Volume 1. Chapitre 5. Une société chrétienne. (NDL)

Chapitre 5. Une société chrétienne.

 

 

« La conversion de Clovis et de ses guerriers n’a pas entraîné immédiatement celle de l’ensemble de la population franque. Il est cependant extrêmement difficile d’établir une chronologie de la christianisation de la Gaule pour la simple et bonne raison que les historiens l’apprécient à l’aune de critères souvent très différents. Il a longtemps été de bon ton de dénoncer la médiocrité de l’Eglise mérovingienne en prenant au pied de la lettre les imprécations des réformateurs monastiques : l’Irlandais Colomba au début du VIIe siècle, l’Anglo-Saxon Boniface au siècle suivant et enfin les clercs carolingiens, nourris de références romaines. »

 

La Gaule du VIe vit sur une tradition chrétienne qui remonte au IVe siècle et le paysage urbain est couvert de nombreux lieux de culte variés. Le baptême est un fait général.

 

I. L’Eglise séculière.

 

« Au VIIe siècle, les évêques, successeurs des apôtres, revendiquent une réelle autonomie, affichée à l’occasion de leurs réunions en conciles.. » Mais il ne faut pas « non plus sous-estimer la force de l’idée de l’Eglise universelle, telle que l’avaient portée, aux IVe et Ve siècles, les grands conciles oecuméniques. Vue de Gaule, cette universalité était cependant de moins en moins impériale et byzantine. Elle était incarnée par l’évêque de Rome. »

 

Rome et la Gaule franque.

 

« L’Eglise franque ne vivait pas pour autant en vase clos. Au Ve siècle, les évêques de Rome avaient eu le souci de maintenir des liens étroits avec leurs collègues gaulois. Rome était encore la capitale politique de la partie occidentale de l’Empire et il paraissait normal que ses évêques jouassent un rôle similaire au sein de l’Eglise. »

 

Avec le pape Grégoire le Grand, la papauté se tourne de plus en plus vers l’Occident. « En réalité, c’est la crise ouverte avec Constantinople qui conduisit Rome à Rechercher plus activement le soutien des évêques francs. Le pape Martin Ier (649-655) fut ainsi le premier à s’opposer à l’empereur en condamnant la doctrine monothélite. » (Concile de Latran en 649)

 

De plus Rome était depuis longtemps,, un lieu de pèlerinage très fréquenté par les clercs francs.

 

« Les évêques de Rome avaient commencé à faire admettre l’idée qu’en vertu de la mission confiée par le Christ à Pierre, ils étaient, en Occident du moins, les continuateurs par excellence de la tradition apostolique. »

 

L’Eglise franque : une Eglise épiscopale et royale.

 

L’Eglise franque est organisée autour de ses évêques qui dirigent des métropoles et des évêchés calqués sur la distribution des provinces civiles et des cités issues de la réforme de Dioclétien à la fin du IIIe siècle.

 

A la fin du VIe siècle, le regnum comptait 13 provinces métropolitaines rassemblant une centaine de diocèses de tailles très diverses.

 

Le rôle du métropolitain « n’était pas tant d’imposer son autorité dans sa province que d’en garantir le gouvernement collégial, notamment par la réunion régulière du synode provincial et la consécration, en compagnie des suffragants, des évêques nouvellement élus. »

 

Mais les évêques furent aussi réunis dans le cadre du royaume unitaire (Orléans en 511, 533, 541 et 549 et Paris en 556, 573 et 614).

 

L’évêque dans son diocèse.

 

L’évêque reste le pivot de l’organisation de l’église dans son diocèse :

  • Préside les offices dans la cathédrale.

  • Prêche.

  • Administre les sacrements

 

Cette importance se manifeste en particulier par l’extension du groupe épiscopal qui comprend :

  • La cathédrale.

  • Le baptistère qui se trouve dans un bâtiment indépendant au moins jusqu’au VIe siècle.

  • La résidence épiscopale

  • Des salles de réunion.

  • Le trésor liturgique abrité dans une pièce spéciale

  • Des bâtiments pour héberger les clercs et leurs activités.

  • Le xenedochium qui avait vocation à recevoir les voyageurs et à pourvoir à l’entretien des pauvres.

 

Le clergé épiscopal comprenait :

  • Des prêtres qui exerçaient des responsabilités liturgiques.

  • Des diacres chargés des fonctions administratives et de la gestion des institutions de charité. Le chef des diacres, l’archidiacre devient rapidement le premier collaborateur de l’évêque.

 

« De manière générale, ces clercs vivaient indépendamment les uns des autres, mais on observe déjà la volonté de certains prélats (…) d’astreindre leurs clercs à une vie communautaire en leur demandant de loger sous le même toit, de partager leur repas et de célébrer ensemble plusieurs offices dans la journée. Ces clercs astreints à une vie régulière, à l’occasion appelés « chanoines » (canonici) servirent ensuite de modèle aux réformateurs carolingiens soucieux de généraliser la vie commune du clergé cathédral. »

 

La fin de la domination romaine en Gaule a provoqué le déclin des écoles publiques et donc d’une certaine culture classique. « Ce déclin s’explique aussi en partie par l’hostilité de toute une tradition chrétienne aux activités intellectuelles profanes. Il n’en reste pas moins que le christianisme était une religion du livre et qu’elle impliquait de la part du clergé une bonne maîtrise du latin qui était à la fois la langue dans laquelle la Bible circulait en Gaule mérovingienne. » Les évêques se devaient donc de former les jeunes clercs à langue latine.

 

Le christianisme à la conquête des campagnes.

 

« Les VIe et VIIe siècles virent le christianisme s’étendre plus largement dans les campagnes. Les canons des conciles mérovingiens montrent les évêques soucieux d’encadrer l’organisation de communautés plus autonomes désignées parfois sous le nom de « paroisses » (….) Des prêtres étaient établis à demeure et reçurent dans le courant du VIe siècle la possibilité de remplacer définitivement l’évêque dans certaines de ses tâches : célébrer la messe, prêcher (…) administrer certains sacrements (baptême), assurer des rudiments d’instruction par l’apprentissage du psautier et gérer une « matricule » à l’intention des plus démunis. »

 

« Dans les faits, certaines églises rurales acquirent progressivement une réelle autonomie économique et il n’était plus possible à l’évêque de disposer de leurs biens, exception faite d’une part des offrandes des fidèles. Une église rurale était d’autant plus fréquentées qu’elle possédait des reliques et pouvait se réclamer d’un saint patron en particulier. »

 

Les conciles vont faire une distinction entre les églises rurales principales et celles qui avaient été édifiées par les grands propriétaires ruraux sur leurs domaines (églises patrimoniales).

 

« Aux yeux de l’épiscopat, l’unité primitive de la communauté diocésaine devait être ainsi maintenue de multiples façons. Il appartenait à l’évêque de réunir régulièrement ses prêtres - ne serait-ce que pour leur distribuer le chrême destiné au baptême des enfants - et de les rencontrer personnellement à l’occasion de ses visites pastorales. Le calendrier liturgique était aussi propice à l’organisation de cérémonies auxquelles était convié l’ensemble du clergé et de la population du diocèse (…). Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, Noël, l’Epiphanie et les grandes solennités en l’honneur des saints, devaient en théorie toujours être célébrées à la cathédrale ou dans les sanctuaires suburbains, même si progressivement un nombre croissant de cérémonies se tenaient dans les campagnes »

 

Même si les évêques doivent parfois lutter contre des pratiques qu’ils réprouvent, on ne trouve pas trace d’un paganisme qui aurait fait concurrence au christianisme. « On doit en fait penser que certains clercs trouvèrent par moment commise de créer un paganisme en quelque sorte imaginaire pour mieux justifier leur propre comportement. »

 

II. Ancien et nouveau monachisme.

 

Le monachisme en Gaule au VIe siècle.

 

On estime que plus de 200 établissements furent fondés en Gaule au Vie siècle.

 

« Si l’attrait de la vie érémitique menée par les Pères orientaux et introduite en Gaule par saint Martin restait fort, la dimension communautaire prenait le pas, encouragée par les évêques. On notera cependant que la plus grande diversité régnait dans l’organisation de la vie monastique.

 

Le dynamisme du monachisme provençal.

 

Fondé au début du Ve, le monastère de Vérins s’impose vite comme le principal foyer du monachisme provençal dont la grande figure est Césaire. « Entré à Vérins en 491, il quitta le monastère pour Arles où il exerça la charge d’abbé d’un petit monastère suburbain. Elu évêque en 502, il conserva sa vie durant une prédilection pour la discipline monastique. Non seulement il encouragea les fondations, en particulier celle du monastère de sa soeur Césarie, mais il eut à coeur de consigner son expérience sous la forme de règles. »

 

Parmi ses idées, les deux principales étaient la pauvreté et la stabilité.

 

On est par contre moins bien documenté pour les fondations dans le reste de la Gaule au cours du VIe siècle.

 

Les règles monastiques.

 

« La plupart du temps une communauté se formait autour d’un maître, évêque, ermite, qui déterminait la manière dont s’organisait la vie commune. Il s’appuyait pour cela sur un ensemble de règles venues d’Orient comme celles des saints Pachôme (+346), Basile de Césarée (+379), Macaire (+394). (…..) Bref, les législateurs monastiques du VIe siècle disposaient d’un corpus de références étendu où puiser des préceptes susceptibles de remplir les attentes spirituelles de leur communauté. »

 

Une règle qui tient une place à part est celle de Saint Benoît de Nurse. Elle est rédigée à la fin des années 520 pour la communauté qu’il réunit autour du mont Cassin. Elle se distingue des autres règles, parfois confuses, par une grande simplicité et clarté.

  • Le moine ne peut faire son salut qu’avec le soutien des autres.

  • La place de l’abbé est fondamentale.

  • L’abbé est choisi par les moines qui lui doivent obéissance en retour.

  • La stabilité est essentiellement (attachement à un monastère).

  • Il doit y avoir un équilibre entre trois activités : le travail manuel, la lectio divina (lecture divine), c’est-à-dire méditation personnelle de la Bible et l’opus Dei (oeuvre de Dieu), c’est-à-dire prière communautaire sous forme d’offices qui rythment la journée.

 

« La Règle de saint Benoît ne semble pas avoir été connue en Gaule dans la seconde moitié du VIe siècle. Ce fut en effet l’apport majeur du monachisme colombaien que de la diffuser largement tout au long du VIIe siècle. »

 

Les monastères et la société au VIe siècle.

 

« L’essor et l’institutionnalisation du monachisme dans la Gaule du VIe siècle ont été accompagnés de profondes transformations qui contribuèrent à installer de manière inédite les communautés religieuses au coeur de la société. Le monachisme primitif s’était construit en rupture totale avec le monde, ce qui expliquait la fuite au désert des premiers moines orientaux. Dans la Gaule du VIe siècle, l’idéal se transforme. Le monachisme devient une institution qui s’insère dans l’Eglise, ne serait-ce que parce que certaines communautés sont de véritables pépinières d’évêques. »

 

l’importance des donations aristocratiques donne aux monastères un rôle économique et social qui deviendra de plus en plus important. « Cela impliquait des liens de réciprocité avec le monde extérieur et en particulier avec les principaux donateurs. »

 

« Abbés et moines manifestaient de leur vivant un certain charisme qui conduisit les fidèles à les considérer comme saints et à venir solliciter leur intercession. Dans d’autres cas, moines ou moniales se plaçaient sous la protection de saints et de reliques prestigieux (….) De la sorte, le monde clos du monastère était confronté aux demandes croissantes des fidèles de pouvoir accéder aux reliques. »

 

« Le monachisme manifestait des prétentions à l’indépendance vis-à-vis des autorités séculières, laïques et ecclésiastiques, qui sous la forme la plus aboutie de l’immunité et de l’exemption, ont durablement marqué l’histoire des institutions régulières en Occident. Il faut dire que sur ce point l’influence des moines irlandais fut également déterminante. »

 

Colomba et le monachisme irlandais.

 

Le séjour du moine Irlandais Colomba sur le continent (591/615) va contribuer à infléchir la physionomie du monachisme franc, car il fut le grand promoteur de la règle de Saint Benoît de Nursie.

 

Le monachisme irlandais.

 

« L’Irlande n’ayant pas été romanisée, le christianisme qui s’implanta au cours du Ve siècle prit une forme très différente de celle qui existait sur le continent. (….) Au VIe siècle, la chrétienté irlandaise était principalement organisée autour de monastères ruraux tenus par les grands clans aristocratiques de l’île qui étaient à la tête des principaux peuples ou tribus, les tuatha. Ces grands monastères fédèrent eux-mêmes des établissements plus petits, regroupés autour de « paroisses » monastiques au sein desquelles les fonctions religieuses les plus importantes restaient tenues par des membres du clan. Cette structure, clanique et monastique, explique aussi le rôle plus effacé que jouaient les évêques par rapport aux abbés, ainsi que l’ordination sacerdotale d’un grand nombre de moines appelés à assurer l’encadrement des fidèles. »

 

« Si la définition de la foi était la même en Irlande et sur le continent , en revanche les usages étaient parfois très différents. La spiritualité du monachisme irlandais possédait un caractère ascétique très prononcé, caractérisé par des mortifications extrêmement rigoureuses. Les moines irlandais avaient aussi développé des pratiques pénitentielles singulières. Alors que sur le continent la pénitence représentait un engagement public et définitif pris devant l’évêque - ce qui conférait au fidèle un statut particulier pour le reste de son existence - la pénitence irlandaise était administrée avec une plus grande souplesse et par un simple prêtre : elle pouvait être répétée et visait surtout à adapter la peine à l’étendue de la faute. »

 

« Le monachisme irlandais continuait à exalter l’érémitisme sous une forme extrême, le pèlerinage perpétuel au nom de Dieu (pérégrinatio pro Deo), ce qui l’éloignait de la stabilité prônée au même moment par Saint Benoît de Nursie. »

 

La pérégrination de Colomba sur le continent.

 

  • Naissance vers 543.

 

  • Début des années 560. Entre au monastère de Bangor

 

  • Début des années 590. Accompagné de 12 compagnons, il se lance dans une peregrinatio sur le continent européen.

 

  • Il débarque en Armorique, puis est accueilli par le roi Gontran qui lui permet de s’installer à Annegray (Haute-Saône). Puis avec l’autorisation de Childebert II, il fonde les monastères de Luxeuil et de Fontaines (Haute-Saône).

 

  • Vers 609/610, expulsion de Luxeuil sur ordre de la reine Brunehaut car il est en opposition avec l’épiscopat franc et même le pape Grégoire le Grand. :

    • Il n’entend pas renoncer aux usages particuliers de son Eglise, en particulier la manière de fixer la fête de Pâques.

    • Il supporte très mal le droit de regard des évêques mérovingiens sur ses fondations.

 

  • Dirigé sur Nantes pour être embarqué pour l’Irlande, il est accueilli à la cour de Clotaire II puis à celle de Théodebert II à Metz.

 

  • 613/614. Après avoir voyagé en Alémanie et autour du lac de Constance, il se fixe en Italie du Nord. Le roi lombard Agilulf lui cède le domaine de Bobbio où il établit sa dernière fondation. Il y meurt le 23 novembre 615.

 

Les autres Irlandais.

 

D’autres Irlandais vinrent sur le continent et participèrent à la fondation de monastères :

 

En particulier saint Fursy qui créé un monastère à Lagny (Brie) sous la protection du maire du palais de Neustrie, Erchinoald. A sa mort vers 650 son corps est déposé à Péronne où ses frères Feuillien et Ultain poursuivent son oeuvre.

 

Le monachisme iro-franc du VIIe siècle.

 

« La personnalité de Colomba eut indiscutablement une influence considérable. (…) Il est évident que l’Irlandais fut à l’origine d’une vague de nouvelles fondations aristocratiques, particulièrement dans la partie nord de la Gaule. On a ainsi pu dénombrer près de 300 établissements apparus au cours du VIIe siècle. »

 

Mais ce succès « est moins celui du monachisme irlandais que celui d’un monachisme de type nouveau. Les chartes de fondations grands monastères précisent en effet que les usages adoptés par les nouvelles communautés devaient autant à la règle bénédictine qu’à celle dite de saint Colomba. »

 

« Contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, le monachisme irlandais fut, en Gaule, le premier promoteur à grande échelle de la règle bénédictine. »

 

« L’apport de Colomba et de ses disciples a aussi été décisif sur le plan des relations entre les monastères et le reste de la société. Suivant la tradition irlandaise, Colomba s’est montré extrêmement respectueux des droits des familles fondatrices à conserver le contrôle des monastères, en particulier féminins. Si les groupes aristocratiques dotèrent largement certains établissements, c’est bien parce qu’en retour ils savaient que les biens donnés ne leur échapperaient pas totalement. »

 

L’esprit colombaien impliquait une large indépendance des monastères vis-à-vis à la fois des autorités politiques et des autorités religieuses. Et à partir des années 640, on voit se multiplier les privilèges d’immunité de la part des souverains mais aussi un renoncement d’une partie de leurs prérogatives de la part des évêques

 

Pour la royauté comme pour l’aristocratie, les monastères remplissaient une fonction d’intermédiaires avec l’au-delà dont elles étaient les principales bénéficiaires.

 

III. L’attraction de l’au-delà.

 

La sainteté.

 

« Le culte des saints s’est répandu dans l’ensemble de l’Empire romain, à partir du IVe siècle, pour s’épanouir véritablement au siècle suivant. Dans le royaume franc, il demeure un phénomène fondamental tant du point de vue de l’expression du sentiment religieux des populations que de la formation d’identités civiques et politiques. »

 

Du culte des martyrs au culte des saints.

 

« La Gaule avait été peu touchée par les persécutions du IIIe siècle. C’est sans doute la raison pour laquelle on mit d’autant plus d’ardeur à entretenir le souvenir des quelques martyrs qui avaient péri alors. Aux VIe - VIIe siècles, les témoignages qui circulaient à leur propos commençaient déjà d’être nimbés de légende et il est donc particulièrement difficile de se prononcer sur le caractère historique de ces témoins du Christ. »

 

« Aux Ve - VIe siècles, avoir confessé la foi du Christ en pratiquant l’ascétisme monastique ou en exerçant des responsabilités épiscopales était donc susceptible de mener à la sainteté. Il en résulta la promotion par la vox populi d’un bon nombre de saints proprement gaulois, dès le Ve siècle. » Le premier et le plus célèbre est Martin de Tours mort en 397.

 

« Le saint n’était pas seulement un témoin du Christ dont les faits et gestes étaient proposés comme modèles aux fidèles, il était aussi un intercesseur dont on attendait qu’ils suscitât des interventions divines ici-bas. »

 

Sainteté et identités politiques.

 

Le culte des saints s’est développé dans une société qui projetait aussi sur lui des propres relations sociales.

 

« La sainteté s’incarnait en de multiples personnages. Elle épousa les différentes réalités sociales et politiques de l’époque à commencer par la plus locale , celle de la civitas. Entre le Ve et le VIe siècle, on vit ainsi toutes les cités adopter un saint patron en particulier. »

 

Les principaux évêques ont eu à coeur de mettre à l’honneur leur propre groupe social en sanctifiant certains de leurs prédécesseurs, « projetant ainsi leur propre image à la fois dans le passé et dans l’au-delà. La sainteté épiscopale caractérise la Gaule du VIe siècle, comme, du reste, les autres régions occidentales de l’ancien Empire romain. »

 

« Cependant, en Gaule franque, aucun culte n’atteignit le prestige de celui de saint-Martin qui, en raison de son ancienneté, acquit , dans le courant du VIIe siècle , le statut de patron particulier de la monarchie mérovingienne. »

 

La sainteté aristocratique du VIIe siècle.

 

« A côté de vertus personnelles et de prédispositions fonctionnelles (qui mettaient en valeur les figures des saints évêques ou de saints abbés), on vit progressivement s’imposer comme un critère attendu l’excellence sociale avec ses corollaires, en particulier l’exercice de hautes responsabilités politiques. Les historiens ont ainsi considéré que l’on entrait dans l’âge de la « sainteté aristocratique » (….) Il faut dans tous les cas mettre en évidence deux phénomènes. La sainteté de l’individu était portée par l’influence et la richesse de sa famille qui lui permettait de servir pleinement comme évêque, abbé ou abbesse. En retour, la sainteté de l’individu participait pleinement au rayonnement et au prestige collectif des siens. »

 

Le sacré et la recomposition des territoires.

 

« Avec le christianisme, s’impose petit à petit l’idée que morts et vivants ne sont que momentanément séparés dans l’attente du Jugement dernier et que, dans l’intervalle, l’intercession des saints peut se révéler efficace. L’essor du culte rendu aux saints auprès de leurs tombeaux ou des reliques désormais déposées dans toute église eut des conséquences majeures sur l’organisation des territoires, urbains et ruraux, en Gaule mérovingienne. »

 

Autour des cités.

 

Une grande partie des saints gaulois ont été inhumés selon les rites antiques, c’est-à-dire le long des grandes voies de circulation, c’est-à-dire en dehors de l’enceinte sacrée de la cité. L’afflux de fidèles, soit en pèlerinage, soit désirant se faire inhumer auprès d’eux entraine des aménagements divers puis des constructions de basiliques avec des aménagements liturgiques permettant d’accueillir les fidèles, mais aussi l’installation d’une communauté de desservants.

 

« Tournées vers l’accueil des pèlerins, les communautés dites basiliques administraient aussi les donations faites aux saints. Au VIe siècle, elles n’obéissaient pas encore à une règle et il fallut attendre le VIIe siècle pour que les protecteurs de ces établissements cherchassent à uniformiser leur fonctionnement sur un modèle strictement monastique. »

 

« Le dynamisme spirituel des basiliques suburbaines ne fut jamais véritablement compensé par l’introduction de reliques en ville, dans la cathédrale, fait que l’on commence à observer au VIe siècle. En somme, coexistaient désormais deux centres - et parfois davantage - dont la morphologie urbaine des villes médiévales et modernes allait longtemps conserver la marque. »

 

Dans les campagnes.

 

« Installant désormais les défunts dans l’espace occupé par les vivants, le christianisme mérovingien aurait précocement inauguré cette disposition si caractéristique des villages médiévaux et modernes centrés autour d’une église et de son cimetière. (….) Pour autant il semble que ce phénomène est loin d’avoir été général et massif. D’une part, si l’on constate assurément un peu partout cette lente pénétration des morts dans l’espace habité qui suggère une familiarité liée à l’intériorisation de nouvelles croyances, en revanche beaucoup de sites d’habitat révèlent encore des sépultures ou des groupes de sépultures intercalaires, sans rapport avec un lieu de culte. D’autre part, on voit longtemps perdurer l’existence d’habitats groupés sans église à proximité. Autrement dit, si l’on constate bien l’existence d’un maillage d’églises rurales déjà dense à l’époque mérovingienne, on doit reconnaître que celui-ci n’obéissait pas encore à une organisation stricte associant systématiquement un site d’habitat à un lieu de culte. C’est dire aussi que le statut de ces églises était sans doute très variable et qu’il n’existait pas encore de sanctuaires regroupant en un seul lieu toutes les fonctions religieuses et économiques qui furent ensuite assumées par la seule église paroissiale. (…) Il faut en réalité attendre les XIe - XIIe siècle pour observer ce regroupement systématique dans le cadre paroissial. »

 

Fin



06/07/2025
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