Mésopotamie. Chap 2. Uruk et la révolution urbaine (NDL)

La Mésopotamie. 

Chapitre 2. Uruk et la révolution urbaine.

 

 

« La « révolution urbaine » (…) a représenté une nouvelle étape, aussi fondamentale pour le développement des sociétés que celle de la révolution agricole, quoique beaucoup plus rapide. »

 

Un élan nouveau.

 

« Les bouleversements qui vont mener à l’apparition des premières villes, à la naissance de l’écriture et à l’émergence de l’Etat, s’étendent sur un millier d’années environ » (en gros tout le IVe millénaire avant J-C).

 

Les archéologues ne détectent pas de ruptures profondes par rapport à l’époque précédente.

 

Dans les premiers siècles du IVe millénaire, en Mésopotamie, augmentation sensible du nombre de sites habités dans la partie méridionale de la plaine, signe d’une forte croissance démographique. « Difficile cependant de déterminer si cet accroissement fut naturel ou consécutif à l’arrivée de nouveaux venus. Cette progression peut aussi avoir été favorisée, ou accompagnés par une modification des conditions environnementales, ayant touché le débit et le cours des fleuves, la ligne de côte des rivages du golfe arabo-persique ou les données climatiques. »

 

A partir de 3500 av J-C, diminution du nombre d’implantation mais augmentation de la place de celles-ci. « Chacune de ces nouvelles agglomérations est alors devenue un point focal organisant peu à peu le territoire environnant. »

 

Les rythmes du changement.

 

La cité d’Uruk constitue l’exemple le plus ancien et le mieux documenté des débuts d’une société urbaine, complexe et étatisée. « Partant, ce site occupe une place particulière pour la compréhension que l’on peut avoir de ces temps à l’aube de l’histoire : une chronologie de toute la période a été élaborée autour des recherches qui y ont été menées. »

 

« Sans céder à l’illusion d’une quête précise d’un foyer originel, on peut alors se demander jusqu’à quel point cette apparente prééminence d’Uruk correspond à une réalité historique. Elle pourrait au fond n’être simplement que le résultat du hasard des découvertes archéologiques. »

 

Hors de Mésopotamie, un autre pôle contemporain va jouer un rôle important : Suse, dans la plaine du Khuzistan iranien.

 

La chronologie d’Uruk, sur un millénaire (IVe) est subdivisée en trois périodes :

  • Ancienne (première moitié du IVe millénaire). Elle est caractérisée par une première croissance urbaine, avec l’élaboration des premiers traits spécifiques à la culture d’Uruk dans la continuité d’Obeid.

  • Moyenne. Peu de choses sur cette période.

  • Récente. Brusque accélération d’Uruk avec ses caractéristiques en matière d’urbanisme, de progrès techniques, d’expansion vers l’extérieur, mais aussi une nouvelle organisation politique et sociale. Elle conduit à l’invention de l’écriture et de l’Etat.

 

La « première ville »

 

Les vestiges du site s’étendent sur plus de 500 hectares et agrègent des ruines s’échelonnant sur plus de 4000 ans. La ville, en effet, reste une métropole majeure de la Mésopotamie du sud, au moins jusqu’à la période parthe (IIIe siècle).

 

La ville atteint son apogée dans le premiers tiers du IIIe millénaire et aurait pu atteindre 10.000 habitants (40.000 pour les plus optimistes).

 

« A l’origine, il est possible qu’Uruk se soit développée à partir du regroupement de deux agglomérations proches mais distinctes, Uruk et Kullab, formées autour de deux éminences séparées d’environ cinq cents mètres et toujours bien visibles aujourd’hui au centre du site. Au sommet de chacune d’entre elles, dans le même temps où l’ensemble de la ville grandissait, ont surgi vers 3400 des ensembles monumentaux aux dimensions et aux raffinements inédits. »

 

Ces édifices monumentaux peuvent avoir eu plusieurs fonctions : résidence palatiale, espaces de réception ou de réunion, lieux de culte, centre administratif, lieux de stockage .

 

Modèles explicatifs.

 

Pour l’historien Mario Liverani, « tout repose sur un concept clef : celui de « l’accumulation primaire. » Un saut quantitatif et qualitatif comme celui que l’on observe à l’époque d’Uruk, n’a pu survenir que lorsque la société a été en mesure de produire de substantiels excédents agricoles, et qu’elle a décidé d’utiliser ces surplus, non pour augmenter les consommations familiales, mais pour financer la transformation structurelle des modes de production et de gestion et l’entretien des spécialistes et dirigeants qui étaient les promoteurs du nouveau système. »

 

« Une organisation sociale nouvelle s’est alors progressivement mise en place, finissant par répartir peu ou prou les membres de la société en deux catégories : celle des hommes indépendants mais sans pouvoir et de moins en moins autosuffisants d’une part, et, d’autre part, elle des individus dépendant des organises centraux, disposant de façon croissante des richesses et des processus décisionnels. »

 

Pour sa part, l’économiste et anthropologue Karl Polanyi a développé une vision économique du Proche-Orient « fondée sur la notion de « redistribution » dans laquelle un rôle central a été assigné à ce que l’assyriologue américain Leo Oppenheim appelait les « grands organismes » (temples et domaines royaux).

 

« Ces grands organismes ont donc fini par prendre en charge la gestion administrative - d’où la nécessité de l’écriture - des produits comme l’orge, l’huile ou la laine, ainsi que l’organisation du travail et l’entretien de dépendants de plus en plus nombreux à leurs services. »

 

« On retrouvera, au cours des trois millénaires suivants, le rôle important joué par ces organismes « institutionnels » qui ont constitué une sorte de marque de fabrique caractéristique de toute l’histoire mésopotamienne, notamment au sud. »

 

Progrès de l’agriculture irriguée.

 

Pour Mario Liverani, c’est la question de l’irrigation qui a été déterminante car elle a permis de dégager de forts excédents agricoles. Ces techniques semblent avoir reposé sur la mise en place progressive de canaux raccordés aux fleuves. Des champs en lanières se sont sont développés autour de ces canaux.

 

Mais aussi d’autres progrès techniques :

  • Chariots à roues.

  • Nouveaux outils (araire attelé, traîneau à battre le grain.)

 

Cela a permis une « explosion » des rendements agricoles et par conséquent la disponibilité d’importants surplus. « Un tiers de la récolte était désormais suffisant pour subvenir aux besoins des hommes et des animaux et pour couvrir les besoins en semaines de l’année suivante. »

 

Autres innovations techniques.

 

L’agriculture n’est pas le seul secteur a bénéficier de progrès :

 

  • L’élevage avec introduction de l’âne domestique.

 

  • Artisanat textile avec essor de la laine qui remplace le lin comme textile de base (« ce qui constitue d’ailleurs une différence notable avec la situation attestée par exemple en Egypte : là où les Egyptiens s’habilleront plus volontiers en lin, les Mésopotamiens seront surtout vêtus de laine. »)

 

  • Introduction du tour de potier qui permet une production de masse de céramiques avec des formes et des fonctions de plus en plus diversifiées.

 

  • Développement d’artisanats spécialisés : travail des métaux, des pierres précieuses, du bois, du cuir, de fibres végétales.

 

« Le nouveau système centralisé permettait non seulement d’accroitre la demande, mais aussi d’améliorer le niveau technologique, la productivité et l’approvisionnement en matières premières. »

 

Par contre pauvret de vestiges archéologiques concernant la métallurgie à l’époque d’Uruk. Il faut attendre l’âge du bronze pour voir un véritable essor de la métallurgie du bronze (alliage de cuivre et d’étain).

 

Dans le domaine de l’architecture on note des bâtiments de formes et d’ampleurs inédites, la mise en oeuvre de nouveaux matériaux (pierre gypse, bitume) et le raffinement des décors (mosaïques)

 

Les moyen de transport se développent avec l’introduction de l’âne de bât et le développement de la batellerie en particulier grâce à l’extension des réseaux de canaux.

 

« En définitive, autant d’innovations et de progrès techniques ont immanquablement entraîné des spécialisations croissantes qui ont sûrement accentué les phénomènes de division du travail et de stratification de la société urukéenne. »

 

Naissance de l’écriture : Quand, où, pourquoi, comment ?

 

« Parmi toutes ces nouveautés, la plus marquante est évidemment l’écriture, et l’on n’a pas fini, jusqu’à aujourd’hui, de mesurer l’importance des bouleversements que son introduction a pu apporter dans l’organisation des sociétés humaines. En Mésopotamie, son avènement apparaît comme une conséquence et un point culminant de la révolution urbaine. »

 

« A partir des environs de 3300, une documentation écrite - abondante d’entrée de jeu - vient en effet s’ajouter aux nombreuses données archéologiques. »

 

Premières tablettes.

 

« Ces « plus anciens textes du monde » ont été découverts au niveau IV de l’Eanna d’Uruk. Il n’est donc pas illégitime de considérer que c’est dans cette ville qu’est vraiment née l’écriture. Il s’agit de tablettes d’argile fine, inscrites au moyen d’un calame en roseau, deux matériaux emblématiques de la Mésopotamie, qui resteront pendant plusieurs millénaires les principaux supports et instruments pour écrire. Elles portent des signes souvent qualifiés de « pictographiques », qui notent des nombres, des objets, parfois un nom propre ou un titre. »

 

« Plus de mille signes différents ont pu être identifiés dans les tablettes archaïques d’Uruk, issus soit de dessins d’éléments reconnaissables, soit de conventions non figuratives.  (….) Les premiers textes étant de nature pictographique, ils ne se « lisent » pas, ni ne transcrivent de langage articulé » Actuellement environ 5000 textes répertoriés.

 

Compter et gérer.

 

Au départ invention de l’écriture pour « compter, répartir, prévoir et gérer » et ainsi pallier aux capacités limitées de la mémoire humaine.

 

Ces premiers textes sont principalement des décomptes et la gestion du bétail, de la force de travail, des terres agricoles

 

« Espaces de stockage ou récipients ont commencé dès la période de Hala à être fermés et marqués d’un sceau-cachet, engageant de la sorte la responsabilité du détenteur du sceau ou marquant sa propriété. A l’époque d’Uruk ces cachets ont été progressivement remplacés par de petits cylindres en pierre gravée, dont le déroulement sur l’argile permet l’impression d’un motif ou d’une scène figurée. (….) Cette invention de la signature par l’intermédiaire du sceau cylindre est contemporaine de celle de l’écriture. (….) Ces sceaux-cylindres vont rester un élément caractéristique de la civilisation mésopotamienne durant plusieurs millénaires, souvent associés aux tablettes d’argiles qu’ils vont servir à sceller et donc à authentifier. »

 

Les jetons comptables sont attestés dès le néolithique. A Uruk « il semble que l’on ait alors multiplié les types de petits jetons comptables en usage, dénommés calculi, qui ont pris des formes diverses (….) pour symboliser telle ou telle quantité de personnes, animaux, denrées ou objets que l’on souhaitait comptabiliser. »

 

« Lors de transactions ou d’opérations de gestion administrative, l’habitude a été prise d’insérer ces calculi à l’intérieur d’une bulle en argile, ensuite refermée et scellée : son contenu ne pouvait plus dès lors, être examiné qu’en la brisant pour vérification. A la surface de ces bulles-enveloppes scellées étaient reproduites les empreintes des jetons placés à l’intérieur, ce qui permettait de comprendre d’emblée la nature et le contenu de la bulle. Par la suite, ce sont ces notations externes qui ont finalement amené à ce que l’on renonce à inclure les calculi dans la bulle, dans la mesure où les empreintes extérieures pouvaient suffire à véhiculer l’information voulue. »

 

« Ces bulles-enveloppes ont sans doute servi à enregistrer et garantir après scellement, les transactions et à permettre une vérification des bonnes conditions d’expédition et de réception des biens échangés lors des transactions à distance. »

 

« Beaucoup pensent aujourd’hui qu’il est illusoire de considérer que l’utilisation des calculi est directement à l’origine de l’écriture : il n’y a pas d’évolution menant de l’une à l’autre. C’est simplement la fonction de ces derniers qui a été gardé lors de la mise au point d’un tout nouveau système : l’écriture. Celle-ci doit donc être considérée comme une invention radicalement neuve même si elle répondait à des besoins en partie similaires. »

 

Une révolution intellectuelle et symbolique.

 

« Dès son invention, l’écriture renfermait un fort potentiel en termes de pensée rationnelle, abstraite ou scientifique. Il existe une logique propre à l’écriture, « une raison graphique », qui a graduellement mené à d’importants développements. Autant qu’un outil de gestion ou de comptabilité, l’écriture a été d’emblée un outil de transformation des connaissances et de la société, à un point que ne pouvaient pas soupçonner ses promoteurs. »

 

« Les conséquences de l’écriture sur les processus cognitifs, ses potentialités pour déployer de nouveaux moyens de communications ont provoqué une modification de la perception du monde chez ceux qui l’avaient inventée. Elle a permis que se développe un système de pensée différent et a progressivement donné à ses utilisateurs de nouvelles manières, non seulement de se projeter dans le temps et dans l’espace, mais aussi d’entreprendre une réflexion sur le monde et sur son organisation. »

 

Dès le début à côté des textes administratifs et comptables présence de listes lexicales (inventaires de noms de villes, d’animaux, de plantes, de professions, d’objets manufacturés). « Il s’agit de textes de nature savante qui, tout en ayant servi d’abord à la formation des scribes et à la transmission des savoirs, ont constitué autant de tentatives de mise en ordre du monde et d’appropriation de ses composantes. »

 

Ces textes sont testés en usage durant toute l’histoire de l’écriture cunéiforme et ont été augmentés au fur et à mesure.

 

Ce processus va provoquer l’émergence « au sein de l’élite de la société urukéenne, d’une nouvelle classe de spécialistes de l’écrit : celle des scribes et administrateurs, maîtres des tablettes et des sceaux. »

 

« Est-on progressivement passé d’une « écriture de choses » à une « écriture de mots », avant que l’on ne parvienne, avec les phonogrammes, à une écriture plus complète de la langue et des ses articulations avec de véritables phrases ? Ou bien l’écriture a-t-elle été en mesure, dès l’origine, de retranscrire certains aspects de la langue parlée, en ayant d’emblée un rapport avec la linguistique et pas seulement avec la sémiotique ? Le débat sur ce point n’est toujours pas tranché. »

 

« Dans le premier tiers du IIIe millénaire, les grands principes de l’écriture cunéiforme ont achevé de se mettre en place, avec leurs combinaisons de logogrammes et de phonogrammes. L’utilisation de ces derniers a représenté un stade ultime et important de l’évolution vers une transcription courante de la langue parlée : certains signes cunéiformes originels étant vidés de leur sens, on n’en a gardé que la perception sonore pour constituer les syllabes des différents mots d’une phrase, selon la pratique du rébus. Avec un stock suffisant de phonèmes, il devenait dès lors possible de noter les diverses articulations de la langue et de transcrire finalement n’importe quel mot d’une phrase d’un grand nombre de langues différentes entre elles. 
 C’est ainsi que ce système d’écriture inventé à Uruk vers 3300, vraisemblablement par les Sumériens, a pu être utilisé pendant trois millénaires et demi en étant emprunté par de nombreux peuples des régions du Proche-Orient, parlant des langues diverses : Akkadiens, Babyloniens, Assyriens, Hurrites, Hittites, Elamites, Perses, etc… Le procédé d’écriture alphabétique grec puis latin - et donc le nôtre - en sera le lointain héritier, via les premiers alphabets mis au point sur la côte méditerranéenne, à la fin du IIe millénaire. »

 

Percer le secret de l’écriture cunéiforme.

 

Début 1857. Afin de vérifier les progrès, dans le déchiffrement de l’écriture cunéiforme, effectués par quatre savants, la Royal Asiatic Society de Londres leur demande de lui remettre sous pli cacheté la traduction d’un texte récemment découvert à Assur. L’ouverture des enveloppes le 25 mai, permet de constater que les quatre traductions sont «  suffisamment concordantes pour que soi considéré comme assuré le succès du déchiffrement. »

 

Une nouvelle société.

 

L’Etat en formation : institutions, politique et idéologie.

 

« La spécialisation du travail a progressivement induit des phénomènes de stratification sociale, d’où a émergé une classe dirigeante ayant accès aux ressources et aux processus de décision. Le rôle de cette dernière a été d’organiser, d’une part les relations avec le divin et de piloter, d’autre part l’administration de l’Etat naissant, s’appuyant sur un embryon de bureaucratie qui disposait désormais de l’écriture. Cette classe dirigeante a dû également assumer la mission de défendre, mais aussi parfois d’accroitre les Territories sous son contrôle, même si les premiers Etats n’étaient pas très étendus territorialement.

Pour maintenir la cohésion de la société et la convaincre du caractère inévitable d’un accroissement des disparités sociales, on s’est appuyé sur des motivations idéologiques de nature religieuse. »

 

« Les communautés villageoises étaient donc dans une relation de type tributaire avec la ville qui leur prélevait, non pas tant une part de leurs revenus, qu’une part de leur force de travail sous forme de corvée, mais elles demeuraient socialement libres et possédaient leurs terres en propre, les gérant sans doute de façon communautaire. Une partie croissante de la population dépendait des grands organismes de l’Etat naissant, mais sans que l’on puisse savoir dans quelle proportion, ni quelle part de la production de richesse était sous le contrôle direct de ces derniers. »

 

On peut donc évoquer « un processus de formation de l’Etat. Les principaux critères permettant de définir celui-ci étaient en effet désormais réunis : existence d’un pouvoir central et d’institutions s’appuyant sur une administration qui, sur un territoire bien délimité, était à même d’exercer une autorité effective sur la population et de procéder à des réquisitions et à des prélèvements obligatoires sur les ressources produites. »

 

Un roi-prêtre ?

 

Dans l’iconographie « une figure importante, détentrice de l’autorité émerge de ces images sur les sceaux ou les pièces sculptées : on la voit chasser les fauves, menacer ses ennemis de sa lance, ou officier devant les temples. Pierre Amiet a proposé le terme de roi-prêtre pour identifier cette figure qui semble diriger et incarner les activités de la cité et se poser en garant de l’ordre du monde. (….) Les diverses facettes des activités de ce personnage ne sont cependant illustrées par l’iconographie que dans la phase ultime de l’époque urukéenne. »

 

En l’état des connaissances actuelles, on peut évoquer l’hypothèse suivante : « Uruk n’a sans doute connu ni théocratie autour d’un clergé spécialisé , ni omnipotence d’un quelconque prince ou chef de guerre, mais a pu avoir à sa tête une élite sociale diversifiée, garante de l’ordre établi, dont les membres siégeaient en conseil ou en assemblée (ukkin). Cette oligarchie a peut-être fini par reconnaître , à partir de la fin de l’époque d’Uruk, l’autorité d’un chef portant le titre de en, titre d’ailleurs appelé à une longue et riche postérité. »

 

La « question sumérienne »

 

La période qui suit Uruk et presque tout le IIIe millénaire voit les Sumériens et le pays de Sumer (Sud mésopotamien) jouer un rôle historique moteur. La question est de savoir si les Urukéens du IVe millénaire étaient déjà des Sumériens.

 

« L’archéologie ne peut ni prouver ni réfuter la présence des Sumériens parmi les plus anciens occupants de la basse plaine mésopotamienne, pas plus qu’elle ne peut repérer d’ailleurs leur éventuelle arrivée en ces lieux à un quelconque moment. »

 

« L’examen détaillé du vocabulaire et de la morphologie de la langue sumérienne révèle d’incontestables emprunts faits à d’autres langues, notamment d’origine sémitique. Sur le plan ethno-linguistique, les Sumériens étaient donc, dès le départ, en contact étroit avec d’autres groupes de populations, ce qui peut faire penser que l’écriture a fait son apparition dans un contexte qui était au moins bilingue, sinon plurilingue. « 

 

« Une majorité de savants a plutôt tendance aujourd’hui à rejeter l’idée d’une immigration des Sumériens : l’émergence de ces derniers serait intervenue sur place, et notamment à Uruk, au sein des communautés humaines autochtones. »

 

Religion, art et représentations du pouvoir.

 

« La période d’Uruk archaïque se caractérise également par un remarquable développement de la pensée religieuse, en lien avec un phénomène nouveau « l’émergence des divinités à caractère personnel à partir de forces sans visages ». Les premiers signes d’un anthropomorphisme des dieux et des déesses sont apparus à l’époque d’Uruk ; il sera la règle au cours des millénaires suivants. »

 

Le monde divin s’organise peu à peu autour de divinités possédant chacune leur propre champ de compétence et d’actions. « Ce polythéisme s’est articulé autour de divers panthéons, perçus comme régulateurs de l’ordre du monde, chacun de ses membres occupant une place précise et s’inscrivant dans un jeu d’interrelations qui s’est progressivement hiérarchisé. »

 

« Aux fondements de cette religion résidait l’idée que le destin de l’homme était d’être au service des dieux. Tout un personnel cultuel se consacrait au service quotidien et à la gestion du temple. (…) Et puisque le temple était aussi une importante unité de gestion domaniale, l’un de ses grands organismes devant assurer la gestion de terres agricoles, troupeaux et ateliers, il faut imaginer également un nombre important d’administrateurs et de personnels divers à son service. »

 

« Arts et architecture ont ainsi été utilisés pour la première fois à Uruk avec des objectifs manifestes d’illustration et de propagation de l’idéologie religieuse et politique. En mettant en scène les chefs de la cité et leurs divinités dans l’imposant décor du complexe de l’Eanna, il s’agissait , pour la classe dominante , de montrer son pouvoir et sa richesse, sa dévotion envers les dieux protecteurs , sa force face aux ennemis. Signes, symboles, rituels ont été instrumentalisés, mais au service d’un projet politique nouveau et c’est tout un système de communication et de représentation des pouvoirs qui s’est alors développé, liant le politique et le religieux , la création artistique. »

 

Une expansion d’Uruk ?

 

« Solidement implantée dans la plaine alluviale tout au long du IVe millénaire, la culture urukéenne a essaimé très tôt au-delà de son foyer originel et son influence a été considérable sur les communautés avec lesquelles elle est entrée en contact, jusqu’en des régions parfois lointaines. »

 

A partir du deuxième tiers du IVe millénaire, expansion démographique et culturelle « qui semble avoir suivi un mouvement depuis la Basse Mésopotamie, en direction du Nord mésopotamien, de la Syrie, de l’Anatolie et de l’Iran. »

 

« L’ensemble de ces régions a connu d’importantes transformations, mais il serait illusoire d’en attribuer l’origine aux seuls Urukéens : les phénomènes de restructuration des sociétés qui se sont alors produits avaient en réalité commencé à se manifester localement, en plusieurs lieux, dès la fin de l’époque d’Obeid. »

 

Suse et la Susiane.

 

« Une attention particulière doit être portée à la région du Sud-Ouest iranien, soit l’actuelle plaine du Khuzistan. Située dans le voisinage direct de la Basse Mésopotamie - mais elle en est séparée par des marais difficiles à franchir, et sans doute même à l’époque par les eaux du golfe arabe-persique - (…) Susiane (….) du nom de la grande ville de Muse qui en fut la capitale et qui a émergé dès la fin du Ve millénaire, jusqu’à devenir un second pôle particulièrement dynamique de la culture urukéenne. »

 

Entre 4000 et 3700 av J-C, Suse développe une production céramique d’une très grande qualité. C’est la période à laquelle la cité se développe sur une superficie de 10 hectares.

 

A la période suivante, 3700 - 3100 av J-C, la cité se place dans la mouvance d’Uruk.

 

« Au cours de cette période, l’expansif, urukéenne est repérable sur plusieurs autres sites de Susiane : elle a gagné des régions d’Iran encore plus lointaines, dans le Zagros, sur le plateau central iranien, dans la région du Fars. »

 

Mais « au tournant des IVe et IIIe millénaire, dès qu’a faibli l’influence d’Uruk, la Susiane s’est assez brusquement éloignée du monde mésopotamien pour se tourner davantage vers le plateau iranien où elle a repris à son compte les réseaux hérités d’Uruk. Les historiens qualifient cette période (3100 - 2700) de « proto-élamite » dans la mesure où elle a préludé à la naissance d’une nouvelle entité géographique et historique, l’Elam, qui allait désormais réunir un ensemble puissant de micro-régions du Sud-ouest iranien autour de deux capitales : Suse dans la plaine et Ansan sur les hautes terres. »

 

A partir de ce moment là, Suse va jouer un rôle important dans l’histoire du Proche-Orient affirmant de plus en plus son rôle de capitale jusqu’aux époques perse et hellénistique.

 

« Ce qui est particulièrement intéressant avec cette grande cité et ce qui en fait la spécificité c’est la façon dont elle a su s’enrichir et jouer au cours des siècles, d’un balancement permanent entre les influences reçues du plateau iranien et celles venues de la plaine mésopotamienne.

 

Haute Mésopotamie, Syrie, Egypte.

 

Dans la seconde moitié du IVe millénaire, la culture urukéenne se propage largement dans plusieurs directions.

 

  • Irak du nord, contact avec la culture de Gawa.

 

  • Syrie. Présence site urukéens à plus de 900 km d’Uruk, en particulier Habuba Kebira qui a la particularité de présenter pour la première fois des maisons, des rues, un rempart sur une superficie d’une vingtaine d’hectares. « On a pu constater que l’on avait affaire ici à une ville neuve, fondée ex nihilo apparemment par les Urukéens eux-mêmes et selon un urbanisme planifié. Habuba Kébira a vécu environ cent cinquante ans et constitue l’exemple le mieux connu de ce qui peut-être considéré comme des colonies crées par les Urukéens. »

 

  • Anatolie. Site de Arslan Type près de la ville turque actuelle de Malatya (Sud-est Anatolien)

 

  • L’Egypte proto-dynastique de la fin du IVe millénaire (époque de Nagada II) a bénéficié d’apports urukéens, parvenus sans doute par la Méditerranée et le delta du Nil.

 

« Ainsi, dans la seconde moitié du IVe millénaire, depuis la vallée du Nil jusqu’au plateau iranien, se sont diffusés un certain nombre d’éléments communs empruntés à la culture d’Uruk, à l’exception notable de l’écriture, sans doute arrivée trop tard dans le processus. »

 

Modèle général et modèles régionaux.

 

« Pour comprendre les enjeux de cette période d’échanges extensifs qui a duré six ou sept siècles à partir de 3700 et a connu plusieurs phases que les archéologues tentent aujourd’hui de mieux discerner, il convient d’abord d’insister une nouvelle fois sur la variété des situations observées : à côté de véritables colonies créées par Uruk comme Habuba Kebira, ou Djebel Aruba en Syrie, ont aussi existé des quartiers résidentiels urukéens dans des villes autochtones - à l’image de ce que sera la situation des Assyriens dans la ville anatolienne de Kanes plus de mille ans plus tard - alors que pour certaines autres localités au contraire, les interactions avec Uruk ont été minimales.

(….) Cette mise en résonance et ces échanges multiples auxquels sont parvenues les diverses régions du Proche-Orient à la fin du IVe millénaire représentent un fait remarquable. On assiste en des lieux très divers et éloignés les uns des autres à des phénomènes concomitants et comparables de développement urbain, avec leurs corollaires en termes de stratification sociale, d’affirmation de l’autorité centrale, de nouveaux modes hiérarchisés d’occupation de l’espace, d’organisation du travail, de progrès techniques, ou d’apparition d’une bureaucratie administrative.

C’est donc une globalisation du monde proche-oriental, une sorte de mondialisation avant l’heure, qui s’est opérée au cours de cette période, au point que l’on a pu parler d’un « système-monde » urukéen. »

 

« Par rapport à un modèle général et global, on préfère évoquer l’existence de divers modèles régionaux dont les centres ont été en compétition les uns avec les autres. Et dans ce contexte, Uruk n’aura alors été que le plus puissant ou le plus dynamique d’entre eux. »

 

L’époque de Djemdet Nasr et la fin de l’influence d’Uruk.

 

Effondrement brusque de ce système, pour des raisons inconnues, au tournant des IVe et IIIe millénaires. Abandon des colonies du Moyen Euphrate syrien ou de haute Mésopotamie, destruction soudaine et brutale des traces urukéennes à Arslan Tepe dans le Sud-est Anatolien.

 

« Il semble que ce soit plutôt une crise structurelle interne, une faillite « systémique » qui s’est alors produite. A la remarquable tendance à la globalisation qui caractérisait le Proche-Orient va dès lors succéder, vers 3000, un phénomène de régionalisation et l’affirmation de diverses cultures locales davantage repliées sur elles-mêmes. »

 

Du côté iranien la Susiane et la région d’Ansan (province du Fars actuel proche de Persépolis), de grands bouleversements autonomisent et structurent la région au cours de la période dite proto-élamite (3100 - 2700).

 

En Irak du nord et en Syrie du Nord-ouest développement de la culture dite Ninivite V. « Ces régions septentrionales connaissent un déclin de la vie urbaine, une résurgence de la vie villageoise ou de la vie nomade. Dans ces contrées, le premier cycle d’urbanisation s’efface et il faudra attendre un demi-millénaire pour connaître une phase de « seconde urbanisation ».

 

Le Sud mésopotamien connaît également une période de repli sur lui même, « mais sans que soit mis un terme à son évolution vers davantage d’urbanisation, de densité démographique, de complexité sociale. Cette période d’environ deux siècles (3100 - 2900) est dénommée Djemdet Nasr. »

 

Fin



07/06/2025
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