la neutralité carbone en 2050. « Cependant le rôle de l’industrie nucléaire pour atteindre cet objectif fait l’objet de profondes dissensions, qui auront de graves répercussions industrielles. »

 

« L’UE veut apparaitre comme la championne de la lutte contre le dérèglement climatique dans toutes les enceintes internationales, tout en continuant à négocier des accords commerciaux compatibles avec l’Accord de Paris. Elle voudrait retrouver une autorité morale entre la Chine et les Etats-Unis dans cette lutte. Compte tenu de la diminution de son poids géoéconomique, la question de sa capacité réelle d’entraînement reste ouverte. »

 

3 / Commerce. 

 

« Le commerce mondial traverse une crise systémique qui a commencé avant la pandémie de la covid 19. » 

 

« La guerre commerciale déclarée par Donald Trump à la Chine et à l’UE a marqué la fin du cycle amorcé par l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001. Vingt ans après, la Chine devance largement les Etats-Unis pour l’exportation de marchandises alors que ces derniers la dépassent pour l’exportation de services. Ce cycle correspond à la profonde transformation du commerce par les plateformes numériques, qui font apparaître de nouvelles formes de concurrence et de domination encore accentuée par la pandémie. Il correspond aussi à la multiplication des décisions prises au nom de la sécurité nationale par les Etats-Unis et la Chine au détriment des règles multilatérales. Cette « sécurisation » du commerce mondial va de pair avec la numérisation des échanges. L’UE subit davantage les effets de la rivalité sino-américaine qu’elle ne les exploite. »

 

« Si les Etats-Unis, l’Europe et la Chine aimantent plus de la moitié des échanges commerciaux mondiaux, la montée en puissance de cette dernière redessiner la division internationale du travail. Une part croissante du commerce international est désormais entre les mans d’une thalassocratie illibérale et ambitieuse. C’est une rupture historique majeure. » 

 

Le cadre des échanges.

 

« Les formes et les modalités du commerce s’expliquent principalement par les équilibres politiques et militaires auxquels parviennent les puissances rivales. »

 

Les grandes connexions.

 

L’expression « routes de la soie » pour désigner les pistes commerciales qui reliaient la Chine à la Méditerranée via l’Asie centrale a été inventée par le géographe allemand Ferdinand von Richthofen (1833-1905). Actuellement la sécurisation des routes, comme par le passé, revêt une importance capitale pour les Chinois, d’où une attention particulière portée à la région du Xinjiang, la vallée du Fergana entre l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. 

 

Mare Liberum ou mare clausum.

 

« La découverte du Nouveau Monde par les Européens ne fut pas accidentelle car les Européens disposaient d’un avantage maritime et de la puissance de feu. Les Portugais s’imposèrent grâce à une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle actuellement mise en oeuvre par la Chine : contrôler les routes et les noeuds par lesquels transite la richesse plutôt que de conquérir des territoires. Les Espagnols, quant à eux, portèrent une vision globale. La mondialisation n’était pas seulement matérielle ; elle fut surtout intellectuelle et spirituelle. »

 

Le comportement de Pékin en mer de Chine au cours des dernières années renvoie à la controverse sur le statut des mers, du XVIIe siècle entre :

 

  • L’avocat hollandais Hugo Grotius (1583-1645) qui défend la liberté de navigation (mare liberum). Il estimait que « la mer étant insaisissable comme l’air, ne peut être ajoutée aux (biens) d’aucun peuple. » Mais il distinguait la haute mer et les littoraux, où les prises de possession sont possibles. 

 

  • Le juriste anglais John Selden (1584-1654) qui défend la thèse que les océans étaient susceptibles d’appropriation (mare clausum). Cette thèse selon laquelle les mers peuvent être propriétés des princes, aboutissent au concept de « mer territoriale » où un Etat riverain est en mesure d’imposer sa juridiction. 

 

« A quatre siècles de distance, les grandes manoeuvres en mer de Chine ou celles en Méditerranée orientale autour de Chypre réactualisent ce débat. A certains égards, la Chine et la Turquie mènent une politique du fait accompli en exerçant une pression navale continue. »

 

Les habits neufs du colbertisme.

 

« L’avenir du commerce mondial dépend de la sécurité des espaces maritimes et des équilibres entre puissances navales. La doctrine des Etats-Unis et la Chine en la matière puise directement dans l’héritage de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), que les Européens ont eu tendance à oublier à l’heure de la mondialisation heureuse. Etrangement, le colbertisme est devenu synonyme de dirigisme alors qu’il prônait avant tout une approche mercantiliste, et don maritime de l’économie. Pour le ministre de Louis XIV, « la liberté est l’âme du commerce » et l’intervention de l’Etat ne devait revêtir qu’un caractère temporaire pour permettre aux entreprises françaises de se mettre au niveau de leurs concurrents internationaux. Il voyait avant tout le commerce comme une « guerre d’argent » fondée sur l’exportation de produits manufacturés contre l’importation d’or et d’argent, qui permettaient de financer la guerre et l’Etat : « Le commerce est la source de la finance et la finance est le nerf de la guerre. »

 

« Dans la richesse des Nations (1776), Adam Smith a posé les fondements intellectuels d’un libre-échange harmonieux et bénéfique pour les nations le pratiquant. Son influence sur la conception du capitalisme fut considérable, mais a instillé une confusion durable entre richesse et puissance. La première correspond à une accumulation de moyens alors que la seconde exige une intention de les utiliser. (..) Il préconisait la liberté absolue des échanges internationaux. Cependant, il reconnaissait aussi que la défense importait plus que l’opulence, tout en soutenant que des décisions protectionnistes (…) n’avantageaient pas la politique commerciale. »

 

« Dans son Système national d’économie politique (1841), l’économiste Friedrich List (1789-1846), inspirateur du Zollverein, l’union douanière allemande, critiqua les « exigences cosmopolites de l’avenir » d’Adam Smith. Selon lui, les thèses de ce dernier auraient permis à Londres de dissimuler la « vraie politique de l’Angleterre » car « c’est une règle de prudence vulgaire, lorsqu’on est parvenu au faîte de la grandeur, de rejeter l’échelle avec laquelle on l’a atteint, afin d’ôter aux autres le moyen d’y monter après nous. » 

 

« Le débat à distance entre Adam Smith et Friedrich List porte sur une évidence souvent oubliée par la doxa économiste : le choix entre avantage politique et avantage économique n’est jamais fié une fois pour toutes, mais dépend étroitement des circonstances créées , d’une part, par les rapports entre puissances et, de l’autre, par les relations entre Etats et sociétés civiles. »

« En 1902, Alfred Mahan (1890-1914), amiral de l’US Navy ayant popularisé le concept de sea power, écrivait : « La quête de marchés est devenue le plus important problème politique de notre temps. On cherche à le résoudre par des méthodes commerciales et politiques si essentiellement combatives. » Dans cette optique, libre-échange et protectionnisme ne sont que des options au service d’une stratégie nationale. » 

 

Le contrôle des infrastructures.

 

« L’avenir du commerce international dépend de l’issue de la guerre commerciale déclenchée par les Etats-Unis, ainsi qu’à plus long terme des équilibres navals entre grandes puissances. Qui sera en mesure de sécuriser les routes et espaces maritimes, à part les Etats-Unis et la Chine ? Quel rôle pour les Européens ? 

 

Déclaration de guerre commerciale.

 

« Avec Trump, les Etats-Unis étaient ouvertement protectionnistes et secrètement libre-échangistes. Avec XI Jinping, la Chine est ouvertement libre-échangiste et secrètement protectionniste. Le commerce international est devenu un enjeu électoral aux Etats-Unis et de développement en Chine. Dans les deux cas, il est subordonné à la logique de puissance. » 

 

« Si les mesures protectionnistes décidées par Donald Trump ont creusé le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine et pénalisent davantage le pouvoir d’achat du consommateur américain que chinois, elles ont aussi produit un effet psychologique sur le monde entier. En dépit des négociations bilatérales et des possibles accords temporaires, la politique de Trump a dépassé un point de non-retour car elle touche aux modèles : Washington veut la transformation immédiate de l’éconoie chinoise dirigée par le Parti-Etat, en économie de marché. Cela signifierait la fin du Parti communiste chinois et donc un changement de régime. Personne ne croit que les dirigeants chinois céderont leur contrôle des leviers économiques en raison des menaces américaines. Au contraire, celles-ci les encouragent à vouloir accélérer la mondialisation économique, tout en multipliant les mesures visant à réduire la dépendance de la Chine à l’étranger. » 

 

« L’harmonie à la chinoise comporte une forte conditionnalité politique, qui implique de reconnaître le rôle du Parti unique comme garant de l’efficacité politique, économique et militaire. » 

 

2015, lancement par le Premier ministre Li Keqiang du plan d’investissement dans les nouvelles technologies « Made in China 2025 (MIC 2025) » qui serait à l’origine de la guerre commerciale déclenchée par Donald Trump. Dans ce document sont identifiés les secteurs clés qui doivent monter en gamme et devenir moins dépendante de l’étranger :

  • Véhicules électriques

  • Composants technologiques de navires

  • Énergie renouvelable. 

  • Robots industriels

  • Équipements médicaux

  • Matériels agricoles

  • Avions gros porteurs

  • Puces pour smartphones. 

 

« Dans ces secteurs, les entreprises chinoises entrent en concurrence directe avec les entreprises européennes. C’est pourquoi l’UE doit se repositionner face à des groupes résolument engagés dans des stratégies duales consistant à gagner des marchés pour imposer des normes et à terme, un ordre. » 

 

L’UE pour sa part présente un front désuni en matière de lutte contre la concurrence étrangère déloyale :

  • Le bloc des pays du « Nord » (Pays scandinaves, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg) s’opposent le plus souvent à la lutte contre le dumping où les subventions étrangères considérant cela comme une forme de protectionnisme. En Octobre dans un colloque organisé par un Think tank allemand, « l’ensemble des intervenants allemands défendait le libre-échange, tout en refusant d’envisager une sea power européen comme si la sécurité des routes maritimes, sans laquelle commercer serait impossible, était acquise une fois pour toutes. Ce n’est pas le cas. » 

  • Le bloc des pays du « Sud » (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce) qui cherchent à se protéger grâce aux instruments de défense commerciale. 

  • Un bloc entre deux (Belgique, Autriche, Irlande) qui oscille entre les deux blocs précédents. 

 

« Le Brexit et l’attitude de l’Allemagne devraient modifier l’équilibre en faveur des pays plus interventionnistes comme la France. De plus, la crise sanitaire a eu pour effet de renforcer la cohésion européenne à l’égard de la Chine. »

 

La connexion n’est pas un lien.

 

« Sur le plan symbolique, les Etats-Unis de Donald Trump ont érigé un mur à la frontière avec le Mexique quand la Chine de Xi Jinping promouvait les nouvelles routes de la soie, qui projettent une image de dynamisme et de de confiance. » 

 

Les nouvelles routes de la soie présentent trois caractéristiques principales :

  • Une communication coordonnée qui a permis une diffusion extrêmement rapide du concept.

  • Une expansion géographique impliquant plus de cent pays et institutions internationales.

  • Une expansion sectorielle allant des infrastructures (portuaires, énergétiques, télécommunications) à de multiples secteurs (e-commerce, finance, espace, tourisme, justice). 

 

Janvier 2018, la Cour suprême chinoise décide de créer trois tribunaux internationaux de commerce : 

  • Xian pour la route de la soie continentale. 

  • Shenzhen pour la route maritime. 

  • Pékin pour la coordination. 

 

Les ports étant un maillon essentiel de ce projet, la Chine investit dans de nombreux ports, en particulier en Europe (10% des capacités de terminaux se trouvent actuellement dans des mains chinoises)

 

En 2016, le port grec du Pirée a été acheté par la Chine qui en a fait en 2019 le premier port méditerranéen pour le commerce des containers. Entre temps, la Grèce avait empêché une déclaration de l’UE critiquant la Chine sur les doits de l’homme en juin 2017. 

 

En 2014. Inauguration du pont de l’Amitié sino-serbe à Belgrade sur le Danube avec pour objectif de relier Athènes à Budapest en développant un corridor ferroviaire via la Macédoine et la Serbie. Cela permettra à Pékin de se connecter aux différents corridors du réseau ferroviaire européen et s’inscrit dans une ambition ferroviaire globale. 

 

Développement de la théorie du Heartland « l’île mondiale » (continent eurasiatique et africain) par Halford John Mackinder (1861-1947). Pour lui, la domination mondiale passait par la maîtrise du Heartland à travers « celle de l’espace s’étendant de l’Europe occidentale à la Sibérie occidentale, ayant comme référence les voies empruntées par les invasions mongoles des XIIIe et XIVe siècles. Dans cette optique, le chemin de fer devait rendre possible une intégration du Heartland entre la Chine et la Russie grâce au Transsibérien, qui aurait signifié la fin de la domination britannique sur le monde par les mers. » 

 

Chine, Etats-Unis et Europe (Allemagne) au Coeur du commerce mondial. 

 

G7 : Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Canada et Japon. 

E7. Chine, Inde, Indonésie, Brésil, Russie, Mexique, Turquie. 

 

1995 : Le G7 représentait le double du E7. 

2015 : Le G7 et le E7 ont à peu près le même poids. 

2040 : Le E7 représentera le double du G7. 

 

En 2050, la Chine devrait représenter 20% du PIB mondial et l’UE moins de 10% proportion inférieures à celle de l’Inde.

 

« La principale inconnue à ce jour réside dans la transformation des chaînes de valeurs globales, avec la décision des Etats-Unis d’opérer un « découplage » avec la Chine, qui consiste dans plusieurs domaines critiques, à bannir des fournisseurs chinois. (…) En ce qui concerne l’Europe, le « découplage » avec la Chine aurait des répercussions directes sur de larges pans industriels comme l’automobile, l’aéronautique ou le luxe. » 

 

« L’UE a dû modifier ses positions à la fois vis-à-vis de Washington et de Pékin. Le discours et les mesures de Donald Trump obligent l’Europe à prendre des contre-mesures sectorielles alors que l’attitude de Pékin la contraint à changer de pied. En 2016, les Européens ont pris conscience, d’une part, que les investissements directs étrangers (IDE) chinois en Europe avaient dépassé les idées européens en Chine et, de l’autre, que les entreprises chinoises se livraient à un câblage des entreprises de haute technologie. » 

 

Mars 2019, publication par la Commission européenne d’une communication désignant la Chine comme « un rival systémique qui promeut des modèles de gouvernance alternatifs » et a revendiqué un principe de « réciprocité »

 

« Défendant le libre-échange, elle doit désormais s’adapter aux politiques chinoise et américaine, qui cherchent, de manière différente, à réduire leur dépendance au reste du monde. Les Etats-Unis recourent à l’argument de la sécurité nationale pour justifier leurs mesures protectionnistes, tout en fustigeant le sous-investissement des Européens, et en particulier des Allemands, dans les dépenses militaires. La Chine, quant à elle, se comporte comme une citadelle à la fois assiégée et conquérante en parvenant à accentuer sa présence sur les marchés extérieurs et en devenant de moins en moins dépendante des autres. »

 

« Depuis la fin des années 1960, la plupart des économies nationales ont trouvé le commerce international comme principale sur ce de croissance, ce qui a poussé très loin la logique de la division internationale du travail. Les entreprises ont abaissé leurs coûts de production au prix de processus très complexes. (…) 

  • Sur le plan politique, la fin de la guerre froide a ouvert une période de stabilité relative avec la domination américaine et l’ouverture de la Chine, qui a permis une extension considérable du marché. 

  • Sur le plan technologique, les TIC ont réduit drastiquement les coûts de coordination à une distance, rendant possible le contrôle des appareils de production en temps réel. 

  • Sur le plan institutionnel, l’OMC a encouragé la multiplication des accords de libre-échange. 

Cette phase a commencé à se refermer avec la crise financière de 2007-2008. La guerre commerciale est un des théâtres sur lesquels se joue la rivalité sino-américaine avec une conséquence majeure pour l’ensemble des acteurs : la transformation des interdépendances en leviers de puissance. Parce qu’elles sont asymétriques, elles peuvent être exploitées à son avantage par celui qui est du bon côté de l’asymétrie. »

 

Les intentions de la Chine.

 

Les routes de la soie ont pour « finalité de développer le commerce, avec l’intention de constituer une vaste zone d’influence en matière de relations commerciales, de normes techniques et de mécanismes de financement. Ce dernier volet implique l’ouverture internationale du système financier chinois. L’ambition de Pékin est de parvenir à imposer sa conception d’un capitalisme reposant sur une symbiose entre le contrôle politique et idéologique exercé d’une main de fer par le PCC et la stimulation entrepreneuriale grâce à une large décentralisation administrative . Cela suppose que les autorités politiques continuent à capturer l’information pour réagir et s’adapter aux aléas. » 

 

« Dans d’autres régions du monde, des dirigeants présentent l’autoritarisme comme la seule réponse possible pour imposer les adaptations provoquées par la récurrence des crises environnementales ou sanitaires. En ce sens la Chine offre un mode qu’elle entend valoriser. » 

 

Les intentions des Etats-Unis.

 

En déclenchant une guerre commerciale, D Trump a obligé l’ensemble des acteurs à se projeter dans un monde post OMC. « En renonçant au système multilatéral qu’ils avaient eux-mêmes bâti, ils ont déstabilisé volontairement leurs alliés traditionnels, tout en indiquant leur volonté de continuer à exercer leur pouvoir de structuration. Même si elle y mettra les formes, l’administration Biden continuera à le faire pour contenir autant que possible, la montée en puissance de la Chine. » 

 

Les intentions de l’UE.

 

« La guerre commerciale lancée par leur allié militaire rapprocherait les Européens du « moment du choix », dans la mesure où « la question du commerce n’est que la pointe de l’iceberg. Avec la crise sanitaire, l’UE conduit une politique commune plus ferme, car plus consensuelle, à l’égard de la Chine. Elle entend continuer à commercer avec la Chine, tout en exigeant de la réciprocité de sa part et en se défendant davantage. » 

 

4 / Inégalités.

 

Entre 1990 et 2015, l’extrême pauvreté (1,9 $ par jour) passe de 36 à 10% de la population grâce à la mondialisation des échanges et à des programmes de développement efficaces. 

 

Mais 3,4 milliards d’habitants ont encore de grandes difficultés à satisfaire leurs besoins élémentaires. 

 

Septembre 2015. Adoption par l’ONU de 17 objectifs de développement durable (ODD) à atteindre pour 2030 pour éradiquer la pauvreté. 

  • ODD 1. Eliminer l’extrême pauvreté et la faim.

  • ODD 2. Eliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable. 

  • ODD 3. Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge. 

  • ODD 4. Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. 

  • ODD 5. Parvenir à l’égalité des sexes et autonomies toutes les femmes et les filles. 

  • ODD 6. Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau. 

  • ODD 7. Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable. 

  • ODD 8. Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein-emploi productif et un travail décent pour tous. 

  • ODD 9. Bâtir une infrastructure résilience, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation. 

  • ODD 10. Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre.

  • ODD 11. Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables. 

  • ODD 12. Etablir des modes de consommation et de production durables. 

  • ODD 13. Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions. 

  • ODD 14. Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable. 

  • ODD 15. Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des sols et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité. 

  • ODD 16. Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous. 

  • ODD 17. Partenariats pour la réalisation des objectifs. 

 

L’inégalité la plus fondamentale touche l’espérance de vie avec un écart de 32 ans entre la plus importante à Hong-Kong et la moins importante au Sierra-Leone (mais à Chicago on constate à peu près le même écart entre les quartiers les plus riches et les quartiers les plus pauvres)

 

Pour l’économiste Branko Milanovic il existe des gagnants et des perdants de la globalisation :

  • Les gagnants : Les pauvres au sens le plus large, les classes moyennes en Asie et le 1% de la population possédant plus de 50% de ma richesse mondiale. 

  • Les perdants : Les habitants des régions en marge des échanges de les classes moyennes inférieures des pays avancés. 

 

Pour l’historien Walter Scheidel ce sont quatre types de ruptures violentes qui ont atténué les inégalités de revenus : la guerre, la révolution, la faillite étatique et la pandémie. « Par conséquent, la lutte contre les inégalités mondiales de l’ONU peut-elle être conduite indépendamment d’une réflexion sur la violence politique ? 

 

La nouvelle donne démographique.

 

« Tout effort de prévision à long terme se construit autour de deux thèmes prédominants : le changement climatique et la croissance démographique. A la différence du premier, la seconde n’a jamais été niée par quiconque, même si ses effets ont pu être exagérés. » 

 

Les chiffres clés 

 

Trois données principales :

 

  • La Chine et l’Inde représentent 30% de la population mondiale, mais si la population active de l’Inde est en pleine croissance, celle de la Chine commence à décliner (depuis 2015). 

  • L’accroissement de la population viendra d’un nombre limité de pays : Inde + 273 M ; Nigéria + 200 M ; Pakistan, RDC, Ethiopie, Tanzanie, Indonésie, Egypte et USA. Pour sa part l’Europe est dans une phase de dépopulation avec un nombre de décès supérieur aux naissances et c’est l’immigration qui assure sa croissance démographique. 

  • Une forte croissance de la population africaine est attendue dans les prochaines décennies. L’Afrique sera le dernier continent à connaître la transition démographique. 

 

Vers une nouvelle hiérarchie des puissances.

 

« Pour Hans Morgenthau (1904-1980), un des père de l’école réaliste en relations internationales « aucun pays ne peut rester ou devenir une puissance de premier plan s’il ne fait pas partie des nations les plus peuplées de la terre. » En réalité, la démographie peut-être à la fois un attribut de puissance et un facteur de sous-développement économique. »

 

Alors que la population américaine est particulièrement dynamique, ses deux rivaux stratégiques, la Chine et la Russie sont confrontés à des défis démographiques. 

 

La population chinoise.

  • Pic vers 2027. 

  • Mais diminution population active depuis 2015. 

  • Perte d’au moins 100 millions d’habitants vers 2050. 

  • Le nombre des plus de 65 ans qui est actuellement de 155 millions passera à 325 millions en 2040.

 

La population russe.

  • Population de 145 millions d’habitants. 

  • Espérance de vie passe de 65 ans en 2000 à 73 ans en 2018

  • Mais accélération du vieillissement de la population avec perte de la population active de 8 millions de personnes entre 2015 et 2018. 

  • Baisse du nombre des naissances depuis 2016

 

« Le vieillissement des population produit des effets sur le plan militaire ou, pour être plus précis, sur les modèles d’armée. Pour les pays n’ayant pas abandonné la conscription, une baisse de natalité fait rapidement ressentir ses effets sur le vivier de recrutement. (….) Les alliés des Etta-Unis, en particulier l’Allemagne en Europe, le Japon et la Corée du Sus, vieillissent vite. Avec l’augmentation inévitable des dépenses sociales, ils peineront à assumer leurs dépenses militaires, ce qui devrait renforcer leur attachement aux alliances protectrices. Autrement dit, les Etats-Unis feront figure de protecteurs de plus en plus indispensables alors que leurs alliés le seront de moins en moins pour eux. »

 

Les pulsations migratoires.

 

« Les migrations de masse sont une réponse à l’extrême inégalité du monde. (…) Elles sont une réponse économique aux écarts de revenu, et entraînent de profondes conséquences sociales aussi bien dans les pays de départ que d’arrivée. La décision de migrer rencontre de nombreux obstacles, qui en font un parcours toujours coûteux, souvent dangereux. » 

 

« Réfugié environnemental. »

 

1990. 152 millions de migrants internationaux (2?9% de la population mondiale)

2019. 272 millions de migrants internationaux (3,5% de la population mondiale)

 

Ces migrations restent souvent essentiellement régionales sans qu’il soit toujours possible de distinguer clairement entre pays d’émigration, de transit ou d’immigration. 

 

Les principaux couloirs migratoires :

  • Mexique -Etats-unis

  • Inde - Emirats arabes unis 

  • Bangladesh - Inde

  • Russie - Ukraine et Ukraine - Russie

  • Kazakhstan - Russie et Russie - Kazakhstan. 

 

Les USA restent de loin le premier pays d’accueil des migrants suivis par l’Allemagne, l’Arabie Saoudite et la Russie. 

 

2019. 70,8 millions de personnes déplacées de force (41,3 millions de déplacées e 33,4 millions de réfugiés)

 

Selon l’ONU en 2050 :

  • Grands pays d’immigration : Etats-unis, Allemagne, Canada, Royaume-uni, Australie, Russie. 

  • Grands pays d’émigration : Inde, Bangladesh, Chine, Pakistan et Indonésie. 

 

La dégradation accélérée des écosystèmes laisse craindre une « explosion annoncée des migrations environnementales. » Trois types d’impacts du changement climatique sont susceptibles de provoquer des flux migratoires importants :

  • Intensité accrue des catastrophes naturelles. 

  • Hausse du niveau des mers. 

  • Stress hydrique. 

 

Les pays du Sahel sont particulièrement vulnérables tout en connaissant une forte croissance démographique. 

 

Le débat sur les migrations entre droit et sécurité.

 

« Le débat politique sur les migrations porte sur le phénomène et sa perception. Il oppose ceux qui les voient comme une chance économique à ceux qui les ressentent comme une menace identitaire. Etre pour les migrations consisterait à souligner les bénéfices qu’une société tirerait de la diversité en termes de dynamisme et de créativité. Etre contre reviendrait à rappeler les difficultés d’intégration de certaines communautés et les risques de dilution des identités nationales. »

 

Concernant la France, Pierre Brochand, ambassadeur de France et ancien DGSE (2002-2008), découpe l’immigration française en 3 vagues :

  • Fin XIXe au années 1970. Elle répond à une logique de travail : « La France manque de bras, l’Europe catholique les lui fournit. »

  • A partir des années 1970. Elle répond à une logique de peuplement « habillée par le droit » en provenance d’ex-colonies, la plupart à majorité musulmane et à fort écart culturel avec le pays d’accueil. » 

  • La troisième vague a été déclenchée à la suite des guerres de Syrie et de Libye et présente 4 traits spécifiques. 

    • Elargissement des origines au delà des ex-colonies. 

    • Dimension européenne de l’accueil. 

    • Recours au droit d’Asile 

    • « versement de tributs aux « barbares des confins » (gouvernement turc, milices libyennes) pour qu’ils consentent à ralentir ou à retenir le flot. »

 

« Partant du postulat que le nombre de migrants internationaux ne peut g’augmenter, un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été adopté par 152 pays à Marrakech en décembre 2018. Cinq pays, Etats-unis, Hongrie, République tchèque, Pologne et Israël l’ont rejeté ; douze pays, parmi lesquels l’Algérie, l’Autriche, l’Italie et l’Australie, se sont abstenus. Ce pacte souligne les avantages de la migration « pour les migrants eux-mêmes, les communautés d’accueil et les communautés d’origine », tout en reconnaissant les défis « importants » qu’elle soulève pour l’ensemble des acteurs. Non contraignant juridiquement, ce pacte promeut une approche pour ainsi dire managériales des flux migratoires en mettant l’accent sur leurs coûts et bénéfices. » 

 

Les inégalités comme reflet de la hiérarchisation du monde.

 

« La lutte contre les inégalités implique à la fois croissance et redistribution. Cependant, à partir du moment où la croissance dégrade l’environnement, elle devient incompatible avec les objectifs de développement durable 12 et 13. Comment se développer en réduisant les émissions de CO2 ? S’ouvre dès lors un débat entre ceux qui préconisent une croissance soutenue pour améliorer les niveaux de vie et financer la transition énergétique et ceux qui insistent sur l’urgence de l’apprentissage de la sobriété par les 22% de la population mondiale vivant au-dessus du revenu moyen d’un être humain (environ 8000 dollars par an en parité de pouvoir d’achat). » 

 

De la grande divergence à la mémoire de l’esclavage. 

 

L’historien américain David Landes (1924-2013) dans Richesse et pauvreté des nations (1998), défend la thèse de « l’exception européenne » expliquant l’inégalité entre nations riches , peu nombreuses, et nations pauvres, très majoritaires, par les différences culturelles favorisant l’invention scientifique et technique. 

 

L’historien américain Kenneth Pomeranz, dans Une grande divergence (2000), pour sa part cherche « des causes exogènes à l’écart de développement entre l’Europe et l’Asie, après avoir constaté que les niveaux de vie de l’Angleterre et du delta du Yangzi étaient comparables au milieu du XVIIIe siècle. Il établit que les deux régions épuisèrent leurs potentialités de croissance en raison de goulets d’étranglement écologiques, puis virent leurs trajectoires diverger à la fin du XVIIIe siècle. L’Angleterre échappa à sa vulnérabilité écologique grâce, d’une part, au charbon abondant sur son propre territoire et, de l’autre, aux exportations agricoles de ses colonies américaines produites par des esclaves. »

 

« Ces débats historiographies sont éminemment politiques. Tout d’abord, ils orientent l’écriture de l’histoire des différents âges du capitalise et des échanges internationaux, alimentant ainsi toute réflexion sur le degré d’ouverture ou de protectionnisme économique. Ensuite, ils reflètent le passage d’une histoire universelle et eurocentrique à une histoire globale (on parle aussi d’histoire connectée) s’intéressant aux multiples sens de la circulation - maître mot - des personnes, des marchandises et des idées. (….) Cette historiographie souligne l’importance centrale du commerce triangulaire et des traites d’esclaves dans l’émergence et la domination d’un capitalisme fondé sur les contacts intercontinentaux, « qui eut pour effet une extension de la présence européenne à l’extérieur. » 

 

« Cette mémoire de l’esclavage constitue un enjeu de politique internationale, dans la mesure où elle reflète un système de domination qui, sans être la seule explication, a permis l’enrichissement des uns au prix des souffrances infligés aux autres. Cette mémoire peut, dès lors servir d’explication politique aux retards de développement économique et alimenter des discussions sur les réparations attendues, qu’elles soient d’ordre symbolique ou matériel. » 

 

« La connaissance de l’histoire de l’esclavage est indispensable à la compréhension de la construction du capitalisme mondial. Elle hante beaucoup plus les pays occidentaux que les pays arabe-musulmans ou asiatiques, qui avaient aussi organisé des traites à grande échelle. Cette concurrence de mémoire s’exerce au sein des sociétés multiculturelles mais aussi entre pays. Se rendre maître du passé est une étape indispensable pour imposer ses vues politiques. »

 

Circulation des richesses et des inégalités. 

 

« L’organisation et la hiérarchisation des circuits économiques concourent aux échanges de richesses et à la répartition des inégalités aussi bien entre pays qu’en leur sein. Lorsqu’elles existent, les politiques de redistribution visent à atténuer les effets des inégalités. » 

 

« La mondialisation entraîne une hyperconnectivité entre métropoles au détriment du « monde des périphéries », qui rassemble dans l’ensemble des pays développés des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales dévitalisées. » 

 

La lutte contre les inégalités impose la combinaison de trois variables :

  • Le différentiel de croissance entre les pays. 

  • Les flux migratoires. 

  • La durabilité environnementale . 

 

Pour cela il faut une forte solidarité internationale . « Nous en sommes loin. Une forte accentuation des inégalités accélère la polarisation d’une société, comme le montre l’exemple des Etats-Unis. Le phénomène Trump ne peut se comprendre sans cet arrière plan du sentiment de déclassement social éprouvé par toute une partie de son électorat, qui se retourne contre tous ceux que le 45e président des Etats-Unis pointe du doigt. L’élection de Joe Biden illustre le degré de polarisation de la société américaine. Autrement dit, la réflexion sur les inégalités ne se pose pas seulement en termes de justice sociale et de croissance économique, mais aussi du point de vue de la violence politique. »

 

« A ce stade, il n’est pas possible d’apprécier les conséquences de la Covid 19 en termes de réduction ou d’aggravation des inégalités, que ce sot entre pays ou en leur sein. Cependant, l’analyse des épisodes historiques de pandémies montre que « leurs effets macroéconomiques persistent en moyenne pendant quarante ans. » 

 

Mais la crise de la covid 19 a eu une conséquence immédiate : « la reprise en main du contrôle des frontières par les Etats, y compris au sein de l’espace Schengen. » 

 

Les intentions de la Chine.

 

« La problématique de l’immigration de Chinois en Afrique et d’Africains en Chine commence à se poser de manière aigüe. »

 

« Au cours de la prochaine décennie, la Chine a intérêt à maintenir son double positionnement de pays toujours en développement et d’économie avancée : cela lui permet de rallier les pays en développement, séduits par l’efficacité de son modèle, et donc de rompre avec le discours occidental sur le développement, tout en continuant à accumuler de la richesse et de la puissance pour pouvoir définir les règles du jeu. A lui seul, le développement économique de la Chine a reconfiguré des inégalités au niveau mondial. A l’avenir, seule l’Inde paraît en mesure de produire un effet comparable. »

 

Les intentions des Etats-unis.

 

« Les intentions et les orientations des Etats-Unis vont dépendre des rapports de force au sein d’un pays profondément divisé par la présidence Trump, qui a instrumentalisé à des fins politiques la question raciale et le dossier migratoire. La principale priorité des Etats-Unis au cours de la prochaine décennie pourrait être de chercher à maintenir leur cohésion interne. »

 

« Sur le plan extérieur, leur démographie, plus dynamique que celle de l’Europe, du Japon et la Corée du Sud, devrait les conduire à reconsidérer leur système d’alliance. » 

 

Les intentions de l’UE.

 

« Le problème fondamental consiste à concilier un système de redistribution sociale sans équivalent dans le monde avec un vieillissement démographique. » 

 

« La politique migratoire de l’UE. C’est sur ce dossier que les intentions de l’UE sont les plus difficiles à percer en raison de forts antagonismes politiques entre pays européens et en leur sein. Berlin et Paris doivent garder à l’esprit que l’importance qu’ils accordent aux partenariats euro-africains n’est absolument pas partagée par les pays d’Europe centrale et orientale. Ces derniers ont rejoint l’UE et l’OTAN pour se soustraire à l’influence russe sans jamais considérer que leur avenir se jouerait en Afrique. » 

 

L’INVISIBLE

 

5 / Numériser.

 

Juin 2020.

  • Capitalisation boursière des 7 majors du numérique (Apple, Alphabet, Microsoft, Amazon, Facebook, Tencent et Alibaba) : 7168 milliards de dollars. 

  • Capitalisation boursière des 6 premières compagnies pétrolières (Saudi Aramco, Exxon Mobil, Chevron, Reliance Industries, Shell, PetroChina) : 2465 milliards de dollars. 

 

« Ces chiffres reflètent le glissement d’une économie politique internationale reposant sur le contrôle du pétrole à une économie impliquant celui des données numériques. Les multiples services offerts par les grandes plateformes numériques innervent désormais tous les secteurs économiques. » 

 

« L’activité numérique dépend non seulement d’infrastructures physiques et applications mais surtout de données, c’est-à-dire d’informations stockées à un endroit, qu’il faut savoir générer, organiser et exploiter. Pour les Etats, elles représentent un enjeu de souveraineté et de sécurité ; pour les entreprises, elles deviennent indispensables à la création de valeur ; pour les utilisateurs, elles offrent de nouveaux services, au péril de leur vie privée (privacy) »

 

La mondialisation continue par la numérisation. 

 

La guerre des données. 

 

« De l’avis général, l’UE a perdu la bataille des données individuelles. » 

 

2000. Les Etats-Unis et l’UE signent le Safe Harbour, accord qui autorise le transfert de données de citoyens européens au profit des entreprises américaines. 

 

2004. Fondation de Facebook par Mark Zuckerberg. Avec Microsoft et Apple, ces trois groupes forment l’acronyme GAFAM « qui symbolise à lui seul l’économie numérique en raison de sa puissance financière, technologique et politique. Ces groupes américains ont profondément modifié la vie des consommateurs européens. » 

 

2015. L’accord de 2000 est invalidé par la cour de justice de l’UE (arrêt Schrems I)

 

2018. Réaction de l’UE qui fait entrer en vigueur le Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui « vise à redonner aux citoyens le contrôle de leurs données personnelles tout en simplifiant l’environnement réglementaire des entreprises. »

« Tardive, cette réaction va dans le bon sens mais ne permet pas de protéger suffisamment les données sensibles. Le problème est à la fois réglementaire et industriel dans la mesure où l’Europe manque d’hébergeur cloud de classe mondiale pour protéger notamment ses données de santé ou d’éducation. 

Avec le RGPD, l’UE a apporté une réponse réglementaire et juridique à sa déficience politique et industrielle. » 

 

Juillet 2020. Le Privacy Sheld qui remplaçait le Safe Harbor est invalidé par la cour de justice de l’UE (arrêt Schrems II). Il a « souligné le manque de recours des citoyens européens quand leurs données sont transférées et exploitées aux Etats-Unis, notamment par le FBI ou la NSA. Il aura fallu quinze ans aux Européens pour saisir l’ampleur de l’accumulation primitive des données. » 

 

2030. 500 milliards d’objets devraient être connectés. « L’enjeu consiste à capter ces nouveaux flux de données industrielles, à très forte valeur ajoutée, pour les exploiter au plus près de leur lieu de production en privilégiant des groupes industriels européens. 

Les progrès du edge computing, c’est-à-dire les capacités à intervenir au plus près de la création de données, ainsi que le déploiement de la 5G, transforment les modes de production et de consommation. A la différence des antennes 4G qui émettent dans toutes les directions, les antennes 5G envoient leurs signaux de manière ciblée vers les utilisateurs, et uniquement quand cela est nécessaire. Elles ont des débits dix fois plus élevés que ceux de la 4G, ce qui devrait accélérer les flux pour rendre plus efficace la gestion des villes intelligentes, des caméras connectées, de l’automatisation de l’industrie ou des transports, des véhicules autonomes ou des applications à très hauts débit de télésanté . Avec la 5G, il est beaucoup plus difficile de séparer le coeur de la périphérie des systèmes d’information, ce qui oblige à accorder davantage de confiance aux fournisseurs d’accès »

 

Actuellement le monde de la 5G est dominé par la société chinoise Huawei « qui a bénéficié à plein de la dérégulation du secteur des télécommunications en s’imposant sur le marché de la 4G grâce à un bon matériel moins cher. » (80% en Allemagne, 50% au Royaume-Uni, 20% en France)

 

L’IA (Intelligence artificielle) et les transformations de l’industrie. 

 

Les flux de données sont stockées dans des data centers dont 40% se trouvaient aux USA en 2017. En Europe, ils sont principalement localisés dans le corridor Londres, Amsterdam, Paris, Francfort et sur les littoraux aux extrémités des grandes routes mondiales de câbles sous-marins. 

 

«  En 2020, 80% des opérations de traitement des données qui ont lieu dans le nuage se déroulent dans ds data centers ou des installations informatiques centralisées ; 20% dans des objets connectés intelligents (voitures, appareils domestiques, robots industriels, installations informatiques proches de l’utilisateur). D’ici 2023, selon certains, ces proportions sont appelées à s’inverser, ce qui devrait encourager l’UE « à créer des réserves européennes communes de données » pour développer une IA digne de confiance. »

 

« L’IA apparaît comme le nouvel outil de puissance, qui conférerait un avantage décisif à celui qui le maîtriserait. C’est pourquoi les Etats et les acteurs privés élaborent des stratégies destinées, pour les uns, à prendre un temps d’avance et, pour les autres, à ne pas se laisser déclasser. »

 

Mais l’IA est difficile à définir. Pour le mathématicien Cédric Villani, il s’agit d’une « technique permettant à ordinateur de réaliser des tâches subtiles, dépendantes de nombreux paramètres, capables de prédictions « et dont le programmeur ne connaît pas la réponse à priori . » En somme, l’IA offre à celui qui sait l’utiliser des capacités d’analyse démultipliées. »

 

Au-delà des questions d’éthique, l’IA a des répercussions immédiates dans quatre domaines clés de la compétition de puissance. 

 

  • Elle amplifie la « course aux talents » à l’échelle globale. Les plateformes attirent les meilleurs ingénieurs, convaincus d’inventer le monde de demain à prix d’or. Pour devenir une superpuissance de l’IA, il importerait avant tout de disposer d’une abondance de données, d’entrepreneurs ambitieux, de scientifiques compétents et, surtout, d’un environnement politique favorable.

 

  • L’IA accélère la robotisation et l’automatisation des économies industrielles et fait apparaître une géo robotique autour de 5 pays : La Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Allemagne et les Etats-Unis. La France, le Canada ou le Royaume-Uni tentent difficilement de rester dans la course. 

 

  • « L’automatisation et l’intelligence à distance (renoue intelligence) vont profondément modifier le salariat, en particulier dans le secteur tertiaire des économies avancées, encore peu soumis à la concurrence directe d’opérateurs formés et moins chers. Le télétravail va encourager la télémigration, c’est-à-dire l’usage des TIC pour réaliser des tâches à distance, qui pourrait déstabiliser un peu plus encore les classes moyennes occidentales, et engendrer des bouleversements politiques et sociaux plus importants que ceux provoqués par leur désindustrialisation. »

 

  • L’IA requiert des composants et des matériaux clés : les semi-conducteurs. Leur production est aujourd’hui largement dominée par les Etats-Unis. » 

 

Puissances numériques et capitalisme de surveillance.

 

L’ascension de la puissance numérique chinoise. 

 

Les autorités chinoises, depuis 2016, font de l’IA un axe de développement prioritaire. « Elles y voient un moment décisif pour la civilisation chinoise, qui n’a pas su tirer profit de la révolution industrielle. » 

 

« Pour le Parti communiste chinois, l’IA doit permettre à la fois de nourrir la croissance économique et de consolider la sécurité nationale. »

 

Sur le plan intérieur. « L’objectif vise à construire une plateforme unique réunissant toutes les données concernant un individu. »

 

Sur le plan extérieur. « La Chine exporte son offre de smart City, qui va de pair avec le développement de la 5G. L’Asie centrale est une des régions privilégiées à travers des contrats passées avec l’Ouzbékistan, le Kazakstan et le le Tadjikistan, ainsi que l’Afrique orientale avec des contrats au Kenya ou en Zambie. » 

 

« Cette offensive se traduit par des partenariats commerciaux qui obligent des entreprises européennes à d’importants transferts de données. Avec la 5G, le sens des transferts technologiques s’inverse ; ce ne sont plus les entreprises occidentales qui apportent leur savoir-faire en Chine, mais c’est cette dernière qui propose de leur procurer les moyens indispensables à leur renaissance industrielle. » 

 

« L’offre technologique de la Chine ne saurait être dissociée de son régime. Toutes les entreprises chinoises sont liées au PCC. » 

 

2015. Adoption d’une loi de sécurité nationale qui précise que les citoyens et les entreprises ont « la responsabilité et l’obligation de maintenir la sécurité nationale. » 

 

2017. Adoption d’une loi sur le renseignement national qui précise que les entreprises chinoises devaient « soutenir, assister et coopérer avec les « services de renseignement. » 

 

Janvier 2019, Ren Zhengfei, patron de Huawei, intervient dans les médias pour indiquer que son groupe « ne nuirait jamais à l’intérêt de ses clients. » et ne répondrait pas à des demandes de renseignement. 

 

Mai 2019. Huawei rend public une étude juridique soulignant que le groupe ne pouvait être contraint à espionner. « Cependant depuis 1996, le gouvernement chinois le présente comme un « champion national » et exerce une pression constante sur les autorités canadiennes pour obtenir la libération de la fille de Ren Zhengfei. » (Le 6 décembre 2018, Meng Wanzhou la directrice financière de Huawei est arrêtée au Canada sous la demande des Etats-UnisHuawei aurait notamment utilisé deux sociétés écrans, Skycom et Canicula Holdings, pour vendre des équipements télécoms à l’Iran en 2010, en contravention des sanctions. Avec ces mêmes artifices, Huawei aurait commercé avec la Syrie jusqu'en 2017).

 

«L’Etat contrôle la totalité des infrastructures de réseau en tentant un carré numérique propre à la Chine : sécurité des réseaux et des données ; stabilité sociale garantie par l’autocontrôle des plateforme ; « sécurité culturelle », c’est-à-dire gestion restrictive des contenus jugés dangereux pour l’identité chinoise ; défense d’un écosystème favorable aux innovateurs chinois à l’abri de la concurrence étrangère. Internet y fonctionne de manière autonome en étant protégé de l’extérieur par un pare-feu, souvent comparé à une « grande muraille » numérique, et à l’intérieur par un « bouclier doré ». Ces protections permettent une censure immédiate de tout contenu critique à l’encontre des autorités, mais aussi une anticipation des revendications sociales. » 

 

1998. Fondation de de Tencent par Ma Huateng qui est au départ une messagerie instantanée. « Tencent dispose aujourd’hui d’une puissance financière lui permettant de prendre de nombreuses participations dans des Start-up chinoises et dans des groupes étrangers (Tesla,, Supercell, Snap, Spotify….) avec pour ambition de parachever l’intégration des différents métiers du numérique. » 

 

1999. Fondation d’Alibaba par Ma Yu, plateforme de commerce en ligne dédiée aux entreprises. Elle est côté en bourse à New-York à partir de 2014 (introduction avec près de 22 milliards de dollars levés). Elle possède une filiale financière Ant Financial qui gère le programme expérimental de crédit social baptisé Sésame. 

 

2000. Fondation de Baidu, moteur de recherche chinois qui devient le deuxième au niveau mondial derrière google. Le groupe investit massivement dans l’IA pour véhicules autonomes

 

2011. Lancement de WeChat par Tencent, qui intègre dans une application unique particulièrement facile à utiliser :

  • Un réseau social

  • Une messagerie. 

  • Un moyen de paiement. 

  • Des systèmes de réservation.

  • Une plateforme d’e-commerce. 

Elle compte 900 millions d’utilisateurs quotidiens (Apple pay 22 millions d’utilisateurs). 

 

Cette émergence du numérique a été favorisé par trois facteurs clés :

 

  • Le basculement complet du pays au début des années 2000 dans la téléphonie mobile alors que le réseau complet de téléphones fixes n’était toujours pas achevé. 

 

  • Le paiement numérique au début des années 2010 par le biais d’applications dédiées, au détriment des cartes de crédit ou des espèces. 

 

  • La collusion entre autorités publiques et acteurs numériques pour mettre en données toutes les catégories de la population chinoise.

 

Cybersécurité : la lutte permanente.

 

« Le déploiement de la 5G participe directement à la politique de puissance de la Chine, qui entend exercer sa prédominance par le numérique. Compte tenu des dangers d’espionnage et de dépendance technologique, les autorités publiques françaises suivent attentivement les échanges entre opérateurs et équipementiers. »

 

« La cybersécurité est devenue un marché crucial où rivalisent des groupes (Cisco, Symantec, Thales, Kaspersky…) ayant des liens étroits et complexes avec leurs autorités publiques. Elle oblige à reconsidérer les notions de privacy et de secret dans la mesure où les volumes de données collectées sur les individus le sont aussi bien par les acteurs étatiques que privés. Les Etats louent ou subtilisent des données commerciales pour les combiner aux leurs ou constituent de vastes bases de données sui sont ensuite exploitées par des entreprises privées. » 

 

Les attaquants informatiques poursuivent 4 grands types d’objectifs : 

 

  • L’espionnage informatique qui correspond en fait à une transposition dans le monde numérique aux activités traditionnelles de renseignement. En 2014, la NSA estimait le coût du vol de propriété intellectuelle à 250 milliards de dollars par an. 

 

  • Les trafics. Depuis les années 2000, les réseaux se sont professionnalisés et tentent maintenant d’obtenir des sommes d’argent par le biais de rançongiciels ou pour organiser des trafics illégaux en tous genre. 

 

  • La désinformation. Les campagnes électorales sont devenues des périodes éminemment sensibles en raison des opérations de désinformation auxquelles elles donnent lieu par le biais notamment des info véhiculées par les réseaux sociaux. 

 

  • Le sabotage informatique. Il consiste à pénétrer des systèmes adverses pour y déposer des implants activantes au moment du passage à l’acte. 

 

« La maîtrise de la cybersécurité se trouve aujourd’hui au coeur de la confrontation de puissance. En raison des moyens mobilisés, les Etats-Unis et la Chine surclassent les autres pays dans ce domaine. La Russie dispose d’un savoir-faire reconnu en matière de désinformation et de hacking, alors que des pays comme le Royaume-Uni, la France, le Canada ou l’Allemagne sont en mesure de conduire des opérations intégrées à leurs manoeuvres militaires d’ensemble. »

 

« Le cyberspace est devenu, en une génération, le principal terrain d’affrontement entre principes de souveraineté et valeurs universelles, entre régimes démocratiques et gouvernements autoritaires. L’ampleur de la collusion entre acteurs privés et autorités publiques génère un « impérialisme d’interprétation » que seuls les Etats-Unis et la Chine sont en mesure d’exercer pleinement. Cette dernière n’est évidemment pas le seul pays à fournir des technologies numériques répressives. Les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France ou Israël proposent de nombreuses solutions de sécurité publique, qui induisent des armes d’urbanisation et de contrôle des espaces publics, redessinant ainsi les contours des libertés publiques et individuelles. » 

 

Les intentions de la Chine.

 

« La mise en données du monde permet à des penseurs chinois comme Zhao Tingyang de donner corps à leur système de pensée - le Tianxia - (…) Ce système permet de penser l’inclusion du monde et la souveraineté du monde en se démarquant de l’approche occidentale. Zhao Tingyang voit la guerre comme l’échec de la politique. (….) Dans la pratique, le développement de l’IA doit permettre le fonctionnement de tous les outils de contrôle social nécessaire au gouvernement du PCC, avec l’idée d’en faire un modèle pour d’autres pays. » 

 

« De la même manière qu’elle a été fascinée par la technologie occidentale à partir de la guerre de l’opium, elle veut à son tour fasciner l’Occident par ses prouesses technologiques . Et elle conçoit la technologie comme un outil de domination économique, politique aujourd’hui et culturel demain. » 

 

Les intentions des Etats-Unis.

 

« Le système global de surveillance et de consommation mis en place grâce aux TIC les place dans une position unique vis-à-vis des autres puissances. A titre d’exemple , 80% du trafic Internet en France transitent par le territoire américain. » 

 

« C’est sur la nature du consentement, question politique par excellence, qu’il est difficile aujourd’hui de percer les intentions américaines après 4 ans de présidence Trump. » 

 

« Le degré d’emprise des plateformes sur la vie économique et politique sera le grand sujet politique aux Etats-Unis avec des conséquences directes pour l’Europe. » 

 

Les intentions de l’U.E.

 

« Ayant perdu la bataille des moyens numériques, elle voudrait remporter celle des modèles. Elle mise sur les données industrielles et Internet des objets pour revenir dans une course technologique qu’elle a jusqu’à présent subie. Une leçon est à tirer de la bataille des données personnelles : les Livres blancs, l’éthique et la régulation ne remplacent pas les capacités d’investissement, les acteurs industriels, le soutien politique et la vitesse de déploiement. »

 

« L’UE ne pourra faire l’économie d’investissements dans des capacités avancées de cloud si elle prétend à l’autonomie stratégique. Son problème central réside dans l’impossibilité de faire coïncider le statut de personne physique avec celui de « personne concernée » car la première vit sus une juridiction précise, alors que la seconde se trouve simultanément dans de nombreux serveurs, localisés en différents endroits. » 

 

6 / Innover.

 

La chine « en inventant la boussole, la poudre, le papier et l’imprimerie, elle fut le laboratoire du monde bien avant d’en être l’atelier. Aujourd’hui, le pays ne cache plus ses ambitions dans le domaine de la 5G ou de l’IA. Assiste-t-on à un « rattrapage technologique » ou à une « renaissance de son innovation » qui lui permettront de retrouver la place centrale qu’il occupait au Moyen Age ? 

De la réponse à cette question dépend l’interprétation de la guerre technologique que la Chine et les Etats-Unis se livrent actuellement. »

 

« La technologie se diffuse d’un pays à un autre par des processus complexes en fonction de cycles plus ou moins rapides. Historiquement, elle a souvent résulté d’innovations militaires trouvant ensuite des applications civiles. Cette dualité est sans doute en train de s’inverser avec des innovations civiles trouvant des applications militaires. » 

 

« Des technologies disruptives procurent un avantage militaire immédiat à ceux qui les possèdent et leur permettent de changer les règles du jeu. » (ex des armes hypersoniques actuellement développées par la Chine, les Etats-Unis et la Russie)

 

La nouvelle course aux armements. 

 

Supériorité technologique ne veut pas dire supériorité militaire car d’autres éléments entrent en jeu : Santé, entraînement, moral, organisation, doctrine, qualité des chefs. 

 

« La préparation à la guerre, élargie aux menaces terroristes, sanitaires et environnementales dans des procédures intégrées d’intervention, participe à la définition de la puissance. Peu de pays en sont réellement capables car cela implique un effort financier sur la durée, ainsi que des outils de planification stratégique. »

 

La technologie, c’est aussi de la politique.

 

2019. Les 15 premiers budgets militaires représentent 1433 milliards de dollars. Présence de 4 pays européens (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie) qui représentent 12% de ces dépenses. 

 

« Les Etats-Unis conservent la suprématie militaire grâce à une stratégie de moyens qui les autorise, en toutes circonstances, à disposer de forces supérieures, à celles de toute coalition imaginable. (…) L’Europe, quant à elle, s’est engagée dans une démilitarisation forcée dès les années 1970, confirmée pendant la décennie suivante, accentuée dans les années 1990 et accélérée par la crise de 2008 : en un demi-siècle, la dépense militaire est passée en Europe de 3 - 4% à un peu plus de 1 - 1,5% du PIB soit une réduction sans équivalent historique. »

 

En ce qui concerne la France, baisse de 18% entre 1991 et 2001. Aucune loi de programmation militaire (LPM) n’a été respectée depuis la fin de la guerre froide, « ceci créant un phénomène de bosse budgétaire, sans cesse repoussée et toujours alourdie, qui diffère certains investissements technologiques. La logique voudrait que les choix budgétaires découlent de l’analyse du contexte stratégique. » 

 

« L’Etat providence a pris le pas sur l’Etat régalien ; la redistribution au profit des individus l’a emporté sur la mobilisation en vue de la protection collective. 

En privilégiant à ce point les dépenses sociales au détriment des dépenses militaires, les Européens ont fait un choix conforme à leur projet pacifique, sans toutefois l’adapter à la dégradation de leur environnement stratégique, caractérisée notamment par la déstabilisation de leurs flancs sud et est, et par des attaques terroristes sur leur sol. Pas plus que le niveau de dépense militaire d’un pays ne garantit son efficacité en période de. Conflit, celui de sa dépense sociale ne garantit son efficacité en temps de crise sanitaire. C’est un des premiers enseignements à tirer de la crise de la Covid 19, en rappelant que la France a la dépense de santé rapportée au PIB/habitant la plus élevée de l’UE avec celle de l’Allemagne. Tout juste peut-on subodorer que la situation de crise aurait été aggravée sans ces mobilisations financières préalables. » 

 

« Cette position à contre-courant reflète « la déresponsabilisation, voire l’infantilisation, de nombre de pays européens », incapables de penser leur défense sans les Etats-Unis et tenant pour acquise la garantie de sécurité apportée par ces derniers. Plus les Américains dépensaient, plus les Européens se croyaient en sécurité au prix d’une contribution symbolique à la guerre globale contre le terrorisme déclenchée par Washington. » 

 

« Parallèlement, la dépense militaire se caractérise par une inflation tendancielle du coût des matériels en raison de la course technologique, des relations militaro-industrielles, de la rapidité de l’obsolescence électronique et de la complexité de « l’intégration-systèmes ». En tendance, deux courbes se croisent, celle de la déflation budgétaire et celle de l’inflation technologique des matériels. »

 

A partir de ce constat plusieurs enseignements :

 

  • Il est impossible de combler, en période de crise, un effort militaire relâché pendant plusieurs décennies. 

 

  • La course technologique aboutit à des systèmes d’armes toujours plus complexes et onéreux. 

 

  • Cette tendance a inspiré, dès 1961, des mises en garde exprimées contre « l’influence illégitime » du complexe militaro-industriel et le risque du « développement désastreux d’un pouvoir usurpé. » 

 

  • Le modèle occidental de guerre high-tech, qui repose en particulier sur la frappe à distance et la maîtrise des espaces communs (air, mer, espace exo-atmosphérique et cyber), alimente le fantasme d’une guerre sans morts pour ceux qui possèdent la technologique.

 

Ruptures technologiques.

 

«  L’innovation technologique ne se décrète pas, mais est partout recherchée. Pour les entreprises elle se comprend comme un processus par lequel l’organisation transforme le travail, le capital, la matière première ou l’information en produits et services d’une plus grande valeur marchande. (…) Pour les Etats, l’innovation technologique se pose en d’autres termes dans la mesure où elle peut modifier la hiérarchie des puissances dans laquelle s’inscrit l’activité économique . Elle est souvent initiée ou développée par les besoins militaires. »

 

« Pour anticiper la vitesse de diffusion d’une technologie, deux facteurs clés doivent être observés : la part des coûts fixes nécessaires à l’innovation ; la nature de l’interaction entre secteurs public et privé. »

 

« Compte tenu de leurs capacités plus limitées que celles des Chinois et des Américains, les Européens ne peuvent se permettre de se tromper sur les révolutions scientifiques et technologiques à l’oeuvre, et sur les secteurs dans lesquels leurs investissements peuvent faire la différence. » 

 

Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a identifié 7 ruptures technologiques susceptibles de provoquer des ruptures technologiques à l’horizon 2030 :

  • Armes hypersoniques, qui sont des missiles pouvant parcourir 10.000 km en 30 minutes. Ces armes marquent une rupture en raison de leur vitesse, de leurs capacités manoeuvrantes, qui rendent leur interception très difficile. Elles peuvent porter des charges conventionnelles et/ou nucléaires, « que qui oblige à penser leur emploi à la fois dans le domaine conventionnel et/ou dans un système de dissuasion nucléaire, multipliant ainsi les risques de méprise. » Actuellement 4 pays disposent de programmes visibles : Chine, Russie, Etats-Unis, France. 

  • Armes spatiales. 

  • Impression 3D.

  • Biologie de synthèse. 

  • Les neurosciences.

  • La cryptographie.

  • Les robots et système autonomes. 

 

Cette compétition va obliger les Européens à de nouveaux investissements, s’ils ne veulent pas subir un décrochage technologique. « Souvent provoquée par un choc psychologique, cette compétition ne se limite pas au réarmement, mais englobe plusieurs dimensions : militaire (réorganisation des forces armées), technologique (recherche de l’innovation), industrielle (modernisation et acquisition des équipements) et politique (volonté d’ouvrir un nouveau cycle). »

 

« Il est difficile de faire admettre un redressement militaire à des sociétés habituées à une longue période de paix et confrontées à des menaces plus diffuses que directes. » 

 

Vers une remontée en puissance ? 

 

Le discours d’Emmanuel Macron sur la stratégie de défense et de dissuasion du 7 février 2020. 

Selon lui, « les Européens peinent à s’adapter à trois ruptures majeures. La première est d’ordre stratégique avec l’apparition d’une nouvelle hiérarchie de puissance ; la deuxième est d’ordre politique et juridique avec la déconstruction des normes internationales, par exemple en matière de maitrise des armements ou de droit maritime ; la troisième est technologique. La technologie, dit-il, est en effet à la fois un enjeu, un perturbateur et un arbitre des équilibres stratégiques. » 

Il résume donc les enjeux immédiats de la manière suivante. « Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle américain, nos infrastructures, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et nos réseaux numériques sous pression russe. » 

« Ce discours qui tranche avec celui de la plupart des dirigeants européens poursuit un double objectif : justifier l’effort financier de la loi de programmation militaire (LPM) ; sortir les partenaires européens de leur anesthésie stratégique. » 

 

« Les attaques terroristes de 2015 ont provoqué en France un choc psychologique qui est à l’origine du discours de remontée en puissance. L’effet de sidération a créé un sentiment d’urgence davantage éprouvé à Paris qu’à Berlin, Rome, Varsovie ou Budapest, en dépit des manifestations de solidarité. Chaque capitale ressent différemment les menaces, entre celles relevant du terrorisme, des flux migratoires ou de l’intimidation stratégique exercée par la Russie. Pour la plupart des Européens, la compétition de puissance, notamment entre la Chine et les Etats-Unis, ne justifierait pas d’efforts militaires particuliers dans la mesure où ils bénéficieraient de la garantie de sécurité de ces derniers. » 

 

13 octobre 2017. Remise à Emmanuel Macron de la Revue stratégique de défense et de sécurité. 

 

13 juillet 2018. Adoption de la Loi de Programmation Militaire (2019-2025) fondée sur la Revue stratégique de défense et de sécurité. « Elle marque une profonde rupture dans la mesure où elle prévoit d’augmenter significativement, pour la première fois depuis longtemps, le budget des armées (295 milliards d’euros sur l’ensemble de la période)

« Pour porter ses fruits, la LPM devrait être respectée et l’effort financier poursuivi au-delà de 2025. C’est la condition pour permettre à l’outil militaire de se régénérer après des années d’érosion budgétaire et de fort engagement, qui ont entraîné des réductions de format très préjudiciables à la sécurité nationale. Il s’agit également de retrouver une forme d’épaisseur pour pouvoir faire face à des menaces conventionnelles classiques. C’est aussi la condition pour maintenir un savoir-faire technologique indispensable dans la compétition économique internationale. C’est enfin la condition d’un certain leadership français en Europe qui n’est pas sans risque : celui de voir la France poursuivre seule ses efforts au détriment de la cohésion européenne. »

 

Le privé au service du militaire ou l’inverse ? 

 

Actuellement Google ou Microsoft en matière d’investissements technologiques sont en train de dépasser les Etats. Deux modèles s’opposent sur la nature de leurs interactions. 

 

  • Un modèle qui considère que la science émane forcément d’une société civile cosmopolite, qui voit les relations avec l’Etat et les armées comme dangereuses, corruptrices et conservatrices. 

 

  • Un modèle qui présente les Etats comme des producteurs de sciences concurrents et qui accorde aux besoins militaires une importance essentielle dans la recherche. 

 

Le complexe militaro-numérique à la manoeuvre. 

 

« En raison de ses implications économiques et stratégiques, la technologie est au coeur de la bataille de modèles que se livrent la Chine et les Etats-Unis. Aujourd’hui en position de challenger, la Chine entend ravir la prééminence technologique aux Etats-Unis d’ici 2030. Pour ce faire elle encourage une fusion civile-militaire des efforts de recherche pour accélérer la modernisation de ses forces armées. » 

 

Au XXe siècle la géopolitique a été marquée par le pétrole et le nucléaire. Au XXIe siècle, elle s’organise de plus en plus autour des données numériques. « Les plateformes numériques et les entreprises technologiques sont en passe de devenir la colonne vertébrale des outils de défense et de sécurité, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Chine. » 

 

2018. Investissements en R&D :

  • Les 5 grands groupes technologiques américains (Amazon, Alphabet, Intel, Microsoft, Apple) : 75 milliards de dollars

  • Les investisseurs traditionnels du Pentagone (Boeing, United Technology, Lockheed Martin, Raytheon, Northrop Grumman) : 8 milliards de dollars. 

 

La bataille spatiale a commencé.

 

Des puissances comme la Chine, l’Inde, le Japon, Israël, développent des politiques spatiales ambitieuse. Parallèlement des acteurs privés comme Space X se lancent eux aussi dans la conquête spatiale. 

 

« L’accélération de l’hybridation public/privé dans le domaine spatial accompagne l’actuelle course aux armements. Depuis 2018, les Etats-Unis investissent massivement et font de leur politique spatiale la clé de voûte de leur suprématie militaire. C’est le milieu dans lequel ils veulent encore accentuer leur avantage par rapport à l’ensemble de leurs concurrents . (…) Dans ce contexte, l’enjeu pour l’Europe consiste à maintenir son autonomie d’accès à l’espace en adaptant sa filière de lanceurs, condition indispensable à son indépendance stratégique, à l’heure des constellations de petits satellites.» 

 

L’avenir de l’Europe dépend d’Ariane 6 dont le premier tir doit intervenir dans un contexte de concurrence avivée . 

2018. Tirs de fusées : Chine (39), Etats-Unis (34), Europe (11)

 

« La surveillance de l’espace est devenue une nécessité vitale ennemie raison des infrastructures satellitaires indispensables à la vie courante et de la multiplication des activités militaires. Il faut être capable d’identifier tous les déchets spatiaux dont la gestion va devenir un marché, ainsi que tout tir en gardant par exemple à l’esprit la durée d’un tir balistique depuis l’Iran sur la France : 20 à 25 minutes. » 

 

Les spécialistes considèrent que la guerre spatiale a officiellement commencé en 2007 par un tir chinois sur un de ses satellites, puis en 2008 par un tir analogue de la part des Etats-Unis. 

 

29 juillet 2019. Publication de « Stratégie spatiale de défense » par le ministère des Armées. 

« Il insiste sur la nécessité de renforcer la connaissance de l’environnement spatial ainsi que sur la nécessité de renouveler la doctrine en matière d’opérations spatiale. 

Le document s’inquiété du développement des capacités antisatellites par missile et rappelle que le traité de l’espace de 1967 consacre le principe de la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace exo-atmosphérique, déclaré comme « apanage de l’humanité toute entière. » 

L’espace exotique-atmosphérique est libre d’accès et d’usage à la différence de l’espace aérien où s’exerce la souveraineté complète et exclusive de l’Etats sous-jacent. Or ce principe de non-appropriation est aujourd’hui partiellement remis en cause par certains Etats ou acteurs privés, qui considèrent qu’il ne s’applique pas aux minerais et autres ressources susceptibles d’être extraits des corps célestes. » 

 

Les intentions de la Chine.

 

« La Chine compte prendre l’ascendant grâce aux usages de l’IA. Pour ce faire, la Chine entend renforcer ses points forts, qui résident pour l’heure dans la connaissance approfondie des besoins des consommateurs et dans l’amélioration des procédés de production à faible coût et prix . Parallèlement, elle souhaite progresser dans les processus de rétro-ingénièrie et dans la recherche scientifique fondamentale. »

 

En 2025, elle ambitionne d’être le premier fabricant mondial d’équipements de télécommunications, de chemin de fer et de production d’électricité . 

 

« La Chine est le seul pays capable de se lancer dans une remontée technologique contre les Etats-Unis. Elle va continuer à pratiquer un espionnage industriel intensif, à vouloir imposer ses standards et normes techniques. » 

 

Les intentions des Etats-Unis.

 

« Pour contrecarrer l’avance de la Chine dans le domaine de la 5G, les Etats-Unis de Donald Trump se sont livrés à une sorte de « maccarthysme technologique » destiné à développer une paranoïa nationaliste pour les équipements 5G, pour rattraper leur retard et aligner leurs alliés. » 

 

« Les investissements actuels des Etats-Unis indiquent la suprématie qu’ils veulent accentuer dans le domaine spatial pour les deux prochaines générations. » 

 

Les intentions de l’UE.

 

« En dépit de réelles capacités scientifiques et technologiques, l’UE n’est pas parvenue à atteindre l’objectif fixé par la stratégie de Lisbonne (2000) : devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde d’ici à 2010. »

 

« Son problème est double. Le premier, bien identifié, concerne le passage de l’innovation à la commercialisation à l’échelle globale. Le second, qui l’est moins, concerne la distinction souvent faite entre le civil et le militaire, qui perd de sa pertinence dans le monde numérique. L’UE doit apprendre à penser et à agir davantage en termes civilaires si elle veut pouvoir valoriser son innovation par rapport à la Chine et aux Etats-Unis. Mais le souhaite-t-elle vraiment ? 

 

7 / Dissimuler. 

 

« Sans poursuivre la même finalité, les services de renseignement et les réseaux criminels partagent le secret et la clandestinité comme modes de fonctionnement. Les premiers servent les Etats, dont la sécurité physique de leurs ressortissants demeure la première raison d’être ; les seconds enrichissent des clans aux contours imprécis par la mainmise violente sur un territoire. » 

 

Le Grand Jeu.

 

Grande stratégie et renseignement.

 

« Sherman Kent (1903-1986), qui élabora les méthodes d’analyse de la CIA, définit le renseignement comme « le savoir dont les hommes au sommet de la hiérarchie civile et militaire doivent disposer pour préserver le bien-être national. » Revêtant un caractère vital pour la continuité de l’Etat, il doit prévenir la surprise stratégique, empêcher les tentatives de subversion et sécuriser le fonctionnement de la société. »

 

« Les services de renseignement servent la diplomatie pour « voir loin » et contribuer à la gestion de crise. » 

 

« La diplomatie utilise un grand-angle et le renseignement un téléobjectif » (Pierre Brochand)

 

« Parallèlement, l’autorité politique recourt aux services pour s’affranchir, si besoin, de la légalité ou de ses engagements internationaux. »

 

Le rôle d’un service de renseignement est tenter de pénétrer l’appareil de décision du pays cible tout en empêchant la pénétration de son appareil de décision. 

 

« Né de la guerre, le renseignement doit permettre de détecter les intentions et les capacités de l’ennemi pour éviter qu’il n’obtienne un avantage militaire décisif. Si son importance a tendance à être parfois exagérée, il contribue directement à la définition des menaces stratégiques et à la manière de les parer. » 

 

« La notion de guerre hybride aide à définir les conflits actuels (Afghanistan, Irak, Ukraine, Syrie, Mali, Libye notamment), qui combinent intimidation stratégique de la part d’Etats disposant d’armes de destruction massive, opérations interarmées impliquant aussi des unités spéciales, des mercenaires et des manoeuvres de désinformation à grande échelle. » 

 

Lutte contre la prolifération et le terrorisme.

 

« Les orientations données aux services de renseignement par l’autorité politique délimitent en principe, un cadre d’action pour plusieurs années, à condition, bien sûr, qu’elle soit en mesure de les formuler, puis de les contrôler. » 

 

« La lutte contre le terrorisme est avant tout une guerre du renseignement. Elle se mène contre des groupes militarisés entretenant des liens ambivalents avec plusieurs capitales. In fine, un service de renseignement ne peut compter que sur ses propres. Forces, même si la lutte contre le terrorise favorise les coopérations entre services. Les règles en sont rarement écrites, y compris entre alliés, car il est possible d’échanger du renseignement avec des pays ciblés par ailleurs. » 

 

Les priorités de la DGSE : 

  • Lutte contre le terrorisme en lien étroit avec la DGSI et les armées. 

  • La lutte contre la prolifération nucléaire, balistique, radiologique, chimique et biologique

  • La lutte contre l’immigration clandestine.

  • La cyber menace. 

  • La protection du patrimoine technologique et scientifique. 

  • Le renseignement politique, indispensable pour « anticiper et décrypter le monde. » 

 

Les faces cachées de l’économie.

 

« On peut obtenir beaucoup plus avec un mot gentil et un revolver, qu’avec un mot gentil tout seul » (Al Capone)

 

« Dans les sociétés ouvertes, les groupes criminels s’organisent avant de détourner les logiques économiques et démocratique à leur profit. L’économie libérale fonctionne sur le principe d’une autorégulation du marché entre l’offre et la demande. (…) Grâce au secret, les pratiques criminelles faussent toute idée de « libre concurrence » entre acteurs économiques, tout en impliquant des acteurs politiques. » 

 

Le règne des mafias.

 

« La mafia dispose de capacités de contrôle d’un territoire, et ce contrôle se fait la plupart du temps avec l’assentiment tacite des populations locales. Pourvoyeuse d’emplois, elle contrôle la petite délinquance, s’approprie les marchés publics et oriente les votes. (….) La mainmise des mafias s’explique aussi par la pluralité de leurs activités à la fois légales et illégales. Avec la crise économique et sociale provoquée par la crise sanitaire, elles pourraient connaître une forte recrudescence en Europe dans les prochaines années. » 

 

Concentration des activités illégales dans cinq marchés prohibés : 

 

  • La contrefaçon qui implique la violation d’un droit de propriété intellectuelle (équipements électroniques, bijoux, médicaments, textiles) (entre 3,3 et 10% du commerce mondial). 

 

  • Le trafic d’êtres humains et les migrations clandestines (plus de 32 milliards de dollars par an). 59% des victimes identifiées seraient exploitées à des fins sexuelles. Ces dernières années, les réseaux nigérians ont supplanté les réseaux chinois et est-européens. 

 

  • La criminalité environnementale se développe rapidement avec les trafics d’espèces protégées et ceux des déchets. Dans ce domaine, les peines encourues sont faibles. Hong Kong tient lieu de plaque tournante pour ce type de trafic entre Afrique et Asie. 

 

  • Les trafics d’oeuvres d’art (6 milliards de dollars par an). Daech a détruit des sites archéologiques pour effacer un patrimoine culturel, tut en industrialisant la contrebande des oeuvres pour se financer. En 2019, Interpol avait enregistré plus de 50.000 objets volés. 

 

  • Les trafics d’armes s’observent à plusieurs niveaux. (Plus d’un milliard d’armes légères et de petit calibre (ALPC) circuleraient dans le monde dont 84% seraient détenues par des civils. »

 

Les trafics de stupéfiants occupent une place à part en raison des profits considérables qu’ils génèrent. 

 

Petits et grands arrangements.

 

Le blanchiment consiste à injecter des fonds provenant d’activités délictueuses ou criminelles dans l’économie légale. De nombreuses techniques existent : exportation de monnaie, maquillage de propriété, fausse facturation, trucage des documents comptables, casinos, opérations immobilières, enchères truquées. Il se fait en trois phases : 

  • Ouvrir des comptes bancaires (phase la plus risquée). 

  • L’empilement à travers un mille-feuille d’opérations et de sociétés écrans pour brouiller la traçabilité des fonds (phase la plus complexe). 

  • L’intégration définitive des capitaux dans l’économie légale qui génère de nouveaux bénéfices (phase la plus politique). 

 

« Ces différentes phases nécessitent l’intervention de spécialistes comme des banquiers d’affaires, des gestionnaires de fortune privée, des fiscalistes et des avocats, capables de tirer au mieux parti des failles juridiques et des différentes législations nationales. Elles requièrent aussi la corruption des milieux politiques. » 

 

« Les conséquences du blanchiment sont souvent minimisées par les économistes même si elles gangrènent durablement un territoire ou un pays. (….) A mesure qu’elle infiltre l’économie légale après avoir pris le contrôle d’un territoire, une mafia se fait moins violente et plus subtilement contraignante et recourant aux intimidations ou aux amicales pressions. Sa moindre visibilité ne signifie nullement sa disparition, mais au contraire son emprise et son acceptation par la population locale et les autres clans mafieux. Dès lors, les entreprises légales mafieuses se trouvent en mesure d’écarter les concurrents non mafieux et de créer des zones grises. Les investissements dans le foncier, l’immobilier mis aussi dans l’appareil productif contribuent ensuite à l’enracinement et à l’enrichissement ultérieur du clan. » 

 

Distinction entre :

 

  • Corruption bureaucratique. Correspond à des pots-de-vin vers à des représentants de la puissance publique contre des faveurs. 

 

  • Grande corruption. Elle s’exerce au travers de versements opérés par des décideurs économiques ou des criminels au plus haut niveau des appareils d’Etat afin d’obtenir une position préférentielle dans un secteur d’activité ou d’acheter de la clémence judiciaire. 

 

  • Corruption stratégique. Il s’git de l’usage délibéré de moyens illégaux de la part d’un Etat à l’encontre d’un autre Etat. 

 

« En raison de son efficacité et de son ampleur, la corruption stratégique représente un enjeu majeur de la pratique occidentale des affaires dans la mesure où elle altère directement la séparation des pouvoirs - exécutif, législatif et judiciaire - sur laquelle sont fondés les régimes démocratiques et les sociétés ouvertes. » 

 

A l’épreuve de la transparence.

 

«  Le renseignement économique est aussi ancien que le renseignement politique ou militaire (…) Il conçoit l’information comme un facteur de compétitivité en soi, qu’il faut à la fois protéger et acquérir en restant dans le domaine de l’entreprise et de ses concurrents. »

 

« Michaël Porter définit pour sa part la compétitive intelligence comme la recherche coordonnée entre un Etat et des entreprises au service des acteurs économiques nationaux. Cela conduit inévitablement à s’interroger sur le rôle des services de renseignement étatiques dans la guerre commerciale que peuvent, par exemple, se livrer Airbus et Boeing dans le domaine aéronautique. » 

 

« La diffusion des TIC provoque des phénomènes contradictoires. D’un côté, ces technologies instaurent un règne de la transparence, qui expose les gouvernements en fonction du décalage entre leurs discours et leurs actions. (…) De l’autre côté; les TIC renforcent l’influence des services de renseignent et accentuent la porosité avec un petit nombre d’acteurs privés. En effet, la multiplication des risques liés à la cybersécurité favorise l’émergence d’entreprises très compétitives, comme Booz Allen Hamilton, « jumeau privé de la NSA » auxquelles les services de renseignement sous-traitent des missions. Cette sous-traitance peut se transformer en dépendance en raison du poids grandissant des entreprises de technologie et d’information dans la collecte du renseignement numérique. (…) Enfin les TIC transforment les réseaux sociaux en champs d’opérations d’influence ou de désinformation, notamment en période électorale. » 

 

« A l’ère de la transparence, la Chine occupe une position singulière dans la mesure où elle ne cesse d’intensifier sa présence sur les réseaux globaux, à travers par exemple sa chaine CGTN, tout en entretenant méthodiquement l’opacité sur son système de gouvernement. » 

 

« Rares, très rares, sont aujourd’hui les spécialistes capables de saisir les rapports de force au sein du Parti communiste chinois (PCC), construit sur le modèle soviétique, alors même qu’il est le coeur du pouvoir. Saisir son fonctionnement réel devait occuper les services de renseignement d’un grand nombre de pays qui ont pour la plupart succombé au « charme irrésistible » du marché chinois sans trop se soucier du projet de puissance de Pékin. »

 

Les intentions de la Chine.

 

« Sur le plan « supra militaire », les stratèges chinois conçoivent les guerres diplomatiques, psychologique, technologique, virtuelle, de réseau, du renseignement, de contrebande et de la drogue, qui offrent, avec les autres types de guerre, « une variété de tactiques véritablement « hallucinante ». La Chine entend développer les moyens de combiner ces tactiques « pour créer une tactique entièrement nouvelle » en recourant à « l’informatique ». Cela se traduit par un investissement massif dans son complexe militaro-numérique dont il est très difficile de percer le fonctionnement. » 

 

Les intentions des Etats-Unis.

 

« La communauté du renseignement joue un rôle essentiel dans leur manière de faire la guerre militaire et économique. Il est évident que les Etats-Unis comptent continuer à développer leur système de surveillance globale. Leurs intentions par rapport à leurs différents systèmes d’alliance sont moins claires, même s’ils devraient continuer à s’appuyer sur le Five Eyes. » (Alliance des services de renseignement des USA, Australie, Canada, Nouvelles-Zélande et Royaume-Uni) 

 

Les intentions de l’U.E.

 

« Si le renseignement donne lieu à de multiples formes de coopération entre services spécialisés, il reste le domaine de la souveraineté par excellence. En ce sens, il est parfaitement vain d’essayer de créer une structure de renseignement intégrée au sein de l’UE. En revanche, des échanges, voire des opérations conjointes, sont envisageables, en particulier dans la phase d’appréciation de la menace ou d’une situation. Ce pourrait être un axe privilégié à l’avenir. »

 

8 / Contrôler. 

 

« Le billet vert est au coeur de l’hégémonie américaine car il peut convertir tous les produits, quels qu’ils soient, en monnaie fiduciaire. Le dollar fonde le système bancaire américain, dont Thomas Jefferson (1743-1826), 3e président des Etats-Unis, voyait les dangers en écrivant en 1802 : «Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. » Jefferson supposait que les banques privées, en prenant le contrôle de la monnaie, pourraient priver les gens de toute possession. Deux siècles plus tard, le danger est toujours bien présent mais il s’étend très au-delà des Etats-Unis grâce à la prééminence mondiale acquise par le dollar. Le système bancaire américain irrigue les marchés financiers à travers de multiples canaux, créant les interdépendances, lesquelles peuvent aussi être transformées en leviers de coercition si nécessaire. » 

 

Le dispositif de contrôle.

 

15 août 1971. Les Etats-Unis mettent fin à la convertibilité entre le dollar et l’or. Ils changent les règles du jeu du jour au lendemain parce que leur balance était devenue déficitaire la première fois depuis 1893. Le volume de dollars détenus par les banques centrales étrangères excédait la capacité d’échange en or possédé par les Etats-Unis.

 

Dans les décombres de Bretton Woods. 

 

« Le « choc Nixon » illustre le pouvoir de structuration des Etats-Unis. La décision de Donald Trump de se retirer de l’Accord de Paris sur le climat en a été une nouvelle illustration. Les autres acteurs internationaux dépendent beaucoup plus des Etats-Unis que l’inverse. Ces derniers peuvent plus fréquemment recourir à l’incertitude stratégique que leurs partenaires. » 

 

Au lendemain de la 2e Guerre mondiale, les Etats-Unis ont su mobiliser des ressources pour produire un « effet d’influence », dans trois domaines clés : 

  • Domaine monétaire en fournissant une quantité suffisante mais pas excessive de liquidités.

  • Domaine commercial en abaissant les barrières douanières. 

  • Domaine énergétique en contrôlant la production du Moyen-Orient et en l’orientant vers l’Europe et le Japon. 

 

27 décembre 1945. Création du FMI après la fondation de la Banque mondiale (1944) qui vise à favoriser le libre-échange et assurer la stabilité du système monétaire international. 

 

1947. Les USA lancent le plan Marshall, à travers l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), qui devient l’Organisation de Coopération et de développement économique (OCDE) en 1961. Il s’agit de reconstruire l’Europe détruite après la 2e Guerre mondiale et de contrecarrer l’influence communiste. 

 

Eté 1950. Création de l’Union européenne de paiement (UEP) pour compléter le plan Marshall. 

 

1995. Création de l’OMC pour favoriser le libre-change. 

 

« Sur le plan militaire, la protection passa non seulement par les alliances comme l’OTAN (1949) ou l’OTASE (1954), mais aussi par la maîtrise des flux pétroliers, devenus indispensables à la croissance économique. Avant la Seconde guerre mondiale, les Etats-Unis avaient oeuvré à garantir l’accès des compagnies américaines aux ressources pétrolières situées dans des pays sous influence britannique ou française. Après la guerre, il parvinrent à instaurer un partenariat unique avec l’Arabie Saoudite. » 

 

Par ailleurs les Etats-Unis n’hésitent pas à s’immiscer dans les affaires intérieures des pays producteurs de pétrole. 

  • Août 1953. L’opération Ajax permet aux Etats-Unis et au Royaume-Uni de déposer le Premier ministre d’Iran, Mohammad Mossadegh, qui avait nationalisé l’industrie pétrolière iranienne. 

  • 1956. Crise de Suez qui permet de parachever la domination américaine au Moyen-Orient au détriment de Londres et Paris. 

« L’historien américain Charles Kindleberger (1910-2003), qui a étudié la fin de l’hégémonie britannique, estime que la « stabilité de l’économie internationale exige un stabilisateur, et un seul. » Si le démantèlement de Bretton Woods a été lu comme la fin de l’hégémonie exercée par les Etats-Unis. Il ne signifie nullement la fin de leur domination, qui s’exerce à travers les institutions internationales. Elles jouent un rôle décisif dans la production des règles, des standards et d’une information partagée. Leur contrôle longtemps permis aux Etats-Unis d’imposer leurs préférences en fonction de leurs intérêts sans résistance institutionnelle. En 2001, l’entrée de la Chine dans l’OMC a ouvert un nouveau cycle. »

 

Pour Robert Keohane « l’harmonie n’a jamais été une caractéristique de la politique commerciale. Il y a toujours eu des conflits d’intérêts et des désaccords réels ou potentiels. » La coopération ne nait pas de l’harmonie mais du désaccord. 

 

« La question est de savoir si la crise sanitaire et l’élection américaine sont susceptibles d’ouvrir un nouveau cycle d’accords ou, au contraire, de fragiliser le système multilatéral un peu plus encore. » 

 

Le secteur financier, coeur du dispositif américain. 

 

« La crise de 2008 marque un tournant dans la mesure où elle résulte des risques accumulés dans le secteur financier des économies avancées. Partie des Etats-Unis, elle s’explique par trois raisons principales : 

  • Excès généralisé d’endettement privé et public. 

  • Le laxisme de gestion d’institutions financières privées. 

  • La sophistication technologique autorisant l’invention de produits financiers « dérivés ». 

 

Existence de quatre grands types de marchés : 

  • Le marché des taux d’intérêts correspondant aux obligations et prêts entre banques (environ 8000 milliards de dollars par jour)

  • Le marché des devises (environ 6000 milliards de dollars par jour). 

  • Le marché des actions (environ 500 milliards de dollars par jour)

  • Le marché des matières premières (pétrole, céréales, métaux)

 

Quatre grandes catégories d’acteurs interviennent sur ces marchés :

  • Les banques centrales qui portent la responsabilité de la politique monétaire, composante essentielle de toute politique économique. Si elles ne disposent pas de mêmes prérogatives selon les pays, elles doivent assurer l’émission de la monnaie fiduciaire et la fixation des taux d’intérêts, superviser le fonctionnement des marchés financiers et garantir le rôle de prêteur en dernier ressort. Les banquiers centraux constituent un club très fermés qui se réunit tous les été à Jackson Hole dans le Wyoming. Leurs décisions sont très attendues par les marchés et les gouvernements. 

  • Les banques. En 2017, l’Europe comptait 118 groupes bancaires importants dont 12 en France. Mais la crise de 2008 a rappelé la hiérarchie : « « Wall Street d’abord, les autres ensuite. » (…) Avec cette crise financière, les Etats-Unis ont rappelé qu’ils étaient le seul pays capable d’imposer sa solution aux autres. » 

  • Les fonds souverains. Ils se définissent comme des fonds d’investissements détenus par des Etats qui veulent placer leur épargne alimentée par leurs excédents commerciaux ou leurs revenus pétroliers, sans avoir à rendre compte à des actionnaires. Le premier fond souverain est créé en 1953 par le Koweit. En 2002, il y avait 21 fonds représentant 790 milliards, en 2018, 80 fonds qui représentaient 7480 milliards de dollars (dont un seul fond européen, la Norvège). « Sont-ils de simples investisseurs passifs ou veulent-ils prendre le contrôle des conseils d’administration des entreprises où ils détiennent des participations ? Il n’existe pas de réponse unique. » 

  • Les gestionnaires d’actifs (fonds de pension, fonds d’investissement privés et compagnies d’assurances). Leur montée en puissance s’est accélérée. Des fonds comme BlackRock, Blackstone, Vanguard ou State Street contribuent directement à la puissance financière américaine en gérant l’épargne de dizaines de millions de ménages. « Actuellement ils gèrent plus de 17.000 milliards de dollars d’actifs alors que le bilan des dix plus grandes banques américaines stagne autour de 10.000 milliards de dollars. » 

 

Les multinationales.

 

« Charnières entre Etats et marchés, les firmes transnationales (FTN) jouent un rôle moteur dans l’organisation des appareils productifs, des échanges commerciaux et des flux financiers. Les entreprises de l’industrie extractive ont structuré la mondialisation en établissant une division internationale du travail : les pays du Nord importaient les matières premières des pays du Sud et exportaient des biens manufacturés. Dans la seconde partie du XXe siècle, la conteneurisation des échanges a rendu possible la production de biens manufacturés dans des pays éloignés à faible coût de main-d’oeuvre. L’Asie a ainsi émergé grâce à la délocalisation de secteurs entiers comme le textile. » 

 

« Depuis les années 1990, grâce aux progrès des systèmes d’information, les FTN fractionnent les étapes de production en fonction des différentiels territoriaux (accès au marché, coût de la main d’oeuvre, fiscalité, législation sociale…), ce qui modifie le flux commerciaux : aux échanges de matières premières et de biens intermédiaires entre les différentes entreprises industrielles qui les produisent et les assemblent. Désormais, les transferts internes entre les entreprises et leurs filiales représentent un tiers du commerce mondial et les échanges entre les entreprises et leurs fournisseurs un autre tiers. » 

 

« Parmi les FTN, les très grandes entreprises, dont le nombre est estimé à 400 environ, disposent d’une puissance de transformation unique leur permettant non seulement de changer les règles du jeu concurrentiel mais aussi d’influer les comportements sociaux. »

 

Les 100 premières entreprises mondiales en capitalisation boursière :

  • 2009 : 8402 milliards de dollars. 

  • 2019 : 21075 milliards de dollars. 

 

Quelques tendances qui se dégagent : 

  • Entre 2009 et 2019, la part des Etats-Unis dans la capitalisation mondiale progresse fortement (45 à 63%) alors que celle de l’Europe recule significativement (27 à 15%)

  • La domination américaine se reflète aussi dans le nombre d’entreprises : 54 américaines, 15 pour la Chine et Taiwan, 21 pour l’Europe (6 au Royaume-Uni, 5 en France (LVMH, L’Oréal, Total, Sanofi, Airbus), 3 en Suisse)

  • Le secteur des technologies est devenu le plus important avec 19 entreprises représentant 5691 milliards de dollars de capitalisation boursière (Les 9 premières entreprises de pétrole et de gaz ne représentent que 1650 milliards de dollars)

 

« Ce top 10 reflète la domination américaine, la progression chinoise et la perte de vitesse européenne. » 

 

« L’articulation entre ce capitalisme de grandes firmes, de plus en plus extraverti, et les territoires, en particulier nationaux, qui cherchent à maintenir ou à créer des emplois, ouvre le débat sur les chaînes de valeur globales (CVG) et la délocalisation de la production. Avec la Covid 19, les pays européens ont pris conscience de leur dépendance sanitaire vis-à-vis de la Chine et, dans une moindre mesure , de l’Inde ou du Vietnam. A l’inverse, Pékin a acte le « découplage » technologique prôné par les Etats-Unis, et cherche aussi à sortir de sa dépendance à l’industrie des microprocesseurs contrôlée par ces derniers. Plus largement, le mouvement de convergence actuellement à l’oeuvre entre les activités industrielles et celles de services par le biais du numérique pourrait entraîner une rétractation relative des CVG sous l’effet combiné de trois facteurs : la convergence salariale entre économies avancées et grands émergents, la durabilité environnementale et la sécurité nationale. Autrement dit, après la Covid 19, la prise en compte des intérêts géopolitiques dans le fonctionnement des CVG devrait être renforcée par les autorités politiques même si les FTN voudront continuer à bénéficier de leur ramification et de leur fluidité pour réduire leurs coûts. »

 

Les moyens de contrôle.

 

« En 2016, Robert Blackwill, figure influente de l’establishment politico-diplomatique américain, ancien ambassadeur en Inde (2001-2003) estimait que les Etats-Unis avaient perdu leur savoir-dire géoéconomique (…) Il constatait leur préférence pour les outils militaires, plutôt qu’économiques, pour atteindre leurs objectifs géopolitiques à partir de la guerre du Vietnam. Afin de rompre le cycle des interventions militaires, il préconisait un recours plus systématique aux moyens de coercition économique, rendue possible par le rôle du dollar, la taille de l’économie américaine et l’influence des entreprises américaines à l’étranger. » 

 

L’arme du dollar.

 

« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la part des Etats-Unis dans les exportations mondiales n’a cessé de décroitre, et pourtant le dollar demeure la monnaie de référence. Ce paradoxe confère un avantage décisif aux entreprises et aux banques américaines . Contrairement à leurs concurrentes, les premières sont payées dans la monnaie qu’elles utilisent pour rémunérer leurs salariés, fournisseurs et actionnaires. Les secondes accordent des prêts étrangers en dollars, reçoivent des dépôts en dollars, et n’ont donc pas à financer le coût d’une couverture de leurs positions en devises. » 

 

1977. Création du système SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), en Belgique qui « constitue un noeud névralgique des flux financiers en fournissant les informations sur les transactions et l’architecture pour les ordonner. » 

 

1989. Création du GAFI (Groupe d’action financière) par le G7 pour lutter contre le blanchiment d’argent. 

 

1992. Le GAFI demande des informations à SWIFT qui refuse de les communiquer en se présentant comme un opérateur de communication et non comme un acteur bancaire. 

 

2001. Après le 11 septembre, le Trésor américain exerce des pressions sur SWIFT, au nom du Terrorist Finance Tracking Program (TFTP), en associant la Commission européenne et obtient les informations requises. 

 

2012. Sous la pression combinée des Etats-Unis et de l’UE, SWIFT déconnecte les banques iraniennes. 

 

2014. Lors de l’annexion de la Crimée, les Etats-Unis et l’UE prennent des sanctions à l’encontre de la Russie ; elles sont toujours en vigueur. Le recours à SWIFT est de nouveau envisagé pour pénaliser la Russie. « A a suite des sanctions prises en 2014, la Russie a créé le système de paiement Mir, géré par sa banque centrale, pour ne plus dépendre de SWIFT. En avril 2020, Mir annonce avoir émis 76 millions de cartes de crédit utilisables en Russie et dans 6 autres pays (Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Turquie)

 

L’arme fiscale.

 

« Avec la monnaie, l’impôt est un des attributs de la souveraineté. La fiscalité joue un rôle clé dans la circulation et la répartition des richesses au niveau mondial en raison de l’extrême mobilité des capitaux et de la concurrence à laquelle se livrent les territoires pour les attirer. » 

 

Les paradis fiscaux disposent de plusieurs leviers pour attirer des capitaux étrangers : 

  • Domiciliation fictive. 

  • Fiscalité à taux réduit. 

  • Secret bancaire. 

 

60% des profits réalisés par les multinationales américaine hors du territoire des Etats-Unis sont déclarés dans des pays à fiscalité réduite. « Cela indique la déconnexion entre les centres off-shore et les lieux de production réelle. » 

 

Cette déconnexion est rendue possible au mécanisme du prix de transfert. « En théorie les filiales d’un même groupe doivent échanger bien, services et actifs à un prix de marché en respectant le principe de pleine concurrence. Dans la pratique, elles bénéficient d’une grande marge de manoeuvre pour facturer les transactions intra-groupe, en particulier pour des actifs immatériels comme des logos ou des brevets. »

 

2010. Adoption aux Etats-Unis de la loi Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) qui impose aux banques étrangères de communiquer au Trésor américain toutes les informations sur les comptes détenus à l’étranger par des contribuables américains, y compris les Américains « accidentels »

 

L’arme juridique.

 

A partir des années 2000, les USA ont renforcé leur arsenal juridique « pour conduire une véritable politique juridique extérieure justifiée par les luttes contre le terrorisme et la corruption ».

 

  • Patriot Act (adopté en 2001 modifié en 2015). Il s’applique à tous les pays ayant signé un accord de coopération judiciaire avec les USA. Il autorise les autorités américaines à obtenir des informations sur le détenteur d’une messagerie mail, sur le contenu des messages ou des documents stockés dans le cloud par le biais d’un traité d’assistance judiciaire mutuelle. 

 

  • 1976. International Traffic in Arms Regulation (ITAR). Il oblige à soumettre à l’approbation des autorités américaines toute exportation d’un système d’armes ayant au moins un composant américain. 

 

  • 2018. Clarifyng Lawful Overseas Use of Data Act (Cloud Act). Il autorise la justice américaine à obtenir des fournisseurs de données numériques toutes les informations non personnelles des personnes morales de toutes nationalités, quel que soit leur lieu de stockage. Il suffit d’invoquer un critère de rattachement comme l’usage du dollar, l’implication d’un ressortissant américain ou l’utilisation d’un logiciel pour établir la compétence du procureur américain. 

 

« La lutte antiterroriste semble de plus en plus fréquemment servir de prétexte à un espionnage économique de la part de pays alliés. » (Patrick Calvar, ancien DGSI)

 

Le entreprises étrangères poursuivies le sont au titre de la lutte conte la corruption dans le cadre du Foreiign Corruption Pratices Act (FCPA) (1977) et des programmes de sanction. « Supervisées par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), ces procédures instrumentalisent le droit dans la guerre économique que livrent les Etats-Unis. » 

 

« La plupart des entreprises poursuivies choisissent de collaborer avec la justice américaine pour éviter les délais de procédure, les effets de réputation et, surtout, les interdictions d’accès au marché américain. Des lors s’ouvre un processus de « coopération » pour conduire des enquêtes, confiées à des cabinets d’avocats internationaux, qui transmettent les informations demandées sans passer par le truchement des justices nationales. Dans certains cas, les monitors restent plusieurs mois dans l’entreprise avec un accès aux comptes, ce qui leur permet d’avoir connaissance d’informations confidentielles sur son fonctionnement et ses marchés, et de pouvoir provoquer le départ de certains de ses dirigeants. Ces procédures masquent aussi de vastes opérations d’intelligence économique à l’encontre de concurrents d’entreprises américaines, qui facilitent des opérations de rachat ou de prise de contrôle. » 

 

L’adjectif « global » est celui qui définit le mieux la puissance américaine. Elle repose sur un système de surveillance et sur la maîtrise simultanée des « espaces communs » : mer, air, espace et numérique. Les trois premiers correspondent à des milieux physiques distincts innervés par le quatrième. Grâce au dollar et au droit, garantis par leur supériorité militaire écrasante, les Etats-Unis conservent un redoutable pouvoir de structuration, et donc de déstructuration. » 

 

Les intentions de la Chine.

 

« Pour les stratèges chinois, le meilleur moyen de remporter la victoire, « c’est de contrôler et non de tuer. » Tirant des enseignements de la crise asiatique de 1998, ils définissent la « guerre financière » comme une arme « hyperstratégique » facile à mettre en oeuvre, qui permet d’agir secrètement et de produire des graves destructions, « même si aucune goutte de sang n’est versée ». Pour l’heure, la Chine, en dépit de la taille de son économie, ne dispose pas des atouts du dollar ni de la profondeur, de la diversification et de la liquidité des marchés financiers américains. Son objectif est de parvenir à augmenter la part du renninbi (yuan) dans les réserves des banques centrales : 2% en 2019 contre 61% pour le dollar. »

 

Les intentions des Etats-Unis.

 

« En signant un ordre exécutif sur la « sécurisation des technologies de l’information et de la communication et de la chaîne logistique » en mai 2019, Donald Trump a traduit la volonté de l’appareil d’Etat américain de maîtriser la transition technologique de la 4G à la 5G, en exerçant une pression directe sur ses alliés. »

 

Les acteurs du numérique « doivent se préparer à des décisions unilatérales susceptibles de modifier, du jour au lendemain, des règles du jeu ou un ordonnancement, comme la fin de convertibilité dollar/or en 1971 ou le retrait de l’Accord de Paris en 2018, permettant à Washington de. Continuer à exercer son pouvoir de structuration. »

 

Les intentions de l’UE.

 

« En devenant la deuxième monnaie mondiale pour les opérations de change, les émissions de dette, les prêts et paiements internationaux, l’euro contribue à définir l’identité internationale des Européens (…) L’UE entend réformer son secteur bancaire et soutenir ses multinationales, notamment dans leurs rapports avec les plateformes numériques, qui captent une part grandissante des échanges commerciaux. Pour ce faire, elle devrait recourir à l’arme fiscale, à condition toutefois que les capitales européennes parviennent à s’entendre. Il lui faut aussi renouveler sa conception et sa pratique des sanctions économiques, et inventer les moyens de réagir aux futures sanctions américaines et chinoises à son encontre. »

 

Epilogue

La France en quête d’une grande stratégie. 

 

« Une double évidence : la duplicité est inhérente aux affaires stratégiques ; un conflit majeur commence toujours par un incident mineur. La rencontre entre les causes profondes, invisibles et silencieuses, et les petites ruses, visibles et sonores, tient à la fortune et à la virtu. 

En dépit de l’éclatement de la Yougoslavie, des conflits gelés, des interventions extérieures et des attaques terroristes sur son sol, l’Europe se pense à l’abri de la guerre depuis la chute de l’URSS. Ses dirigeants ont assimilé la construction européenne à un projet fondamentalement pacifique, appelé à servir de modèle de gouvernance, dans le cadre d’un libre-échange globalisé. (…) A rebours des autres puissances, les Européens ont fait le choix d’une inexorable démilitarisation en s’en remettant à la. Protection des Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN. En outre, leur participation symbolique aux coalitions dirigées par ces derniers en Afghanistan ou au Levant n’a pas permis d’atteindre des résultats politiques tangibles, ce qui conduit certains à dresser un constat général d’impuissance militaire, au risque d’une double méprise. D’une part, l’action militaire pourrait bien tenter des Etats désireux de prendre des gages au mépris du droit international pour produire leur ordre. D’autre part, la vocation première de la puissance militaire reste défensive : A défaut d’imposer sa volonté, il s’agit d’être en mesure de ne pas subir celle des autres. »

 

Ni paix, ni guerre.

 

« Souvent trop limités aux spécialistes, les débats sur la conflictualité partent de l’existant, c’es-à-dire des appareils de défense, pour analyser les menaces. Ces appareils ont été façonnés en vue d’une « grande guerre » dans des rapports de puissance à puissance, alors qu’ils ont surtout été utilisés, au cours des trois dernières décennies, dans des « petites guerres », comme en Afghanistan ou au Sahel, face à des combattants « irréguliers », lesquels recourent à la ruse pour contourner la force. Force et ruse représentent les deux faces d’un même affrontement visant, pour les uns à imposer un système de règles et, pour les autres, à le transgresser en attendant de pouvoir prendre l’ascendant. » 

 

Quelques chiffres :

  • 92.000 morts durant la guerre d’Indochine 

  • 24.000 morts durant la guerre d’Algérie. 

  • Depuis 1963, la France a conduit 120 Opex sur 17 théâtres différents

  • 11 novembre 2019, inauguration du monument aux morts pour la France en Opex, qui comptait 549 noms au moment de son inauguration, soit environ 10 morts par an. 

  • Depuis 2012, 19 attaques djihadistes. Samuel Paty a été la 264e victimes (entre mars 1961 et avril 1962, l’OAS a réalisé plus de 1000 attentats qui ont fait plus de 100 morts et blessés par mois

 

« La classe politique et l’opinion se sont habitués à des pertes humaines très faibles pour assurer la sécurité extérieure du pays. Ils tiennent ce niveau pour acquis. Rien ne l’est. » 

 

Actuellement de ombreux débats sur les liens entre djihads et islamisme. Les Salafistes et les Frères musulmans qui sont les principaux promoteurs du djihad « ne cachent guère leurs intentions, tout en entretenant une ambiguïté fondamentale sur l’usage de la violence. Youssef al-Qaradawi, le théologien des Frères musulmans, ne déclarait-il pas en 1999 : « l’Islam va retourner en Europe, comme un conquérant et un vainqueur, après en avoir été expulsé à deux reprises. Cette foi-ci, la conquête ne se fera pas par l’épée, mais par le prosélytisme et l’idéologie. » 

 

La sécurité nationale devrait concilier quatre paramètres :

  • La lutte contre le terrorisme appelé à perdurer. 

  • Le regain de la compétition des puissances. 

  • La course technologique. 

  • Les contraintes budgétaires aggravées par la crise sanitaire. 

 

« Le positionnement diplomatique de notre pays connaît un rendement décroissant au moment où sa sécurité exige des coûts croissants. L’effet ciseaux entre ces deux tendances est prévisibles : une propension plus élevée à prendre des coups et une capacité plus limitée à en porter. C’est pourquoi les budgets des ministères des Armées, de l’intérieur, de la justice, de l’Europe et des Affaires étrangères revêtent un caractère absolument prioritaire dans le contexte actuel de durcissement des menaces. » 

 

« A mes yeux, une focalisation excessive sur nos problèmes nationaux nous empêchent d’en voir les tenants et les aboutissants. Confrontés au djihdisme, nous nous déchirons sur la laïcité ou la liberté d’expression sans bien comprendre qu’il s’agit d’ne offensive orchestrée au niveau mondial. » 

 

Bataille de récits.

 

« Les « guerres invisibles reflètent les réticences à recourir à la force. Les substituts à son emploi se multiplient, comme par exemple les sanctions économiques, les opérations cyber, la corruption ou les manipulations de l’information, dont les effets ne doivent nullement être minorés sous prétexte qu’elles n’exercent pas une violence physique directe. Ces manipulations visent à acquérir une supériorité informationnelle à partir de laquelle il est possible de jouer sur la conscience, la perception et les calculs stratégiques de l’adversaire. Ces « guerres invisibles » cherchent moins à contraindre les corps qu’à contrôler les esprits. 

Les grandes puissances, mais aussi les djihadistes ou les activistes de causes diverses se livrent actuellement à une bataille des récits qui mobilise d’importants moyens médiatiques. Elle vise à imposer leur vision du monde en fonction de leurs propres références culturelles. C’est pourquoi, là encore, il est indispensable de bien connaître celles de l’autre pour comprendre la chronologie dans laquelle il inscrit son action. »

 

Quel horizon stratégique ? 

 

« Le cycle stratégique dans lequel la France est inscrite ne commence ni en 1956 avec l’expédition de Suez ni en 1957 avec le traité de Rome, mais en 1962 avec la fin de la guerre d’Algérie, l’élection au suffrage universel du président de la République allant de pair avec l’acquisition de l’arme nucléaire, qui permet à Paris de tenir une position singulière au sein de l’alliance atlantique. Ce cycle est en train de refermer sous l’effet combiné de plusieurs facteurs : 

  • Une OTAN en état de « mort cérébrale » (Macron 2019)

  • Une loi de programmation militaire (2019-2025) de remontée en puissance. 

  • Des attaques djihadistes récurrentes sur le territoire national. 

  • L’opération Barkhane incapable d’arrêter l’islamisation de la bande Sahelo-saharienne. 

  • Des tensions de puissance à puissance avec la Turquie membre de l’OTAN.

 

Trois options se présentent pour la France en matière stratégique. 

  • Concevoir principalement une stratégie de présence et de souveraineté dans le monde à partir de ses différents points d’appui et de son domaine maritime. 

  • Privilégier la sécurité européenne, à la fois sur ses flancs est et sud, en accordant plus de ressources à ce dernier, en concertation avec des alliés. 

  • Ramener sa stratégie internationale à la seule lutte contre le djihadisme.

 

Esprit de Berlin ou de Pékin ? 

 

« Sur le plan politique, en 1989, la répression de la place Tian’ammen et la fin du mur de Berlin ont ouvert un cycle. Trente ans plus tard, est-ce l’esprit de Berlin ou celui de Pékin qui souffle sur la mondialisation ? La Chine et l’Allemagne jouent un rôle moteur dans la mondialisation, qui donne désormais lieu à une profonde divergence entre deux modèles de capitalisme : d’un côté, un modèle occidental qui repose sur une séparation des pouvoirs et, de l’autre, un modèle chinois qui repose sur une fusion des pouvoirs au bénéfice exclusif du PCC. (…) A la faveur de la crise sanitaire, la mondialisation prend une teinte chinoise au moment où l’éclat occidental pâlit. » 

 

La question principale pour la France reste l’évolution de l’UE. 

  • Première option : L’avènement d’une Europe puissante. 

  • Deuxième option : Aménagement du statu quo avec une UE centrée sur l’Allemagne. Celle-ci chercherait une forme d’équidistance entre Washington et Pékin, en resserrant la relation sécuritaire avec les USA dans une logique de renforcement de l’Alliance atlantique et en s’efforçant de développer les relations commerciales et les investissements croisés avec la Chine. 

  • Troisième option : « Discuter l’argument de l’échelle continentale basé sur l’idée d’un système multipolaire équilibré ayant désormais valeur de modèle : est-il si sûr que le monde s’organise autour d’un « oligopole d’une demi-douzaine d’Etats continentaux formant un concert mondial comme il y a eu un concert européen. » La question ne peut-être écartée d’un revers de la main. » 

 

It’s the economy, stupid 

 

D’un point de vue économique ouverture d’un cycle ultra-libéral amorcé par les politiques de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, indissociable de l’ouverture commerciale de la Chine. Il se clôt avec le prince de « découplage » de l’administration Trump qui ne considérait plus la mondialisation comme favorable aux intérêts des USA. 

 

De son côté, la Chine forte de ses progrès en matière de développement, veut « imposer son modèle d’ouverture économique et d’hermétisme idéologique, tout en devenant parfaitement indépendante en matière de technologies critiques. »

 

« Fondamentalement, la très forte tertiairisation de l’économie française conditionne son positionnement international. Dès lors, la question porte moins sur les différentes options que sur l’identification des lignes technologiques sur lesquelles réorganiser l’appareil de production français en fonction de ceux de ses principaux partenaires économiques. Cela conduit à penser la technologie en matière de souveraineté nationale et européenne. »

 

Fin de la matrice catholique.

 

« Le fait religieux mérite une attention particulière dans la mesure où il s’exprime très différemment selon les aires géographiques observées. Dans le monde musulman, l’année 1979 ouvre un cycle à travers la révolution islamiste en Iran et la prise d’otages à La Mecque. S’accélèrent alors une islamisation des sociétés et une surenchère entre chiites et sunnites, principal moteur des crises et des guerres au Moyen-Orient, qui se sont propagées au-delà de celui-ci, notamment en Europe. Les débats internes à l’islam revêtit une importance cruciale pour orienter le cours de la politique internationale, compte tenu à la fois du poids géopolitique des pays arabo-musulmans et de l’influence politique grandissante des populations immigrées d’origine musulmane qui résident en Europe. 

 

Pour la France, 1965 marque l’ouverture d’un cycle, celui de l’effondrement de la pratique de la religion catholique. Longtemps considérés comme « la fille aînée de l’Eglise », la France est devenue un pays déchristianisé dans lequel la population des prêtres diocésains pourrait avoir disparu dans vingt-cinq ans. » 

 

Relier environnement et technologie.

 

« La technologie et l’environnement ne peuvent se penser l’une sans l’autre. (…) Cependant, les réponses pour se prémunir contre le dérèglement climatique, la perte de la biodiversité et les pollutions s’élaborent, à un moment ou un autre, dans un cadre national. » 

 

« Avec des exemples comme la géo-ingéniérie pour le climat ou le « traçage » pour la Covid-19, les outils technologiques sont souvent présentés comme les réponses « naturelles » à apporter aux défis environnementaux et sanitaires. »

 

« Si la « souveraineté numérique » est de plus en plus revendiquée au plan politique, sa mise en oeuvre requiert une volonté et une ingéniosité contantes, ainsi que des moyens financiers massifs à moins d’être prêt à renoncer à certains services désormais considérés comme indispensables néanmoins l’autonomie de pensée, et donc l’action. 

 

Avec l’cors de Paris, la diplomatie française a remporté un succès qui l’a crédibilisé pour aborder les enjeux liés aux biens communs. Dans le domaine environnemental, les scénarios alarmistes prévalent et envisagent des effondrements de systèmes, mais l’ensemble des acteurs, à de rares exceptions, sont convaincus de la nécessité de repenser leurs actions pour limiter les contraintes liées au dérèglement climatique, à la perte de la biodiversité et aux pollutions. Dans le domaine technologique, les coalitions diplomatiques sont beaucoup plus clivées en raison des intérêts de puissance qui le sous-tendent. Ce domaine devrait devenir prioritaire pour la diplomatie française, qui pourrait y trouver l’occasion de jouer dans la durée son rôle de puissance d’équilibre. »

 

« Si l’ensemble des forces politiques convergent, de près ou de loin, sur la nécessité de placer l’écologie au coeur de leurs programmes, elles ne se retrouvent pas forcément dans une lecture partagée des dangers qui menacent le pays, en particulier dans le domaine de la sécurité. C’est un point de vulnérabilité dont il faut avoir conscience. » 

 

Nécessaire grande stratégie.

 

« Une grande stratégie correspond pour un Etat à la capacité de construire un projet de puissance, à l’image des individus qui cherchent à donner un sens et un ordre à la diversité de leurs actions en dépit du tourbillon de la vie. Servant de boussole, elle comporte un volet invisible, les intentions véritables, et un volet visible, les priorités affichées, qui sont mises en scène par l’Etat pour exprimer ce qu’il entend être vis-à-vis des autres pays. Elle correspond à une mise en cohérence de l’ensemble des moyens pour éviter la guerre, tout en disposant des ressorts moraux et matériels pour la gagner, si elle advenait. 

 

La France est en quête d’une grande stratégie. Absente du débat public, cette notion permettrait pourtant de construire un rapport au monde pour notre pays, moins réactif et plus prospectif, et ainsi de l’inscrire dans d’autres temporalités que celles des seuls mandats présidentiels. Sa prise en compte impliquerait une réappropiation des questions stratégiques par les élites politiques, économiques, médiatiques et académiques allant bien au-delà des discours convenus sur la politique étrangère, ainsi qu’une réelle ouverture aux réalités du monde de leur part. Elle nécessiterait de renforcer notre résilience . Son élaboration demanderait des efforts intellectuels, en particulier dans son articulation avec le projet européen. Ces efforts devraient commencer par relier les dimensions stratégiques, politiques, économiques, technologiques et religieuses pour examiner leurs interactions avec le système-Terre. En effet, ce sont les transformations intentionnelles, résultant de projets politiques, et les transformations non intentionnelles, produites notamment par les dégradations environnementales, qui doivent être anticipées simultanément pour poser les termes non seulement de l’affrontement mais aussi de la coopération. 

 

Penser une grande stratégie est à contre-courant de l’immédiateté qui régit la vie publique. Cela implique d’accepter, quelle que soit sa complexité, un héritage accumulé par les générations précédentes, de ne pas le dilapider par facilité et de le transmettre à tous les membres de la communauté nationale. La grande stratégie doit permettre d’épouser les variations du temps en intégrant les différentes parties prenantes : « De là vient qu’une république a une plus longue vie et jouit pendant plus longtemps d’une bonne fortune qu’un principat, car elle peut mieux s’accommoder à la diversité des citoyens qui s’y trouvent » nous rappelle Machiavel. Il n’existe ni fortune ni virtu sans lucidité. » 

 

Fin

 

 



07/04/2022
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