Coutau-Bégarie. Traité de stratégie. II. La stratégie en tant que catégorie du conflit. (NDL)
Chapitre 2. La stratégie en tant que catégorie du conflit.
Section I. La trilogie classique.
45. La formation de la trilogie.
La politique fixe les buts de la guerre dans le cadre du gouvernement du pays.
La stratégie se situe dans la guerre. Elle met en œuvre les moyens militaires pour la réalisation des buts fixés par la politique.
La tactique met en œuvre les forces dans le cadre de l’action violente elle-même.
46. La politique fixe les buts de guerre.
Le paradigme de Clausewitz « la guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens » est remis en cause au XIXe siècle, en particulier par les Allemands, mais aussi par les Français. Cet impérialisme de la stratégie, qui prétend méconnaître les exigences de la politique, contribuera d’une façon décisive à l’écroulement final de l’Allemagne (la guerre sous-marine à outrance qui ne respecte pas les neutres). Depuis on est revenu aux théories classiques de Clausewitz. «La stratégie est la science et l’art de manœuvre des forces pour accomplir les fins de la politique, traduites en buts stratégiques. » (Général Poirier)
47. La stratégie définit et met en œuvre les moyens d’obtenir la victoire dans la guerre.
Pour la plupart des auteurs, la stratégie est l’art de concevoir, la tactique est la science de l’exécution.
48. La tactique met en œuvre les moyens au combat en vue de la victoire dans la bataille.
La tactique recouvre essentiellement la conduite du combat dès que celui-ci atteint un certain degré de perfection. Elle est une opération qui fait d’abord appel à l’intelligence, à la connaissance et à l’organisation. Elle se manifeste à tous les échelons des opérations militaires.
49. La tactique doit être distinguée du combat
La tactique doit être distinguée du combat élémentaire qui fait d’abord appel à la force et au courage. C’est la sphère dans laquelle les calculs savants peuvent se briser sur des réactions primaires incontrôlables.
50. Une dimension subordonnée : la logistique.
Le problème de la logistique ne commence à être pris en compte qu’à partir du XVIIIe siècle avec le duc de Rohan (1636). Mais la logistique ne sera reconnue comme une branche majeure de l’art de la guerre qu’au cours de la seconde guerre mondiale, lorsque les Américains imposent les méthodes et le concept de « la logistic » art de planifier et de conduire les mouvements militaires, les évacuations et les ravitaillements. Il se généralise dans les années 1950.
51. Une dimension avortée : l’organique.
Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les Français commencent à s’intéresser à l’organisation des forces en des combinaisons rationnelles. Mais les idées du colonel Lewal qui parle d’organique ont peu de succès. L’équilibre des armes résulte plus d’arbitrages bureaucratiques ou de corporatismes que de règles positives.
Section II. Le démembrement de la stratégie au XXe siècle.
52. L’élévation de la stratégie.
La croissance des effectifs remet en cause la dualité stratégie/tactique. Elle rend nécessaire la multiplication des niveaux de commandement. Au début du XIXe siècle, on considère que le Corps d’armée n’est plus qu’une unité subordonnée qui doit simplement exécuter les ordres reçus.
Techniquement la révolution des communications laisse moins d’initiative aux exécutants. La conduite générale des opérations est de plus en plus sous le contrôle permanent de son chef.
De plus la guerre moderne exige une mobilisation énorme de moyens de tous ordres (politique, économique, humain, culturel).
A cause de ces phénomènes, la stratégie tend à s’élever et à se dissocier de la tactique. Son champ est devenu trop vaste.
53. Grande stratégie, stratégie générale, stratégie opérationnelle.
La stratégie opère maintenant sur un double volet, politique et militaire. Elle assure la conduite générale de la guerre et des crises et la conduite générale des opérations ou des actions militaires.
1. Dans la conduite générale des crises, elle est désormais identifiée à la politique en acte. Elle accapare l’ensemble de la conduite de l’action.
La grande stratégie définie par Liddell Hart a pour but de « coordonner et de diriger toutes les ressources de la nation ou d’une coalition afin d’atteindre l’objectif politique de la guerre. » « Il est essentiel de conduire la guerre en ne perdant jamais de vue quelle paix vous souhaitez obtenir. »
Les Français utilisent le concept de stratégie générale « comme l’art de combiner la totalité des moyens dont dispose le pouvoir politique pour atteindre les buts qu’il a défini. »
Les Russes pour leur part distinguent entre politique militaire, et stratégie militaire.
2. Dans la conduite générale des opérations et des actions militaires. En France, la conduite générale des opérations comporte désormais deux volets :
L’ancienne stratégie sur le terrain est désormais appelée stratégie opérationnelle : elle est principalement mise en œuvre par les grands commandements opérationnels, groupes d’armées ou flottes, avec les ressources rendues disponibles par une stratégie de moyens qui coordonne la logistique (au niveau supérieur) et l’organique.
54. Opératique.
Ce concept est forgé par les théoriciens soviétiques dans les années 1920. Dans les années 1970, l’art opératif est défini comme la « théorie et la pratique de la préparation et de la conduite des opérations interarmes (inter flottes) combinées et autonomes menées par les grandes formations des divers types de forces (corps d’armées, armées, groupes d’armées) ». Dans la théorie militaire de nombreux pays étrangers, à la place du terme « art opératif » on utilise l’expression « grande tactique » ou « petite stratégie ».
En France ce concept a été défini par le général Poirier comme le niveau « auquel une opération est planifiée, conduite et soutenue, en vue d’atteindre un objectif stratégique sur un théâtre d’opérations. C’est le niveau de combinaisons des actions interarmées sur ce théâtre sous la responsabilité du commandant de théâtre. »
L’art opératif est fondamentale interarmées.
55. Tactique.
La tactique est du ressort des échelons inférieurs qui vont conduire et exécuter les engagements dans le cadre prescrit par la stratégie opérationnelle pour atteindre les objectifs fixés par la stratégie générale, en vue de la réalisation des fins ultimes de la politique. Elle peut inclure aussi la préparation du combat.
Section III/ L’articulation des niveaux.
56. politique et stratégique.
La question centrale est celle des rapports entre le pouvoir civil et l’autorité militaire. Le premier a naturellement tendance à dépasser sa sphère de compétence pour intervenir dans la conduite des opérations tandis que le second récuse toute ingérence.
57. Stratégie et tactique.
A la fin du XIXe siècle, l’idée se répand que la stratégie et la tactique sont régies par des règles semblables, que les principes de la première sont transposables à la seconde.
Mais d’une manière générale on pourrait dire que stratégie et tactique se distinguent par des perspectives différentes. Les considérations tactiques conduisent à attaquer les points les plus faciles à enlever, lesconsidérations stratégiques celui dont la possession aura les plus grandes conséquences.
58. Stratégie, opératique, tactique.
« L’une des plus graves conséquences de la mutation de l’art de la guerre, d’un point de vue théorique, est l’imprécision croissante des concepts, oublieux de leur raison d’être. » Mais certains auteurs ont tenté de proposer des classifications systématiques.
1. Le général Foertsch avant la 2e Guerre mondiale propose une classification et une articulation entre les trois niveaux.
- Les engagements simples et les batailles relèvent de la tactique, sont menés par les unités de base jusqu’aux divisions et Corps d’armée sous le commandement des officiers de ligne.
- Les batailles et les campagnes relèvent de l’opératique, sont menées par les Corps d’armée et les armées et sont placés sous le commandement des grands subordonnés.
- Les campagnes et les guerres relèvent de la stratégie, sont menées par l’ensemble des forces armées sous le commandement du commandant en chef.
Mais cette classification ne prend pas en compte le fait que les frontières entre chaque niveau varient constamment en fonction des effectifs engagés, de la complexité et de la cadence des actions à conduire.
2. Herbert Rosinski (années 1950) propose une autre classification.
- Au sommet, la politique chargée de la coordination des différentes branches de la conduite de la guerre ou du conflit.
- Dessous la stratégie dans sa dimension traditionnelle et qui dispose de 2 instruments :
- L’opératique
- La tactique.
La classification de Rosinski (fin des années 1940) est remarquable par son souci de clarifier et de classifier les concepts, en assignant à chacun d’eux, une place et une logique. « Elle se signale par une définition de la stratégie limitée au domaine militaire que les auteurs ultérieurs ont abandonné pour une conception large touchant à tous les domaines. »
Les déplacements des forces d’un théâtre d’opération à un autre constituent un mouvement stratégique.
Les positionnements sur une ligne intérieure ou la manœuvre sur les arrières de l’ennemi sont du ressort de l’opératif.
L’attaque par les ailes durant la bataille est un mouvement tactique.
«La stratégie considère une situation dans toutes ses dimensions, tandis que l’opératique s’attache à une seule dimension, la mise en œuvre des forces. »
59. Relativisme des catégories.
Quelle que soit la grille d’analyse utilisée, on doit toujours se souvenir de l’avertissement de Rosinski sur le relativisme des catégories.
« On ne soulignera jamais assez qu’une telle tentative de délimitation ne peut prétendre ronger l’infinie complexité et variété des formes militaires dans un jeu de boites bien étiquetées. Tout ce qu’elle peut faire et d’essayer de clarifier l’usage des termes et concepts en vigueur quand il est contradictoire ou confus et de poser un certain nombre de repères pour un survol utile de la matière. »
60. Interpénétration croissante des catégories.
Cet avertissement doit être conservé soigneusement à l’esprit avec d’autant plus de force que l’évolution contemporaine va dans le sens d’une interpénétration croissante des catégories.
Fin