Préhistoire Europe. Chap 1. Concevoir et représenter la première Europe. (NDL)

Préhistoire Europe

 

 

Chapitre 1. Concevoir et représenter la première Europe.

 

 

L’histoire de la première Europe se déroule sur une période d’au moins 40.000 ans.

 

I. La part du récit dans l’histoire de la première Europe.

 

Un monde sans récit ?

 

« Avant que les Romains ne décident que le nord des Alpes serait aussi chez eux et que les Germains ne les en empêchent dans certaines régions, l’Europe a vécu globalement sans écriture. Or, communément, qui dit récit, entend écrit. »

 

« La première Europe, telle que nous pouvons la percevoir aujourd’hui au travers des traces qui nous sont parvenus, est un monde (presque) sans mots, mais pas sans récits. La parole, éphémère et immatérielle, s’est perdue. Nul doute pourtant que les hommes se sont parlé très tôt, ont inventé langues et langages (…) Des mots que nous n’avons pas. Les sociétés orales n’inscrivent pas leurs mots quelque part pour qu’ils leur survivent. Pour l’archéologue, ces mots sont pratiquement inatteignables. »

 

Mais ces sociétés ne sont pourtant pas muettes et utilisent d’autres moyens en particulier matériels et iconographiques, et en particulier dans l’art paléolithique.

 

« L’un des faits les plus frappants dans l’étude de l’art paléolithique est l’organisation des figures sur les parois des cavernes. Le nombre des espèces animales présentées est peu élevé et leurs rapports topographiques sont constants : bison et cheval occupent le centre des panneaux, bouquetins et cerfs les encadrent sur les bords, lions et rhinocéros se situent à la périphérie. Le même thème peut se répéter plusieurs fois dans la même caverne : il se retrouve, identique malgré ses variantes d’une caverne à l’autre. » (André Leroi-Gourhan).

 

« Les hommes ont choisi de représenter de nombreux sujets, livrant ainsi leur vision d’eux-mêmes et de leur environnement réel, symbolique ou spirituel. C’est donc une narration par le figuratif qui accompagne l’histoire des hommes depuis quelque 40.000 ans. »

 

L’hétérogénéité des représentations.

 

Mais tous les hommes n’ont pas raconté des évènements ou des histoires de la même manière, ni dans le temps, ni dans l’espace. « Les représentations figées ne constituent pas le fils directeur d’une quelconque évolution ou « progrès ». Elles ponctuent l’histoire des hommes de manière irrégulière et sans doute lorsque l’acte a du sens pour les sociétés qui les produisent. »

 

« Les sociétés d’Europe non méditerranéenne se sont exprimées par le langage oral, le langage visuel et le langage matériel. Du premier, on l’a dit, il ne reste rien. Des autres, il subsiste des vestiges variés, modestes ou extraordinaires, qui sont à la fois fascinants et semés de pièges pour le chercheur d’aujourd’hui. »

 

Ces témoignages se trouvent dans des grottes, des habitats, des sites cérémoniels, des sanctuaires. Les supports en sont variés (peintures, gravures, mais aussi objets).

 

Ces témoignages sont aussi lacunaires et fragiles et dépendent des qualités de conservation des matériaux utilisés.

 

Le sens de la représentation et leurs auteurs.

 

Premier piège à éviter. « Imaginer que ce que nous observons est à voir comme un instantané photographique. Quels que soient le registre, le support, le sujet et l’époque, le résultat produit est d’abord le fruit d’une restitution intellectualisée, une interprétation du réel. (…) Pour les sociétés du passé, le sens à donner au résultat est a priori moins aléatoire que dans les réalisations contemporaines, même s’il nous est difficile d’accès. (…) Il semble que ces sociétés (dites parfois « traditionnelles ») étaient plus codifiées que les nôtres et que les individus s’y exprimaient d’abord dans un cadre commun plutôt qu’à titre personnel (…) On peut supposer que chercher des codes, dans les images ou les objets, a du sens pour appréhender la société dans son ensemble. »

 

Second piège à éviter. « Juger a priori du niveau de conceptualisation d’une réalisation en fonction d’une époque ou d’un résultat. Les hommes du paléolithique n’ont pas nécessairement produit des objets moins aboutis intellectuellement, ou plus rudimentaires, que leurs descendants des âges des métaux, ou d’époques plus récentes encore. (…) Se raconter et dire sa vision des choses ne préjuge pas, paradoxalement, du niveau conceptuel et intellectualisé du récit de chacun. Ce que conçoit l’esprit, ce que fait la main et ce que la technique permet sont liées de manière complexe. Au fil des siècles, les techniques ont connu des changements profonds qui ont eu des incidences notables pour les moyens d’expression. La gamme des possibles s’est considérablement élargie, difficilement comparables entre le Paléolithique et le début du XXIe siècle. »

 

II. Les modalités de représentations.

 

Matériaux, techniques et couleurs.

 

« La gamme des procédés utilisés est presque aussi vaste que les réalisations elles-mêmes. »

 

Avec le temps, augmentation des matériaux travaillés par l’homme, avec un processus cumulatif. Un nouveau matériau ne signifie pas la disparition des anciens.

 

On peut distinguer trois grands groupes de matériaux :

 

  • Matériaux travaillés de manière « naturelle » sans transformation chimique : pierre, terre cure, bois, os, pigments dilués ou matières brûlées qui servent de pigments.

 

  • Matières transformées chimiquement à un moment ou à un autre de la chaine opératoire : céramique, métallurgie, verre. Cela suppose la maîtrise de procédés complexes et n’apparaît en Europe qu’entre le VIIe et VIe millénaire.

 

  • Matériaux associés, eux-mêmes appartenant au premier ou au deuxième groupe. Ce type de fabrication accroit les difficultés les matériaux ne réagissent pas de la même manière ce qui nécessite des compétences multiples.

 

Les répertoires représentatifs.

 

« Les représentations se subdivisent en plusieurs groupes. La première distinction à établir est entre, d’une part, ce que les hommes d’aujourd’hui sont capables d’identifier comme motif signifiant et, d’autre part, ce qui leur échappe.. (….). Il est certain que tout un ensemble de signes très anciens ont été réalisés, porteur d’une identité et d’un sens qui nous échappent (…) Il faut donc admettre qu’une partie du répertoire préhistorique et protohistorique est hors de notre portée. »

 

Dans ce cadre, nécessité de distinguer l’homme de l’animal, ou au paléolithique les répertoires dominants sont animaliers (grotte Chauvet par exemple).

 

Par contre ces répertoires ne sont pas forcément les mêmes :

 

  • A Chauvet, des animaux essentiellement dangereux pour l’homme (félins, rhinocéros). « C’est une manière de visualiser le danger et la peur inévitable qu’il provoque, pour le conjurer si ce n’est pour le maîtriser. »

 

  • A Lascaux, essentiellement des chevaux et des bovidés. Dans ce cas, l’homme n’est plus une proie mais un prédateur.

 

« Durant tout le paléolithique la représentation humaine reste au second plan ». Elle est présente sous la forme de rares empreintes de pieds, des mains en positif ou en négatif sous l’ocre soufflé sur les parois, plus marginalement avec des parties du corps et de nombreux attributs sexuels. »

 

Vers -25.000 / - 20.000 (Gravettien), multiplication des figures féminines sous la forme de statuettes « aux formes surabondantes et aux caractères sexués volontairement très marqués ».

 

Concernant la multiplication de ces « Vénus, les dernières hypothèses sont à la fois plus simples et plus complexes dans leur mise en perspective : l’homme est le seul animal à pouvoir pratiquer une sexualité en continu, et non par cycles restreints et programmés comm dans le reste du règne animal. Si, pour la survie de l’espèce, c’est une chance, sur le plan de la cohésion sociale, celle des alliances et des équilibres, cette possibilité peut être source de déséquilibre et de rupture. La socialisation des individus passe donc par un contrôle de la sexualité pour endiguer le danger généré par la nature. Les « Vénus » gravettiennes matérialiseraient ce danger, pour le conjurer selon un processus mental assez proche de celui que l’on trouve pour les bêtes dangereuses. »

 

Mais avec le temps et surtout avec l’âge du bronze, la représentation des hommes devient largement majoritaire par rapport aux femmes.

 

Imaginaire et symbolisme.

 

« Aux côtés d’un bestiaire identifiable, en partie composé d’animaux aujourd’hui disparus, de drôles de bêtes évoluent dans les représentations figurées de la première Europe. Parfois simple association de l’homme et de l’animal, ces chimères anciennes peuvent aussi prendre es formes fantastiques très élaborées, combinant le monde animal, humain et végétal, tout en se jouant du support sur lequel la figure a été exécutée. A l’échelle de la Préhistoire et de la Protohistoire, le répertoire le plus complet est celui du second Âge du fer. »

 

II. Le monde de la première Europe en douze récits.

 

Des récits par groupes de matériaux.

 

De l’ivoire pour un cheval.

 

1931, découverte à Vogelherd (Allemagne) d’une statuette en ivoire d’un cheval (4,8 cm de haut) stylisé à l’extrême datable de -40.000 à -30.000.

 

« Si la recherche combinée d’une forme de racisme et d’esthétisme est réelle, le cheval de Vogelherd n’a rien d’un instantané photographique à but décoratif. Il raconte le monde qui environne les hommes de cette époque, moins nombreux que les animaux qu’ils représentent. Ces derniers incarnent à la fois le danger et la nécessité vitale. »

 

De la terre cuite pour des statuettes.

 

Dans la nécropole de Cernavoda (Roumanie), découverte d’un couple de statuettes anthropomorphes en terre cuite (hauteur 11,5 cm) du Ve millénaire av J-C. Les deux personnages sont représentés assis.

 

« Il reste difficile de décrypter le sens exact de ces représentations, en dehors de leur association probable aux défunts de la nécropole et à différents rituels. La technique est celle de la terre cuite, employée au quotidien pour les vaisselles céramiques comme pour la fabrication de figures très variées durant une large partie du Néolithique en Europe centrale. Sa maîtrise permet ici de développer un répertoire figuratif au sein duquel l’homme se représente en miroir, mais avec des codes spécifiques. »

 

De la roche gravée pour une histoire du quotidien.

 

En Lombardie dans le Val Camonica très nombreuses scènes variées qui s’étendent du Néolithique à l’âge de fer.

 

La scène 1 sur le rocher de Borno est une composition qui regroupe 2 individus, 7 cerfs, 7 poignards, 2 motifs à double spirale, une série de traits et de points et 3 motifs de taille plus importante.

 

« La gravure ne se lit pas comme un tableau « classique ». Elle raconte une histoire liée à des valeurs et des statuts. Les hommes y jouent un rôle et leur pouvoir est affiché au travers de leur poignard. Ils dominent le monde animal et règnent sur des espaces quotidiens et cultuels étroitement liés. Cette scène en apparence assez désorganisée intègre au contraire des références sociétales, avec un langage choisi. »

 

Des matériaux combinés pour des cruches à bec.

 

1927, découverte de cruches à bec jumelles à Basse-Yutz (Moselle). Hautes de 40 cm, elles sont en bronze incrusté d’émail et de corail et date du IVe siècle av J-C.

 

« Aujourd’hui un peu ternis par le temps, ces vases sans doute utilisés dans des cérémonies de libations, étaient d’un jaune éclatant, rehaussé de rouge. Le choix des matériaux, des couleurs et des répertoires figuratifs sur un tel objet était cohérent avec un usage cérémoniel. »

 

Des récits représentatifs.

 

L’homme de Pech Merle.

 

La grotte de Pech Merle (Cabrerets, Lot) explorée en 1922, possède quelques centaines de motifs (ponctuation, tracés de figurations, empreintes de pas) datant de -25.000 à -13.000.

 

Parmi tout ces motifs présence d’un homme datable de vers -21.000 à -18.000. Il s’agit d’une « silhouette dessinée au trait rouge (oxyde de fer) qui bascule vers l’avant (…) C’est l’une des plus anciennes représentations humaines complète d’Europe occidentale. »

 

« Sa gestuelle laisse supposer qu’il est blessé et qu’il est en train de tomber, mortellement blessé par des flèches qui le transpercent. Rare, cette représentation met en avant la violence des relations entre les hommes, et non entre l’homme et l’animal. »

 

Le guerrier du Glauberg.

 

En 1994, les fouilles du tumulus monumental du Glauberg (Hesse, Allemagne) permettent de découvrir les restes d’un groupe de 4 statues en grès. Trois d’entre elles avaient été volontairement détruites dès l’Âge du fer alors que la quatrième est intacte. Datable de la fin du Ve siècle av J-C, elle représente un homme qui mesure 1,86 m.

 

« Ce personnage isolé est à la fois très réaliste et très stylisé, incluant un répertoire décoratif géométrique. Il adopte une posture et une position des bras qui ont certainement une signification. Il se trouve en contexte funéraire et il utilise un langage spécifique dans ce cadre en rapport avec le défunt, une certaine conception de la mort, avec des rituels et des croyances qui lui sont associés. »

 

La voûte céleste de Nébra.

 

Au cours de l’été 1999, découverte d’un dépôt d’objets métalliques dans la forêt du Milltelberg (Saxe-Anhalt, Allemagne). Cet ensemble qui date de 1600 av J-C comprend des armes, une parure et une pièce unique « un disque de bronze incrusté d’or. D’un diamètre de 31 à 32 cm, pour une épaisseur de l’orde de 1,5 cm, le disque pèse 2,05 kg. » Ce disque porte un cercle non centré, un croissant de lune, trois arcs assez larges et une série de 32 points dont 2 ont disparu.

 

« Il ne s’agit pas d’une oeuvre d’art abstrait, mais de la représentation de la voûte céleste, de la lune et des étoiles dans une lecture qui intègre la course des astres à différents moments de l’année sous les latitudes de Nébra. »

 

Le monde complexe de Gundestrup.

 

En 1891, découverte dans les tourbières de la presqu’île du Jutland (Danemark) d’un étonnant chaudron d’argent des IIe / Ier siècles av J-C. « Il est composé de 13 plaques d’argent historiées, combinant des scènes réelles et fantastiques dans une composition très élaborée dont les interprétations ont été multiples. »

 

« Le chaudron de Gundestrup est exceptionnellement riche et dense. Les douze scènes des parois ont un sens les unes par rapport aux autres. Elles ouvrent les portes d’un monde très complexe et très codifié où se mêlent le réel, le symbolique et le culturel, dans des associations étroites entre les hommes et les animaux. »

 

La terre cuite de Cardako.

 

« Dans l’habitat de Cardako (Slatino, Bulgarie), fut découvert, dans un état de conservation remarquable, un objet en terre cuite, unique à ce jour. Long d’une trentaine de centimètres, large de dix-sept, il a une forme quadrangulaire, et se présente un peu comme une boite ouverte sur le petit côté, avec un seuil, perforé sur le dessus. »

 

« Il pourrait s’agir d’un petit foyer portatif dont les motifs figurés se rapportent à la sphère domestique et cultuelle. Le motif quadrillé sous ce petit four a été interprété comme un possible calendrier. C’est certainement un système de référence et de repérage, dont la signification est en rapport avec l’objet lui-même, peut-être en liaison avec le temps agricole. »

 

Les cercles de New Grange.

 

« Le monument mégalithique de New Grange (Meath, Irlande), daté du IVe millénaire avant notre ère, comporte un certain nombre de blocs gravés. Celui qui est déposé horizontalement à l’entrée du monument mesure 3,20 mètres de long. Il est couvert de motifs de spirales et de vagues dans la partie centrale et de figures losangiques et triangulaires aux lignes légèrement incurvées. »

 

« Ces cercles et ces traits ont (…) un sens. Ils racontent le monde selon des codes qui se sont perdus. Les éléments naturels, les astres en particulier, les cycles peuvent peut-être constituer des clefs de lecture. (….). S’il reste impossible d’aller beaucoup plus loin sur la seule base de ces représentations, il faut en tout cas exclure l’idée, improbable, qu’il ne s’agisse que d’une simple décoration. »

 

Le chapeau d’or de Schifferstadt.

 

En 1835, découverte à Schifferstadt (Rhénane-Palatinat, Allemagne), d’un objet en or composé de deux pièces, l’une conique reposant sur un disque (hauteur de 30 cm pour un diamètre maximal de 27 cm et un poids de 350 grammes. Cet objet est entièrement décoré de cercles et de rangées en lignes parallèles.

 

Il a été identifié comme un chapeau cérémoniel du XIIIe siècle av J-C. « Le motif est simple et son usage en vigueur des siècles durant, dans toute l’Europe. Les mobiliers auxquels cette combinaison de cercles et de lignes sont associés invitent à penser à un lien avec les astres, et en particulier le soleil qui brille. »

 

Les torques d’Erstfeld.

 

Le dépôt d’objets en or d’Erstfeld (Canton Uri, Suisse), découvert en 1962, se compose de 4 torques et de 3 bracelets (640 grammes au total) qui datent d’environ 380 av J-C.

 

« Les torques se lisent à partir du centre de l’anneau, qui sert de point de référence à une symétrie qui se répartit vers l’extérieur, et qui se voit selon différents angles. Le registre figuratif est une combinaison de motifs animaliers fantastiques et d’éléments végétaux. »

 

 

 

Fin



13/01/2025
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