Volume 1. Chapitre 4. L'apogée de la royauté mérovingienne (614-639). (NDL)

Chapitre 4. L’apogée de la royauté mérovingienne (614-639)

 

 

Entre deux période de divisions les règnes de Clotaire II et de Dagobert constituent l’apogée de la dynastie mérovingienne. Avec ces deux rois, le royaume « entre pleinement dans le Moyen Age.

 

I. Clotaire II et l’unité retrouvée.

 

Les assemblées et l’édit de Paris (614)

 

Clotaire renoue avec la tradition inaugurée par Clovis en 511 qui consiste à convoquer tous les évêques des différents royaumes (12 métropolitains et 60 suffragants répondent à cette convocation).

 

Après consultation de ces personnages, Clotaire II promulgue le 18 octobre 614 un édit destiné à installer une paix durable dans le royaume :

  • Les laudes qui avaient pris le parti de leur seigneur voient leurs biens confirmés.

  • Les pouvoirs des fonctionnaires royaux sont fortement encadrés.

  • Les aristocrates reçoivent l’assurance que le roi choisirait ses représentants au sein des différents royaumes.

  • Les nouveaux impôts établis durant l’interrègne étaient abolis.

  • Par contre les tonlieux, taxes sur les marchandises, étaient toujours perçus.

 

« Clotaire II se donnait les moyens d’associer au gouvernement du regnum des évêques dont il avait auparavant éprouvé la fidélité et les qualités à la cour. En même temps, le roi rappelait les privilèges dont disposaient les évêques dans leurs cités et qui les mettaient à l’abri des abus éventuels des indices, c’est-à-dire les comtes et tous les autres représentants du roi. Ces deux dispositions expliquent en grande partie les succès de son règne et de celui de son fils Dagobert. »

 

Un regnum, des regna.

 

Clotaire II conserve l’identité des trois royaumes : Neustrie, Australie, Bourgogne. Personnellement il resta fidèle à ses origines et gouverne personnellement la Neustrie. Les deux autres royaumes sont gouvernés par des administrations distinctes.

 

En Bourgogne, le maire du palais Warnachaire, qui s’était rallié en 613, reste en fonction jusqu’à sa mort en 626/27. A cette date il est remplacé par un des ses fils, Godin, qui s’impose de lui-même provoquant la colère de Clotaire II puis l’exécution de Godin. Il n’est pas remplacé et la Bourgogne est gouvernée conjointement par les Grands du royaume.

 

En Austrasie, depuis 613, la fonction de maire est assurée par deux personnages : Pépin et Arnould. Mais elle est finalement dévolue à Radon puis à un certain Chucus. En 623, l’aristocratie australienne obtient de Clotaire II qu’elle lui envoie son fils Dagobert pour gouverner. Comme il sortait de l’enfance, le gouvernement fut d’abord assuré par son entourage dont fait partie Pépin Ier (décédé en 640). « La renaissance de cette royauté australienne incarnée par Dagobert était aussi motivée par la nécessité de défendre plus efficacement le royaume contre la pression entretenue par les Avars et surtout les Wendes. » Cette Austrasie était limitée par les Ardennes et par les Vosges. Elle était privée de toutes ses possessions en Aquitaine et dans la vallée du Rhône. Mais en 625, Dagobert obtient la restitution de la totalité de ce qui avait dépendu du royaume des Austrasiens. »

 

626 ou 627. Nouvelle réunion de l’épiscopat et de l’aristocratie par Clotaire II. « On voit poindre là une réflexion autour de la royauté sacrée qu’il appartint ensuite aux clercs carolingiens puis capétiens, de développer dans des proportions considérables. »

 

Le règne de Dagobert (629-639).

 

Dagobert succède facilement à son père. Il avait déjà la fidélité des Grands d’Austrasie, il aura rapidement celle des aristocrates burgondes et neustriens.

 

Il confie le sud de l’Aquitaine à son frère Charibert qu’il récupère à sa mort en 632.

 

Il entreprend un voyage en Burgondie où il réaffirme les privilèges accordés par son père. Lorsqu’il s’installe en Neustrie, il confie le gouvernement du royaume au maire du palais Aega.

 

632. Dagobert installe son fils Sigebert sur le trône d’Austrasie et en confie le le gouvernement à l’évêque Cunibert de Cologne et au duc Adalgisèle.

 

Le mariage d’Ansegisèle fils du duc Arnould avec Begge, fille de Pépin allait donner naissance à la dynastie qui renverserait les mérovingiens en 751.

 

« En 634, la naissance d’un second fils permit à Dagobert d’envisager l’ensemble de sa succession. Cet enfant nommé Clovis, devait recevoir à la mort de son père la Neustrie et la Burgondie (toujours munie d’une large autonomie). C’est à l’occasion de ce partage que furent à nouveau discutées les frontières entre les deux royaumes et que les Australiens tentèrent d’annexer le fameux duché de Dentelin compris entre la Somme et l’Escaut, c’est-à-dire comprenant les anciennes cités romaines de Noyon, Arras, Cambrai, Tournai, Thérouanne et Boulogne. »

 

II. Les caractères de la royauté mérovingienne.

 

« Au début du VIIe siècle, le souverain restait un chef de guerre germanique dont le charisme était toujours exprimé par cette longue chevelure qu’arboraient encore, au début du VIIIe siècle, les derniers Mérovingiens. Longtemps considérée comme relevant de croyances exclusivement germaniques, la royauté chevelue des Mérovingiens fait aujourd’hui l’objet de commentaires plus nuancés. »

 

Le roi restait élu par son peuple et il était lié personnellement à ses guerriers, les antrustions ou leudes. «  Mais c’était aussi un souverain dont les idéaux et les moyens de gouvernement ont été en grande partie légués par Rome : le christianisme, une certaine conception du domaine public, l’administration, l’impôt, l’usage de l’écrit et du latin. »

 

Les lieux de pouvoir.

 

Les résidences royales.

 

La royauté franque est itinérante tout comme le sera la monarchie carolingienne puis celle des premiers capétiens jusqu’au XIIe siècle.

 

Mais cette itinérance s’effectuait sur un espace relativement restreint et l’on peut parler de « régions capitales »

 

En Neustrie, au début du VIIe siècle, les lieux de pouvoirs se concentrent autour de Paris : Rueil, Clichy, Chelles, mais aussi la vallée de la Seine autour de Rouen.

 

« Cette mobilité répondait aussi à une nécessité économique, car seuls ces fiscs étaient susceptibles de loger, nourrir, vêtir pendant quelques mois le roi et son entourage. (…) L’organisation logistique des déplacements de la cour reposait sur le maire du palais, les domestici, ainsi que sur des intendants auxquels étaient confiés localement la gestion des différents fiscs. »

 

Ces maires du palais jouent donc un rôle considérable qui va s’accroitre avec les minuits successives des mérovingiens.

 

La situation était la même en Austrasie.

 

Les grands monastères.

 

Afin de disposer de relais spirituels, dès le VIe siècle les Mérovingiens participent à la construction ou à l’embellissement de basiliques autour des tombeaux de saints prestigieux afin de profiter de leur « intercession en faveur du royaume et de leur propre famille. » (Saint-Martin de Tours, Saint-Rémi de Reims, Saint Médard de Soissons, Saint-Denis)

 

La fondation de Saint-Denis remonte au IVe siècle, autour du tombeau du saint. Puis la basilique est reconstruite au Ve siècle par sainte Geneviève avant que Dagobert décide d’en faire le lieu de sa sépulture créant ainsi sa vocation de nécropole royale.

 

L’organisation du Palais.

 

Le mot palais a un double sens :

 

  • Désigne les résidences royales.

 

  • Sert à nommer l’entourage du souverain.

    • Membres de sa famille (parents, épouses et concubines)

    • Ses leudes ou antrustions qui lui sont attachés par un serment de fidélité;

    • Des officiers palatins qui représentent un embryon d’administration publique, qui produisent des actes de qualité tant dans la forme que dans le fond de la langue.

 

« A une époque où les revenus des domaines fiscaux et les taxes levées sur les activités économiques semblent avoir moins bénéficié au souverain, soit qu’il ait eu des difficultés à en imposer la perception, soit qu’il en ait sciemment délégué la gestion aux comtes et aux évêques, la richesse de la royauté se mesurait à l’étendue de son trésor qui était aussi un attribut symbolique de première importance. » Ce trésor était constitué essentiellement par les tributs versés par les peuples soumis, mais aussi par des cadeaux faits par les monarques étrangers.

 

« La christianisation de la fonction royale allait de pair avec le rassemblement à la cour d’un petit groupe de clerc destiné à assurer un service liturgique avant qu’ils ne finissent aussi, dans le courant du VIIIe siècle, en raison de la qualité de leur formation intellectuelle, par accaparer les fonctions de notaires. C’est très vraisemblablement sous le règne de Dagobert qu’ils se virent confier la garde d’une relique prestigieuse, la capa de saint Martin qui désigne non pas une partie du manteau de l’apôtre des Gaules, mais bien plutôt le drap qui recouvrait son tombeau à Tours. Cette « chape »fut vite considérée comme l’objet le plus précieux du trésor des rois mérovingiens et l’on prit alors l’habitude de désigner les clercs qui en avaient la garde sous le nom de « chapelains » ou, en parlant du groupe, de « chapelle », en attendant que ce terme en vînt à désigner, à la fin du VIIIe siècle, l’église spécialement édifiée par Charlemagne pour les accueillir dans son palais d’Aix. »

 

III. L’exercice du pouvoir local.

 

L’aristocratie laïque.

 

« Si l’autorité royale était respectée à la cour, il pouvait en aller très différemment dès que l’on s’éloignait du palais. Les conflits du VIe siècle montrent bien que l’aristocratie ne concevait pas ses relations à l’égard du roi en terme de devoirs, mais également de droits. Le souverain était tenu de récompenser ses leudes et tel était le prix de leur fidélité. C’est ainsi que les grands du royaume qu’ils fussent issus de l’aristocratie franque ou de l’ancienne noblesse sénatoriale - des distinctions qui étaient toutefois en train de s’effacer au début du VIIe siècle - tenaient localement le pouvoir en exerçant les charges comtales. L’ensemble des prérogatives du comte étaient désignées sous le nom de comitatus et représentait une délégation du ban royal. En théorie du moins car (…) avec l’édit de 614, les groupes aristocratiques acceptaient mal que le roi relit en cause leur privilège naturel à gouverner les provinces. En revanche un souverain habile pouvait exploiter la compétition qui existait entre les familles et c’est en jouant ce rôle d’arbitre qu’il pouvait avec plus ou moins de succès se maintenir à la tête de son royaume. »

 

Le comte qui était assisté par des centeniers appelés aussi viguiers intervenait dans trois domaines :

 

  • Exercice de la justice, en présidant un tribunal appelé mallus.

 

  • Rassemblement et conduite de l’armée à la cour pour le champs de mars. Participer à l’armée signifiait avoir part au butin qui serait fait lors des campagnes.

 

  • Perception des revenus fiscaux (domaines de la royauté ou taxes sur les activités commerciales.

 

En contrepartie de ces tâches, le comte touchait une partie des revenus publics mais aussi des amendes ou des compositions judiciaires.

 

Les immunités ecclésiastiques.

 

Au VIe siècle l’épiscopat est étroitement lié aux responsabilités publiques locales, car depuis le Bas Empire « les charges épiscopales ont été progressivement investies par les grandes familles de la noblesse sénatoriale qui, au même moment se désengageaient des responsabilités proprement civiles en désertant les curies municipales. Dans les faits, les cités ne se trouvaient donc pas sans chef, mais celui-ci siégeait désormais dans la cathédrale. L’influence et les richesses patrimoniales des grandes familles aristocratiques continuaient ainsi à être mise au service des citoyens. »

 

Ce phénomème peut-être doublement interprété :

 

  • Il manifeste « la faillite de l’administration centrale romaine puis la faiblesse de la royauté mérovingienne. »

 

  • Au contraire, « il y eut délégation progressive et sélective du pouvoir dans un cadre tout à fait légal qui prit à l’époque mérovingienne, le nom d’immunité. A l’origine de l’immunité, il y a d’abord des exemptions fiscales remontant parfois au Bas-Empire et qui continuèrent d’être accordées aux évêques tout au long du VIe siècle . Cependant, cet abandon de la perception directe par les autorités centrales ,n’impliquait pas la disparition de l’impôt , mais ce dernier était désormais perçus par les évêques et finançait ses activités publiques. »

 

« Dans le cadre de l’immunité mérovingienne, cela signifiait que les agents du roi ne pouvaient désormais plus intervenir sur les domaines épiscopaux, particulièrement importants en ville. »

 

« Les donations de domaines aux églises par les souverains ne doivent pas être considérées comme des avantages purement économiques, mais servent des stratégies politiques consistant à étendre les prérogatives publiques de l’évêque. Dans ces conditions, il est évident que le caractère éminemment public des biens ne disparaissait pas. »

 

Mais ce immunités ne furent pas accordées systématiquement et sans contrôle et de nombreux sièges épiscopaux ne bénéficièrent jamais de ces immunités. Parfois elles furent par ailleurs accordées à de grands monastères.

 

« Il semble assez vain et anachronique de chercher à savoir qui du pouvoir royal ou du pouvoir épiscopal sortit renforcé des transformations du VIIe siècle. En réalité, les évêques furent de plus en plus étroitement associés au gouvernement du regnum. On comprend aussi pourquoi les sièges épiscopaux donnaient lieu à de telles compétitions au sein des grandes familles et les stratégies subtiles qu’elles mettaient en oeuvre pour en conserver le contrôle. »

 

IV L’extension du monde franc.

 

Le rétrécissement des horizons diplomatiques.

 

« Il est un évènement sur lequel Frédégaire s’étend longuement : l’irruption des cavaliers musulmans sur le pourtour méditerranéen et les échec de l’empereur byzantin Héraclius (610-641) à contenir l’irrésistible avancée qui leur permit de se rendre maître de l’Egypte (619), puis du Maghreb, avant que l’ensemble de l’Espagne wisigothique ne tombât entre leurs mains au siècle suivant (711-715). Il est tentant, avec Henri Pirenne, de considérer que l’expansion de l’Islam marqua véritablement la fin de cette diplomatie antique organisée autour de la Méditerranée. (…) L’époque n’était donc plus, comme au siècle précédent, à la recherche d’une collaboration avec l’empereur byzantin. »

 

La satellisation des périphéries.

 

Les entités comme la Gascogne et la Bretagne en marge des trois royaumes sont de mieux contrôlées par le pouvoir franc, même si cela est parfois temporaire, en particulier en Bretagne.

 

Pour sa part, la Thuringe, indépendante depuis le milieu du VIe siècle, se voit imposer régulièrement imposer des tributs par les Francs. En 634 Dagobert impose aux Thuringiens un duc franc nommé Radulf, mais d’une fidélité fragile.

 

L’Alémanie entre aussi dans l’orbite franque, le duc étant nommé par le roi d’Austrasie.

 

Dagobert est aussi à l’origine d’une première politique d’expansion franque en direction de la Frise Cisrhénane qui avait été naguère romanisée.

 

Contrôle politique et mission religieuse.

 

Les règnes de Clotaire II et de Dagobert sont caractérisés par une association plus étroite de l’épiscopat au gouvernement du royaume. Cette association se développe particulièrement dans les périphéries du regnum.

 

Fin



02/07/2025
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 1024 autres membres