Kershaw (I). Une "histoire de l'Europe au XXe". V1-2. La grande catastrophe (NDL)

UNE "HISTOIRE DE L'EUROPE AU XXe siècle"

 

Par Ian Kersahw

 

Chapitre 2. La grande catastrophe.

 

« Après août 1914, rien ne serait plus pareil. Le nouveau siècle avait déjà quatorze ans. Mais le début de ce qu’on devait appeler la « Grande Guerre » marqua le véritable commencement du XXe siècle en Europe. Les années séparant le début du siècle de la descente dans la guerre appartenaient à une autre époque. »

 

Une tragédie.

 

Plus que toutes les autres guerres, cette guerre fut un véritable carnage, et la planification des grandes offensives prenait en compte des pertes importantes.

 

Mais la guerre fut aussi le moteur de changements techniques, avec en particulier des armes de plus en plus meurtrières. Le développement de l’aéronautique exposa la vie des civils de l’intérieur. « Les civils devaient être impliqués comme jamais auparavant : travaillant pour l’effort de guerre, ils devinrent aussi des cibles pour l’ennemi. La propagande utilisa les médias pour instiller la haine de peuples entiers. »

 

Si l’Europe fut l’épicentre, ce fut pour la première fois un conflit réellement mondial, en particulier à cause des Empires coloniaux britanniques et français.

 

C’est en 1914 que le nombre de victimes fut le plus élevé, avec en particulier plus de 6000 civils victimes des troupes allemandes. « L’entraînement miliaire allemand avait inculqué aux soldats allemands une peur paranoïde de la guérilla. »

 

« L’énormité des premières pertes ne suffit pas à persuader les puissances belligérantes de tenter de mettre fin à la guerre. Toutes pouvaient faire appel à d’immenses réserves d’hommes. La stratégie de tous les camps étant d’user l’ennemi jusqu’à ce qu’il ne soit plus capable de combattre, et le principal moyen d’y parvenir consistant à engager des effectifs toujours plus nombreux, dans des offensives de plus en plus importantes et contre des lignes défensives bien retranchées, le bain de sang était voué à durer indéfiniment. »

 

Par contre à l’Est, le front beaucoup plus long, ne fut jamais aussi figé qu’à l’Ouest. 

 

A l’Est, lors de l’avancée des troupes russes en Galicie, les Juifs furent victimes de véritables pogroms. Des villages entiers furent incendiés et plusieurs milliers de Juifs furent déportés en Russie.

 

Sur le front Ouest, l’année 1916 connaît deux grandes batailles : Verdun et la Somme. 

 

«  Si Verdun devait symboliser par la suite l’horreur de la guerre pour les Français, la Somme acquit une dimension symbolique dans la mémoire britannique. Avec une différence de taille cependant : on pouvait se souvenir de Verdun comme d’un sacrifice immense mais nécessaire pour sauver la France. Sur la Somme,en revanche, les troupes ne combattaient pas pour repousser une attaque sur leur territoire. Beaucoup ne savait probablement pas très bien pourquoi ils se battaient. »

Ce qui devait être une offensive essentiellement française se transforma en offensive britannique pour soulager le front français sur Verdun. 

 

La bataille de la Somme « fut la bataille la plus terrible du front ouest de la Première Guerre mondiale. »

 

Sur le front, l’offensive du général russe Broussilov à partir du 4 juin 1916, si elle fut victorieuse, du fait de l’énormité des pertes, accéléra la fin de la Russie (environ 1 million d’hommes au total). Par ailleurs, elle entraîna dans la guerre, aux côtés des Alliés, la Roumanie qui espérait d’importants avantages aux dépens de la Hongrie. Début 1917, les puissances centrales occupaient Bucarest.

 

L’échec allemand à Verdun coûte son poste à Falkenhaym qui est remplacé par le maréchal Hindenburget son adjoint le général Ludendorff. « Ce fut le début de ce qui se transforma rapidement en une dictature militaire, Hindenburg et Ludendorff intervenant toujours plus dans les affaires du gouvernement. » (la guerre sous-marine à outrance est une stratégie imposée contre l’avis du gouvernement civil)

 

Sur le front Ouest, l’impasse se prolonge tout au long de l’année 1917, les Allemands, dont les réserves s’épuisent, passent sur la défensive et se replient sur une ligne de défense plus courte permettant de libérer des divisions. Cela leur permet aussi de repousser dans de meilleures conditions les offensives alliées : 

  • 9 avril. Offensive d’Arras (150.000 hommes pour les Alliés, 100.000 pour les Allemands)

  • 16 avrilOffensive du Chemin des Dames (130.000 hommes pour les Français)

  • 31 juilletOffensive d’Ypres (275.000 hommes pour les Britanniques, 217.000 hommes pour les Allemands)

  • 20 novembreOffensive sur Cambrai (45.000 hommes pour les Britanniques, 41.000 hommes pour les Allemands.

 

La bataille de Cambrai annonça les batailles du futur. Après une bonne reconnaissance aérienne, plus de 300 chars, suivis par les fantassins et les pièces d’artillerie, attaquaient en rangs serrés. 

 

« Malgré les signes de troubles croissants, aucun gouvernement n’estimait pouvoir rechercher des conditions de paix moins que favorables après l’ampleur des pertes subies (….) Une paix moyennant des concessions était in envisageable. L’objectif restait la victoire, quel qu’en soit le prix. »

 

« Alors même que de profondes fissures politiques apparaissaient dans une Allemagne fatiguée de la guerre et que les appels à la paix se faisaient plus bruyants, de nouveaux espoirs naissaient à l’Est. »

 

En Russie, alors que les pertes humaines enflent et que les privations sont toujours plus graves, explosion révolutionnaire en février 1917 qui pousse le Tsar à l’abdication. Il est remplacé par un gouvernement provisoire qui entend poursuivre la guerre. La révolution d’octobre qui amène les Bolcheviks au pouvoir, débouche sur un armistice (15 décembre) qui permet d’entamer des négociations en vue d’un traité de paix. 

 

En janvier 1918, le président américain Wilson énonce ses 18 points « exposé idéaliste ce qui était selon lui susceptible de mettre fin à la guerre et de servir de base à une paix durable en Europe. »

 

« Malgré son apparente précision, une bonne partie de la déclaration de Wilson demeurait ouverte, imprécise et sujette à des interprétations diverses, voire à des différends. Les mots « autodétermination » et « démocratie » ne figuraient pas dans les quatorze points. Ils allaient pourtant bientôt être considérés comme la pierre angulaire de la vision libérale que prônait Wilson, mais aussi comme un encouragement pour les aspirations nationalistes en Europe. Dans l’immédiat, toutefois, les quatorze points n’inspirèrent aucune initiative pour mettre fin à la guerre sur le front Ouest. Et à l’Est, ils n’eurent aucune place dans les négociations entre les Bolcheviks et les puissances centrales. »

 

3 mars 1918. Traité de Brest-Litovsk. La Russie perd la Baltique, l’Ukraine, le Caucase, la Pologne russe. 

 

Parallèlement traité avec la Roumanie qui perd de nombreux territoires au profit de l’Autriche-Hongrie, de l’Allemagne, la Bulgarie, l’empire Ottoman. 

 

Cette détente sur le front Est ouvre de nouvelles perspectives pour l’Allemagne à l’Ouest. 

 

24 octobre 1917. Début de la bataille de Caporetto sur le front italien. En un mois , les Italiens perdent 80 km de terrain et pus de 300.000 hommes (dont 250.000 prisonniers ou déserteurs)

 

21 mars 1918. Grâce à la libération de 44 divisions du front de l’Est, les Allemands lancent une première offensive sur le front français. Si les armées alliées reculent, le front ne craque pas et à l’arrêt de l’offensive le 5 avril, les Allemands ont perdu 239.000 hommes qui ne peuvent plus être compensés. « Pour l’Allemagnecela marque le début de la fin. » 

 

A partir de juin 1918, l’arrivée des troupes américaines (200.000 hommes par mois) fait basculer définitivement l’avantage du côté des alliés. 

 

Début octobre 1918, les alliés arrivent sur la ligne Hindenburg massivement fortifiée. « Militairement l’Allemagne était pour ainsi dire finie, sans que la population eût conscience de l’imminence de la défaite, puisque la propagande lui avait dissimulé le pire, clamant qu’il n’y aurait de paix qu’après la victoire » 

 

« Hindenburg et Ludendorff comprirent que les jeux étaient faits. Ils étaient résolus à négocier la paix avant que l’armée ne s’effondre et que la défait militaire ne soit évidente. Il y allait de la place de l’armée (et de la leur) dans l’Etat. Ils commencèrent à manœuvrer pour se soustraire au blâme de la défaite et à rejeter la responsabilité des négociations sur les forces politiques, essentiellement la gauche socialiste qui exigeaient depuis longtemps une démocratie parlementaire. Le 1er octobre, informant les officiers d’état-major que la guerre ne pourrait plus être gagnée, Ludendorff déclara « J’ai demandé à sa Majesté d’appeler au gouvernement ceux à qui nous devons notre situation. Nous allons voir ces messieurs entrer en fonction. Ils doivent conclure la paix nécessaire. Qu’ils avalent la soupe qu’ils nous ont cuisiné. » Ce fut le début de la légende qui allait avoir un effet délétère après la guerre : l’armée allemande n’avait pas été défaite sur le terrain : les socialistes avaient « poignardé » dans le dos « l’effort de guerre ». Dans le même temps, les alliés de l’Allemagne renonçaient poussés par les désertions, la montée du sentiment révolutionnaire et les défaites militaires, et une perspective de paix de plus en plus tangible. » 

 

30 septembre 1918. Armistice avec la Bulgarie.

 

31 octobre 1918. Armistice avec la Turquie.

 

9 novembre 1918. Abdication de l’Empereur d’Allemagne.

 

11 novembre 1918. Armistice sur le front ouest. 

 

Vivre la guerre.

 

« Tout essai pour résumer ce que vivre la Première Guerre mondiale signifiait ne saurait être au mieux qu’impressionniste. Il est par exemple difficile de savoir exactement à quel point les soldats furent affectés sur le plan psychologique, à l’époque ou plus tard, en côtoyant la mort en permanence. Plusieurs éléments laissent penser que la sensibilité s’émoussait rapidement. » La mort même des camarades semble avoir été rapidement acceptée comme un fait. 

 

La mort de l’ennemi inspirait encore moins de pitié et de considération. 

 

« Tous les soldats ne furent pas « brutalisés » par leur expérience de la guerre, mais beaucoup le furent. C’était un véritable carnage, mais sans émotion. Il était pour l’essentiel le fait de l’artillerie, des mitrailleuses, des grenades ou d’autres armes mortelles lancées de loin contre des ennemis sans visage (75% de victimes par tirs d’artillerie). Les combats rapprochés furent très rares (Printemps 1917, sur le Front ouest, 0,1% des victimes allemandes le furent dans des combats au corps à corps) »

 

Par contre une minorité voyait la guerre comme « une sorte de nettoyage pour détruire ce qu’il y avait de pourri. » 

 

La haine de l’autre était largement nourrie par les stéréotypes nationaux qui furent amplifiés par la propagande durant le conflit. Et ces stéréotypes marchaient souvent. Dans tous les camps, cette propagande diabolisait l’ennemi et insufflait la haine aux combattants comme au reste de la population. 

 

« L’image de Russes asiatiques, arriérés, incultes et barbares colportée par la propagande nourrit les mentalités et prépara le terrain aux atrocités d’une seconde grande guerre, même si l’association raciale et meurtrière du Juif et du Bolchevik appartenait encore au futur. » 

 

Mais cette propagande de haine fut loin d’être un succès complet (fraternisation de noël 1914, périodes de trêves tacites pour récupérer les morts et les blessés, signes de respects mutuels des combattants). ‘Le sentiment partagé d’une humanité commune emportée dans une boucherie qui défiait l’entendement. » 

 

« Au front, et même si beaucoup de soldats essayaient de le cacher, la peur était une compagne constante, au même titre que la mort. Le fatalisme était tout aussi omniprésent. » 

 

« Compte tenu de ce qu’ils devaient endurer, le moral sur le front ouest résista étonnamment bien. » 

 

« La coercition s’intensifia dans toutes les armées au cours de la seconde moitié de la guerre pour essayer de contrer un moral vacillant. Mais la contrainte ne suffit pas à expliquer l’empressement à combattre et, de fait, elle ne put maîtriser la désaffection généralisée dans la plupart des armées vers la fin de la guerre. » Le patriotisme et la défense du pays fut une bonne raison de se battre. 

 

Dans l’armée allemande, les inégalités plus grandes entre officiers et soldats, ainsi que les dégradations des conditions de vie à l’arrière « allaient convaincre toujours plus les soldats que les sacrifices n’étaient faits qu’au bénéfice des capitalistes et des profiteurs. » 

 

Par contre sur le front de l’Est, (Russes, Austro-hongrois, Italiens), le moral a vacillé très tôt, les soldats n’ayant guère eu fois dans « la cause » pour laquelle ils se battaient, en particulier dans l’armée russe, la brutalité des officiers, et les diverses pénuries sapèrent très tôt le moral des soldats (avec multiplication des désertions à partir de 1916 et plus de 20 mutineries durant l’automne)

 

Dans l’armée italienne plus de 300.000 désertions en 1917. 

 

Dans l’armée austro-hongroise, le manque de cohésion nationale était un facteur important pour expliquer la difficulté à soutenir le moral. D’autre part, les officiers autrichiens de langue allemande traitaient souvent avec mépris les soldats d’autres souches ethniques, qui eux mêmes détestaient leurs officiers. 

 

Les civils, plus à l’est qu’à l’ouest, se trouvèrent pris dans les combats. « La population dut affronter de nouvelles épreuves, matérielles et psychologiques. Les femmes en firent les frais. Elles se retrouvèrent souvent seules pour s’occuper de l’exploitation et de leurs enfants en bas âge, toujours inquiètes pour leur mari au combat. Dans les régions industrielles, elles durent prendre en charge des travaux jusque là dévolus aux hommes dans les usines d’armement ou faire tourner les réseaux de transport. Tout en subissant pénuries alimentaires croissantes et hausse rapide des prix, elles vivaient dans la peur constante de coups frappés à la porte par leur annoncer qu’un être cher était mort au combat. La montée de la colère et du ressentiment n’a dans ce contexte, rien de surprenant. » 

 

A l’arrière impossibilité de prendre conscience des horreurs de la guerre. « La plupart des parents, à l’arrière, ne voulaient pas savoir ou avaient besoin de refouler ce que les leurs enduraient sur le front. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de soldats aient regagné le front avec le sentiment que la population ne comprenait rien à ce qu’ils vivaient. » 

 

« Le large éventail d’expériences diverses, à l’arrière et sur le front, empêche toute généralisation. Une chose paraît claire cependant, et d’une importance historique. Les pays qui commencèrent la guerre avec des systèmes politiques jouissant d’un fort soutien populaire et reposant sur des niveaux de représentation relativement élevés et des valeurs établies largement acceptées (…..) étaient mieux armés pour maintenir le moral à l’arrière comme au front, et donc maximiser l’effort de guerre. Bien entendu ce n’était pas suffisant : la supériorité en matière de fournitures d’armes, de vivres et de main d’oeuvre était également importante. La Grande-Bretagne et la France réunissaient ces atouts (….) Quand l’espoir d’une victoire était crédible, le système étatique pouvait conserver sa légitimité malgré les pertes au front. En revanche, à mesure que la certitude de la défaite grandissait, l’espoir sombrait, et les pertes de plus en plus importantes paraissaient vaines. La légitimité de l’Etat jugé responsable se trouvait alors minée au point de s’effondrer. »

 

L’Etat sous pression.

 

« La guerre soumit tous les Etats belligérants à des tensions sans précédent. Dans un conflit de cette échelle, les tâches de l’Etat, anciennes ou nouvelles, se trouvent démultipliées. »

  • Nécessité de mobiliser toutes les troupes et les ressources du pays.

  • Production en masse des armements et des munitions.

  • Développement de la recherche dans ce domaine.

  • Démultiplication du nombre d’hôpitaux, d’infirmeries, de centres de convalescence.

  • Organisation de l’aide aux veuves et aux familles privées de revenus.

  • Encadrement de l’opinion publique et soutien du moral de la population par la censure et la propagande. 

 

À la fin de la guerre les dépenses militaires atteignent des niveaux sans précédent :

  • Allemagne 59% du PIB

  • France 54% du PIB

  • Grande-Bretagne 50% du PIB

 

« Si la Grande-Bretagne réussit assez bien à financer la guerre par la fiscalité, l’Allemagne et surtout la France répugnaient davantage à imposer leurs citoyens, imaginant que l’ennemi paierait les réparations après la victoire. La guerre fut donc essentiellement financée par des prêts. » (emprunts des Alliés essentiellement auprès des USA).

 

Partout augmentation de la dette publique. « L’Etat dirigeant toujours plus l’économie et multipliant les interventions dans la vie civile, la bureaucratie prit de l’ampleur, tout comme les différents niveaux de surveillance, de contrainte et de répression. » 

 

« Partout, l’Etat devait s’assurer l’appui de la classe ouvrière (….) dont le militantisme augmentait à mesure que les conditions matérielles se dégradaient. Souvent dans les systèmes plus autoritaires, on courait plus volontiers au bâton qu’à la carotte. En Grande-Bretagne, en France et jusqu’à un stade avancé de la guerre, en Allemagne, les ouvriers furent achetés par des salaires revalorisés, des promesses et des concessions à leurs syndicats. » 

 

Malgré la guerre, les ouvriers étaient toujours prêts à faire grève pour défendre leurs intérêts. 

 

« Les souffrances et les épreuves apparemment sans fin de la guerre s’intensifiant, la chasse aux boucs émissaires s’accentua. La propagande officielle attisait les haines populaires. » 

  • Développement de la haine contre les Juifs qui sont caricaturés en exploitant des masses laborieuses (ils sont aussi considérés comme les « meurtriers du christ ») 

  • A partir de 1917, le « juif » est considéré comme la cause du bolchevisme et de la révolution. 

 

« En Grande-Bretagne et en France, les différends partisans persistèrent, souvent vifs, sans l’emporter sur le sentiment d’unité produit par le soutien à l’effort de guerre (….)Il n’y eut de changement que quand il fut question de confier les rênes du gouvernement à des « hommes forts » chargés de conduire à la victoire. » 

  • Décembre 1916. Arrivée au pouvoir de David Lloyd George au Royaume-Uni.

  • 1917. Arrivée au pouvoir de Georges Clemenceau après les mutineries de l’armée française. 

 

« En Grande-Bretagne pas plus qu’en France, les différends sur la conduite de la guerre et les divers niveaux de désaffection sociale et politique, essentiellement dans les rangs de la gauche socialiste, ne constituèrent une menace révolutionnaire. »

 

Au début de 1918, en France, le Pacifisme qui se développe est « amplement compensé par l’urgence de se battre pour repousser la grande offensive allemande. » 

 

« A l’opposé du spectre, se trouvait la Russie, où une révolution éclata en pleine guerre. Une révolution qui se soldat par une transformation radicale des relations socio-économiques et des structures politiques. Enfin la Russie est le seul pays dont la classe dirigeante fut anéantie. » 

 

« La révolution de 1905 avait tourné court faute de cohésion entre les ouvriers en grève, les paysans rebelles et les soldats et matelots (….) Elle avait également manqué d’une direction capable d’unifier le mouvement. Le tsar avait en partie désamorcé la révolution par des concessions en direction d’un gouvernement constitutionnel, qui se révélèrent bientôt de pure forme. La répression fit le reste. »

 

« Sans la guerre, des changements auraient peut-être permis de transformer le régie en monarchie constitutionnelle sous le contrôle du Parlement. Cela paraît cependant peu probable, compte tenu de la résistance acharnée de la classe dirigeante à tout changement de système, mais aussi de l’hostilité viscérale et organisée (malgré la répression) de la classe ouvrière et de la paysannerie envers l’autocratie. »

 

8 mars 1917 (23 février dans l’ancien calendrier russe). Manifestations d’ouvrières qui réclament du pain. Elles débouchent sur des grèves et manifestations massives des ouvriers de l’armement. La situation échappe rapidement aux autorités. 

 

15 mars 1917. Abdication du Tsar. « La guerre avait produit les conditions dans lesquelles la colère ardente visant le Tsar et le régime qu’il représentait, rendu responsable de la misère, l’emporta pour un temps sur les divergences d’intérêt entre ouvriers et paysans. En 1917, les forces révolutionnaires de la classe ouvrière s’associèrent temporairement à celles de la paysannerie. Même unies, celles-ci étaient sans doute insuffisantes, comme en 1905, pour renverser le système. L’élément crucial fut que la guerre allia leurs intérêts à ceux des soldats du front, de plus en plus mécontents. Quand la désaffection gagna le front, que les soldats ne furent plus disposés à se battre et que leur ferveur révolutionnaire se mêla à celle du « front intérieur », les jours du régime furent comptés. » 

 

Octobre 1917. Le cadre organisationnel nécessaire pour canaliser et conduire la révolution était présent :

  • Des leaders constituant un noyau de fanatiques soudés. 

  • Un programme prônant la destruction de l’ancien système pour le remplacer par une société entièrement nouvelle. 

 

« Le parti bolchevique s’était imposé comme la fraction la plus importante d’un parti ouvrier socialiste-démocrate russe divisé. Fondé en 1899, il s’était par la suite scindé en une fraction révolutionnaire majoritaire (bolcheviks) et une aile réformiste plus petite (mencheviks). Lénine avait envisagé le parti comme l’avant-garde de la classe ouvrière et prônait une discipline stricte et une loyauté totale dans le but d renverser le tsar. Son objectif suivant était, par une politique de terreur contre les « ennemis de classe » d’instaurer une « dictature du prolétariat et de la paysannerie démocratique révolutionnaire et provisoire. » »

 

Avril 1917. Les Allemands permettent à Lénine de quitter la Suisse pour rejoindre Petrograd, avec l’espoir de miner la « volonté défaillante de la Russie et de continuer le combat en fomentant de nouveaux troubles en faveur de la paix. » 

 

« La direction du parti bolchevique et ses militants devaient leur cohésion a une idéologie utopique de salut, la vision d’une future société sans classe ignorant les conflits. Ce qui leur permit de toucher un public plus large était toutefois plus pragmatique : une promesse de paix et de pain, la distribution de terres, la propriété et le contrôle des usines, ainsi que la promesse de mettre la loi entre les mains du peuple. Sur le plan politique, les Bolcheviks réclamaient tout le pouvoir aux soviets (…) L’impopularité du Gouvernement provisoire d’Alexandre Kerenski, avec les pénuries qui s’aggravaient, l’inflation galopante et l’immense bain de sang de la dernière offensive désastreuse, fit le jeux des Bolcheviks. »

 

« Dès le début, cependant, il était clair que la révolution bolchevique avait une portée historique mondiale. Ce qu’elle avait produit était une espèce absolument nouvelle d’Etat et de société. Les échos de ce qui se passait en Russie se répercutèrent en Europe des décennies durant. » 

 

En Allemagne, reprise de la polarisation de la vie politique à cause des pertes humaines et des privations croissantes. En particulier, la gauche allemande milite pour un changement politique drastique. 

 

Avril 1917. Scission au sein des sociaux-démocrates :

  • Une minorité radicale, qui rejette un conflit impérialiste qui ne pourrait être surmonté que par une révolution socialiste, forme le Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne (USPD) dont le noyau dur donnera naissance au Parti communiste. 

  • La majorité, le Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne (MSPD), condamne lui aussi la guerre impérialiste, mais rejette la révolution, en faveur de la réforme par l’introduction de la démocratie représentative, de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement.

 

Après l’échec des offensives du printemps et de l’été 1918, le moral sur le front s’effondre « augmentant les pressions à l’arrière en faveur de l’arrêt des combats » (désertion d’environ 750.000 soldats allemands à partir d’août 1918)

 

« De plus en plus d’Allemands jugeaient impossible de réformer un système fondé sur le militarisme, les privilèges de classe et une force incontrôlée (….) A l’automne 1918, la légitimité de l’Etat de l’Allemagne impériale s’était quasiment effondrée. » 

 

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1918, abdication de Guillaume II qui s’exile en Hollande. « Fait inquiétant, au sein de l’Etat, des forces encore puissantes, partisanes de l’ordre ancien, attendaient leur heure, procédant à des ajustements tactiques nécessaires le temps qu’un changement de circonstance balaye les concessions à la démocratie et au régime parlementaire. Juste avant l’armistice, il se faisait parmi les chefs militaires allemands qu’il fallait faire porter aux partis de gauche la réprobation de cette paix. « C’est contre eux que se déchaînera la colère. » Ils espéraient ainsi se remettre plus tard en selle et rétablir l’ancien régime. » 

 

En Italie, situation à peine moins grave qu’en Allemagne. Elle n’avait pas l’impression d’avoir gagné la guerre. « Celle-ci avait été imposée en 1915 à un pays profondément divisé par une élite politique restreinte espérant une victoire rapide pour des gains territoriaux importants dans l’Adriatique (…) La majorité de la population avait le sentiment d’être exclue de la représentation politique. » 

 

« Les divisions sociales et politiques se creusèrent et se focalisèrent sur les iniquités aussi bien que sur les effroyables pertes de la guerre. » 

 

En Italie, le gouvernement est surtout attaqué par la droite nationaliste qui entendait « balayer un régime parlementaire qu’ils jugeaient stérile et la bureaucratie tout en prônant un changement radical par un Etat et une économie soumis à un encadrement quasi militaire. » 

 

En Autriche, la maison des Habsbourg qui supportait une guerre de plus en plus impopulaire devait faire face à des forces centrifuges menaçant de faire exploser l’Empire. Les tensions se manifestèrent bien avant la fin de la guerre. 

 

« Les divisions de classe à travers une bonne partie de l’empire étaient englobées ou éclipsées par la politique du nationalisme ethnique. Hors du coeur autrichien, où les manifestations de la classe ouvrière contre la forte dégradation des conditions de vie menaçaient de déboucher sur une révolution, en s’inspirant souvent de la Russie, elles fusionnèrent avec des revendications d’indépendance et de dissolution de l’empire de plus en plus fortes parmi les Tchèques, les Polonais et les Slaves du Sud.

 

Octobre 1918. Après la défaite de Vittorio Veneto, l’empire est épuisé et l’armée se dégrade. 

 

Fin octobre 1918. Proclamation de l’indépendance de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie et de la Yougoslavie.

 

3 novembre 1918. Signature de l’armistice avec l’Italie.

 

11 novembre 1918. L’empereur renonce à ses pouvoirs et s’exile en Suisse.

 

« La révolution en Allemagne et en Autriche-Hongrie, le démantèlement des monarchies et leur remplacement par des républiques (….) ne se firent qu’à la faveur de la défaite militaire (…) Au sein de l’Empire Ottoman, aussi, l’hostilité croisante à la guerre avait créé une crise de légitimité insurmontable. » 

 

« L’armistice ne mit pas fin aux souffrances et aux violences en Turquie, laquelle ne tarda pas à plonger dans une guerre d’indépendance qui dura jusqu’en 1923 quand un Etat souverain finit par émerger des ruines. Par ailleurs, la reprise des possessions ottomanes du Moyen-Orient par les puissances impérialistes occidentales (Grande-Bretagne et France) s’accompagna de graves troubles anti coloniaux, de vagues de protestation et de violences endémiques qui devaient se poursuivre après la guerre. » 

 

« La guerre laissa derrière elle une Europe éclatée dans laquelle on avait pire à reconnaître le continent qui était entré dans le conflit quatre ans plus tôt. Les puissances victorieuses (Grande-Bretagne, France, Italie) en sortirent elles-mêmes brisées. La reconstruction incomberait très probablement aux Etats-Unis, la grande puissance émergente, matériellement épargnée par la guerre et sur le plan économique, renforcée par l’affaiblissement des puissances européennes. » 

 

« Le mélange de nationalisme ethnique, de conflits territoriaux et de haines de classe (désormais focalisée sur la force nouvelle du bolchevisme en Russie) allait se révéler explosif. Le nationalisme ethnique fut un des principaux héritages de la guerre. Et nulle part, il ne devait être plus meurtrier que dans les régions d’Europe centrale et orientale ou des communautés ethniques coexistaient depuis des siècles, mais ou des tensions nouvelles, en grande partie engendrées par la guerre, trouvèrent alors à s’exprimer dans d’âpres conflits au sujet de frontières contestées et de terres divisées (….) Ces conflits de classe, surtout en Europe occidentale et centrale se superposèrent aux antagonismes ethniques et territoriaux. » 

 

Le bilan de la guerre.

  • 9 millions de morts militaires. 

  • 6 millions de morts civils (en particulier à cause des déportations, de la famine et de la maladie)

  • 7 millions de prisonniers. 

 



15/09/2022
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