Lecler (J). Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme. L2. L'Humanisme chrétien et les divisions religieuses. (NDL)
HISTOIRE DE LA TOLERANCE AU SIECLE DE LA REFORME
Joseph Lecler
Paris, Albin Michel, Evolution de l’Humanité 1994 (1955), 853 pages.
* * * * * * * * * *
LIVRE II. L’HUMANISME CHRETIEN ET LES DIVISIONS RELIGIEUSES.
Pour les controversistes du XVIe siècle, l’influence de l’humanisme chrétien est indéniable à l’origine.
Ils sont tous voués à un idéal d’unité spirituelle entre les hommes. Pour unir ces hommes sur le plan religieux, au milieu des divergences qui les opposent, ils sont à la recherche du terrain commun. Leur idéal n’est pas tant la tolérance que la réduction des divergences religieuses par un loyal effort de conciliation.
Chapitre 1. Quelques théoriciens du XVe siècle.
Irénisme. Attitude pacifique adoptée entre chrétiens de confessions différentes pour l’exposé et l’étude des problèmes qui les séparent.
1. Nicolas de Cues (1401-1464).
Docteur rhénan, est cardinal puis évêque de Brixen. Il travaillera longtemps à la réconciliation des Hussites et du Saint Siège.
Son système philosophico-théologique repose sur l’idée que « toute vérité dans son être absolu est inaccessible ; elle ne peut être atteinte que dans son altérité ; on ne s’en approche que par une série d’approximations, de conjectures, qui la serrent toujours de plus près. » (pp 127)
2. Marsile Ficin (1433-1499)
Chef de l’Académie florentine, c’est un fervent admirateur du platonisme. Dans ses œuvres il entreprend de démontrer que les œuvres de Platon et des néo platoniciens conduisent normalement vers le Christ. Dans toutes les religions et les philosophies, il y a des vérités communes avec le christianisme.
Sa conclusion est que toute religion sincère même imparfaite, peut plaire à Dieu, tandis que l’impiété appelle nécessairement sa colère et sa vengeance (pour lui le pire des maux étant l’impiété).
3. Pic de la Mirandole (1463-1494)
C’est le disciple de Marsile Ficin. Il est surtout célèbre pour ses « Conclusions philosophiques », recueil de 900 thèses qu’il s’engageait à soutenir contre tout contradicteur. Le pape Innocent VIII condamna 13 de ses thèses et interdit la soutenance.
Le jeune étudiant était poursuivi par l’idée d’une grande synthèse doctrinale qui réconcilierait sous l’égide de la foi chrétienne les systèmes philosophiques et religieux les plus divers et apparemment les plus opposés.
Chapitre 2. Erasme (1466-1536)
Né à Rotterdam, élevé à Deventer chez les Frères de la Vie commune, il est ordonné prêtre par l’évêque de Cambrai en 1492. Erasme est en pleine gloire lorsque paraît en 1517 le manifeste de Luther contre les indulgences.
1. Erasme et les débuts de la réforme luthérienne.
Il n’a jamais eu de sympathie profonde pour Luther. Il désapprouve sa passion déchaînée.
« Dans les premières années cependant, Erasme a observé Luther avec bienveillance ; (…) Il a pensé que l’avertissement donné par lui à l’Eglise méritait considération. Surtout il recommande dès le début de la crise de ne pas le pousser à bout, par des méthodes brutales. » (pp 135)
Dès 1526, voyant l’étendue du mal, il préconise pour la première fois l’idée d’une tolérance provisoire mais légale des luthériens. Son programme, tolérance et liberté de conscience, répression des mouvements révolutionnaires, réforme des abus trop criants, paraîtra trop hardi et ne rencontrera aucun écho.
2. Les plans d’Erasme pour le rétablissement de l’unité chrétienne.
« Le prince des humanistes ne voit dans la tolérance civile des sectes qu’un expédient nécessaire peut être, mais tout à fait provisoire. La paix et l’unité restent le bien suprême qu’il faut poursuivre à tout prix. On pourra les réaliser, croit il, à ces trois conditions :
1. Substituer à la contrainte et à la violence l’esprit chrétien de douceur et de charité.
2. Revenir à une foi plus simple, débarrassée des subtilités et du faux intellectualisme d’une théologie décadente.
3. restaurer sérieusement la vie et les mœurs chrétiennes, sur le modèle de l’Eglise primitive, plus riche en charité qu’en articles de foi. » (pp 146)
3. Conclusion. Le catholicisme d’Erasme.
Erasme a mis l’accent sur la vie chrétienne, sur le côté pratique de la religion, plutôt que sur son aspect intellectuel. Il a pu critiquer tous les abus de l’Eglise, il lui garde toute sa foi et n’entend pas contester son autorité. Une réforme par rupture avec la chrétienté traditionnelle comme le voulait Luther, était à ses yeux un scandale et une folie.
Chapitre 3. Saint Thomas More (1478-1535). L’utopie.
Grand ami d’Erasme, ce n’est pas seulement un pur érudit et un humaniste, c’est aussi un homme de loi.
1529, est nommé chancelier du royaume d’Angleterre. L’affaire du divorce du roi provoque sa démission trois ans plus tard. Pour n’avoir pas voulu reconnaître la suprématie royale dans le domaine religieux, il est exécuté le 6 juillet 1535.
1. La liberté religieuse dans l’Utopie (1516).
« Utopie nous est présenté comme un Etat encore païen. (…) les vertus de ces païens (…) doivent manifester par contraste les vices de l’Europe chrétienne (…) Il entend insinuer par contre que pas mal de chrétiens sont pires que des païens. » (pp 151)
Dans Utopie, la diversité des religions et la coexistence pacifique des sectes sont naturelles. Le prosélytisme est permis, s’il n’use que de persuasion, de douceur et de modestie. Cette tolérance est fondée sur deux motifs d’ordre religieux.
- la variété des cultes est peut être voulue par Dieu.
- A l’épreuve, la vérité, librement confrontée avec l’erreur, finira bien par triompher.
Par contre la liberté religieuse ne peut être concédée aux matérialistes qui nient la vie future, aux athées qui nient la providence.
2. More homme d’Etat : son attitude devant l’hérésie.
More refuse la tolérance aux athées, aux matérialistes, aux séditieux mais aussi à tous les prédicants qui déversent l’injure sur leurs adversaires
Pourtant durant toutes les années où il exercera la réalité des pouvoirs de chancelier, il n’y aura aucune condamnation à mort (on peut considérer qu’à partir de 1531, il est en disgrâce et qu’il ne dispose plus de la réalité des pouvoirs).
Conclusion générale sur l’humanisme chrétien.
« La tradition humaniste (…) n’est pas favorable au pluralisme religieux. Elle est « iréniste » (comportement consistant à favoriser la paix et la compréhension entre chrétiens de confessions différentes) non pour abandonner chacun à sa religion personnelle, mais pour encourager, sur le plan confessionnel, de sincères tentatives de conciliation. (…) Les humanistes se montrent hostiles aux méthodes de l’inquisition ; mais l’unité religieuse des chrétiens leur parait si nécessaire qu’ils recommandent de tout mettre en œuvre pour la maintenir ou la restaurer. Sur ce point, l’humanisme chrétien nous semble en opposition complète avec l’esprit de la Réforme. » (pp 156)