Kershaw (I). Une" histoire de l'Europe au XXe". V1-5. Les ombres s'épaississent (NDL)

UNE "HISTOIRE DE L'EUROPE AU XXe siècle"

Par Ian Kershaw

 

 

Chapitre 5. Les ombres s’épaississent.

 

« La grande crise, qui resserra son emprise à compter de 1930, fut une catastrophe pour l’Europe. Elle frappa inégalement le continent. » Mais « les ravages furent généralisés et massifs. Aucun pays n’échappa totalement à ses conséquences. »

 

Marasme.

 

24 octobre 1929. Krach de Wall Street. Eclatement de la bulle spéculative américaine qui provoque la ruine de milliers de spéculateurs et qui se répercute en Europe. La baisse de la demande provoque une baisse des prix. 

 

« Les efforts pour équilibrer les budgets en réduisant les dépenses publiques ne firent qu’aggraver la situation. L’unique effort pour essayer d’apporter une réponse internationale coordonnée, la fameuse conférence économique mondiale de 1933 à Londres échoua lamentablement. Les gouvernements réagirent en essayant de protéger leurs économies. »

 

Mai 1931. Faillite de la première banque autrichienne la Creditanstalt de Vienne qui provoque deux mis plus tard la faillite de la deuxième banque allemande la Darmstadter und Nationalbank.

 

21 septembre 19131. La Grande-Bretagne doit abandonner l’étalon or.

 

1932. Le marasme en Europe est à son comble. Le PNB chute partout.

 

  • - 7% en Grande-Bretagne.

 

  • - 10% en Belgique.

 

  • - 17% en Allemagne et en Yougoslavie.

 

  • - 25% en Pologne.

 

Par contre la France fut moins touchée, en partie parce que le franc était sous-évalué avant 1931 (seulement 55.000 chômeurs en 1931). Par contre « quand la crise finit par s’installer, elle dura plus longtemps que dans la plupart des autres grandes économies. » Il faudra 10 ans pour qu’elle retrouve le niveau de sa production de 1929.

 

« Très dépendante de l’agriculture, l’Europe orientale fut particulièrement touchée. Extrême pauvreté et misère sociale y étaient générales. Nulle part la situation ne fut pire qu’en Pologne. »

 

Mais les régions industrielles furent elles aussi touchées avec une explosion du chômage (fin 1932 plus de 20% de chômage en Grande-Bretagne, Suède, Belgique). En Allemagne il y a plus de 6 millions de chômeurs sans compter les temps partiels et le chômage caché.

 

« Ceux qui n’avaient pas de travail devaient se contenter de la maigre indemnité de chômage qu’ils touchaient dans des systèmes submergés par les effectifs. »

 

  • En Grande-Bretagne, diminution de l’allocation de 10% en 1931.

 

  • En Allemagne, seulement 15% des chômeurs touchaient l’intégralité de l’indemnité er 20% ne recevaient rien. Les plus touchés furent les employés de l’industrie lourde : mines, production de fer et d’acier et branches liées (chantiers navals) et textile.

 

«  La crise économique accentua fortement la rancoeur et le ressentiment tout en amplifiant les inquiétudes et les angoisses face à l’avenir. Elle rendit les sociétés plus mesquines, moins tolérantes, on accusa les femmes de prendre le travail des hommes » et beaucoup perdirent leur travail.

 

« Le souci du déclin et ce qui était perçu comme la conséquence inévitable de la dégradation qualitative de la population rejoignait des courants de pensée européens plus larges que le climat de crise économique ne fit que renforcer. » Cela débouche sur une tendance contre la limitation des naissances appuyée par l’Eglise catholique.

 

« Depuis la guerre, les questions d’hérédité, de génétique et de déclin de la pureté raciale étaient devenues des obsessions parmi les intellectuels européens. L’eugénisme ou son équivalent plus menaçant « l’hygiène raciale », exclure les « défaillants » et améliorer « l’efficacité nationale » par l’amélioration de la race, gagnèrent du terrain alors que la crise amplifiait les doutes sur la « santé de la nation ». Le coût des soins prodigués aux membres de la société « improductifs » semblait plus lourd alors que le marasme obligeait les Etats à se serrer a ceinture. »

 

Aldous Huxley présente l’eugénisme comme un moyen de contrôle politique. Certains Britanniques allaient encore plus loin et « envisageaient même l’extermination indolore des « indésirables » ou, à défaut leur stérilisation obligatoire. »

 

En Allemagne introduction de projets de stérilisation volontaire des personnes souffrant de maladies héréditaires dès 1932, avec le soutien des médecins allemands.

 

14 juillet 1933. En Allemagne, Loi introduisant la stérilisation obligatoire pour un large éventail de maladies héréditaires et de difformités physiques graves ou pour alcoolisme chronique (400.000 victimes au cours des années suivantes).

 

1934. Tous les Etats démocratiques scandinaves adoptent des lois imposant la stérilisation à certaines catégories de population.

 

« A travers l’Europe entière la dégradation de la situation économique radicalisa la pensée sociale mais aussi l’action politique. Les tensions de classe s’accentuant, la vie politique se polarisa (….) dans presque tous les pays (en dehors de l’Union soviétique), la crise déclencha une vague de soutien aux mouvements fascistes qui voulaient détruire la gauche et réorganiser les sociétés en forgeant l’unité nationale. Plus la crise était globale, plus l’extrême-droite avait de chances de mobiliser la population. »

 

L’Allemagne avait l’économie la plus touchée, « le résultat devait en être l’accession d’Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933, une date qui allait marquer un tournant désastreux pour l’histoire européenne. La conséquence la plus funeste de la crise de 1929 fut ce qui arriva en Allemagne : c’est vrai pour le peuple allemand, mais aussi pour tout le continent européen et, finalement, une bonne partie du monde. »

 

La pire issue possible.

 

« La crise allemande n’était pas seulement, ni essentiellement économique, mais équivalait à une crise complète de l’Etat et de la société. » De plus elle rouvrit les blessures de 1918, en partie parce que la démocratie était à peine tolérée par les élites politiques, économiques et militaires. »

 

« Sapée par les puissants alors que le soutien populaire s’effondrait, la démocratie allemande se trouva en sursis à compter des années 1930. La polarisation politique profita aux extrêmes, Hitler en fut l’ultime bénéficiaire. »

 

Heinrich Brüning, le chancelier allemand avait fondé sa politique sur « l’élimination des réparations en démontrant que l’Allemagne, ravagée par une crise qui ne cessait de s’aggraver était incapable de payer. »

 

Juin 1931. Le président Roosevelt impose un moratoire d’un an sur le versement des réparations, malgré l’opposition française.

 

Juillet 1932. Conférence de Lausanne qui adopte la proposition d’une commission issue du plan Young. Effacement des réparations allemandes, mais aussi des dettes interalliées. « Avec la fin des réparations , les révisionnistes purent commencer à songer de manière plus réaliste à se débarrasser des fers de Versailles, l’armée à reconstruire sa force et les élites antidémocratiques à instaurer un régime autoritaire. »

 

« La fragmentation croissante su système politique entre 1930 et 1933, créa un immense vide que les nazis remplirent. L’Etat en place ayant perdu presque tout soutien populaire, une vague de désaffection poussa les électeurs dans les bras du mouvement hitlérien. »

 

« Les gens projetaient sur Hitler leurs croyances, leurs souhaits et leurs désirs, et lui les intégraient dans une vision de renaissance nationale. »

 

« La panique devant la progression du Parti communiste (largement au détriment des sociaux-démocrates) et la perspective très exagérée d’une révolution communiste obsédaient les classes moyennes. Les partis « bourgeois » du Centre et de la Droite s’effondrèrent (….) Leur effondrement profita aux nazis. » En 1933 le parti compte 850.000 adhérents.

 

« La plupart des électeurs ne recherchaient pas un programme cohérent, ni des réformes ciblées. Le parti de Hitler les séduisait parce qu’il promettait un nouveau départ radical en éliminant totalement le vieux système. Les nazis ne voulaient pas amender un système qu’ils jugeaient moribond au pouvoir, ils prétendaient l’éradiquer et bâtir sur des ruines une nouvelle Allemagne. Ils ne proposaient pas de défaire leurs adversaires ; ils menaçaient de les détruire entièrement. Le message séduisait précisément par son radicalisme. »

 

Les ennemis des nazis :

  • Les socialistes.

  • Les communistes.

  • Les Juifs.

 

Hitler avait exposé clairement sa politique et en particulier sa paranoïa antijuive dans son entourage « Mein Kampf » écrit entre 1924 et 1926, et les Juifs serviront de « bouc émissaire universel des maux de l’Allemagne. »

 

« Dans les années de crise, le parti nazi parvint à miner les restes chancelants de la démocratie de Weimar. En 1932, seul le cinquième des électeurs qui soutenaient encore les sociaux-démocrates voulait conserver le système démocratique (…) La démocratie était morte (….) Près de trois quarts des Allemands souhaitaient une forme de gouvernement autoritaire. »

 

30 janvier 1933. Hitler est nommé chancelier. « Dans les villes allemandes, la violence croissante, sous forme de heurts entre nazis et communistes, faisait redouter une guerre civile (….) Les gouvernements successifs de la droite conservatrice étaient trop faibles pour apporter une solution (….) Les élites conservatrices étaient incapables de gouverner sans le soutien des masses dont jouissaient les nazis. Or ceux-ci ne voulaient pas entrer au gouvernement si Hitler ne devenait pas chancelier (…) Ceux qui avaient la confiance de Hindenbourg le persuadèrent que la seule solution était de donner la chancellerie à Hitler, mais en l’entourant d’un cabinet essentiellement formé de ministres conservateurs. Ce fut l’accord fatidique qui donna enfin à Hitler le pouvoir qu’il convoitait. »

 

Hitler mettra six mois à asseoir son pouvoir en utilisant la terreur contre ses adversaires et de fortes pressions sur la population. Dès les premières semaines il y eut des dizaines de milliers d’arrestations (en particulier socialistes et communistes).

 

23 mars 1933. Le Parlement vote une loi qui soustrait le gouvernement à toute contrainte parlementaire. L’opposition au régime nazi fut systématiquement éliminée.

 

14 juillet 1933. Le parti nazi est le seul parti politique autorisé.

 

30 juin 1934. Nuit des « longs couteaux ». Hitler fait éliminer Ernst Röhm chef des SA qui veut encore radicaliser la révolution nazie et subordonner l’armée à l’aile paramilitaire du parti. Entre 150 et 200 personnes sont tuées. « L’armée fut satisfaite par cette « opération de nettoyage » qui avait éliminé une grande menace tout en la rendant indispensable à l’Etat. »

 

Août 1934. Décès d’Hindenburg. Hitler assume lui-même les fonctions de chef de l’Etat. Il consolide ainsi son pouvoir.

 

« La consolidation de la dictature s’accompagna d’une redynamisation de l’économie et de mesures rapides de reconstruction des forces armées, au moment même où les démocraties occidentales ébranlées par la crise, révélaient leurs faiblesses et leurs divisions. La démocratie se trouvait presque partout en danger, tandis que l’autoritarisme, sous une forme ou sous une autre, gagnait du terrain. C’était une évolution profondément inquiétante pour la paix de l’Europe. »

 

Les routes de la reprise économique.

 

En 1933, la Grande Crise commence à s’essouffler et l’on commence à voir des signes de reprise.

 

Aux USA le nouveau président F D Roosevelt se retire de la Conférence économique mondiale qui cherchait à stabiliser les monnaies et à mettre fin à la guerre tarifaire. « Roosevelt donna la priorité absolue aux intérêts américains pour relancer l’économie de son pays et s’empressa de dévaluer le dollar par rapport à la livre sterling. A chaque pays de trouver l’issue de la crise (…..) L’incapacité de s’accorder sur un système international d’échanges prolongea sans aucun doute la crise. »

 

Le Royaume-Uni sort de la crise en 1933 et l’année suivante dépasse le niveau de sa production industrielle de 1929. Mais même si le nombre de chômeurs baissa (de 3 à 2,5 millions) il resta cependant élevé (encore 13% en 1935)

 

Le pays était dirigé par un gouvernement national comprenant des ministres des trois grands partis (travaillistes, conservateurs, libéral). Ce gouvernement de 10 hommes était entré en fonction au cours de l’été 1931. Soutenu par une très large majorité parlementaire, il réussit à faire adopter de nombreuses mesures :

  • Coupes budgétaires.

  • Hausse des impôts sur le revenu.

  • Réduction des salaires dans la fonction publique.

  • Réduction des indemnités chômage.

 

« Ce qui accrocha progressivement le pays à la crise, ce fut surtout l’argent bon marché résulta tant de la baisse du coût des emprunts à court terme, d’où une forte expansion de la construction de logements, stimulant la demande de matériaux de construction, de mobilier, d’électroménager et autres sous-produits auxiliaires. » (200.000 logements en 1930, 360.000 par an entre 1934 et 1938).

 

« La France tenta de guérir son économie mal en point en réduisant les dépenses publiques. Les réductions frappèrent surtout la construction d’écoles, les logements ouvriers et autres chantiers de construction. L’administration pléthorique offrait une cible facile et populaire. Mais quand les coupes imposées par décret-loi en contournant le Parlement touchèrent les salaires, les pensions et les avantages de tous les employés de l’Etat, faisant monter le chômage et commençant à toucher les anciens combattants et les autres secteurs publics, le ressentiment gagna vite du terrain et se traduisit par des troubles croissants. »

 

Finalement la France doit se résoudre à dévaluer :

  • Septembre 1936.

  • Juin 1937.

  • 1938.

 

En moins de trois ans, le Franc perd 30% de sa valeur.

 

Les pays scandinaves avaient eux aussi été durement touchés par la crise :

  • Danemark (30% de chômage).

  • Norvège (30%)

  • Suède (20%)

 

Dans ces trois pays « le rapprochement politique des partis fut le socle d’un large consensus pour adopter des politiques économiques qui favorisèrent considérablement la reprise naissante. »

 

Janvier 1933. Au Danemark, la nécessité d’un accord sur la dévaluation de la couronne débouche sur un compromis. « Les sociaux-démocrates appuyèrent les mesures protectionnistes pour aider les paysans ; en contrepartie, le parti agrarien se montra disposé à soutenir des mesures pour soulager le chômage et augmenter la protection sociale (….) Les accords trouvés pour sortir de la crise eurent une importance durable en ce qu’ils posèrent les bases des politiques sociales fondées sur la stabilité politique et l’acceptation populaire. »

 

En Italie, le régime fasciste ne protégea pas le pays de la crise et le gouvernement de Mussolini réagit Penn intervenant davantage dans l’économie. Mais la réévaluation de la lire par rapport à la livre provoqua une baisse de la production industrielle de 20% et un triplement du chômage. A partir de 1935 baisse des salaires réels.

 

« La recherche de l’auto-suffisance alimentaire était aussi devenue une priorité. « La bataille du grain », assortie de tarifs douaniers protecteurs sur les produits agricoles, accrut la production de blé, améliora les rendements et, en 1937, réduisit les importations à un quart de leur niveau à la fin des années 1920. Cela eut cependant pour conséquence la hausse des prix des produits alimentaires et la baisse de la consommation moyenne de la plupart des denrées de base. »

 

1934. Instauration de 22 coopératives représentant chacune un secteur particulier de la production pour permettre une planification de l’économie. « L’Etat corporatiste devait être une structure peu maniable, excessivement bureaucratique qui étouffait l’esprit d’entreprise au lieu de l’encourager. »

 

« La recherche de l’autarcie, accentuée à la fin des années 1930 accrut l’intervention de l’Etat et éloigna davantage encore l’Italie de la voie suivie par les économies libérales. La réglementation publique imposait des limites à la liberté d’action des chefs d’entreprise, de plus en plus subordonnés aux contrôles bureaucratiques. »

 

Ce contrôle bureaucratique rend l’économie italienne apathique et sa croissance reste inférieure à celle de la période 1901-1925 et l’esprit d’entreprise est étouffé par l’Etat. « Le niveau de vie d’une bonne partie de la population baissa avant de progresser légèrement à la veille de la guerre. »

 

« La sortie de crise se révéla à la fois plus pénible et moins efficace que dans les démocraties européennes. »

 

En Allemagne la reprise économique fut très rapide et précisément là où la dépression avait été la plus forte. Elle aida à conforter la dictature nazie et donna naissance au mythe du « miracle économique nazi ».

 

« La destruction des partis de fauche et des syndicats donna aux industriels ce qu’ils souhaitaient. Les rapports sociaux furent restructurés, assurant la domination des patrons à l’usine. La nouvelle liberté donnée aux entreprises reposait sur la répression. Les salaires pouvaient être contenus, les profits maximisés. »

 

« La chance des nazis fut d’arriver au pouvoir au moment ou l’économie touchait le fond ; une reprise cyclique se serait produite sous n’importe quel gouvernement. »

 

Cette rapide reprise était en partie due à des idées déjà formulées, reprises et étoffées.

 

« Les colonnes du Service du travail volontaire (obligatoire à compter de 1935) ajoutaient à l’impression générale d’un pays ennemi train de redémarrer. La rémunération était misérable, mais ceux qui rechignaient à faire un travail exténuant pour une récompense minime se retrouvaient en camp de concentration. Les personnes mobilisées dans ces divers programmes d’urgence étaient rayées des listes de chômeurs. »

 

«  La création d’emploi, les dépenses significatives engagées pour financer des chantiers, les concessions fiscales à l’industrie automobile et de nouvelles mesures pour protéger l’agriculture des prix trop faibles et aider ainsi les paysans (….) furent autant d’éléments d’un pas important du régime nazi vers la relance économique. » En particulier essor spectaculaire de la construction de routes.

 

« La reprise économique en Allemagne n’était pas une fin en soi. Elle était subordonnée à un programme politique visant un réarmement rapide et l’expansion finale à travers la puissance militaire » (en 1938, 50% des dépenses publiques vont à l’armement).

 

Par contre à partir de 1935, il devient de plus en plus difficile de payer des importations alimentaires du fait des dépenses d’armement. La mauvaise récolte de 1935 et l’inefficacité bureaucratique nazie provoquèrent à l’automne de graves pénuries de vivres.

 

« Début 1936, l’impasse économique était évidente, conséquence de la façon dont le régime nazi avait affronté la crise. Il y avait deux façons de s’en sortir : Ou l’Allemagne ralentissait le réarmement et prenait des mesures pour revenir dans l’économie internationale, ou elle persistait sur la voie d’une remilitarisation rapide impliquant la recherche d’une autarcie qui ne pouvait être que partiellement réalisée sans expansion territoriale. Or celle-ci était impossible sans une guerre à un moment ou à un autre. En 1936, Hitler devait trancher. Le choix était évident, implicite dès le début du régime nazi, l’évolution le confirma : la primauté de l’économie céda le pas à celle de l’idéologie. Le compte à rebours d’une nouvelle guerre européenne commença en 1936. »

 

Embardées à droite.

 

« Au cours de la crise, l’Europe glissa très clairement à droite. Fait remarquable, alors que le capitalisme traversait ce que beaucoup de contemporains tenaient pour sa dernière crise, à une époque de chômage massif et de misère généralisée, la gauche perdit presque partout du terrain. »

 

La réussite de la social-démocratie en Scandinavie fut l’exception.

 

« La crise créa aussi les conditions dans lesquelles des mouvements populistes d’extrême droite purent gagner des soutiens et dans certains cas déstabiliser des régimes déjà fragiles. »

 

La séduction du fascisme.

 

« Certains mouvements de la droite extrême, radicale, copièrent explicitement les méthodes, les symboles et le langage des partisans de Mussolini et de Hitler, pour se déclarer fièrement « fascistes » ou « nationaux-socialistes » »

 

« Chacun des innombrables mouvements d’extrême droite avait ses caractéristiques et son cap. Comme chacun d’eux prétendait représenter sous une forme « vraie », « réelle » ou « essentielle » une nation spécifique et fondait une bonne partie de son discours hypernationaliste sur l’unicité présumée de ladite nation, il ne pouvait exister de véritable internationale de la droite radicale équivalent du komintern à gauche. »

 

Des traits communs à l’extrême droite :

 

  • Défense hypernationalsite de l’unité d’une nation intégrale, qui devait son identité même au « nettoyage » de tous ceux dont on estimait qu’ils ne lui appartenaient pas.

 

  • Exclusivité raciale exprimée à travers l’insistance sur le caractère « spécial », « unique » et « supérieur » de la nation.

 

  • Engagement radical, extrême et violent visant à la destruction totale des ennemis politiques (marxistes, libéraux, démocrates, « réactionnaires ».

 

  • Place donnée à la discipline, à la « virilité » et au « militarisme ».

 

  • Croyance en une forme de gouvernement autoritaire.

 

Par contre tous n’étaient pas forcément expansionniste. Certains, mais pas tous, manifestaient une forte tendance anticapitaliste. Ils étaient souvent partisans d’une réorganisation de l’économie dans un esprit « corporatiste ».

 

« Cet amalgame d’idées s’accordait généralement avec l’objectif de rassembler les masses derrière un régime autoritaire de type réactionnaire non révolutionnaire (…..) Ils recherchaient une complète adhésion à la volonté collective d’une nation unie. Ils exigeaient l’âme autant que le corps. Ils voulaient créer un « homme nouveau » (le langage était invariablement machiste), une société nouvelle, une utopie nationale. C’est cette ambition, plus que tout autre chose qui faisait en définitive le caractère révolutionnaire du fascisme et le distinguait d’une droite autoritaire et nationaliste, mais cherchant surtout à conserver l’ordre social existant. Le fascisme voulait une révolution, non pas en termes de classes sociales comme le prônaient les marxistes, mais une révolution des mentalités, des valeurs et de la volonté. »

 

L’unité nationale était présentée comme un rempart contre la menace du socialisme.

 

La séduction du fascisme ne fut jamais plus grande qu’à cette époque. Et cette adhésion au fascisme fut majoritairement masculine (sauf en Allemagne où les femmes votèrent majoritairement pour le parti nazi).

 

C’était les classes moyennes mécontentes qui étaient les plus attirées par le fascisme. « On ne saurait toutefois définir le fascisme comme un mouvement bourgeois. Les ouvriers qualifiés ou non, soutinrent bien plus le fascisme qu’on a pu le croire. Entre 1925 et 1932, autour de 40% des nouvelles recrues du parti nazi étaient issues de la classe ouvrière (….) Parmi ces ouvriers, assez eu venaient des partis socialistes ou communistes (….) L’immense majorité d’entre eux n’avaient jamais appartenu aux milieux ouvriers institutionnalisés des partis de gauche. »

 

« Il n’y avait pas de corrélation directe entre la crise et les chances de succès de la droite radicale. »

 

« L’Italie et l’Allemagne furent les seuls pays où des mouvements fascistes locaux devinrent assez forts - accédant au pouvoir avec l’aide d’élites conservatrices réduites - pour remodeler l’Etat à leur image. Plus souvent comme en Europe orientale, les mouvements fascistes furent tenus en échec par des régimes autoritaires répressifs ou, comme dans le nord-ouest de l’Europe, troublèrent l’Ordre public sans parvenir à menacer l’autorité de l’Etat. »

 

La droite en Europe occidentale : résilience de la démocratie.

 

« La Grande-Bretagne est l’exemple le plus clair d’un Etat dont le système politique ne laissait aucune place à la percée de la droite radicale. Les valeurs sociales et politiques dominante, reposant sur la monarchie, la nation, l’empire, le régime parlementaire et l’Etat de droit étaient largement acceptés. Quand la crise économique s’installa, la monarchie constitutionnelle fondée sur la démocratie parlementaire demeura incontestée. »

 

Le Parti travailliste était non réformiste et non révolutionnaire de même que les syndicats.

 

Le Parti conservateur avait tout intérêt à défendre l’ordre établi. Sa force même bloquait toute ouverture à l’extrême droite (La British Union of Fascists fondée en 1932 par Oswald Mosley ne dépassa jamais les 50.000 adhérents, mais fut une menace pour ses ennemis raciaux ou politiques et une nuisance non négligeable pour l’ordre public).

 

Au Danemark, en Islande, en Suède, en Norvège, les partis fascistes font des scores dérisoires.

 

Aux Pays-Bas, malgré un taux de chômage de 35% en 1936, la droite radicale fit peu d’incursions dans les structures politiques « qui demeuraient fortement attachées à des sous-cultures protestante, catholique et social-démocrate. » La peur de l’Allemagne nazie a contribué par ailleurs à faciliter la cohésion du sytème parlementaire.

 

En Belgique, bref succès d’un mouvement corporatiste catholique et autoritaire proche du fascisme (le parti Rex) qui recueille 11,5% des suffrages. Il représentait une protestation des classes moyennes francophones des régions industrialisées du sud-est contre la « corruption » des partis de l’establishment.

 

« L’absence d’un authentique nationalisme belge fut aussi un handicap ; Rex trouva assez peu de soutiens dans les Flandres, où existaient des mouvements nationalistes et proto-fascistes séparés (mais marginaux. »

 

En France, menace plus sérieuse de la part de l’Extrême-droite. « le système politique français prédisait non seulement de fréquents changements de gouvernement, mais aussi des alliances mouvantes et pragmatiques entre partis , dont les radicaux, parti central de la République, anticléricaux, attachés aux principes économiques libéraux, ils trouvaient notamment leurs soutiens dans la classe moyenne et pouvaient s’entendre avec la droite ou la gauche modérée pour rester au pouvoir. Les élections de 1932 (….) se traduisirent par une progression sensible des socialistes et des radicaux qui formèrent une délicate alliance de la gauche modérée. La défaite des partis conservateurs déclencha à droite une réaction excessive dans un climat de xénophobie accrue, de nationalisme virulent, d’antisémitisme, d’antiféminisme et de peur de la « menace rouge » »

 

« La scène politique française était notoirement vénale et corrompue » mais la presse monta en épingle l’affaire Staviski qui était un juif originaire d’Europe centrale;

 

6 février 1934, manifestation organisée par les ligues racistes et nationalistes (jusqu’à 30.000 manifestants) qui se termine par une nuit de violences (15 morts plus de 1400 blessés)

 

« L’ampleur des violences, les pires qu’ai connues Paris depuis la Commune de 1871, fut un choc pour la classe politique française. »

 

Mais la « République n’était pas vraiment en danger. Si, idéologiquement, elles partageaient un nationalisme extrême, un anticommunisme farouche et l’autoritarisme (prônant souvent une forme d’Etat corporatiste), les ligues étaient divisées en termes de leadership et dans leurs objectifs. »

 

Le 6 février 1934 a eu pour effet d’unifier les forces de gauche (dans les deux années suivantes plus de 1000 manifestations contre le fascisme).

 

« Interdites en juin 1936 par le gouvernement du Front populaire, les ligues prirent dans certains cas la forme de partis parlementaires. »

  • Les Croix de feu deviennent le Parti Social Français (75.000 adhérents en 1937) qui s’éloigna de la mobilisation de type fasciste pour évoluer vers un autoritarisme conservateur.

 

1936. Apparition du Parti Populaire Français, authentique parti fasciste créé par l’ancien communiste Jacques Doriot.

 

« La droite française jouissait d’un important soutien populaire. Sans cela le large appui apporté au régime de Vichy après 1940 aurait été inimaginable. »

 

En Espagne puissance des forces hostiles à la démocratie, mais au début des années 1930, la dictature militaire de Primo de Rivera (1923) a perdu de son dynamisme, et les élections de 1931 permettent la mise en place d’une nouvelle République démocratique.

 

« La victoire écrasante de la gauche aux élections de 1931 n’en n’était pas moins trompeuse. Même si, déçus par Primo de Rivera et la monarchie, beaucoup d’Espagnols étaient disposés à donner une chance à la République, leur soutien restait souvent hésitant et conditionnel. La République manquait d’un authentique soutien (….) en dehors de la classe ouvrière. »

 

Par ailleurs il existait de profondes divisions à l’intérieur des partis républicains :

 

  • Socialistes piliers de la République.

 

  • Anarcho-syndicalistes qui considéraient que la République n’était que la première étape d’une lutte « continue et violente menée par les syndicats contre l’autorité de l’Etat. »

 

« La nouvelle démocratie fut d’emblée un système violemment contesté. Trois réformes suscitèrent une violente réaction de la droite autoritaire :

 

  • Réforme agraire.

 

  • Protection des travailleurs.

 

  • Réduction significative des pouvoirs de l’Eglise.

 

Novembre 1933. Lourde défaite de la gauche lors de nouvelles élections. « Au cours des deux années suivantes, propriétaires et patronat reprirent le pouvoir annulant ou bloquant les réformes des premières années de la République. L’embryon de guerre civile se formait. »

 

1933. Création de la CEDA (Confédération Espagnole des Droites Autonomes), vaste conglomérat du conservatisme catholique populiste dirigé par Gil Robles. Elle adopte rapidement des signes extérieurs des mouvements fascistes : Rassemblement, uniformes, salut, style de mobilisation, organisation d’un mouvement de jeunes. Maus « elle se démarquait du fascisme radical par son rejet des organisations paramilitaires et son adhésion, au moins formelle aux institutions de l’Etat en place. »

 

1933. Création de la phalange espagnole par José Antonio Primo de Rivera. Mais elle obtient de faibles succès, pas plus de 10.000 membres et 0,7% aux élections de 1936. Elle sera interdite en 1936 et son chef condamné à mort et exécuté.

 

« A cette date, le général Francisco Franco avait lancé une rébellion contre la République depuis le Maroc. Le fascisme en Espagne ne devint un mouvement de masse que lorsque Franco reprit en main la phalange en avril 1937 pour en faire, au moins théoriquement la pierre angulaire du conglomérat de forces nationalistes de droite soutenant la rébellion. » Plus tard, elle deviendra le parti officiel de la dictature.

 

« En Italie et en Allemagne, l’espace politique de la droite libérale et conservatrice s’effondrèrent laissant les partis de masse fascistes et populistes combler le vide. »

 

Un terrain fertile pour la droite : l’Europe centrale et orientale.

 

« L’Espagne était un cas exceptionnel en Europe occidentale. En Europe centrale et orientale, le basculement vers l’extrême droite fut chose courante. Les plus grands mouvements fascistes virent le jour en Autriche, en Roumanie et en Hongrie. »

 

En Autriche, « une bonne partie des troupes non socialistes étaient déjà pro fascistes au moment de la crise. L’effondrement bancaire de 1931 et la montée en flèche du chômage affectèrent l’économie du pays (….) Sous l’effet de la crise, l’éclatement de la scène politique en trois courants s’accentua. »

 

- Un mouvement fasciste le Heimwehr (Défense intérieure).

 

  • Un parti nazi autrichien en plein essor.

 

  • Un grand Parti socialiste solidement implanté dans la classe ouvrière.

 

Après la prise de pouvoir par Hitler en Allemagne, le chancelier Engelbert Dollfuss supprime le régime parlementaire et le remplace par un « Etat d’Autriche » social, chrétien et allemand fondé sur des corporations et une direction autoritaire et forte. »

 

1934. Dollfuss écrase dans le sang un soulèvement socialiste armée qu’il avait provoqué et mit le socialisme hors la loi. « Une nouvelle constitution abolit le Parlement au profit d’un Etat corporatiste flanqué de conseils et soutenu par une organisation politique unique, le Front patriotique. »

 

Juillet 1934. Assassinat de Dollfuss par les nazis.

 

La Roumanie sort gagnante de la 1ere Guerre mondiale faisant plus que doubler son territoire. Mais une grave crise agricole fait baisser les revenus paysans de 60%. « Les difficultés économiques s’aggravant, la rancoeur s’amplifia contre les minorités ethniques (Magyars, Allemands mais surtout Juifs) qui dominaient l’industrie, le commerce et la finance (….) Dans ces conditions, il n’était pas difficile de lier les difficultés économiques aux préjugés et à la haine des minorités, ni de forger une imagerie nationaliste où le peuple roumain « authentique » était menacé par des « étrangers » »

 

1937. La « Légion de l’archange Michel » ou « Garde de fer » dirigée par Corneliu Zelca Cordeanu, mouvement fasciste ultra-violent, forte de 72.000 membres obtient 15,8% des voix (3e parti du pays).

 

« Cordeanu engrangea les soutiens par un mélange entêtant de nationalisme ethnico-raciste extrême et romantique, travaillé par une doctrine de violence visant à purifier la nation de tous ses éléments étrangers (notamment les Juifs). »

 

Mais dans la Roumanie des années 1930, le fascisme resta un mouvement d’opposition incapable de s’emparer du pouvoir.

 

1938, le roi Carol dissout le Parlement afin d’instaurer une dictature royale. Interdiction de la Légion de l’archange Michel et arrestation de Cordeanu qui est assassiné en prison. «  Le régime monarchiste incorpora largement ce que le fascisme offrait, y compris son antisémitisme radical. »

 

« En Hongrie, où les griefs irrédentistes demeuraient après l’amputation de son territoire dans le règlement de l’après-guerre, la crise, qui se soldat par un effondrement de la production agricole et mit un tiers de la main d’oeuvre agricole au chômage, exacerba les tensions sociales et politiques (…). Les élites dirigeantes, ayant rassemblé leurs forces dans la restauration conservatrice des années 1920 (….) surent gérer la crise en sorte qu’aucun grand parti fasciste ne vit le jour avant 1930. »

 

Un grand parti fasciste n’apparut qu’à partir de 1937 par amalgame de 8 groupes ultranationalistes.

 

1939. Naissance des Croix fléchées qui commencent à recruter massivement dans la fonction publique.

 

« Ailleurs, dans l’est et le sud-est de l’Europe, le contrôle de l’Etat par les élites autoritaires, conservatrice et réactionnaires, et notamment l’armée, pour qui la mobilisation populiste était menaçante, fut le principal obstacle à la percée des mouvements fascistes. Ces derniers furent parfois supprimés, mais leurs objectifs et idées souvent repris par les régimes autoritaires en place, fortement nationalistes et progressant un racisme hargneux. »

 

« A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la démocratie se limitait à onze pays du nord-ouest : Grande-Bretagne, Irlande, France, Suisse, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Norvège, Suède, Finlande et la minuscule Islande. Tous avaient été victorieux ou neutres au cours de la Grande Guerre. Près des trois cinquièmes des Européens (en laissant de côté les populations d’Union soviétique) vivaient dans seize Etats sous une forme ou une autre de régime autoritaire et répressif où les droits civils étaient très réduits, et les minorités discriminées et persécutées. »

 

« De toutes les démocraties créées après la Première Guerre mondiale pour succéder à l’Empire austro-hongrois, seule avait survécu la Tchécoslovaquie, jusqu’à sa destruction par l’invasion allemande en mars 1939. L’échec de la démocratie dans les Etats successeurs fut l’indicateur le plus clair de la faillite du règlement d’après guerre. »

 

 

Fin



19/11/2024
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 1016 autres membres