Mésopotamie. Chap 1. L'aube de l'histoire. (NDL)
La Mésopotamie.
Chapitre 1. L’aube de l’histoire.
L’histoire de la Mésopotamie ne commence pas il y a 5000 ans à Sumer avec l’invention de l’écriture.
« Né il y a cinq mille ans dans le Sud Irakien, l’écriture a, bien sûr, représenté une étape fondamentale de l’aventure humaine ; elle a rendu possible de nouveaux modes de gestion, de contacts, d’échanges, d’organisation politique et sociale ou d’élaborations intellectuelles, et elle a permis aux historiens de disposer de sources d’information d’une richesse incomparable. Il faut pourtant nuancer l’idée selon laquelle l’écriture aurait marqué une véritable césure : l’antique civilisation mésopotamienne s’enracine dans un bien plus lointain passé et les archéologues n’observent guère, dans les vestiges de la culture matérielle, de réelle rupture se produire au moment de cette apparition. »
Plaines, steppes, montagnes et pays des deux fleuves.
L’ensemble régional est un espace « ouvert », « au carrefour des continents asiatique, européen et africain, délimité à l’ouest par la côte méditerranéenne et à l’est par la chaîne du Zagros qui sépare l’Irak du plateau iranien ; au nord, il est bordé par la chaîne du Taurus qui s’étend au sud-est de l’actuelle Turquie, au sud, par les marges septentrionales du désert d’Arabie et par les eaux du golfe arabo-persique. »
Cet ensemble qui représente 700.000 km2 peut se diviser en trois grandes zones :
Entre les montagnes et la steppe : le croissant fertile.
Ce que l’on appelle le croissant fertile est une ceinture constituée par les territoires de piémont et les plaines qui depuis la mer Morte, suivent l’arc montagneux qui relie d’ouest en est le Liban au Taurus, puis le Taurus au Zagros. C’est une bande cultivable contournant la steppe et les marges du désert sirop-arabique.
« Les montagnes qui bordent l’extérieur de cet espace filtrent les communications avec les régions voisines, l’Anatolie pour le Taurus et le plateau iranien pour le Zagros, mais elles constituent également des « réservoirs » de groupes humains au contact des plaines agricoles et en interaction avec elles. »
La Mésopotamie et ses fleuves jumeaux.
Le mot Mésopotamie apparaît avec les Grecs puis avec les Arabes.
Cette plaine constitue un ensemble bien identifié. « Dès que l’on s’écarte des fleuves vers l’ouest et le sud, on rencontre la steppe, puis le désert. »
On peut diviser cet ensemble en deux grands secteurs :
- Au nord de Bagdad (qui marque la césure), une région de de bas plateaux, souvent arides, entaillée par les deux fleuves. C’est là que se développera l’Assyrie, ouverte sur le monde de la Méditerranée et de l’Anatolie.
- Au sud, une plaine alluviale, large et plate, où le cours des fleuves divague et se divise en différents bras. C’est la région de la future Babylonie.
« Cette opposition entre le secteur nord et le secteur sud et une constante oscillation entre ces deux zones d’attraction de la Mésopotamie sont demeurées marquantes, depuis la préhistoire jusqu’à l’époque plus contemporaine. »
« En raison de la présence des fleuves et de terres potentiellement aptes à l’agriculture (…) ce sont les productions agricoles extraites de son sol qui vont principalement assurer la richesse de la Mésopotamie. Car en dehors de l’argile, du roseau, de l’eau des fleuves ou du bitume, le pays dispose de très peu de ressources naturelles. Beaucoup de matériaux essentiels manquent et doivent donc être importés : le bois de bonne qualité, les pierres pour bâtir ou pour moudre la farine, les minerais métalliques, les pierres et les métaux précieux. »
Les vallées de ces fleuves n’ont pas toujours joué un rôle de voie de circulation privilégiée (en particulier le Moyen Euphrate coule dans un milieu semi-désertique peu hospitalier.
« Il ne faut cependant pas minimiser le rôle essentiel que jouent ces fleuves et leurs affluents pour relier la mer Méditerranée au golfe arabo-persique, soit l’Europe à l’Asie, et pour raccorder entre eux les divers sous-ensembles régionaux. »
Les zones arides.
Domination de l’aridité sur de vastes Territories qui s’étendent jusqu’au désert syro-arabique, notamment entre la côte méditerranéenne et l’Euphrate. Les températures estivales sont élevées.
Des espaces qui se révèlent complémentaires.
Ces grandes unités ne se présentent pas de manière homogène, et « ces gradations dans l’aridité sont importantes car elles déterminent la possibilité, ou non, d’implantations de populations sédentaires. »
« Dans les zones où existent des potentialités agricoles, il faut distinguer celles qui, au nord, bénéficient de précipitations suffisantes pour produire des récoltes, même à l’écart des cours d’eau, de celles qui, plus au sud, sont tributaires des rivières et de l’irrigation, du fait de la rareté des pluies. »
« Malgré des variations climatiques allant dans le sens d’un plus grand assèchement - mais des phases ont pu être plus humides, d’autres plus arides - et l’instabilité du cours des fleuves et des rivières, il ne semble pas y avoir eu de grands bouleversements dans l’environnement de cet ensemble régional depuis les derniers dix mille ans, à une réserve près cependant : celle de la fluctuation des rivages du golfe arabo-persique, celui-ci n’ayant commencé à se former qu’il y a quinze mille ans environ, lorsque s’est amorcé la lente - mais irrégulière - remontée du niveau des océans, à l’issue de la dernière grande période glaciaire. »
Les peuples et les langues.
Peu d’informations sur les peuples qui ont vécu à l’origine sur ces espaces. Mais il s’agit d’un espace occupé par des populations parlant majoritairement des langues sémitiques cohabitant avec plusieurs autres groupes humains parlant d’autres langues.
Le temps de la sédentarisation.
Point de départ chronologique avec la « révolution néolithique » qui définit « l’ensemble des processus fondamentaux ayant marqué le passage d’une économie prédatrice à une économie de production. »
La révolution néolithique.
« Pendant des millénaires, la chasse et la pêche avaient complété un régime alimentaire fondé sur la cueillette de fruits, de légumes et de céréales sauvages. Un tournant décisif a été amorcé avec l’apparition des premières sociétés villageoises sédentarisées, qui ont introduit et imposé des modes de production et de consommation reposant sur l’agriculture et l’élevage, étape fondamentale pour la suite de l’histoire, jusqu’au monde moderne. »
« Si cette mutation a témoigné des capacités grandissantes de l’homme dans le contrôle de son environnement, elle a aussi manifesté de profonds changements dans son rapport au monde. » Désormais l’homme qui se pensait comme une espèce animale parmi les autres, se voit comme une espèce distincte du reste du vivant.
« Dans l’histoire de l’humanité, le Croissant fertile a été, avec la Chine, l’une des deux plus anciennes régions dans le monde, où ce processus s’est amorcé. »
Mais les changements ont été longs et le processus s’est étalé sur plusieurs milliers d’années au fur et à mesure des progrès techniques et des évolutions dans l’organisation sociale.
Questions autour de la néolithisation.
Existence au Proche-orient de plusieurs groupes humains sédentarisés mais ne connaissant pas l’agriculture, « indice que la vie dans des villages permanents a pu précéder les économies agricoles et non pas systématiquement l’inverse. »
« Les études ethnographiques montrent que la vie des premiers cultivateurs est plus difficile que celle des chasseurs-cueilleurs et que l’agriculture ne fournit pas forcément d’emblée un approvisionnement plus abondant. (….) Les cultivateurs à leurs débuts et pendant longtemps, se sont simplement limités à des productions accessoires, destinées à combler certaines lacunes saisonnières de chasse et de cueillette. (….) Ni l’agriculture ni la domestication des animaux n’ont eu pour unique cause la satisfaction de besoins purement économiques, les animaux domestiques pouvant être un symbole de richesse ou de prestige, autant qu’une source de nourriture ou de matières premières. »
« Croissance démographique et diversification de la structure sociale furent-elles des causes ou des conséquences de la révolution agricole ? On en discute encore, même s’il apparaît en définitive qu’une vie plus sédentaire, en groupes sociaux plus importants, offrait des avantages qui ont fini, dans la durée, par se répandre et s’imposer. »
Un processus discontinu.
Les dernières découvertes archéologiques montrent que « les éléments constitutifs des cultures des cultures néolithiques diffèrent selon les régions et que leurs façons de franchir les étapes et de progresser, quoique fondées sur les mêmes composantes, premiers villages, domestication des plantes et animaux, mise au point de techniques nouvelles - n’ont nulle par été identiques. »
« L’idée du développement à tout prix est récente dans les sociétés humaines et ne saurait s’appliquer ici. »
« Sur la longue durée, l’évolution fut irrégulière, discontinue et polycentrique. Des bonds ennemis avant, d’ordre qualitatif ou quantitatif, ont pu alterner avec des périodes de stagnation, ou même de régression, en fonction des conditions environnementales et de périodes climatiques plus ou moins favorables, poussant pu aidant les hommes à trouver de nouveaux modes d’utilisation de l’espace et du sol. »
Les premières communautés agricoles.
Vers 10.000 av J-C, apparition des premiers signes de révolution agricole au Levant, en Palestine et dans les collines du Croissant fertile. Puis lente diffusion vers le Taurus et la Djezireh syrienne (partie steppique à l’est de l’Euphrate, puis vers le Zagros et pour terminer le long des fleuves en direction de la basse plaine mésopotamienne (apparition des premiers villages dans cette région vers 7500 av J-C)
Au départ élevage de chèvres et de moutons pour le lait, la viande, le poil, la laine et le cuir.
v 4000 av J-C, apparition des porcs, des boeufs puis des ânes.
Les terres cultivées fournissent de l’orge, de l’engrain (la première céréale cultivée), de légumineuses (pois, lentilles). Les cultures maraîchères et d’arbres fruitiers apparaissent ensuite.
« Ainsi le Croissant fertile a été le tout premier centre de production alimentaire de la planète et le site d’origine de plusieurs productions agricoles du monde moderne et de ses principaux animaux domestiques. »
Cultures villageoises à céramique.
v 7000 av J-C apparition aussi des premières céramiques (récipients et vaisselle).
« Produit emblématique de la vie rurale et sédentaire, la céramique ne s’est donc imposée et généralisée qu’après que l’agriculture eut été maîtrisée. Dès l’origine, ont constate une assez grande variété, tant dans les formes qu’adoptent les jarres, les plats ou les pots, que dans les techniques de fabrication et de décors. »
v 3500 av J-C, les potiers adoptent la technique du tour rapide qui rend possible une fabrication de masse (avec disparition progressive des décors).
A partir des VIIe - VIe millénaire diversification des modèles selon les régions ce qui permet de distinguer différentes « cultures ». « On les désigne, conventionnellement, d’après le nom du site archéologique où elles ont été reconnues pour la première fois. »
Hassuna et Samarra.
- La culture Hassuna (35 km au sud de Mossoul) caractérise une phase d’environ 5 siècles (6500 - 6000 av J-C) au cours de laquelle se développent des communautés villageoises composées de quelques familles regroupées autour d’un grenier collectif.
- La culture Samarra (100 km au nord de Bagdad) (6200 - 5700) est considérée comme une évolution de la précédente avec une extension en direction de la Mésopotamie du Sud. Cette culture « révèle pour la première fois la maîtrise de techniques d’irrigation rudimentaire et l’usage de la brique crue moulée qui devait révolutionner les modes de construction.
Pourtant ces sites étaient peu peuplés et beaucoup d’entre eux n’ont sans doute compté que quelques dizaines d’habitants.
Halaf.
Cette culture (600 - 5100 av J-C) s’est développée en Syrie du nord dans la Djezireh. « Pratiquement contemporaine de celle de Samarra, elle a connu un très large essaimage dans toute la Syrie et la Mésopotamie septentrionale. (…) Dans ce qui sera la future Assyrie, elle remplace la culture de Hassuna et finit par atteindre les vallées du Zagros et la Mésopotamie centrale. »
Cette expansion a surtout concernée les zones d’agriculture sèche qui n’a pas besoin d’irrigation car les précipitations sont suffisantes.
« Cette période se caractérise par une nouvelle céramique peinte, un habitat qui fait alterner constructions circulaires (les tholoi) et quadrangulaires, ou certaines productions caractéristiques de figurines. Elle voit aussi apparaître les tout débuts de la glyptique, cette technique de taille en creux de cachets en pierre destinés à laisser une empreinte dans l’argile. »
« La culture de Halaf a représenté une époque de grande mobilité des populations à travers le Proche-orient, qui pourrait être mise en rapport avec le développement d’une forme de nomadisme liée à l’essor d’un élevage transhumant, et à de nouvelles pratiques d’échanges. »
Deux modèles différents.
« Ces diverses « cultures », qui ont en commun de reposer sur l’agriculture céréalière et l’élevage, ont toutes connu une longévité de plusieurs siècles. Dans les régions où les conditions étaient favorables à l’agriculture « sèche », le dynamisme de Halaf semble s’être exprimé sous la forme d’une croissance extensive ; au contraire, dans des zones moins favorables où l’irrigation était indispensable, Hassuna et Samarra ont absorbé l’essor démographique par la fondation de villages de plus en plus importants, ce qui ouvrait le chemin à des organisations sociales plus complexes et à de nouvelles évolutions. »
L’époque d’Obeid.
« Les établissements permanents de la basse plaine mésopotamienne ont connu, à partir de la fin du VIe millénaire, une évolution à part, marquée par de nouvelles mutations. Simpose, autour de 5300, ce que l’on appelle l’époque d’Obeid, amorcée vers 6500 (….). Elle se caractérise par une longue période d’épanouissement de villages de plus en plus nombreux et importants. »
Premiers signes de hiérarchies sociales.
« La domination de la culture d’Obeid s’inscrit dans la longue durée : elle couvre près de deux mille ans. Elle finit par supplanter les autres cultures de Mésopotamie et, avec elle, se mettent en place certains fondements de la civilisation urbaine qui apparaîtra au milieu du IVe millénaire. »
« Par sa longévité, par sa capacité à promouvoir des transformations dans de nombreux domaines et surtout par la force de son expansion, la culture d’Obeid constitue une nouvelle étape dans le développement des sociétés villageoises implantées en Mésopotamie. Elle marque le passage d’un système de communautés domestiques agricoles à un système d’organisation sociale plus complexe, que les anthropologues qualifient de « chefferies », une combinaison de sociétés villageoises organisées autour de chefs locaux et patriarches, sans doute issus des plus grandes familles, qui se sont mis à centraliser une partie de la production agricole, à gérer les excédents et à accaparer peu à peu le pouvoir. »
Eridu et la question des « temples » obéidiens.
Sur le site d’Eridu, mise en évidence de 19 niveaux d’occupation avec des vestiges architecturaux parfois spectaculaires. Mais l’identification de ces vestiges architecturaux pose problème « d’autant que la typologie des bâtiments à plan tripartite n’informe n’informe en rien sur la fonction de tels édifices, qui peuvent s’être prêtés à des usages très divers. »
Autres innovations.
Ces villages vivaient d’agriculture céréalière et d’élevage avec au sud une orientation plus nette vers les bovins et les porcs mieux adaptés aux conditions environnementales de la Basse Mésopotamie et de ses marais.
« L’installation des hommes et l’augmentation du nombre d’établissements en Mésopotamie du sud n’ont pu se faire à l’époque d’Obeid que grâce à une maîtrise croissante de l’irrigation, indispensable dans ces régions pour pouvoir pratiquer l’agriculture céréalière. »
A cette époque développement d’un artisanat spécialisé qui fait sortir du cadre familial la fabrication d’objets manufacturés, avec en particulier l’apparition d’une première métallurgie du cuivre (à partir de - 4500) produite par des artisans spécialisés.
Cette culture se caractérise aussi par l’introduction de rites funéraires nouveaux « marqués par l’apparition des premiers cimetières situés hors agglomération.
Une large diffusion de la culture d’Obeid.
A partir du Ve millénaire diffusion de la culture d’Obeid :
- En direction du Nord mésopotamien et jusqu’en Turquie. C’est surtout dans cette région que cette expansion a été marquante.
- En direction de l’Est vers l’Iran.
- En direction du Sud-ouest le long des côtes du golfe arabo-persique.
« Les raisons de cette vaste expansion demeurent mal connues, quoiqu’elles soient vraisemblablement liées au dynamisme intrinsèque de la Basse Mésopotamie et à l’établissement de nouveaux circuits d’échanges. »
« Contrairement aux établissements obéidiens du sud, ceux du nord semblent avoir davantage dépendu de leurs contacts commerciaux que de l’agriculture » (Produits importés comme le lapis-lazuli afghan, cornaline iranienne, obsidienne et cuivre d’Anatolie)
« Au total, comme on l’a déjà noté pour l’époque de Halaf, on retrouve des voies différentes de développement qu’ont empruntées le nord et le sud de la Mésopotamie : au nord, Obeid a évolué dans ses phases finales vers la culture locale de Gawra, alors qu’au sud se profilait la révolution urbaine. »
Bilan de la néolothisation.
« Avec la révolution agricole, les modes de vie, d’organisation sociale et de pensée se sont transformés au Proche-Orient, entre le Xe et le IVe millénaires, selon des cheminements que les recherches archéologiques de ces trente dernières années ont permis de mieux appréhender.
Durant cette longue période de plusieurs millénaires, décisifs pour l’évolution de l’homme et riches en inventions diverses, a été accumulé un important bagage de nature culturelle, technique, sociale et symbolique, nécessaire pour que puisse être franchie une nouvelle étape décisive, marquée par l’invention de l’écriture, l’émergence des villes et des sociétés étatiques : le temps est venu de la révolution urbaine. »
Fin