Winter (J). Volume 1 Chapitre 1. Origines (NDL)

CHAPITRE 1. ORIGINES

 

Volker R Berghahn.

 

 

Chapitre qui analyse les causes plus profondes et à plus long terme de ce que l'on a appelé « La grande catastrophe originelle » du XXe siècle (George F Kennan).

 

Pour James Joll, un des éléments qui est la clé de l'appréhension des origines de la guerre est ce qu'il appelle « l'humeur de 1914 » qu'il définit de la manière suivante : « Cette humeur ne peut être évaluée que par approximation et par touches impressionnistes. Plus nous l'étudions dans le détail, plus nous constatons à quel point elle a été différente en fonction des pays et des classes sociales. Et pourtant à chaque niveau, on relève une disposition à risquer ou à accepter la guerre comme solution à toute une série de problèmes, politiques, sociaux ou internationaux, sans compter qu'on y voyait la seule façon de résister à une menace physique directe. Ce sont ces attitudes qui ont rendu la guerre possible ; et c'est toujours dans l'étude des mentalités des dirigeants européens et de leurs sujets que résidera en définitive l'explication des causes de la guerre. »

 

Si ce chapitre s'intéresse lui aussi aux « humeurs » et aux mentalités, il se « concentre sur le rôle de l'armée dans les processus décisionnels qui ont conduit à la guerre et il le rattache à la dynamique d'un facteur essentiel, la course aux armements qui a précédé 1914. Autrement dit, nous étudierons un certain nombre d'éléments concernant les origines de la Première Guerre mondiale avant d'en arriver à celui qui, à mon sens, doit se voir attribuer la première place dans une classification des causes. Organisé en forme d'entonnoir, ce chapitre accède finalement à ce qui est la clé des événements européens des mois de juillet et d'août 1914. »

 

Industrialisation, mutation démographique et urbanisation.

 

« Il faut considérer les effets de l'industrialisation, de la démographie et de l'urbanisation au titre de facteurs contextuels majeurs. » Durant cette période, deux révolutions industriels dans une grande partie de l'Europe.

 

Au XVIIIe siècle en Grande-Bretagne, avec la fabrication de textiles et de matériaux souples destinés au tissage, l'extraction de la houille et la sidérurgie.

 

Seconde moitié du XIXe siècle avec le développement de la construction électrique, de l'industrie chimique et non électrique.

 

Au point de vue démographique, croissance très rapide depuis le XVIIIe siècle. Chômage dans les campagnes qui provoque un exode vers des bourgades proches ou lointaines. Mais « malgré des conditions de travail et des salaires meilleurs que n'en offrait l'agriculture à laquelle ils avaient dû renoncer, leur misère atteignait des niveaux scandaleux, même aux yeux de leurs contemporains. »

 

Mais parallèlement l'industrie et le commerce produisirent de la richesse, favorisant l'ascension d'une classe moyenne de commerçants et de membres des professions libérales, comprenant également des employés de bureau.

 

Mobilisation politique et politique intérieure.

 

« Les conditions et les divisions socio-économiques contribuèrent à l'éveil d'une conscience politique qui, cette fois, ne toucha pas seulement la bourgeoisie libérale ou les classes supérieures cramponnées aux positions de pouvoir qu'elles avaient acquises au sein de l'Etat, mais concerna également de façon croissante les ouvriers de l'industrie. Grâce à la progression du droit de vote et au développement de la presse, les classes inférieures commencèrent à pouvoir, elles aussi, exprimer leurs espoirs et leurs attentes à l'égard de leurs gouvernements locaux et nationaux. » Cette prise de conscience fut rapidement ressentie comme une menace par les autres partis et classes sociales.

 

Pour éviter une remise en cause de l'ordre établi, les hommes politiques et hautes fonctionnaires utilisèrent plusieurs méthodes :

 

- Apaisement social en essayant de satisfaire les espoirs et les attentes de la classe ouvrière par des concessions concrètes ou des espoirs d'un meilleur avenir.

 

- Pouvoir répressif de la police et en dernier ressort de l'armée.

 

- Appel au sentiment national pour « obtenir le soutien des citoyens en exploitant la capacité d’intégration du patriotisme. » 

 

Impérialisme et colonialisme.

 

« L'idée que l'impérialisme n'était pas seulement un instrument précieux pour répondre aux pressions commerciales, mais pouvait également être utile pour détourner, apaiser les tensions intérieures et promettre des gains matériels à un groupe plus large que celui d'hommes d'affaires engagés dans le négoce international, s'était imposé dans les années 1890 parmi les hommes politiques et les intellectuels de l'ensemble de l'Europe. En Angleterre, le célèbre homme d'affaires Cecil Rhodes déclarait ainsi : « L'idée qui m'est chère apporte une solution au problème social : pour épargner aux 40 millions d'habitants du Royaume-Uni une guerre civile sanglante, nous devons, nous, hommes d'Etat coloniaux acquérir de nouvelles terres pour y établir la population excédentaire et ouvrir de nouveaux débouchés aux marchandises qu'elle produit dans les usines et les mines. L'Empire (…) est une question alimentaire. Pour éviter la guerre civile, il faut devenir impérialiste. »

 

Cela va provoquer une course à la colonisation jusqu'en 1914, colonisation qui profitera peu aux peuples colonisés et sera dans l'ensemble « terriblement destructeur pour les économies, les structures sociales et les traditions culturelles locales. »

 

Au Congo belge on estime que 11 millions de personnes moururent de maladie, malnutrition ou massacres.

 

Massacre des Herero et des Nama par les Allemands dans leurs colonies du Sud-Ouest africain. « Isabell Hull a ainsi affirmé que la brutalité de ces opérations avait été intégrée dans la culture militaire allemande. Autrement dit, elle était si bien enracinée dans la philosophie du corps des officiers que ces derniers finirent par envisager une future guerre européenne dans les mêmes termes d’extermination totale. »

 

L'économie du colonialisme européen avant 1914.

 

« Le colonialisme était dangereux et même contre-productif, dans la mesure où il exacerbait des tensions et des rivalités inhérentes aux systèmes économiques d'une Europe de plus en plus industrialisée. » et à partir de 1910, la dégradation de la situation diplomatique et militaire va inspirer de plus en plus d'inquiétude aux milieux économiques que ce soit en Europe ou en Amérique.

 

La culture européenne entre optimisme et pessimisme.

 

Au 1er janvier 1900, en Europe on note une « humeur largement festive ».

 

« Dans l'ensemble, cependant, les représentants de la culture européenne, considérée dans une acception suffisamment large pour inclure les sciences, l'enseignement et la culture populaire, se divisaient. »

 

Optimistes, parmi les professions libérales et les classes moyennes, persuadés de la poursuite du progrès grâce à la science (en particulier génie chimique et électrique).

 

Pessimistes, qui pensaient que le « capitalisme industriel et l'ère bourgeoise étaient condamnés à s'effondrer sous le poids de leurs contradictions internes. ». Ils pressentaient une période de conflits et d'instabilité.

 

« C'est sans doute dans les arts que la culture européenne connut l'évolution la plus fascinante. Par le passé, la musique classique, le théâtre ou la peinture avaient mis l'accent sur les aspects édifiants de l'expérience humaine. Le bien triomphait invariablement du mal. La scène devait illustrer des vertus telles que la beauté, l'héroïsme et la générosité. Désormais, en revanche, une nouvelle génération d'artistes proclama haut et clair que la mission de l'art moderne était tout autre et qu'il devait également présenter au public les aspects laids et sordides de la triste condition humaine. Le réalisme ne tarda pas à laisser place à l'expressionnisme, dont les œuvres ne reflétaient pas ce que l’œil percevait du monde réel, mais la manière dont le regard intérieur le transformait. Aux yeux de ces artistes, la vie était fragmentée, décentrée, subjective, débordante de contradictions et de dissonances. Pour certains créateurs, il n'y avait qu'un pas entre ces positions et leur critique implicite ou explicite du monde et l'idée que la civilisation européenne dans son intégralité était corrompue et courait à sa perte. »

 

A l'approche de 1914, certaines personnes commencent à évoquer les risques de guerre (le polonais Jan Bloch publie en 6 volumes « La guerre future aux points de vue technique, économique et politique). « Cet ouvrage contenait des descriptions du conflit à venir d'une troublante exactitude, puisqu'il prévoyait le massacre auquel on assista réellement dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Pour Bloch, la guerre entre nations industrialisées était synonyme de destruction de la société civile et civilisée. »

 

L'hégémonie britannique défiée par la marine allemande.

 

« Dans les dernières années du XIXe siècle, les grandes puissances européennes observèrent avec une vive méfiance la politique d'armement de leurs rivales. Et si l'une d'elle, se demanda-on acquérait la supériorité numérique et profitait de cet avantage pour lancer une guerre préventive ? Se posait également la question des armements navals depuis que la course aux colonies avait modifié l'équilibre des forces : on s'accordait en effet généralement à penser que ce serait la puissance maritime qui déciderait du visage que prendrait la lutte pour l'hégémonie au XXe siècle. Jusqu'en 1900, la Grande-Bretagne avait été en tête grâce à sa stratégie du Two-Power Standard. » (la marine anglaise devait posséder un tonnage supérieur ou égal au tonnage des deux plus grandes puissances maritimes après elle).

 

Développement d'une nouvelle stratégie avec le développement de grands cuirassés destinés à écraser leurs adversaires dans une bataille navale décisive. A partir de 1897, l'Allemagne se lance dans cette politique pour faire pression sur l'Angleterre. Avec l'accord de Guillaume II, l'amiral Tirpitz lance un vaste programme dans le but de doter l'Allemagne d'une flotte de 60 grands cuirassés.

 

« A l'aube du nouveau siècle, l'Allemagne s'engagea dans une politique unilatérale de renforcement de ses armements dirigée contre la Grande-Bretagne et dont l'objectif à long terme – écraser la Royal Navy – devait rester confidentiel. Tirpitz était donc parfaitement conscient de la nécessité de garder le secret sur cette entreprise et de l'existence d'une « zone de danger », comme il disait, qu'aurait à traverser la marine impériale. En effet, si Londres découvrait ses ambitions ultimes, il y avait gros à parier que l'Angleterre s'efforcerait de détruire la marine impériale en déclenchant une opération comparable à la frappe préventive qu'elle avait lancée contre la flotte danoise en 1805 devant Copenhague. Pour éviter pareille catastrophe, il fallait que la diplomatie allemande s'aligne sur le plan Tirpitz, et c'est précisément ce à quoi s'employa le chancelier du Reich, Bernhard von Bülow, après 1900. »

 

Mais l'Angleterre alertée conclut en 1904 une Entente cordiale avec la France. En ajoutant le traité d'alliance franco-russe de 1893, l'Allemagne se retrouve avec l'éventualité d'une guerre sur deux fronts. Parallèlement l'Angleterre se lance dans la construction d'un nouveau type de cuirassé encore plus puissant : le dreadnought. Après quelques années de course aux armements, l'Allemagne dut reconnaître qu'elle n'avait pas les moyens économiques pour lutter contre la Grande-Bretagne.

 

D'autre part cette course aux armements, en Allemagne, commença à inquiéter l'armée de terre qui craignit une baisse de ses moyens au profit de la marine. Elle craignait aussi qu'en augmentant les effectifs, il faille intégrer « davantage d'individus d'origine bourgeoise pour pallier la pénurie bien réelle d'officiers de noble extraction, on ne portât préjudice à l'esprit de corps. S'ajoutait le problème du nombre croissant de recrues ordinaires issues de la classe ouvrière urbaine, soupçonnées d'avoir été contaminées par des idées socialistes. »

 

Le passage à la course aux armements terrestre dans l'Europe d'avant 1914.

 

« En 1907, l'Angleterre et la Russie avaient réglé les différends qui les opposaient de longue date en Afghanistan, facilitant ainsi la création de la Triple Entente entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Le spectre de « l'encerclement » s'implanta alors profondément dans la pensée de l'état-major allemand du Kaiser, tandis que la balance se mettait à pencher définitivement en faveur d'un réarmement terrestre et contre la poursuite des dépenses navales. Cette évolution apparut très clairement à la suite de la seconde crise marocaine de l'été 1911. Cet affrontement à propos de territoires d'Afrique du Nord renforça encore la détermination de la France et de l'Angleterre à faire cause commune, tandis que Berlin se voyait contraint d’opérer une retraite humiliante. »

 

En particulier insistance d'Erich Ludendorff « Un Etat qui lutte pour sa survie doit employer, avec une énergie extrême, toutes ses forces et toutes ses ressources s'il veut être à la hauteur de ses devoirs les plus nobles. »

 

« Ce jugement est important à deux égards. D'abord, Ludendorff, lui même issu d'une famille qui n'appartenait pas à la noblesse, conseillait d'abandonner toutes les restrictions au recrutement qui avaient guidé la politique antérieure de gel des effectifs de l'armée. Ensuite, il laissait entendre que, tôt ou tard, l'état-major réclamerait le vote d'une loi permettant de développer les forces militaires terrestres du pays. C'est ainsi qu'en novembre 1911, le ministre de la Guerre, Josias von Heeringen, annonça que la « situation politico-stragégique » avait « évolué au désavantage de l'Allemagne. » Il fallait augmenter sans délai les crédits budgétaires de l'armée de terre. »

 

1912, vote d'une loi permettant le recrutement de 29.000 soldats supplémentaires.

 

« Pour en revenir aux origines de la Première Guerre mondiale, l'événement essentiel fut la réaction de la France et de la Russie. Celles-ci s'empressèrent en effet de présenter, à leur tour, des projets de lois visant à renforcer leurs armées, si bien que la course anglo-allemande aux armements navals céda rapidement la place à une compétition terrestre plus dangereuse encore. S'ajoutant à la campagne en faveur du projet de loi sur l'armée de 1913, la première guerre des Balkans donna aux généraux allemands le sentiment de plus en plus vif qu'une guerre ne pouvait qu'éclater à brève échéance. Il semblerait que Guillaume II, influencé par sa « maison militaire », soit parvenu à la même conclusion. (…) Aux yeux du Kaiser, la question fatidique pour son royaume avait été posée : « la lutte finale pour l'existence que les Germains (Autriche, Allemagne) devront mener en Europe contre les Slaves (Russie) soutenus par les Romains (Gaulois) verra les Anglo-saxons se ranger du côté des Slaves. » »

 

La préparation d'une guerre préventive en 1914.

 

« Néanmoins, l'évolution la plus dangereuse qui pouvait faire croire à l'imminence d'une grande guerre fut, après l'effondrement des ambitions navales de Tirpitz contre la puissance britannique, la course aux armements terrestres qui opposa la Russie et la France d'une part, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie de l'autre. »

 

« L'état d'esprit qui poussait à croire que les Puissances centrales pouvaient remporter une guerre préventive explique la funeste décision que prirent quelques hommes, à Berlin et à Vienne, et qui fit basculer l'Europe dans le précipice. Autrement dit, il est inutile que les chercheurs fassent la tournée des capitales européennes en espérant découvrir d'autres décisionnaires dont la responsabilité dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale serait supérieure à celle des deux empereurs et de leurs conseillers. Berlin et Vienne restent les lieux les plus féconds pour les historiens en quête d'indices sur les raisons pour lesquelles la guerre éclata en 1914. »

 

« Il ne fait guère de doute que le débat sur la part de responsabilité de la Russie, mais aussi des autres puissances, dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale se poursuivra. Néanmoins, ce rôle est resté secondaire par rapport à celui de la diplomatie et de la politique d'armement agressive que la monarchie allemande, entraînant Vienne dans son sillage, mena dès l'aube du siècle et qui, pour les raisons examinées ici, culminèrent dans l'idée d'une guerre préventive lancée par les Puissances centrales en 1914. »

 

Fin 

 

 

 

 

 



27/08/2014
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